DURAN GARRETA Étienne, Bonaventure, François

Par André Balent

Né le 16 novembre 1836 à Latour-de-Carol (alors rattachée à la commune de la Vallée de Carol, Pyrénées-Orientales), mort à une date inconnue peut-être à l’exil ; négociant, économiste ; conseiller municipal de Latour-de-Carol ; a participé à la Commune de Paris ; proscrit.

Page de garde du livre d’Étienne Duran Garreta
Page de garde du livre d’Étienne Duran Garreta
Source : Gallica

Étienne Duran était le fils aîné de Thomas, François, Paul Duran (né le 8 avril 1804 ; mort le 25 novembre 1869) et de Marie, Thérèse, Bonaventure Garreta née le 9 décembre 1812 à Latour-de-Carol. Les Duran et les Garreta, négociants, s’étaient enrichis dans la 2e moitié du XVIIIe siècle dans le commerce, en grande partie de contrebande.

Le grand-oncle d’Étienne, François Garreta (1773-1848), cousin germain de son grand-père maternel Étienne Garreta (1775-1863), par ailleurs dernier maire de la commune de la Vallée de Carol avant la division de 1837 qui donna naissance à celle de Latour-de-Carol, pratiqua un négoce qui eut, dès le début du XIXe siècle, une dimension continentale. Il était en 1841 l’un des plus riches électeurs censitaires des Pyrénées-Orientales, à la tête d’une colossale fortune (déclarée !) de 944711 Fr.

La famille Duran avait réussi, également à nouer des alliances matrimoniales avec une des grandes familles de Cerdagne, depuis la fin du XVIe siècle, présente à Latour-de-Carol, les Vigo : de la sorte, Étienne Duran Garreta eut des liens de parenté avec le journaliste anarchiste Eugène Vigo alias « Miguel Almeyreda » (1883-1917), le fils de ce dernier, le cinéaste Jean Vigo (1905-1935) et le cousin du précédent, Albert Riera (1895-1968) libertaire, homme de théâtre, de cinéma et de radio.
Parmi les petits-fils de son cousin germain, Thomas Duran (1837-1908) époux de Marie Vigo, s’illustrèrent Roger Duran (1902-1981), militant SFIO puis proche du PCF à Latour-de-Carol et le frère de ce dernier, William Duran (1904-1951) proche du PCF qui fut maire de Saillagouse de 1944 à 1951 (Voir : Cayrol Antoine).

Ses cousins germains fils de son oncle François participèrent à la vie politique locale, engagés à gauche : Bonaventure (1835-1922), conseiller municipal de Latour-de-Carol, Sauveur (1840-1919), officier de carrière issu de Saint-Cyr, conseiller général d’extrême-gauche du canton de Saillagouse (1878-1884), membre de la commission permanente du conseil général des Pyrénées-Orientales, Thomas (1837-1909), grand-père des deux militants Roger et William Duran évoqués ci-dessus.

On peut supposer qu’Étienne Duran Garreta suivit au moins des études secondaires comme son cousin germain Sauveur, saint-cyrien. Il est vraisemblable qu’il suivit aussi des études supérieures de Droit comme certains fils de « négociants » cerdans. Peut-être, est-ce à ce moment-là qu’il s’intéressa à l’économie. Lui-même, quand il fallait décliner sa profession, associait volontiers sa qualité de négociant à celle d’économiste. D’ailleurs s’il effectua vraisemblablement ses études à Toulouse, il vécut quelque temps à Paris et s’y fit connaître dans les milieux intellectuels et politiques. Il réussit, en 1865, à se faire éditer chez Guillaumin & Cie, libraire spécialisé dans la publication d’ouvrages économiques à commencer par les plus grands noms des plus éminents spécialistes d’économie politique comme Adam Smith, Jean-Baptiste Say ou Frédéric Bastiat, tous des libéraux. En 1865, sortit des presses son fort volume de 282 pages intitulé Encore la question des banques : première étude accompagnée d’un tableau synoptique du mouvement financier de la France en 1857-1863-1864 . Dans son ouvrage, Duran Garreta aborda, pour l’essentiel, le problème posé par le monopole exercé par la Banque de France. Il examina ses antécédents au XVIIIe siècle, sa fondation sous le premier Bonaparte puis son développement. Il analysa comment elle fut confrontée à la forte croissance de l’économie sous le Second Empire. Duran Garreta montre qu’il a lu, entre autres, Adam Smith et Louis Wolkonski (1810-1876) qu’il critique. Un abondant appareil statistique, souvent sous forme de tableaux, étaye ses analyses. La rédaction de ce livre, d’inspiration libérale, fut-elle l’aboutissement ou une étape dans la formation de ses idées économiques ? Seul le programme électoral qu’il fit imprimer pour les élections législatives de 1869 donne quelques indications complémentaires, en laissant entrevoir qu’elles avaient évolué entre temps. On y retrouve tous les thèmes communs aux républicains avancés, dans la filiation des démocrates socialistes de la Deuxième République, qui se reconnaissaient comme « parti radical », dans cette période de l’Empire libéral. Duran Garreta s’y réclamait de Louis Blanc dont une œuvre déjà ancienne, L’organisation du travail (1839) pouvait encore influencer ceux qui, en 1869-1870, se réclamaient du socialisme et non du libéralisme auquel il semblait encore être fidèle en 1865.

Dans la formation politique d’Étienne Duran Garreta, on retrouve sous-jacent le patronage et l’aura de Joseph Carbonell (1817-1862) maire d’Ur (Cerdagne, Pyrénées-Orientales) et conseiller général du canton de Saillagouse pendant la Deuxième République, activiste démocrate socialiste, proscrit après le coup d’État du 2 décembre 1851, le seul des condamnés des Pyrénées-Orientales qui n’a jamais bénéficié d’une amnistie impériale. Carbonell, influent à Latour-de-Carol, était particulièrement apprécié par les Duran. Il participa intensément à la vie politique de son village natal entre 1865 et 1870, se faisant le porte parole de la République démocratique et sociale. Avec quelques autres, des cousins germains de son lignage paternel, en particulier Bonaventure Duran (1835-1922) ou des cousins plus éloignés apparentés à la famille de sa mère tel Augustin Garreta (1808-1893) qui s’imposa comme le chef de file des républicains de Latour-de-Carol sous le Second Empire finissant, il développa avec virulence une opposition frontale au maire bonapartiste Laurent Vigo (1825-1901) pourtant doublement lié par des liens matrimoniaux avec sa famille paternelle (neveu de son oncle et beau-frère d’un autre cousin germain, également républicain, Thomas François Duran (1837-1908) dont la mère était une demi-sœur de Laurent Vigo). Le 24 janvier 1865, lors d’une élection municipale partielle (quatre sièges à pourvoir), Étienne Duran Garreta fut largement élu obtenant le plus grand nombre de suffrages parmi les quatre élus dont trois autres républicains, parmi lesquels ses cousins Bonaventure Duran et Augustin Garreta. Sans doute absent de Latour-de-Carol pour des raisons professionnelles, Étienne Duran Garreta ne put se représenter aux élections municipales générales du 23 juillet 1865. Une nouvelle élection municipale partielle fut convoquée le 14 janvier 1869 afin de pourvoir à quatre sièges de conseillers municipaux devenus vacants. Trois des quatre élus, des républicains — outre Étienne Duran Garreta, Augustin Garreta et Michel Barrère — acceptèrent de prêter serment à l’empereur, résolus à mener une opposition sans concessions à Laurent Vigo dont ils contestaient la gestion municipale, en particulier celle des estives communales du Puymorens et celle de terrains communaux proches du village. Ils envoyèrent des pétitions à leurs propos au sous-préfet de Prades et au préfet des Pyrénées-Orientales et animèrent les débats de l’assemblée communale.

Le 24 mai 1869, Étienne Duran Garreta tenta de se présenter à l’élection législative dans l’ensemble des deux circonscriptions électorales des Pyrénées-Orientales. Il visait non seulement les candidats bonapartistes officiels au Corps législatif, le plus illustre, le banquier Justin Durand (1798-1889) dans la deuxième circonscription et Victor Calmètes (1800-1871) dans la première, mais aussi Laurent Vigo, un des principaux agents électoraux du premier en Cerdagne. Mais comme il avait dû s’absenter des Pyrénées-Orientales, il ne put faire campagne, se faire connaître au delà de la Cerdagne où sa candidature fut au mieux confidentielle. Il vint à Perpignan quelques jours avant le scrutin avec un matériel électoral qu’il avait fait imprimer à la hâte à Toulouse (Haute-Garonne). Il n’obtint qu’une voix dans la première circonscription et quatre dans la deuxième (toutes à Latour-de-Carol). La circulaire électorale qu’il fit imprimer donne des indications sur ses références politiques : outre Joseph Carbonell, le quarante-huitard cerdan qu’il évoque volontiers (« J’étais enfant quand eut lieu la lutte »), il se réclamait d’ Alexandre Ledru-Rollin le leader parlementaire des démocrates socialistes des années 1848-1851 et de Louis Blanc.

Lors de la campagne pour le plébiscite du 8 mai 1870, lui et ses amis de l’opposition du conseil municipal ne se manifestèrent guère. Aussi le « oui » l’emporta-t-il à Latour-de-Carol (92 « oui » contre 21 « non », sur 164 inscrits sur la liste électorale). De fait, ils se réservaient pour les élections municipales générales. Fourbissant leurs armes, ils ne laissaient rien passer au maire Laurent Vigo et à ses partisans. Au printemps 1870, Étienne Duran Vigo publia le pamphlet contre le maire évoqué plus haut. Prudent, il s’adressa J. Diumenge à l’imprimeur de Puigcerda, la ville espagnole située à 5 km de Latour-de-Carol. Il pensait qu’en s’adressant à un professionnel reconnu œuvrant à l’étranger il éviterait des poursuites judiciaires. Il savait que Laurent Vigo, s’estimant diffamé, n’avait pas hésité, l’année précédente (5 mai 1869) à traduire devant le tribunal de Prades son cousin Bonaventure Duran, conseiller municipal, pour des propos tenus lors des débats de l’assemblée communale. Mais la publication de ce brûlot de 24 pages sur des presses « étrangères » n’impressionna guère le maire de Latour-de-Carol qui porta plainte pour « diffamation ». Le tribunal de Prades jugea l’affaire au cours de deux audiences, le 21 juillet et le 4 août 1870. Vigo renonça aux 100 Fr. de dommages et intérêts qu’il avait exigés précédemment. Il se contenta de la condamnation de Duran Garreta à 50 Fr. d’amende pour diffamation, à la publication du jugement dans un journal de Montpellier (Le Messager du Midi) et de Perpignan (Le Journal des Pyrénées-Orientales) et à la destruction du stock de brochures. Dans la foulée, le scrutin des 7 et 14 août 1870 permit le triomphe des républicains aux élections municipales de Latour-de-Carol. Laurent Vigo était balayé. Étienne Duran Garreta fut élu. Le 4 septembre 1870, jour de la proclamation de la République, Augustin Garreta fut installé comme maire de Latour-de-Carol

Étienne Duran Garreta quitta Latour-de-Carol à une date indéterminée de l’automne 1870. Il alla à Paris puisqu’il s’y trouvait lorsque la Commune y fut proclamée le 18 mars 1871. Il participa activement au mouvement et aux combats contre les « Versaillais ». Il fut capitaine adjudant-major au 196e bataillon fédéré (Armée de la Commune). Après la semaine sanglante de mai 1871, il réussit à échapper à la répression. Il fut condamné par contumace le 4 janvier 1873 à la déportation dans une enceinte fortifiée par le 4e conseil de guerre. Il fut amnistié en 1880. Nous n’avons pas retrouvé la date du décès d’Étienne Duran Garreta. Contumax et proscrit, il se réfugia à l’étranger, au moins un temps en Grande-Bretagne. Gagna-t-il l’Espagne qui, de 1868 à 1874, connut les épisodes révolutionnaires du Sexenio revolucionario ou democrático qui déboucha un moment sur la proclamation d’une Première République (1873-1874), fédéraliste, proche, par certains aspects, des idéaux de la Commune de Paris ? À Barcelone, il aurait pu retrouver de nombreux originaires de la Cerdagne française qui y avaient émigré et dont certains firent fortune. Il est possible que, après l’amnistie, s’il était encore vivant, il se soit rendu à Latour-de-Carol rendre visite à sa famille.
Étienne Duran Garreta était célibataire (au moins jusqu’en 1871).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article218709, notice DURAN GARRETA Étienne, Bonaventure, François par André Balent, version mise en ligne le 23 août 2019, dernière modification le 13 mai 2021.

Par André Balent

Page de garde du livre d'Étienne Duran Garreta
Page de garde du livre d’Étienne Duran Garreta
Source : Gallica

ŒUVRES : Encore la question des banques : première étude accompagnée d’un tableau synoptique du mouvement financier en France en 1857-1863-1864, Paris, Guillemin et Cie Libraires, 1865, 282 p. [livre signé : « Étienne Duran »]. — Un juge SVP, À Monsieur Émile Ollivier ministre de la Justice chef de cabinet, Puigcerdà, Impremta de J. Diumenge, 1870, 24 p. [signé : « Étienne Duran Garreta »].

SOURCES : « Duran Étienne, dit Duran-Gareta [sic] », DBMOF, 5, Paris, Éditions ouvrières, 1968, p., notice non signée sans doute rédigée par Jean Maitron. — André Balent, La Cerdagne du XVIIe au XIXe siècle. La famille Vigo, casa, frontières, pouvoirs, Perpignan, Trabucaire, 2003, 334 p. [pp. 287-288]. — André Balent, « Étienne Duran Garreta (1836- ?) Un communard originaire de Latour-de-Carol (Pyrénées-Orientales). Familles et luttes politiques dans un village cerdan, Latour-de-Carol (1865-1880) », Le Midi Rouge, bulletin de l’ Association Maitron Languedoc-Roussillon, 32, 2018, pp. 4-18. [Dans ces deux références et plus particulièrement la seconde, on trouve les cotes des divers fonds d’archives consultés ainsi qu’une bibliographie exhaustive]. — Régis Bezard-Falgas, « Sauveur Duran (1840-1919), officier d’infanterie et conseiller général du canton de Saillagouse (1878-1884) », Records de l’Aravó, 15, Latour-de-Carol, 2019, pp. 28-32. — Jacques Churet, La Tour (1838-1971), Perpignan, Imprimerie Sensevy, 1972, 119 p. [pp. 46-47]. — Paul Martinez, Paris Communard refugees in Britain, 1871-1880, thèse, University of Sussex, 1981. — Note de Julien Chuzeville.

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