VIDAL Marie

Par Gérard Leidet

Institutrice à Marseille (Bouches-du-Rhône), syndicaliste, féministe, militante de la Fédération nationale des syndicats d’instituteurs (FNSI).

Marie Vidal, institutrice à Marseille, intervint lors du VIème congrès de la Fédération nationale des syndicats d’instituteurs (FNSI) qui se tint à Marseille du 13 au 16 avril 1911 dans la grande salle de la vieille Bourse du Travail. " Une femme à la tribune, à l’époque ce n’était pas fréquent..." nota François Bernard.

Le poids sans cesse grandissant des institutrices dans l’enseignement primaire, lié au fait que leur formation était la même au sein des écoles normales féminines que celle de leurs collègues masculins, rendait l’inégalité de traitement inique et choquante. Pour défendre l’égalité des rémunérations se constituèrent, dès 1903, les premiers groupes féministes universitaires (GFU). En 1909, ces GFU (une quinzaine selon Loïc Le Bars, op. cit.) formèrent la Fédération féministe universitaire (FFU) qui se tenait à la lisière du syndicalisme, même si certaines institutrices syndicalistes y adhéraient, s’investissant alors dans les deux domaines (syndicalisme enseignant et féminisme). Cette fédération rejoignit peu après le Conseil national des femmes françaises. Pour Marie Vidal, et pour beaucoup de féministes de la FNSI, cette affiliation à une organisation "bourgeoise" était inacceptable. Ces militantes pensaient que la propagande et l’action féministes devaient être intégrés au sein du syndicalisme enseignant sous la forme de comités d’action féministe constitués dans les syndicats départementaux.

Marie Vidal rapporta devant le congrès sur l’organisation, au sein du Groupement fédéral, des Comités d’action féministe. Avec sa contribution, le féminisme entrait de plain-pied dans les délibérations de la FNSI. Le fait étant nouveau, le congrès " s’étonne, écoute, applaudit" (F. Bernard). Son rapport solidement structuré, bien rédigé, lui permit de signaler avec à-propos ce qu’elle percevait comme l’un des plus dangereux écueils du féminisme : celui qui consistait à établir entre l’ouvrière et la féministe bourgeoise une solidarité de sexe basée sur la revendication des droits politiques et juridiques dont elles sont frustrées, et de rompre ainsi les solidarités de classe entre les salarié.e.s des deux sexes. Marie Vidal redoutait ce dernier aspect pour les sections de la Fédération féministe primaire, dont les dirigeantes avaient adhéré au Conseil national des femmes françaises. Cette "organisation capitaliste", s’efforçait de rallier les syndicats d’ouvrières qu’elle détournait de la CGT et parvenait ainsi à dresser contre les syndicats ouvriers leurs rivales sur le plan économique. Dans son organe L’Action féminine, d’août 1910, ce même Conseil national se félicitait des recrues que lui apportait la Fédération féministe primaire. A cet effet, Marie Vidal cita des extraits de la revue : " Les institutrices apportent maintenant au féminisme l’appoint de leur influence dans la commune, le village, la famille des élèves et l’esprit de celles-ci. C’est par elles que le féminisme pénétrera dans toute la France...".

Marie Vidal fit remarquer que ce Conseil national était subventionné par les Rothschild, les Mallet, les Péreire, et autres "rois de la finance", et que, par conséquent, l’accueil enthousiaste fait aux institutrices ne pouvait être qu’instrumentalisé. Elle conclut donc en demandant la création, dans chaque syndicat d’instituteurs, d’un Comité d’action féministe soumis à la discipline syndicale, et dont l’objectif serait de fournir à la FNSI "les bases d’appréciation qui lui permettront d’intervenir le plus utilement en faveur des institutrices". Ces comités d’action étaient conçus comme des groupes d’études et de propagande, l’action proprement dite restant du domaine des syndicats.

Cette manifestation inédite du féminisme dans l’ordre du jour des congrès de la Fédération CGT des instituteurs, plutôt pondérée, équilibrée, dans le fond, " bien loin des excentricités alors coutumières aux suffragettes bourgeoises " (François Bernard), fut exprimée cependant avec beaucoup de force, d’énergie et de dynamisme par Marie Vidal. Le congrès de Marseille adopta sa proposition : les Groupes féministes étaient nés. Une tribune allait être créée dans l’Ecole émancipée, qui, progressivement, s’ouvrit davantage aux institutrices.

Lors du débat qui eut lieu dans l’Ecole émancipée, au printemps 1911, à propos du salaire des institutrices, Marie Vidal avait déjà lancé la discussion avec son article (paru le 4 mars 1911) sur le féminisme bourgeois. Selon elle, cette question, au sein de sa corporation, était assez simple puisque l’institutrice avait la même formation que l’instituteur, et qu’elle travaillait dans les mêmes conditions et "autant que lui". Elle précisait en outre, et de façon paradoxale, que l’institutrice ne craignait pas qu’à salaire égal l’instituteur lui soit préféré. Les arguments qui, habituellement, pouvaient "justifier", selon certains, la faiblesse du salaire féminin, n’existaient donc pas. Comment légitimer alors cette inégalité de salaire ? Comme le démontrèrent d’autres militant.e.s dans les numéros suivants de la revue, le seul argument du parlement et du gouvernement résidait dans le manque d’argent.

On allait voir rapidement, dans les années suivantes, la part assez large qui revint aux institutrices dans le maintien et l’activité de la FNSI pendant la Grande guerre. En effet, lorsque les militants furent mobilisés, celles-ci assumèrent, parfois seules, le maintien de la vie syndicale face aux difficultés de toutes sortes qui surgirent dès la rentrée d’octobre 1914. Lors de ce congrès de 1911, singulièrement lors du "débat féministe", assistait, "muette encore", une militante qui venait de créer la section de Saône-et-Loire, et qui devait, par la suite fonder la Commission féminine de la CGT et jouer un rôle de premier plan dans la Fédération unitaire de l’enseignement et la CGTU : Marie Guillot...

Plus féministe et moins syndicaliste que cette dernière (selon Marie-Hélène Zylberberg-Hocquart, op. cit), Marie Vidal était fermement opposée à la notion de femme au foyer ; mais à la différence de Marie Guillot qui souhaitait donner aux filles une éducation générale aussi complète que celle des garçons, elle voulait que l’école donnât aux filles du prolétariat un métier. Le 3 juin 1911, dans un nouvel article "A travail égal, salaire égal", elle dénonça cette revendication ouvrière comme ayant un but caché, chasser les ouvrières de leur emploi.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article218386, notice VIDAL Marie par Gérard Leidet, version mise en ligne le 12 août 2019, dernière modification le 22 novembre 2022.

Par Gérard Leidet

 SOURCES : François Bernard, Louis Bouët, Maurice Dommanget, Gilbert Serret, Le syndicalisme dans l’enseignement, Histoire de la Fédération de l’enseignement des origines à l’unification de 1935, T. 1 "Des origines à la Première guerre mondiale" (François Bernard), coll. "Documents de l’IEP de Grenoble". — Loïc Le Bars, La Fédération unitaire de l’enseignement (1919-1935), aux origines du syndicalisme enseignant, Ed. Syllepse, 2005. — Marie-Hélène Zylberberg-Hocquard, Féminisme et syndicalisme en France, Editions Anthropos, 1978. — L’Ecole émancipée, mars et juin 1911.

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