WEITLING Wilhelm, Christian

Par Jacques Droz

Né le 5 octobre 1808 à Magdeburg, mort le 26 janvier 1871 à New York (États-Unis) ; leader socialiste et chrétien.

Né d’une liaison illégitime entre un officier français et une cuisinière alle­mande, le jeune homme sur lequel s’était abattu la plus sombre misère, participa à Leipzig aux mouvements révolutionnaires de 1830 ; il vécut cependant honorable­ment à Vienne et, compagnon tailleur, arriva à Paris en 1835 où il adhéra à la Ligue des justes. Grâce à l’aide des émigrés allemands, il put faire paraître, en tant que programme de la Ligue, Die Menschheit wie sie ist und wie sie sein soilte (L’Huma­nité telle qu’elle est et telle qu’elle devrait être, 1838), ouvrage très supérieur à ce qu’avait fourni jusqu’alors la littérature socialiste, parce qu’il présentait le proléta­riat comme l’instrument désigné de l’affranchissement de l’humanité, mais, mar­qué par l’utopisme des idées fouriéristes, il rattachait le communisme à l’enseignement du Christ qui le premier avait annoncé la communauté des biens. Ce qui pré­occupait alors Weitling, c’était de préserver le monde artisanal dans lequel il avait vécu, et qui de fait était encore imprégné de culture biblique, sans percevoir la ré­volution industrielle qui menaçait l’Europe. Après avoir remis en ordre la Ligue des justes sous la direction de Hermann Ewerbeck et de Friedrich Mäurer, il organisa des manifestations de soutien aux grèves parisiennes de l’été 1840 et traduisit le Li­vre du Peuple de Lamennais (1841). En 1841, il fut contraint de s’enfuir en Suisse. Attiré par son ami August Becker, il publia à Genève Der Hülferuf der deutschen Jugend, à Vevey Die junge Generation qui liaient fortement le socialisme à l’avenir du mouvement ouvrier : c’est là qu’il médita son ouvrage essentiel sur le plan doc­trinal, Garantien der Harmonie und der Freiheit (Garanties de l’harmonie et de la liberté, 1842) où, jugeant la démocratie politique et le réformisme social incapables de résoudre la misère ouvrière, il comptait sur une sorte de « dictature » pour impo­ser le communisme, substituant aux élections démocratiques la consultation des « capacités » (Fähigkeiten), laissant la direction de l’économie à un triumvirat formé d’un médecin, d’un physicien et d’un mécanicien, invoquant même la venue d’un Messie dont il se vantait d’être l’émanation. Cet ouvrage cependant n’eut pas le succès du précédent : ému par les critiques qui avaient été adressées dans les milieux protestants de Genève à son communisme biblique, il avait cru devoir ne pas faire appel aux textes sacrés pour fonder sa vision du communisme. Conscient de son échec et soucieux de reconquérir sa clientèle artisanale, il donna de nouveau libre cours dans son livre Das Evangelium eines armen Sünders (L’Évangile d’un pauvre pécheur, 1843) à son messianisme mystique : s’inspirant de Lamennais, mais aussi de Karlstadt et de Thomas Münzer, il représentait Jésus comme le pre­mier révolutionnaire dont la lutte contre les pharisiens et les riches donnait à l’É­vangile sa signification sociale. Mais ces thèses valurent à Weitling l’interdiction de son livre en Suisse et, à la suite du procès de Zurich, plusieurs mois de prison.
L’influence de Weitling en Suisse s’était exercée sur les groupes d’ouvriers al­lemands émigrés pour les détacher de la Jeune Allemagne et les conduire à un communisme de caractère chrétien, voire apocalyptique. Le weitlingianisme appa­rut comme une synthèse entre le christianisme et les aspirations matérielles des classes exploitées. Aussi la doctrine eut-elle en Suisse de multiples imitateurs, ne serait-ce que chez les auteurs des prophéties millénaristes comme Rudolf Sutermeister, Andréas Dietsch et Christian Albrecht. En Allemagne même, il influença l’appel de Louis von Hessberg à la « constitution d’une communauté chrétienne » Son influence s’exerça à Londres, à Paris où Mäurer et Ewerbeck combinèrent ses idées avec celles de Cabet, aux États-Unis où Heinrich Arends qui avait fait partie de la Ligue des justes à Paris, transporta ses idées dans les organisations ouvrières américaines. Deux tendances commencèrent cependant à s’opposer : alors qu’ Au­gust Becker, ancien collaborateur de Büchner poursuivit l’œuvre de Weitling en Suisse après son arrestation, Wilhelm Marr se rapprocha de l’athéisme de Feuer­bach et Hermann Dôleke de la critique religieuse de Ruge.
Livré aux polices allemandes par la Suisse, Weitling avait pu séjourner libre­ment à Hambourg, d’où il s’était embarqué pour Londres ; la section de la Ligue des justes lui réserva en août 1844 une réception grandiose qui fut l’une des premières manifestations internationales du mouvement ouvrier. Pourtant son influence au sein de la Ligue des justes s’estompa rapidement au profit de celle d’Engels et de Marx. Depuis le milieu des années quarante l’on constate un déclin du weitlingia­nisme. Bien qu’il le considérât quelque temps comme une « figure d’athlète » très supérieur aux autres socialistes de son temps, Marx fit faire par le Comité de cor­respondance de Bruxelles, une vive campagne contre ses conceptions religieuses. D’où son départ pour les États-Unis où il fonda un Befreiungsbund qui le renvoya en Europe à l’occasion des révolutions de 1848. En Allemagne, après avoir subi à Cologne une nouvelle rebuffade de la part de Marx, il tenta de présenter à Berlin une revue, Der Urwähler qui n’eut que quelques numéros et participa au second congrès des démocrates sans pouvoir s’y imposer. Ses tentatives à Hambourg, où il possédait encore avec Friedrich Martens et Georg Schirges des amis fidèles, pour donner une nouvelle version des Garanties, d’orientation anarchiste, n’eut pas plus de succès. Aux États-Unis où il émigra définitivement après la révolution, il entre­prit dans les États esclavagistes un travail d’agitation et de propagande ; il publia de 1850 à 1855 Die Republik der Arbeiter et participa à des associations coopératives, sans pouvoir échapper à la plus extrême misère. Il s’était dans ses dernières années livré à l’astronomie et à la création d’un langage universel.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article217153, notice WEITLING Wilhelm, Christian par Jacques Droz, version mise en ligne le 23 juin 2020, dernière modification le 11 juin 2020.

Par Jacques Droz

SOURCES : Waltraud Seidel-Höppner, Wilhelm Weitling, der erste deutsche Theoretiker und Agitator des Kommunismus, Berlin-Est, 1961. — C.F. Wittke, The utopian communist : a biography of Wilhelm Weitling, nineteenth-century reformer, Baton-Rouge Louisiane, 1950. — W. Schieder, Anfänge der deutschen Arbeiterbewegung, Stuttgart, 1963. — G.M. Bravo, Weit­ling e il comunismo tedesco prima del Quarantotto, Turin, 1963. — M. Vuilleumier, « Frankreich und die Tätigkeit Weitlings und seiner Schüler in der Schweiz 1841-1845 », in Archiv fur Sozialgeschichte, V, 1965. — W. Kowalski, Vom bürgerlichen Demokratismus zum Kommunisrnus. Zeitschriften aus der Frühzeit der deutschen Arbeiterbewegung (1834-1847), Berlin-Est, 1967. — J. Haefelin, Wilhelm Weitling. Biographie und Theorie : der Züricher Kommunistenprozess von 1843, Berne, Francfort, New York, 1986. — Lexikon, op. cit. — Osterroth, op. cit. — BLDG, op. cit.

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