Par Anne-Laure Ollivier
Né le 14 septembre 1910 à Marsillargues (Hérault), mort le 7 mai 1986 à Marseille (Bouches-du-Rhône) ; avocat puis directeur de journal ; militant socialiste à Marseille à partir de 1933, secrétaire de section (1936), secrétaire fédéral (1950-1969) ; adjoint puis chef du réseau Brutus dans la Résistance, responsable pour la zone sud du Parti socialiste clandestin ; président de la délégation municipale de Marseille en 1944-1945, puis maire de 1953 à 1986 ; député à l’Assemblée consultative (Paris), député des Bouches-du-Rhône (1945-1958, 1962 1981 et 16 mars-7 mai 1986), sénateur des Bouches-du-Rhône (1959-1962) ; secrétaire d’État à la présidence du Conseil, chargé de l’Information dans le gouvernement Félix Gouin (janvier-juin 1946), secrétaire d’État à la France d’outre-mer dans le gouvernement Léon Blum (décembre 1946- janvier 1947), ministre de la Marine marchande dans les gouvernements Pleven (juillet 1950- mars 1951) et Queuille (mars 1951- juillet 1951), ministre de la France d’Outre-mer dans le gouvernement Guy Mollet (février 1956-juin 1957) ; candidat à la présidence de la République en 1969 ; président du groupe parlementaire socialiste à l’Assemblée Nationale de 1962 à 1981 ; président du conseil régional Provence-Alpes-Côte-d’Azur (1974-1981) ; ministre d’État, ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation dans les deux premiers gouvernements Pierre Mauroy (1981-1983), ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation dans le troisième gouvernement Mauroy (1983-1984), ministre d’État chargé du Plan et de l’Aménagement du Territoire dans le gouvernement Laurent Fabius (1984-1986).
Gaston Defferre a laissé son nom à deux grandes lois : la loi-cadre de 1956 concernant les colonies d’Afrique noire, et vingt-six ans plus tard, les lois de décentralisation. Il est également passé à la postérité, sur un plan plus pittoresque, pour avoir été le dernier représentant de mœurs politiques où l’offense était réparée par un duel. Mais dans la mémoire collective, Gaston Defferre reste associé à la ville de Marseille, dont il fut maire socialiste durant trente-trois ans, et à une stratégie d’alliances centristes qui le situait à la droite du parti. Cela ne fut cependant pas toujours le cas. Et si son socialisme fut volontiers entaché de suspicion par ses détracteurs, une vue d’ensemble de sa carrière laisse apparaître une fidélité sans faille au Parti socialiste.
Son milieu familial ne le dirigeait pourtant ni vers Marseille, ni vers la SFIO. Defferre naquit le 14 septembre 1910 dans une famille de la bourgeoisie protestante nîmoise, d’origine cévenole. Son père, Paul Defferre, avoué à Nîmes, était issu d’une ancienne lignée d’avocats et de magistrats ; sa mère, née Suzanne Causse, était la fille d’un riche viticulteur de la région. Son enfance fut partagée entre Nîmes et Dakar, au Sénégal, où sa famille fut conduite à s’installer, ruinée par la passion de Paul Defferre pour le jeu. Son baccalauréat en poche, ce sportif au tempérament fougueux, amateur d’équitation et d’escrime, s’inscrivit en 1928 à la Faculté de Droit d’Aix-en-Provence, perpétuant ainsi la tradition juridique familiale. Licencié en Droit en 1931, c’est cependant à Marseille qu’il s’établit comme avocat stagiaire. Sa sœur Maryse y avait épousé André Cordesse, protestant et riche industriel, à la tête d’une importante entreprise d’huilerie-savonnerie. Futur président de la Chambre de commerce de Marseille, Cordesse semble avoir introduit Defferre dans la bourgeoisie marseillaise, assurant ainsi une clientèle aisée au jeune avocat. Secrétaire de la conférence du stage, inscrit au barreau de Marseille en 1934, membre du Conseil de l’Ordre en 1937, Defferre s’était en effet spécialisé dans les affaires commerciales, mais défendait également, à l’occasion, des syndicats.
Car son installation à Marseille coïncida également avec son engagement politique à la SFIO, en 1933. Si Defferre était un jeune bourgeois, ses attaches familiales étaient protestantes et républicaines. Sa mère lui fit découvrir Jaurès, ainsi que les surréalistes, dont la lecture a pu nourrir le sentiment de révolte et l’attachement à la liberté de ce jeune homme fasciné par la mémoire des « Camisards » cévenols. La part des contingences locales et des réseaux intervint sans doute aussi : la SFIO était alors à l’apogée de sa puissance à Marseille et comptait dans ses rangs des parlementaires issus du Barreau.
Militant de base à la 10e section de Marseille, il devint à la fin de l’année 1936, secrétaire de cette même section, poste auquel il sera sans cesse réélu jusqu’à la guerre. Marié à une sympathisante communiste, Andrée Aboulker, Gaston Defferre soutint l’unité d’action avec le Parti communiste. La guerre d’Espagne favorisait ce rapprochement au cours duquel Defferre fit cependant aussi l’expérience de la puissance croissante des communistes. Dans un contexte de montée des périls, Defferre défendit une politique de fermeté, tout en se montrant attaché à l’unité du parti - à l’image de sa fédération. Au congrès fédéral de 1938, précédant le congrès de Montrouge, il se rangea parmi les blumistes.
La lutte antifasciste prenait le pas sur le pacifisme et le conduisait à s’engager dès le début du conflit, alors qu’il avait été réformé pendant son service militaire pour cause de pleurésie. Envoyé en garnison dans les Alpes, à Aspremont, Defferre chercha après l’armistice, à poursuivre une guerre dont il n’acceptait pas l’arrêt, et à laquelle au demeurant il n’avait pas été véritablement confronté. Il tenta, en vain, de rejoindre Londres. Cette volonté de prendre les armes, légitimée par la mémoire « huguenote » dont il était pétri, explique sans doute en partie l’originalité de l’engagement résistant de ce socialiste.
Précoce, cet engagement fut double. En contact avec des militants socialistes, et notamment Horace Manicacci, il rejoignit rapidement le petit groupe qui œuvra autour de Félix Gouin pour la reconstitution clandestine du PS. En 1943, il se vit confier la direction du CAS (Comité d’action socialiste) pour la zone sud. Parallèlement, son milieu professionnel le conduisit à intégrer, aux côtés de son ami l’avocat André Boyer, le réseau BCRA Froment, fondé par le colonel Fourcaud - futur réseau Brutus. Il dirigea le réseau après l’arrestation d’André Boyer en décembre 1943. Mais le cloisonnement entre une résistance politique et une résistance militaire au sein du réseau Brutus n’était qu’apparent. Socialiste résistant, Defferre ne cessa de défendre le Parti socialiste clandestin contre les attaques des mouvements de résistance et du Parti communiste, et prit une part importante dans le rapport de force qui s’engagea à partir de 1942 entre les socialistes, de Gaulle et les mouvements. Il rédigea en ce sens deux rapports transmis à Londres en janvier et en octobre 1943. En outre, Defferre entreprit d’utiliser le réseau Brutus, qui avait recruté parmi les socialistes, pour contrer l’hostilité du comité de coordination des mouvements de résistance à l’égard du CAS. Après un voyage à Londres puis à Alger, en octobre 1943, au cours duquel il rencontra le général de Gaulle, auquel il réaffirma son allégeance, Defferre obtint en partie gain de cause : sous le nom de « France au Combat », les groupes paramilitaires de Brutus - groupes « Veni » - obtinrent un siège au Comité directeur des MUR.
Ce faisant, contre Léon Blum et Daniel Mayer, Defferre plaidait pour une structuration autonome de la résistance socialiste. Devant la montée en puissance du Parti communiste, il estimait que le Parti socialiste devait être visible. Aussi la FAC était-elle conçue comme le pendant du Front national. En outre, Defferre encouragea à Marseille la création des milices socialistes. Ce fut aussi cette analyse en termes de rapports de force qui sous-tendait sa volonté d’ouvrir le Parti socialiste aux résistants issus des mouvements, pour former avec eux un grand parti travailliste, capable de contrebalancer l’influence du Parti communiste. Le projet fut cependant rejeté.
À l’approche de la Libération, son activité se concentra plus que jamais sur la ville de Marseille. Gaston Defferre avait en effet obtenu la présidence de la délégation municipale de Marseille à la Libération. Il refusa de siéger à l’Assemblée consultative d’Alger pour participer à la libération de Marseille. En outre, après avoir publié L’Espoir dans la clandestinité, il créa avec Francis Leenhardt le quotidien Le Provençal.
Le passage par l’armée des ombres fonctionna indéniablement comme un accélérateur de carrière pour Gaston Defferre : il fut confirmé dans ses fonctions de maire après une écrasante victoire de la liste de Rassemblement démocratique, formée avec le Parti communiste, lors des élections municipales du 29 avril 1945 ; il fut élu député à l’Assemblée nationale constituante en octobre 1945 ; il siégea au Comité directeur de la SFIO de 1944 à 1946. Enfin, il fut nommé secrétaire d’État auprès de la présidence du Conseil, chargé de l’Information dans le gouvernement Félix Gouin, en janvier 1946. À ce titre, il fit adopter la loi de dévolution des biens des entreprises de presse ayant continué à paraître sous l’Occupation.
Pourtant, Gaston Defferre - qui avait entre-temps épousé Antoinette Swatters - se heurta vite à des difficultés, signe d’un enracinement local encore fragile et du reflux qui commençait à affecter la Résistance. Ainsi, au sein de la fédération SFIO des Bouches-du-Rhône, il dut affronter la concurrence de Pierre Ferri-Pisani. S’il sortit gagnant de cette confrontation, celle-ci laissait cependant la fédération exsangue, tandis que les résultats électoraux ne permettaient pas d’enrayer le déclin militant. À Marseille en effet, le Parti communiste s’affirma comme la première force politique et les rapports ne firent que s’envenimer entre les frères ennemis. Ainsi, après la victoire des communistes aux élections cantonales de l’automne 1945, Gaston Defferre, devenu minoritaire, démissionna de la présidence du conseil municipal. Un an plus tard, il semble que ce fut à contrecœur qu’il accepta de figurer au second tour sur la liste commune avec les communistes, qui conduisit à l’élection du communiste Jean Cristofol à la mairie. Defferre profita d’ailleurs de la campagne électorale marseillaise pour ne pas prendre part au vote d’investiture de Maurice Thorez à l’Assemblée nationale en décembre 1946.
S’il fut réélu député en juin et en novembre 1946, la SFIO était distancée par le MRP et par le Parti communiste. Face à une fédération de plus en plus hostile à la participation ministérielle, Gaston Defferre vota, avec la majorité des Bouches-du-Rhône, contre le rapport moral au congrès SFIO de 1946, participant ainsi à l’éviction de Daniel Mayer. Il fut un des acteurs de la synthèse avec Guy Mollet mais entra dès l’année suivante dans l’opposition au secrétaire général.
Les élections municipales de 1947 furent une nouvelle désillusion, mais la rupture avec les communistes était désormais consommée, conséquence de la guerre froide, et l’abstention socialiste lors de l’élection du maire profita au RPF Michel Carlini. Mieux valait les gaullistes que les communistes pour Gaston Defferre. D’autant que la tactique des fronts anticommunistes conduisit à l’isolement du PCF et bénéficia d’autant plus à la SFIO que la vague gaulliste retombait. Gaston Defferre concentra alors son activité à Marseille pour conquérir la mairie. Sous son impulsion, les effectifs de la fédération repartirent à la hausse ; il fut élu secrétaire fédéral en mars 1950, et réélu député aux législatives de 1951. Entre-temps, il avait accepté le portefeuille de la Marine marchande dans les gouvernements Pleven et Queuille entre juillet 1950 et juillet 1951, capital pour un prétendant à la mairie de la cité phocéenne. Ainsi, en 1953, profitant des divisions de la droite marseillaise, Gaston Defferre fut élu maire grâce à une alliance avec la droite modérée, les gaullistes, le MRP et les radicaux, contre le Parti communiste pourtant arrivé en tête. Le « système Defferre » était né : il reposait sur la mairie de Marseille, la fédération socialiste des Bouches-du-Rhône et Le Provençal.
Il en résulta un renforcement de sa place dans le parti qui allait de pair avec un rapprochement avec Guy Mollet, facilité par l’engagement européen des deux hommes. Membre du Mouvement européen, président à partir de 1953 de la section française du Conseil des communes d’Europe, Defferre était convaincu que l’Europe constituait la réponse à la question de la puissance française. Ainsi, alors que la fédération socialiste des Bouches-du-Rhône avait rejoint celles du Pas-de-Calais et du Nord dans la majorité en 1950, c’est la crise de la CED qui fit de Defferre l’allié de Guy Mollet. Ce faisant, Defferre renforçait sa position sur son rival local, Francis Leenhardt, opposé à la CED. Ses liens privilégiés avec Pierre Mendès France l’éloignaient cependant de Guy Mollet. Alors que le président du Conseil radical lui proposait un portefeuille ministériel à l’automne 1954, il respecta l’interdiction d’intégrer l’équipe gouvernementale prononcée par la SFIO. Séduit par le style de Mendès France dont il partageait les vues en matière coloniale, Defferre n’en était pas moins soucieux des intérêts du Parti socialiste. Il fut à ce titre un ardent défenseur de l’alliance de Front républicain, qui devait permettre à la SFIO de bénéficier de la popularité de l’ancien président du Conseil aux élections législatives de janvier 1956. En outre, alors qu’il jouait les intermédiaires entre Mendès France et Guy Mollet, Defferre se montra hostile à un gouvernement à direction et même à participation socialiste, pour préserver le parti des compromissions du pouvoir.
Gaston Defferre accepta cependant le portefeuille de la France d’Outre-mer dans le gouvernement Guy Mollet. Soucieux d’éviter une contagion algérienne en Afrique noire, il fit adopter en mars 1956 une loi-cadre pour les territoires d’Outre-mer, destinée à préparer l’autonomie de ces colonies. En favorisant une évolution pacifique de ces territoires, la loi préservait aussi les chances de conserver un lien avec l’Afrique noire. Il fut cependant rapidement en désaccord avec la politique algérienne du gouvernement : s’il n’était pas favorable à l’indépendance de l’Algérie, il ne croyait pas au triptyque « cessez-le-feu, élections, négociations » et préconisait une solution politique et des négociations immédiates. La chute du gouvernement, en mai 1957, lui permit de manifester ouvertement son opposition à la ligne de Guy Mollet. Pourtant, quelques mois plus tard, lors de la crise ouverte au sein du parti par le retour du général de Gaulle, Defferre contribua de façon déterminante à « sauver » Guy Mollet, en limitant la scission PSA. En effet, si dans un élan résistant, il vota contre l’investiture du général de Gaulle le 1er juin 1958, il fit par la suite volte-face et choisit d’adopter la constitution de la Ve République. L’approbation de la politique africaine esquissée par le général de Gaulle au mois d’août 1958 et la conviction qu’il disposait seul de l’autorité nécessaire pour mettre fin au conflit algérien, semblent avoir pesé dans ce ralliement vers lequel des préoccupations locales le portaient par ailleurs.
Ce choix ne lui permit cependant pas de conserver son siège de député aux législatives de novembre 1958. Victime d’un vote des communistes contre sa personne, il fut battu et se réfugia au Sénat en 1959, avant de retrouver le Palais Bourbon en novembre 1962. « Patron » de la plus grosse fédération du parti (11 725 cartes en 1963-1964), bénéficiant d’une majorité plus confortable après sa réélection à la mairie de Marseille en 1959, il devint le deuxième homme fort de la SFIO et obtint la présidence du groupe socialiste à l’Assemblée nationale. Débuta alors une ère de très fortes tensions avec Guy Mollet. En effet, Defferre s’était plus opposé sur la forme que sur le fond à la réforme constitutionnelle de 1962 et se rallia rapidement aux institutions de la Ve République. Mais les divergences portaient aussi sur la question du pouvoir, du rapport au Parti communiste, et par conséquent sur la conception du parti lui-même : Defferre visait l’alternance et souhaitait construire une force politique à vocation majoritaire, qui, bénéficiant d’un rapport de force favorable vis-à-vis du Parti communiste, pourrait alors envisager des pourparlers avec celui-ci. Sur ce dernier point, les vues de Defferre n’avaient pas varié depuis la guerre. Defferre entendit profiter des élections présidentielles pour créer un élan et fédérer sur son nom l’opposition non communiste au gaullisme : ce fut l’opération « Monsieur X », lancée par L’Express en septembre 1963. Investi par le congrès socialiste en février 1964, il tenta de franchir une étape supplémentaire après les municipales de mars 1965. Le mode de scrutin l’avait en effet conduit à constituer des listes communes avec la droite anti-gaulliste marseillaise - au prix d’une scission socialiste conduite par Daniel Matalon, partisan de listes d’union avec le Parti communiste. Désireux de transposer cette stratégie de troisième force au niveau national et de relancer une campagne en perte de vitesse, Defferre lia alors sa candidature présidentielle à la création d’une Fédération démocrate socialiste, englobant la SFIO, les clubs, jusqu’au MRP, en passant par les radicaux. L’hostilité de Guy Mollet et de Jean Lecanuet précipita l’échec des pourparlers. Defferre, qui ne concevait pas de poursuivre son combat en dehors des partis, retira sa candidature en juin 1965.
L’échec de sa candidature ne signifiait cependant pas l’abandon de la stratégie centriste dont il était désormais l’incarnation. Son soutien à François Mitterrand dans la campagne présidentielle de 1965 fut pour le moins réservé. Néanmoins, il sut jouer la carte François Mitterrand contre Guy Mollet et soutint la création de la FGDS, occupant le portefeuille des Affaires sociales dans le contre-gouvernement. À contrario, après le départ du général de Gaulle en 1969, il profita de l’hostilité des socialistes à l’égard de François Mitterrand, pour obtenir l’investiture à l’élection présidentielle. Son échec cuisant - 5,07 % des suffrages exprimés - sonna le glas de la stratégie centriste, comme de sa prétention à un « destin national ». Plus encore, sa position semblait fragilisée à Marseille.
Faisant le deuil de ses prétentions nationales, il se replia donc sur Marseille et, une fois sa réélection à la mairie assurée, en 1971, il se rallia à François Mitterrand. Au congrès d’Épinay, la volonté d’évincer définitivement Guy Mollet pesa sans doute dans l’alliance de la motion Nord-Bouches-du-Rhône avec celles de la CIR et du CERES. Huit ans plus tard au congrès de Metz, Defferre apporta le soutien d’une partie de la fédération des Bouches-du-Rhône à François Mitterrand, contre Michel Rocard ; il ne put cependant empêcher qu’une partie des mandats se porte vers Pierre Mauroy, derrière le secrétaire fédéral Charles-Émile Loo, jusqu’alors homme lige de Defferre. La stratégie d’union de la gauche et le programme commun de gouvernement avaient été difficilement acceptés par une fédération rompue à la lutte contre le Parti communiste. Defferre semblait s’y être rallié en 1971 après avoir reçu l’assurance de François Mitterrand qu’il ne s’agissait que d’une alliance électorale et de gouvernement destinée à parvenir au pouvoir. Il résista cependant avant d’appliquer localement cette stratégie : il mit certes fin en 1974 à son alliance avec la droite giscardienne à la mairie de Marseille, mais ne constitua pas pour autant de listes communes avec les communistes aux municipales de 1977. Il y fut cependant contraint en 1983, permettant à la droite, jusque-là divisée, de s’unir derrière Jean-Claude Gaudin et de le menacer très sérieusement à l’issue du premier tour. Après une campagne particulièrement violente, il parvint, de justesse, à conserver la mairie.
Ses fonctions ministérielles place Beauvau, depuis 1981, l’accaparaient et le tenaient éloigné de Marseille. S’il avait quitté la présidence de la région PACA qu’il occupait depuis 1974, il avait refusé d’abandonner ses fonctions municipales. L’homme, qui avait épousé en troisièmes noces Edmonde Charles-Roux, fut absorbé par la mise en œuvre d’une décentralisation à laquelle, en tant que maire, il tenait particulièrement. Les lois de 1982 faisaient écho à la défense des « libertés locales », thème cher aux élus locaux du Parti socialiste depuis la Libération, qui avait connu une nouvelle vigueur sous la République gaullienne, en permettant à des socialistes repliés sur leurs fiefs locaux de manifester ainsi leur opposition au pouvoir central gaulliste. Vieillissant, Defferre eut cependant du mal à affronter les problèmes aigus qui relevaient de ses fonctions tels que le terrorisme. Après lui avoir adjoint un secrétaire d’État, Joseph Franceschi, François Mitterrand l’écarta du ministère de l’Intérieur. Sa mort politique fut prononcée le 6 mai 1986, lors d’une réunion de la fédération des Bouches-du-Rhône où il fut mis en minorité face à Michel Pezet. Le fondement de sa carrière politique et de son leadership était atteint. Signe du destin, et d’une vie dédiée à la politique, Gaston Defferre mourut, victime d’un malaise, dans la nuit du 6 au 7 mai 1986.
Par Anne-Laure Ollivier
SOURCES : Arch. OURS, comptes rendus des congrès et conseils nationaux, procès-verbaux du comité directeur ; dossier biographique. — Arch. de Sciences Po., groupe parlementaire socialiste, 1949-1969. — Arch. Nat., F7 16165-16169, séries 3 AG2, 72 AJ. — Presse : Le Monde, L’Express, Le Nouvel-Observateur, Paris-Match, Le Provençal, Provence socialiste, Le Populaire. — Gaston Defferre, Un nouvel horizon, Gallimard, 1965 ; Gaston Defferre, Si demain la Gauche..., Laffont, 1977. — Georges Marion, Gaston Defferre, Albin Michel, 1989. — Roger Colombani, Charles-Émile Loo, C’était Marseille d’abord, Laffont, 1992. — Edmonde Charles-Roux, L’homme de Marseille, Grasset, 2001. — Maurice Grimaud, Je ne suis pas né en mai 68. Carnets et notes, Tallandier, 2007.