LEVAUX Marcel, Rodolphe, Florent. [Belgique]

Par Jules Pirlot

Liège (pr. et arr. Liège), 19 juillet 1926 − Herstal (pr. et arr. Liège), 7 juin 2007. Monteur en charpente, dirigeant communiste, député de l’arrondissement de Liège, premier bourgmestre communiste de Cheratte (aujourd’hui commune de Visé, pr. et arr. Liège), conseiller communal communiste de Visé.

Marcel Levaux est né dans un milieu populaire de religion catholique, sans orientation politique précise. Il passe son enfance au village de Souverain-Wandre (aujourd’hui commune de Liège) dans la banlieue liégeoise à la lisière du pays de Herve. Après l’école primaire, il fréquente pendant trois ans l’École technique provinciale de Herstal (pr. et arr. Liège).

Malgré ses dispositions intellectuelles, sa soif de culture et l’appétit d’apprendre qu’il conservera toute sa vie, Marcel Levaux entre dans la vie professionnelle en 1941, au chantier naval de l’ile Monsin, située entre le canal Albert et la Meuse, près de Liège. Il veut faire de la résistance face à l’occupant allemand. Dans son entreprise mise sous administration allemande, il rencontre des ouvriers communistes qui ont constitué autour de François Heuckmès, un Comité de lutte clandestin. Il s’éloigne de l’Église et demande son adhésion au Parti communiste de Belgique (PCB) en octobre 1941. Il y est admis en février 1942. Il participe à des actes de sabotage sur son lieu de travail et diffuse la presse clandestine du PCB et du Front de l’indépendance (FI). Contacté par un réseau anglophile, Marcel Levaux effectue des missions d’espionnage (copies de plans de garde-côtes) au profit des Britanniques, puis participe à des opérations armées, comme l’attaque de la poste de Visé, et à une action d’éclat : la nuit du 30 avril, en compagnie de Jacques Dortu, responsable du FI pour le pays de Herve, il place un drapeau belge et un drapeau communiste sur la Belle-Fleur (châssis à molettes) du charbonnage de Cheratte. Il veut ainsi faire croire aux Allemands qu’elle est minée, l’objectif visé étant que les drapeaux restent visibles de toute la vallée le plus longtemps possible le 1er mai.

À la Libération, Marcel Levaux est chargé de constituer une section communiste à Cheratte. Avec un groupe d’anciens résistants, il décide d’aller réquisitionner des vaches en Allemagne pour dédommager des paysans cherattois. Arrêté par les Américains sur la route d’Aix-la Chapelle, il est à deux doigts d’être exécuté comme pillard. En février 1945, il se porte volontaire pour poursuivre la lutte contre le nazisme en Allemagne. Sa conduite pendant la guerre lui vaut une série de décorations.

Marcel Levaux quitte l’armée un an plus tard et reprend son travail au chantier naval. Il se lance dans l’action syndicale et milite à la Fédération – socialiste – générale du travail de Belgique (FGTB). Le PCB lui confie alors la charge de préparer les élections communales de 1946 dans son canton et le pousse à entrer à la Fabrique nationale d’armes de guerre (FN) de Herstal pour y mener une action politique et syndicale. Il est finalement licencié en 1949 en raison de son engagement communiste.

Marcel Levaux suit une formation politique à l’école des cadres du PCB qui fait appel à lui, en 1951, comme « permanent » c’est-à-dire militant rémunéré. Il est attaché au Secrétariat national d’organisation et chargé de s’investir dans l’Union belge pour la défense de la paix (UBDP). La même année, il épouse Maria Kraweczyck, fille d’un travailleur polonais immigré et sœur d’un résistant fusillé par les Allemands. En 1954, nait leur fille unique Jocelyne. Maria tombe malade. Elle survit à une tuberculose sévère qui la laissera handicapée jusqu’à son décès le 2 octobre 2006. Elle apportera tout on soutien politique à son mari et tiendra fermement les rennes d’un ménage aux revenus modestes.

Retenu pour s’occuper d’une grève de mineurs, Marcel Levaux n’est pas présent au 11ème Congrès du PCB de 1954 qui renverse la direction et amorce un virage politique sous l’impulsion des liégeois, Ernest Burnelle et René Beelen. En 1956, en riposte à l’intervention soviétique en Hongrie, des étudiants catholiques attaquent et saccagent le local communiste liégeois. Marcel Levaux, seul, muni d’une barre de fer, leur interdit l’accès à l’étage où se trouvent les bureaux. En 1956, il est chargé de la transformation de la Jeunesse populaire de Belgique (JPB) en Jeunesse communiste de Belgique (JCB). La JPB se présentait comme un mouvement de jeunesse, certes politisé, mais qui avait l’ambition d’être une organisation de masse et d’offrir des loisirs et de proposer des vacances. Elle était bien mal en point. La JCB est davantage une école du parti, ce qui ne l’empêche pas de gérer un camping à la mer du Nord, à la fois pour accueillir des jeunes mais aussi pour se financer. Pendant la grande grève de 1960-1961, les jeunes communistes, peu nombreux mais très actifs, ne développent pas des actions spécifiques en direction de la jeunesse, mais ils se mettent au service du parti pour distribuer des milliers de tracts, vendre Le Drapeau rouge et multiplier les chaulages. Marcel Levaux monte un atelier de sérigraphie pour réaliser à quelques dizaines d’exemplaires, des affiches d’actualité. À cette époque, les jeunes communistes soutiennent concrètement les Algériens en lutte pour leur indépendance. La question congolaise passe rapidement au premier plan. Après les émeutes de 1959, il s’agit d’éviter l’envoi de miliciens dans la colonie. C’est l’objet d’une campagne conjointe de la JCB, de la Jeune garde socialiste (JGS) et des jeunesses syndicales de la FGTB. Via Jules Raskin*, jeune avocat communiste, un contact est établi avec Patrice Lumumba, futur premier Premier ministre de la République démocratique du Congo, qui entretient avec eux une correspondance épistolaire et se rend à Liège pour un meeting. Pendant toute cette période, Levaux, unilingue, travaille avec Eddy Poncelet, responsable communiste flamand et parfait bilingue.

Entré au Comité central du PCB en 1957, Marcel Levaux est élu au Bureau politique du PCB lors du congrès de 1963 qui exclut la fraction prochinoise. Il est chargé de la propagande au niveau national. Trois ans plus tard, en 1966, il est nommé directeur du Drapeau rouge. Le quotidien est en difficulté financière, il doit gérer sa difficile transformation en hebdomadaire. Ernest Burnelle, président du PCB, décède en août 1968, quelques jours avant l’intervention soviétique en Tchécoslovaquie. Marc Drumaux lui succède mais c’est Marcel Levaux qui est chargé de présenter la position du PCB à la télévision. Il s’agit de condamner l’intervention armée, sans rompre les contacts amicaux avec les partis au pouvoir dans les pays du Pacte de Varsovie, et de réaffirmer une opposition aux menées des Américains et de leurs alliés.

Marcel remplace Ernest Burnelle, dont il est le suppléant, à la Chambre des représentants. Il y entre le 22 octobre 1968. Ce mandat sera renouvelé en 1971,1974, 1977 et 1978. IL est non seulement député représentant l’arrondissement de Liège mais également membre du Conseil culturel de la Communauté française, de manière extrêmement professionnelle. Très assidu, il intervient souvent, dépose des amendements, des propositions de lois et des résolutions qui relayent les revendications ouvrières ou démocratiques comme la semaine de 36 heures, la pension à 60 ans ou encore le droit de vote et d’éligibilité des immigrés aux élections communales. Lors d’une révision de la Constitution, il propose, sans succès, de supprimer l’exclusion des femmes de la succession au trône, réforme qui sera admise plus tard. Le gouvernement grec le distinguera pour sa lutte en faveur de la démocratie contre la dictature des colonels. Il participe aussi à une délégation parlementaire à Chypre où les casques bleus belges étaient en mission de pacification.
L’année 1981 marque un recul très net de l’électorat communiste. Marcel Levaux perd son siège qui échoit par apparentement à Daniel Fedrigo qui devient le premier mandataire communiste élu de l’arrondissement de Huy. Il mène encore, en vain, la liste liégeoise lors des élections législatives de 1985.

Marcel Levaux laisse à la Chambre le souvenir d’un député résolu et pugnace, doublé d’un homme extrêmement aimable. Il a des relations excellentes avec le personnel et est respecté par ses pairs. Paul Vanden Boeynants lui offre une biographie de Tito, dédicacée en signe de réconciliation après une dispute. Député honoraire, il participe aux activités de Pro lege, l’association des parlementaires retraités.

En 1970, Marcel Levaux est le seul élu communiste de la commune de Cheratte mais, entre une liste locale et les socialistes, il peut faire la balance. Fort de sa qualité de parlementaire, il noue une alliance avec le groupe local qui l’accepte comme bourgmestre et tente une gestion communale tripartite sans opposition. Le gouvernement refuse de le nommer. Sa désignation officielle n’arrivera qu’au printemps 1977, suite à une intervention de Pierre Clerdent, gouverneur libéral de la province et ancien résistant, qui répondra d’ailleurs à une invitation du Parti communiste à venir fêter le 65ème anniversaire de Marcel Levaux et sa retraite comme permanent du PCB. De nombreux témoignages et ses voix de préférences obtenues en 1976, confirment que Marcel Levaux fut un excellent bourgmestre dont la popularité s’est largement accrue en cours de son mandat. Il noue des contacts amicaux avec François Walthéry, dessinateur de bandes dessinées, et Pierre Verjans, politologue. Il soutient le travail pionnier d’Ural et Altaï Manço, deux étudiants turcs issus du milieu des ouvriers mineurs et promis à de brillantes carrières comme psychologue et sociologue de l’immigration. Le 1er janvier 1977, la fusion de Cheratte avec Visé est effective, elle met fin à son mayorat. Les deux élus de la liste d’ouverture wallonne, conduite par Marcel Levaux, mènent une opposition constructive, appréciée tant par le Collège échevinal de droite que par l’opposition socialiste. En 1994, il n’est pas réélu. En 2000, il se présente sur la liste socialiste pour soutenir son jeune camarade, Francis Theunissen, qui devient conseiller communal.

Marcel Levaux s’exprime couramment en wallon. Militant wallon, il appuie la ligne résolument fédéraliste du PCB, représente son parti aux « Fêtes du Peuple fouronnais ». Il s’affilie au Mouvement populaire wallon (MPW) puis à Wallonie Région d’Europe.
Le 13 juin 2007, apprenant son décès, le Parlement wallon lui rend hommage, en souvenir de sa participation à sa première législature aux débuts de la régionalisation (1980-1981).

Marcel Levaux joue aussi un rôle dans les structures du PCB. En 1969, après les décès successifs de René Beelen et d’Ernest Burnelle, la Fédération liégeoise du PCB est en crise et sa direction est renversée par un congrès. Marcel Levaux est chargé de la restructurer, mais il est trop occupé par son mandat de député. Il fait alors appel à Albert Juchmès, cadre du PCB avant 1954. Ce dernier, comme nouveau secrétaire politique, fait preuve d’efficacité mais il s’oppose à la dissolution du PCB dans l’Union démocratique et progressiste (UDP) et exprime, avec la majorité des communistes liégeois, une critique vigoureuse de l’orientation eurocommuniste de la direction nationale. En 1973, Marcel Levaux n’est pas réélu au bureau politique. Avec la fédéralisation du parti en 1983, il accède au Bureau et au Secrétariat wallon et francophone. Il siège aussi au Conseil général et au Bureau de l’Union des communistes de Belgique qui fédère les organisations communistes du nord et du sud du pays, de 1989 à sa dissolution en 1995. Un moment enthousiasmé par la nouvelle image de l’URSS incarnée par Gorbatchev, il subit avec résignation la suite des événements. Il participe sans trop y croire à l’expérience de Gauches unies en 1994. Devant la médiocrité des scores électoraux des listes communistes, il conseille de participer à des listes socialistes ou écologistes. En 1998, le Parti communiste Wallonie-Bruxelles tient un congrès marqué par une crispation identitaire. Il n’est réélu ni au Comité fédéral ni au Comité central et perd la présidence de la Fédération liégeoise qu’il assumait depuis 1969.

Marcel Levaux s’est toujours intéressé à la culture. Il possède une bibliothèque considérable et pas seulement d’ouvrages politiques, il a lu toute l’œuvre de Balzac par exemple. Pendant les années 1990, il préside la Fondation Joseph Jacquemotte, soutient la Galerie Paul Renotte à Liège et participe à la création du Centre des archives communistes de Belgique (CArCoB).

Comme beaucoup de dirigeants communistes, Marcel Levaux régulièrement invité, par exemples à passer des vacances dans les pays de l’Est. Vu l’état de santé de son épouse, il opte régulièrement pour la République démocratique allemande (RDA) afin de se reposer et s’adonner à son hobby : la pêche à la ligne. Après la disparition de la RDA, Marcel Levaux et sa famille invitent en Belgique leur ancienne interprète, communiste convaincue, persécutée sous Hitler, qui, après la chute du mur de Berlin, s’investit dans l’éducation des jeunes contre le nazisme.

Depuis 1981, grâce à sa pension parlementaire, Marcel Levaux jouit d’une totale indépendance financière, mais il remet scrupuleusement aux organisations communistes ce qui excède un salaire puis une pension de permanent politique calquée sur celle d’un ouvrier qualifié. Lors de son entrée au Parlement, il avait indiqué comme profession : monteur en charpente. Il a toujours su travailler de ses mains. Il conserve depuis son enfance dans un milieu rural, une passion pour le jardinage. Il achète un verger pour ses vieux jours et l’héritage de ses petits-fils. Lors de ses funérailles en juin 2007, ses amis communistes et socialistes ainsi que le bourgmestre libéral de Visé, Marcel Neven, lui rendent hommage. Une délégation du PTB (Parti du travail de Belgique), menée par Raoul Hedebouw, son porte-parole, est venue saluer sa mémoire. En 2018, la Ville de Visé rebaptise le square de la Belle-fleur en square Marcel Levaux.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article218701, notice LEVAUX Marcel, Rodolphe, Florent. [Belgique] par Jules Pirlot, version mise en ligne le 22 août 2019, dernière modification le 18 janvier 2024.

Par Jules Pirlot

SOURCES : CArCoB, dossier personnel de la Commission de contrôle politique n° 3063 ; fonds Levaux − VAN MOLLE P., Le Parlement belge, 1894-1972, Anvers, 1972 − Subversion au Congo, colloque, 1996, enregistrement audio et vidéo − Marcel Levaux par lui-même, conversations avec Jules Pirlot, 2000-2001, enregistrement audio et vidéo − « Levaux Marcel », dans DELFORGE P., Encyclopédie du mouvement wallon, parlementaires et ministres de la Wallonie (1974-2009), t. IV, Namur, Institut Destrée, 2010, p. 382 − Une bibliographie de et concernant Marcel Levaux peut être consultée sur le site du CArCoB.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable