Saint-Michel (Haute-Garonne), ferme du Ruisseau, 10 juin 1944

Par André Balent

Six personnes abattues par des SS de la division Das Reich dans le cadre d’une opération contre les maquis (AS et FTPF) des Petites Pyrénées en Volvestre, Comminges (Haute-Garonne) et en Couserans (Ariège)

Saint-Michel (Haute-Garonne)
Saint-Michel (Haute-Garonne)
Stèle des victimes de la tuerie du 10 juin 1944
Cliché : site MemorialGenWeb

Saint-Michel (Haute-Garonne) :

Ce modeste village du Volvestre avait une population de 313 habitants en 1936, lors du dernier recensement avant la guerre. Situé à 5 km environ au sud de Cazères, il est également proche de l’Ariège : la commune est limitrophe de celle de Fabas (Ariège). Saint-Michel, comme Fabas, est situé dans les Petites Pyrénées, massif pré-pyrénéen qui prolonge à l’ouest la chaîne ariégeoise du Plantaurel. Cette région de collines boisées était apte à accueillir des maquis, d’autant plus que quelques fermes isolées, avec l’appui d’agriculteurs complices, pouvaient servir de bases pour les clandestins et abriter des dépôts de matériels. La ferme du Conté avait ainsi servi à abriter le matériel réceptionné lors de parachutages fin 1943 et début 1944. Les cadres du maquis de Cazères y trouvaient refuge. Pour cette raison la venue des SS de la division Das Reich à Saint-Michel n’a pas été fortuite. Ils cherchaient de toute évidence le contact avec le maquis de Cazères afin, dans la mesure du possible, de l’ « éradiquer ».

Le maquis AS de Cazères :

Tout comme son voisin le maquis des FTPF de Betchat (Ariège) avec qui il entretenant des contacts, le maquis (AS) de Cazères faisait partie des objectifs de colonne de la division SS Das Reich commandée par Helmut Schreiber. Celui-ci était bien informé des sympathies de la population des environs de Saint-Martory (Haute-Garonne) pour la Résistance. Il concentra donc ses premiers efforts sur ces villages du Volvestre, du Comminges et des marges du Couserans, le plus souvent au sud de la Garonne.
Son créateur et chef, sauf interruption entre novembre 1943 et mai 1944 — menacé il quitta le secteur et participa avec François Verdier à la mise en place des MUR en Haute-Garonne — était Raymond Garaut alias « Marius », né en 1905, pilote de chasse de réserve, chef du centre de transmission des lignes de souterraines de télécommunications de Cazères où il disposait d’un logement de fonction. Garaut avait d’abord adhéré à Libération-Sud avant d’intégrer Franc-Tireur. Il était aussi un agent du réseau Brutus composé dans sa très grande majorité de socialistes. Quand il quitta Cazères en novembre 1943, il laissa le commandement de la formation à Clément Montispan — une des victimes de la tuerie de Saint-Michel le 10 juin 1944 — et à Pierre Caubet alias « Frisco ».

Dès la fin de 1942, des groupes francs implantés autour de Cazères, une petite ville du Comminges, sur les rives de Garonne, organisaient des actions de sabotage. Ils se transformèrent bientôt en un maquis de l’AS (Armée secrète). Ce dernier fut homologué comme « unité combattante » en novembre 1943. Centré sur Cazères, il était implanté des communes de la rive droite de la Garonne : Mauran et Saint-Michel et (Haute-Garonne) ; Sainte-Croix-Volvestre, Fabas et Cérizols (Ariège), toutes trois proches de la limite avec la Haute-Garonne. Les reliefs boisés du massif pré-pyrénéen du Plantaurel servaient de refuge à ses groupes de combat. Il conservait des points d’appui dans les villages comme la ferme isolée du Ruisseau [del Riou] à Saint-Michel, propriété de la famille Menet ou celle des Médous au hameau du Pas du Fauga. Son rayon d’action s’étendait le long du cours du bas Salat et de la Garonne depuis Salies-du-Salat (Haute-Garonne) en amont jusqu’à Carbonne (Haute-Garonne) en aval. Ses cinq « sections » couvraient, avant le 6 juin, une zone de recrutement allant de Roquefort-sur-Garonne (Haute-Garonne) jusqu’à Sainte-Croix-Volvestre (Ariège). Elles regroupaient donc alors une centaine d’hommes alors que les effectifs du maquis atteignirent les 250 à la Libération (22 août 1944). Il recruta parmi les réfractaires du STO, les déserteurs des Chantiers de jeunesse, les réfugiés alsaciens et lorrains, les républicains espagnols présents dans les villages. La maquis de Cazères intégra aussi dans ses rangs un groupe de l’AS de Martres-Tolosane (Haute-Garonne). Des gendarmes, dont une brigade, vinrent le renforcer au printemps de 1944. Il accueillit aussi un déserteur de la division SS Das Reich stationnée dans les villages autour de Toulouse, Raphaël Figaniak, né en 1921. Le commandant SS Helmut Schreiber, chef du 3e bataillon du régiment Deutschland de la division Das Reich devait être au courant de ce fait.

Ce maquis démultiplia ses actions, à partir du 6 juin Il accueillit un déserteur allemand de la division SS Das Reich stationnée dans les villages autour de Toulouse, fait dont devaient être mis au courant le commandant SS Helmut Schreiber, chef du 3e bataillon du régiment Deutschland de la division Das Reich, participant à des sabotages (voies ferrées, N 125, pylônes électriques), organisant des évasions de la prison Saint-Michel comme celle, le 5 juillet 1943, de Pierre Malafosse, responsable du réseau Brutus, futur maire de Béziers à la Libération..

Il est à peu près certain que les Allemands avaient en leur possession des informations concernant le maquis de Cazères tout comme ils en avaient à propos de celui de Betchat. Des soldats et policiers allemands des unités stationnées à Saint-Girons (Ariège), Boussens et Saint-Gaudens (Haute-Garonne) furent associées au détachement du 3e bataillon du régiment de grenadiers Deutschland de la II SS Panzer Division Das Reich en Comminges, les 10 et 11 juin 1944. Des miliciens locaux servirent parfois de supplétifs pour garder momentanément des prisonniers.

Le massacre de la ferme del Riou [au du Ruisseau] à Saint Michel :

Saint-Michel sur le trajet de la colonne SS partie de la basse vallée de l’Ariège (Haute-Garonne) :

Après le débarquement de Normandie, le 6 juin 1944, l’état-major allemand du groupe d’armées G (général Johannes Blaskowitz) basé à Rouffiac-Tolosan (Haute-Garonne), au nord de Toulouse, décida de sécuriser préventivement les axes de communication entre la Méditerranée et l’Atlantique en prévision d’un second débarquement sur les côtes languedociennes ou provençales. L’éradication des maquis du sud du Massif Central et des Pyrénées et de son piémont faisait partie de ce plan. Le Volvestre et, surtout, le Comminges (vallée de la Garonne en amont de Toulouse) ainsi que le nord du Couserans (Ariège) étaient des zones où la Résistance et les maquis étaient particulièrement actifs, en premier lieu, les maquis de Betchat.(FTPF) et de Cazères (AS). Accessoirement, il fallait impressionner, au besoin par la terreur, des populations en grande majorité acquises à la cause de la Résistance. Celles-ci étaient rurales mais aussi industrielles, le Comminges, autour du bourg principal de Boussens, abritant des activités diversifiées, à commencer par l’exploitation des hydrocarbures, le ciment, et papier à cigarettes

Le 10 juin 1944, les éléments de la division SS Das Reich basés dans les villages de la basse vallée de l’Ariège (Haute-Garonne) — Vernet, Vénerque, Miremont, Lagardelle-sur-Lèze — avaient été désignés pour assurer une action répressive contre les maquis du piémont pyrénéen (Haute-Garonne, Ariège, partie orientale des Hautes-Pyrénées) et les populations civiles soupçonnées de les soutenir.
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Les exactions de la 11e compagnie du 3e bataillon du 3e régiment de grenadiers Deutschland de la 2e division blindée SS Das Reich :

La 11e compagnie, après d’être séparée de la colonne, traversa d’abord Cazères aux alentours de 6 heures 30 alors que le marché venait de s’installer et attirait déjà du monde. Mais les jeunes n’y étaient pas et se trouvaient au maquis. Elle atteignit rapidement Saint-Michel vers 7 heures du matin. Ils mirent une mitrailleuse en batterie à l’entrée du village qu’ils perquisitionnèrent en vain. Ils arrêtèrent Marius Sancan, suspect parce que promeneur matinal. Georges Lougarre, un gendarme qui cherchait rejoindre le maquis de Cazères, sachant qu’un détachement se trouvait dans la commune à la ferme du Conté. Quatre autres gendarmes avaient auparavant rallié le maquis. Michel Goubet, à la suite d’Henri Soum, a écrit que les Allemands repérèrent une patrouille du maquis de Cazères. Guy Penaud précise que ce fut après avoir entendu des coups de feu que Raymond Garaut, le chef du maquis de Cazères qui se trouvait au Conté, décida de former cette patrouille afin de voir ce qui se passait. Clément Montispan, l’adjoint de Garaut, faisait partie de cette patrouille (huit à dix hommes parmi lesquels Auguste Médous, fils de Philippe Médous et René Fontan) qui circulait sur la RD 7 en direction de Saint-Michel et Couladère, localité plus au nord. Deux véhicules de la 11e compagnie arrivaient en sans inverse. Une fusillade éclata et Clément Montispan fut grièvement blessé alors qu’un Allemand trouvait la mort. Montispan fut transporté à la ferme amie du Ruisseau (ou du Riou), propriété de la famille Menet qui collaborait avec le maquis de Cazères. Marie-Jeanne Darbas épouse Menet le ravitaillait. Ce fut elle qui prit soin de Montispan. Un autre maquisard, René Fontan, partit chercher à vélo à Cazères le docteur Laurent Broca pour le soigner. À une centaine de mètres de la ferme il fut capturé par des Allemands qui l’y ramenèrent. Au hameau du Pas du Fauga, ils s’emparèrent aussi de trois paysans : Éloi Camasses, Jean-Marie Dubois et Philippe Médous, ce dernier aidant activement le maquis. La ferme des Menet fut encerclée, par le chemin du hameau du Pas du Fauga, par les champs de la ferme du Castéran, depuis les abords du bois de la Quère. Marie-Jeanne Menet fut abattue sous un érable, à l’est de sa ferme. René Fontan, conduit dans le bâtiment d’habitation, fut exécuté dans la chambre du premier étage où gisait Clément Montispan à qui ils donnèrent le coup de grâce ; Éloi Camasses, Jean-Marie Dubois et Philippe Médous furent abattus dans la grange de la ferme. Ils pillèrent la ferme qu’ils dynamitèrent et incendièrent. Les Allemands poursuivirent leur équipée en direction de Fabas (Ariège).

Aux deux hommes capturés par les SS dans Saint-Michel, Sancan et Lougarre, s’ajoutèrent plus tard Capblanquet (du Bernès) et sa fille. Ils furent libérés sans dommage avant de revenir à Martres-Tolosane. Ils furent témoin du fiat que les Allemands chargèrent sur un camion réquisitionné deux des leurs tués sans doute pendant le combat du matin avec la patrouille de Montispan.

Les victimes se répartissent donc entre : quatre résistants (René Fontan et Clément Montispan et en incluant Philippe Médous soutien logistique du maquis de Cazères et Marie-Jeanne Menet initialement non comptabilisée comme telle) ; deux civils, Éloi Camasses et Jean-Marie Dubois que l’on considéra comme des résistants, ce qu’ils ne semblent pas avoir été.

La stèle commémorative :

Une stèle qui rappelle la tuerie de Saint-Michel a été élevée à proximité sur le bord de la RD 7, en direction de ce village, juste avant la limite avec l’Ariège. Elle porte l’inscription suivante : « Ici sont tombés victimes de la barbarie hitlérienne [suit la liste des noms] Français souviens-toi »

Les noms ne sont pas déclinés selon l’ordre alphabétique mais selon la hiérarchie que l’on a voulu mettre en évidence lorsque la stèle fut érigée après la Libération. Les deux premiers noms sont ceux de membres homologués du maquis car considérés comme combattants, c’est à dire "militaires" : Montispan et Fontan. Montispan, chef adjoint du maquis est placé avant Fontan, simple maquisard. Suivent, selon cet ordre les noms de trois hommes, « civils » : Dubois, Camasses ou ayant aidé le maquis : Médous. La seule femme exécutée, Marie-Jeanne Menet, pourtant propriétaire des lieux vient en dernière position. Bien qu’ayant été reconnue en 1962 ainsi que, précédemment, Philippe Médous comme ayant apporté son soutien au maquis de Cazères, elle n’apparaît pas sur ce monument comme résistante et encore moins comme membre d’un maquis qu’elle aidait au risque de perdre sa vie.

CAMASSES Éloi
DUBOIS Jean-Marie
FONTAN René
MÉDOUS Philippe
MENET Marie-Jeanne
MONTISPAN Clément

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article218488, notice Saint-Michel (Haute-Garonne), ferme du Ruisseau, 10 juin 1944 par André Balent, version mise en ligne le 15 août 2019, dernière modification le 10 mars 2020.

Par André Balent

Saint-Michel (Haute-Garonne)
Saint-Michel (Haute-Garonne)
Stèle des victimes de la tuerie du 10 juin 1944
Cliché : site MemorialGenWeb

SOURCES : Arch. dép. Ariège, 64 J 23, fonds Claude Delpla, fiche manuscrite de Claude Delpla, concernant Marie-Jeanne Menet. — Michel Goubet, « Le maquis de Cazères » ; « L’organisation du maquis de Cazères » ; « La répression allemande et milicienne dans la vallée du Salat et aux alentours. 10 et 11 juin 1944 » ; « Garaut Raymond alias ‘‘Marius’’ in La résistance en Haute-Garonne, CDROM, Paris, AERI (Association pour des études sur la résistance intérieure). — Guy Penaud, La « Das Reich » 2e SS Panzer Division, préface d’Yves Guéna, introduction de Roger Ranoux, Périgueux, La Lauze, 2e édition, 2005, 558 p. [pp. 376-377, p. 539]. — Roger Prost, « En Comminges sous l’occupation. Événements après le 6 juin », Revue du Comminges, Revue d’histoire, d’archéologie, de géographie et de sciences naturelles du Comminges et des Pyrénées centrales, bulletin de la Société des études du Comminges à Saint-Gaudens et de l’Académie Julien Sacaze à Bagnères-de-Luchon, 109, 1994, pp. 404-443 [pp. 407- 408]. — Henri Soum, La mort en vert de gris. Le maquis de Cazères, Toulouse, Imprimerie Signes du Monde, 1994, 280 p. — Sites MemorialGenWeb consulté le 14 août 2019 et Mémoire des Hommes, le 9 septembre 2019..

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