CASTRO Eduardo dit « El Sevilla »

Par Jean Costumero

Né le 23 mai 1916 à la Cabeza de San Juan » (province de Séville , Espagne), mort le 9 septembre 2019 à Decazeville (Aveyron) ; « Guérillero » espagnol » (Aveyron, Pyrénées-Orientales) ; ouvrier maçon ; militant du Parti communiste d’Espagne et du Parti communiste français.

Eduardo Castro naquit dans la province de Séville d’où son nom de guerre, El Sevilla. Son père Eugène, Joseph Castro travaillait comme journalier rural « campesino jornalero », sa mère Diana, femme au foyer, s’occupait de sa nombreuse famille ; Eduardo avait huit frères et sœurs. Il fut cependant scolarisé jusqu’à l’âge de dix-huit ans.
Il s’engagea très tôt dans la guerre civile espagnole du côté républicain et participa aux événements de Pozoblanco, Teruel ainsi que la bataille de l’Ebre . En février 1939, il fit partie des près de 500 000 exilés qui passèrent la frontière du côté Perthus, lors de la Retirada.
Arrêté par la police française, il fut interné dans un premier temps au camp de concentration d’Argelès-sur-Mer (Pyrénées-Orientales), puis Gurs pour être ensuite envoyé à Bordeaux (Gironde). En 1940, de retour à Argelès-sur-Mer puis le camp du Barcarès (Pyrénées-Orientales), il fut affecté au camp de travail obligatoire de Capdenac (Lot). En novembre 1941, il est alors employé dans le cadre du travail obligatoire aux mines de Decazeville (Aveyron) par société Commentry–Fourchambault.
Au début de l’année 1942, Castro fut l’un des premiers Espagnols decazevillois à organiser la résistance des « Guérilleros » en compagnie de ses compagnons de la première heure Lopez-Herranz Amadeo ; Antonio Alvarez ; Gonzalez-Cruz "El Chillon" ; Domingo Delposo, travaillant sous les ordres du secrétaire départemental du Parti communiste d’Espagne (PCE) de l’Aveyron José Benitez. L’un des frères Benitez qui deviendra bien plus tard député maire de la commune de Dos Hermanas, ville de 200 000 habitants dans la région de Séville.
Véritable artificier de par sa formation durant la Guerre d’Espagne, Eduardo Castro utilisait à merveille le phosphate, et les mèches de briquet en coton en tant que retardateur. Son fournisseur d’explosifs étant le boute feu du puits n° 1 et ami Antonio Alvarez . Il fut donc l’auteur avec ses « compañeros » de très nombreux sabotages dans le bassin houiller, et des « enlèvements d’argent ou de nourriture ». Organisateur sans pareil de la guérilla urbaine c’est lui qui stratégiquement mit en place les attentats sur des personnes et des moyens dans le bassin houiller de Decazeville.
Désigné commissaire politique par l’UNE, à la suite dans un premier temps de Groba puis de Quintian-Lopez, il effectua de nombreux déplacements entre le centre de formation de Roulens (Aude) et Decazeville (Aveyron). De même, il effectuera plusieurs voyages périlleux dans la région de Toulouse (Haute-Garonne), utilisant le transport ferroviaire, et faisant l’objet de contrôles des polices française ou allemande.
Il assura la cohésion entre les frères Garcia, en charge des FTPF pour Louis ; les jeunesses communistes pour Henri, et les Guérilléros. Il fut également à l’origine des premiers contacts avec les Guérilleros des autres départements tels que ceux de Cajarc (Lot), ainsi que ceux du barrage de l’Aigle dans le Cantal.
Jugé trop indépendant et ne se soumettant pas assez à la hiérarchie interne du Parti communiste espagnol de l’Aveyron, en avril 1944 il fut promu dans les Pyrénées-Orientales commissaire politique en charge de cinq bataillons et organisa la mise en place du passage en Espagne des clandestins dans les Pyrénées-Orientales.
Le 31 mai 1944, devant récupérer des passagers, il désobéit aux ordres fondamentaux par manque de patience et quitta son véhicule dans lequel il était censé attendre pour aller au-devant des personnes attendues. Il fut arrêté en gare de Perpignan au cours d’une rafle allemande, puis interné dans un camp de la région de Perpignan avant d’être escorté par la police française jusqu’à la prison de la Santé à Paris.
Le 6 juin au matin, un garde allemand l’informa du débarquement des alliés en Normandie, mais aussi de son transfert pour l’Allemagne. Arrivé en gare d’Ivry-le-François, alors que le convoi faisait l’objet d’un bombardement de la part des Alliés, il entendit alors sur le ballast la voix de deux Espagnols avec qui il échangea quelques mots et ces derniers firent le guet et lui indiquèrent le bon moment pour sauter du wagon. Après avoir parcouru près de 80 kms, le voilà arrivé à Cousances-aux-Forges (devenu Cousances-aux-Forges) dans la Meuse.
Il y fit la connaissance d’un émigré algérien, qui lui arracha son papier de destination cousu sur sa veste et lui proposera spontanément de l’aider, y compris en l’hébergeant quelques jours chez lui. Il lui permit d’être accueilli et hébergé dans une ancienne champignonnière reconvertie en atelier de réparation de V.2, dirigé par un Espagnol travaillant pour le compte de l’Allemagne.
Il y travailla quelque temps afin de subvenir à ses besoins. Il participa à la création d’un maquis dans la région de Saint-Dizier (Haute-Marne).
Suite à l’arrivée des premiers bataillons américains dans la région, Eduardo Castro demanda à rencontrer un commandant et se présenta à lui, en tant que commandant des Guérilleros espagnols de la région, en charge de « La Reconquista de España » pour le secteur de Perpignan. Le commandant en question après avoir pris attache avec son État-major, deux jours plus tard revint au domicile d’Eduardo Castro et lui proposa de le suivre, ce qu’il fit spontanément pensant ses ennuis enfin terminés, mais il l’emmena jusqu’au camp de Compiègne (Oise). Les Américains le mirent ensuite sans aucune explication, à bord d’un convoi de vingt camions, mélangé avec d’autres prisonniers allemands et polonais, qu’ils faisaient de temps à autre descendre du véhicule pour être brimés et insultés par la population locale. Affamé l’un d’eux au cours d’une halte pour « se soulager » se jeta sous un pommier pour se sustenter, mais fut alors abattu d’une balle pour l’exemple.
Son voyage le mena alors jusqu’à Cherbourg (Manche)pour y être embarqué pour Londres. Il fut alors emprisonné avec d’autres officiers allemands pour y être interrogé, pendant une durée de six mois, puis séparé ensuite des Allemands et déplacé à nouveau dans un camp dans la région de Southampton, où seuls étaient internés des prisonniers républicains espagnols [250 environ], hébergés dans des baraques en planches construites par eux-mêmes, avec peu de moyens. Il fut à l’initiative d’une grève de la faim afin de s’opposer aux différentes maltraitances, ainsi qu’au manque de nourriture, mais surtout refusant de travailler considérant lui-même qu’il devait bénéficier du statut de prisonnier de guerre.
Mis à l’isolement dans une cage en bois et maltraité jusqu’à l’épuisement, par solidarité ses amis reprirent le travail et la route du réfectoire permettant ainsi à Eduardo d’échapper à une mort certaine. Il resta interné pendant un an et demi, dans le froid et la pluie, lui rappelant les événements douloureux de la période des camps de concentration en France. À nouveau renvoyé dans la région de Londres, avec cinq autres camarades, il fut interné au camp de Kirkham , où il obtint le statut « d’interné libre », portant toujours son uniforme de prisonnier, mais plus dans un camp fermé, néanmoins gardé par un homme en arme.
Les interrogatoires comme « communistes staliniens » de la part de l’Intelligence-Service étaient journaliers, avec toujours la même question lancinante, « Quel est votre chef direct, et quels sont vos projets en Espagne ? “Si vous coopérez, nous procéderons à votre extradition dans le pays de votre choix”. Tous les détails de son parcours ainsi que les déboires de “La Reconquista” lui étaient exposés en détail pour le mettre à bout de nerfs.
À plusieurs reprises, il reçut la visite de personnages divers tels que la journaliste, fille de l’anarchiste italien Carlo Benedetti qui entama une campagne de propagande dans la presse, que les journaux tabloïds anglais reprirent quelque temps après. La visite également du père du responsable communiste Santiago Carrillo.
Malgré les informations de la presse anglaise qui prit fait et cause pour le cas de ces Républicains espagnols internés en Angleterre, Eduardo Castro n’obtient sa libération qu’au mois de mai 1946, suite aux interventions répétées de son ami Luis Alvarez, ainsi (mais il ne devra son véritable salut), qu’à l’intervention personnelle et décisive de Paul Ramadier devenu ministre
Suite à son voyage Calais-Paris puis enfin à Decazeville (Aveyron), il retourna dans l’anonymat et ne demanda ni n’arbora aucune des décorations qui lui furent proposées.
Par la suite, ses seuls engagements furent au sein du Parti communiste d’Espagne jusqu’à la fin des années 1960 (responsable local de El mundo Obrero) puis au Parti communiste français en Aveyron.
Eduardo Castro coula une paisible retraite à Decazeville en compagnie de ses trois enfants et petits-enfants, et de sa complice de toujours, son épouse Pépita, épousée à Decazeville, militante du Parti communiste espagnol. En 2019, il résidait dans une maison de retraite de Decazeville ; il mourut le 9 septembre2019 âgé de 103 ans

Il était (2019) l’un des trois derniers survivants des Guérilleros espagnols du bassin houiller de Decazeville. Les deux autres étant Calisto Sánchez qui vit à Espéraza (Aude) et l’autre Floréal Navarro habitant de Lodève (Hérault)..

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article218277, notice CASTRO Eduardo dit « El Sevilla » par Jean Costumero, version mise en ligne le 2 août 2019, dernière modification le 12 octobre 2020.

Par Jean Costumero

SOURCES  : Documentation de Jean Costumero. — Témoignage oral d’Eduardo Castro. — Jean Costumero, De Decazeville au Val d’Aran. Dans les pas d’un guérillero espagnol combattant pour la France, s. l., Association guérilleros y Reconquista, 2011, 519 p. [pp. 241-251], préface d’Henri Moizet..

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