Par Alain Ruiz
Né le 8 décembre 1753 à Strasbourg (France), mort le 21 août 1806 à Rothau (Alsace, France) ; écrivain socialiste de l’époque de la Révolution française.
Fils d’un chirurgien et de la fille d’un diacre, Franz Heinrich Ziegenhagen fut élevé dans l’esprit du piétisme et se destina au commerce. En 1780, il s’établit à Hambourg comme négociant en draps. Son commerce florissant lui permit d’acheter en 1789, non loin de la ville, une propriété où il fonda l’année suivante un établissement d’éducation agricole. Son objectif : contribuer à résoudre la question sociale dans l’esprit des principes exposés en 1792 dans sa Doctrine des justes relations avec les productions de la Création, dont l’« adoption publique », à son avis, pouvait seule faire « le bonheur général des hommes ». Pour les réunions des membres de la communauté, Ziegenhagen composa un poème et demanda à Mozart de le mettre en musique. Ainsi naquit la cantate Vous qui honorez le créateur de l’univers... Consacrant toute sa fortune à son entreprise, Ziegenhagen fit rééditer plusieurs fois son livre à ses frais et il multiplia de tous côtés les appels pour obtenir des secours financiers. En vain. Le philanthrope ruiné fut contraint en 1800 de vendre son domaine et retourna deux ans plus tard dans sa patrie alsacienne, où il finit par se suicider.
Deux éléments sont à la base de la doctrine de Ziegenhagen que domine l’idéal de bonheur cher au siècle des lumières : son idéologie rousseauiste et sa pitié pour la misère des masses populaires, particulièrement voyante à Hambourg au seuil de la révolution industrielle. « Parmi les hommes, les uns vivent en bêtes à l’engrais, les autres en bêtes de somme », écrivait Ziegenhagen qui, après Rousseau, pensait que la civilisation citadine et le luxe étaient la cause de tout le mal. Qu’il vive « selon la nature » dans l’ordre juste et harmonieux que Dieu avait voulu et l’homme serait heureux, moral et bon. Pour atteindre ce but, une solution : établir des colonies agricoles basées sur la collectivité de la propriété et du travail. Leurs membres, dont la vie communautaire serait régie par des principes démocratiques, auraient une activité planifiée et les enfants jouiraient d’une éducation mixte qui formerait le corps autant que l’esprit. L’impératif suprême : « Utiliser le plus possible les richesses fondées dans les productions de la Création pour le bien de l’individu et, parla, pour le bien de toute la société. »
Ziegenhagen qui avait adhéré à la franc-maçonnerie à Ratisbonne en 1775, attendait de l’application de sa Verhältnislehre et de l’extension à une large échelle du réseau de colonies qu’il préconisait les plus grands bienfaits pour « l’économie générale du monde » : plus de guerres avec leur cortège d’horreurs, mais une paix qui permettrait le développement d’un commerce altruiste entre les nations délivrées des vieux fléaux tels que patriotisme sectaire, esclavage, servage, despotisme et trafics honteux de toutes sortes. Un tel rêve explique l’enthousiasme avec lequel Ziegenhagen accueillit la Révolution française qui semblait inaugurer la régénération de l’humanité sous le triple signe de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Ziegenhagen espérait que les hommes de la France nouvelle aboliraient la propriété privée et à deux reprises, en automne 1792 et au printemps 1795, il soumit son projet à la Convention française, mais ne reçut pas de réponse et en conçut la plus vive déception.
Le projet de société socialiste conçu par Ziegenhagen s’avéra irréalisable, mais certaines de ses idées utopiques furent reprises avec quelques modifications une vingtaine d’années plus tard par un autre philanthrope, Johann Daniel Lawatz, grand manufacturier d’Altona qu’alarmait la paupérisation croissante des basses classes à Hambourg. Cependant, bien que plus réaliste, Lawatz échoua comme son prédécesseur dans sa tentative pour mettre ses idées en pratique.
Par Alain Ruiz
ŒUVRE : Lehre vont richtigen Verhältnisse zu den Schöpftungswerken, und die durch öffentliche Einführung derselben allein zu bewirkende allgemeine Menschenbeglückung, 1792.
SOURCES : J.J. Moskovskaja, « Zwei vergessene deutsche Utopisten des 18. Jahrhunderts », in Zeitschrift fur Geschichtswissenschaft, no. 3,1954. — G. Steiner, Franz Friedrich Ziegenhagen und seine Verhältnislehre, Berlin-Est, 1962.