Par Marie-Louise Goergen
Né le 22 janvier 1920 à Périgueux (Dordogne), mort le 31 janvier 2002 à Paris ; surveillant de service électrique ; secrétaire adjoint du syndicat des cheminots de Périgueux (1944-1947) ; secrétaire fédéral (1947-1963) puis secrétaire général (1963-1969) de la Fédération FO des cheminots ; membre de la commission exécutive (1965-1969) puis secrétaire confédéral (1969-1977) de la CGT-FO ; membre du comité exécutif de la Fédération internationale des ouvriers du transports (ITF) (1965-1969) ; conseiller économique (1951-1959) puis membre du Conseil économique et social (1959-1967) ; membre du Conseil supérieur des PTT (1964-1967) ; administrateur de la SNCF (1968-1969) ; membre du Conseil supérieur du tourisme (1972-1977) ; conseiller d’État (1975-1979).
Aîné d’une famille de sept enfants (deux garçons et cinq filles), Robert Degris était le fils et le petit-fils d’un cheminot. Son père se trouvait chez des cousins en Amérique du Sud avant de revenir en France pour effectuer son service militaire en 1912. Mobilisé en 1914 comme simple soldat, il termina la guerre en 1919 comme officier. Tailleur de pierre avant d’entrer au chemin de fer, il portait sur le bras droit une équerre et un compas et sur le bras gauche une inscription : « À bas la guerre, mort aux vaches ! », des tatouages appliqués dans sa jeunesse et dont il ne parlait jamais, mais qui faisaient penser à son fils qu’il avait adhéré à la franc-maçonnerie à une époque. Il était entré au chemin de fer en mai 1920, avait participé à la grève et avait été révoqué aussitôt, pour être réintégré en 1937-1938. Il s’était syndiqué à nouveau à la Libération et avait même été élu délégué du personnel, sans pour autant être un militant.
Robert Degris fréquenta l’école communale à Périgueux (Dordogne) puis, après avoir obtenu le certificat d’études primaires, s’inscrivit dans une école professionnelle supérieure, branche Arts et Métiers. Son père souhaitait qu’il devienne ingénieur des Arts et Métiers, mais sa position d’aîné dans une famille aux revenus modestes l’amena à entrer comme apprenti aux ateliers du Paris-Orléans à Périgueux le 1er octobre 1935. Son apprentissage terminé en 1938, il fut affecté à la gare des marchandises de Paris-Austerlitz, dans la branche téléphonie-signalisation. Il y participa à sa première grève, le 30 novembre 1938, pendant deux heures... la grève n’étant pas suivie par ses collègues d’atelier. Pendant la même année, il adhéra au syndicat CGT de Paris-Austerlitz.
Robert Degris effectua son service militaire à Périgueux à partir de juin 1940, puis rejoignit un chantier de jeunesse. Il fut ensuite nommé surveillant de service électrique à Capdenac jusqu’en 1942, puis de nouveau à Périgueux. Il resta adhérent des syndicats de ses lieux de travail pendant la guerre, aidant la Résistance locale en coupant occasionnellement des fils électriques. À Périgueux, il devint très rapidement l’adjoint du secrétaire général du puissant syndicat des cheminots, Robert Soudey, qu’il qualifiait de « brave type, droit ». En 1945, il fut membre de la commission départementale de reconstitution des organisations syndicales des travailleurs, désigné par la CGT. Ayant occupé de petites responsabilités syndicales régionales pendant la guerre, Robert Degris fit partie de la commission administrative de la Région Ouest à partir de la Libération. Secrétaire adjoint du syndicat des cheminots de Périgueux, il fut désigné par la CGT, en décembre 1944, à la commission départementale de reconstitution des organisations syndicales de travailleurs, chargée d’organiser l’épuration syndicale (CAC, 199110807-8).
Lorsque la question de la scission se posa, Robert Degris accéda très rapidement à des responsabilités nationales importantes : « Quand il a fallu créer la direction de la Fédération FO des cheminots, c’est sur une poignée de gens qu’il fallait s’appuyer. » Pourtant, contrairement aux militants qui, autour de Fernand Laurent, André Lafond, Marcelle Méhudin et d’autres, avaient créé le Comité d’action syndicaliste dès l’été 1947, Robert Degris n’était pas favorable à un départ isolé de quelques fédérations de la CGT, d’autant plus qu’à Périgueux le syndicat riche de plusieurs milliers d’adhérents risquait de s’affaiblir et qu’il était le dirigeant de fait d’une organisation dont le secrétaire général lui laissait beaucoup d’initiative. Cette attitude fut partagée par le responsable local des Groupes socialistes d’entreprise. Ainsi, il n’y eut pas de départ vers les CAS à Périgueux. Il n’y eut pas non plus d’appel à la grève en novembre 1947 et un référendum organisé le 27 novembre à l’initiative de la CGT donna une majorité contre la grève. C’est néanmoins cette grève qui accéléra l’évolution vers la scission et, par là, la carrière syndicale de Robert Degris. Responsable des groupes Force ouvrière de la Dordogne, il fut « propulsé » secrétaire fédéral de la Fédération confédérée FO des travailleurs, cadres et techniciens des chemins de fer français et de l’Union française créée le 28 décembre 1947. Lorsque, le 16 janvier 1948, un comité de coordination fut créé en vue de l’unification de la Fédération confédérée et de la Fédération syndicaliste, Robert Degris en fit partie. Il fut élu secrétaire de la Fédération syndicaliste confédérée lors du congrès de fusion de la Mutualité les 1er-2 mars 1948. Lorsque le secrétaire général de la Fédération, René Clerc*, partit en retraite en 1950 et fut remplacé par Fernand Laurent, Robert Degris devint secrétaire général adjoint de la fédération. Fernand Laurent ayant démissionné avec effet du 4 avril 1963, Robert Degris accéda au secrétariat général, poste dans lequel il fut confirmé lors du congrès fédéral de juin 1964 et qu’il occupa jusqu’en 1969. Il fut signataire d’une motion pour l’interdiction de l’appartenance à la CGT au conseil national de la SFIO de décembre 1957. Interrogé sur ses préférences dans l’action syndicale, il avouait avoir été davantage passionné par les problèmes de politique syndicale générale que par les questions purement techniques, comme les salaires par exemple.
Abstraction faite de l’action corporative, Robert Degris se trouvait à la direction fédérale à une période qui connut des bouleversements politiques et sociaux importants et qui n’était pas sans révéler les anciens clivages entre partisans des CAS et militants de FO. Plutôt favorable au maintien de l’Algérie dans l’Union française, d’autant plus que la Fédération FO des cheminots y était fortement implantée, Robert Degris s’opposa résolument aux prises de position d’André Lafond qui, lui, était favorable à l’Organisation de l’armée secrète (OAS). En 1968, contrairement à d’autres militants de sa fédération, il ne fut pas tenté par les théories « gauchistes » ni par l’entrée dans les mœurs de pratiques individuelles qu’il considérait comme excessives. Alors qu’il admettait, avec trente ans de recul, « que nos enfants ne pensent pas comme nous et qu’il y a une évolution de la société », il se disait « un peu conservateur ».
Robert Degris eut également des responsabilités confédérales. Membre de la commission exécutive de la CGT-FO de 1948 à 1969, il fit partie du secrétariat confédéral de 1969 à 1977. Il y eut en charge les secteurs femmes, jeunesses syndicalistes, logement, étrangers, tourisme social notamment. À ce titre, il fut l’un des initiateurs de la création des chèques-vacances.
Sur le plan international, Robert Degris assuma des tâches importantes dans le cadre de la Fédération internationale des transports (ITF) à partir de 1951. Membre du comité exécutif de l’ITF de 1965 à 1969, il avait été auparavant membre de la section des cheminots, dont il assura la présidence depuis 1962. Il représenta la Fédération FO des cheminots à de nombreuses conférences internationales dans plusieurs pays européens adhérant à l’ITF.
En 1951, Robert Degris fut nommé conseiller économique puis membre du Conseil économique et social à partir de 1959 et jusqu’en 1967, au titre des organisations syndicales FO. Membre du Conseil supérieur des PTT de 1964 à 1967 et du Conseil supérieur du tourisme de 1972 à 1977, il considérait comme extrêmement formatrices ces années pour l’autodidacte qu’il était, et plus particulièrement celles qu’il passa au Conseil d’État, de 1975 à 1979, en raison des origines et des points de vue très divers de ses membres, ce qui l’obligeait à se confronter à des positions contraires aux siennes.
Adhérent au Parti socialiste depuis la Libération, sans pour autant exercer de responsabilités, Robert Degris se considérait comme un syndicaliste pur, à l’instar de Léon Jouhaux* pour qui il éprouvait beaucoup d’admiration. Il était profondément attaché à l’indépendance syndicale et n’était pas sans reprocher aux syndicalistes proches d’Alexandre Hébert à la CGT-FO des ambitions politiques non avouées. Il admettait avoir été attiré par la franc-maçonnerie, par ses aspects humanistes et formateurs, tout en récusant ses rites et son fonctionnement.
Marié, Robert Degris était père deux fils dont l’un était chef cuisinier ; l’autre fut un temps secrétaire de l’Union locale CGT-FO de Saint-Raphaël (Var). Il s’était remarié en 1954 avec Janine Guillier, une nièce de Roger Liaud qui travaillait comme secrétaire au CAS, aux côtés de Marcelle Méhudin, puis à la Fédération FO des cheminots.
Par Marie-Louise Goergen
SOURCES : Arch. Fédération CGT-FO des cheminots. — Le Rail syndicaliste, 1948-1965. — Georges Ribeill, « Autour des grèves de 1947, les scissions de l’après-guerre au sein de la Fédération CGT (CAS, FO, FAC, FgMC) », Revue d’histoire des chemins de fer, n° 3, Mouvement social et syndicalisme cheminot, automne 1990, p. 95-113. — Renseignements communiqués par Gilles Morin et M. Sauvé. — Notes de Louis Botella et de Georges Ribeill. — Entretien avec Robert Degris, 22 février 2001. — Cheminots et militants, op. cit.