BLUCHE Victor

Par Benoit Willot

Né le 11 décembre 1885 à Bérou-la-Mulotière (Eure-et-Loir), mort le 29 novembre 1937 à Joinville-le-Pont (Seine, Val-de-Marne) ; ouvrier métallurgiste puis machiniste ; condamné pour faits de grève à Joinville-le-Pont (1910).

Victor Eugène Bluche était le fils de Marie, Eugénie Fransioli et de son époux Gédéon, Jullien Bluche, ouvrier d’usine.
Devenu tréfileur à l’usine Bi-Métal de Joinville-le-Pont, Victor Bluche s’était installé avec sa mère dans la commune avant 1905. Il effectua son service militaire entre 1906 et 1908.
Ayant repris son travail, il prit une part active à la grande grève des ouvriers de l’établissement métallurgique. Le 19 janvier 1910, la majorité des quelques 240 ouvriers se mirent en grève avec l’appui de l’Union syndicale des ouvriers sur métaux. Le syndicat était affilié à la Confédération générale du travail (CGT).
Leurs demandes consistaient en une revalorisation des salaires. Le conflit, particulièrement long, devint très violent, illustrant la rudesse des rapports sociaux au début du vingtième siècle. Il eut des échos à la Chambre des députés comme dans toute la presse.
Le langage de la presse de l’époque était fleuri. Le quotidien socialiste l’Humanité, fondé par Jean Jaurès en 1905, donna la parole au syndicaliste-révolutionnaire Gaspard Ingweiller (1876-1960, résidant à Paris). C’était lui qui dirigeait la grève joinvillaise, en tant que secrétaire de l’Union des métaux : « Les métallurgistes s’étant aperçus qu’un foyer de jaunisse [des non-grévistes embauchés par la direction] existait à l’usine de Canalisation électrique de Joinville-le-Pont, décidèrent d’accord avec les autres organisations en grève, de prendre de vigoureuses mesures de prophylaxie pour éteindre le foyer infectieux, considérant qu’il vaut mieux prévenir que guérir. »
Les syndicalistes se félicitèrent que, après trois semaines, « aucune défection se soit produite ». Des « cuisines communistes » fonctionnèrent pour fournir les repas aux grévistes et à leurs familles. Les enfants des métallurgistes en lutte furent pris en charge par d’autres militants afin d’écarter « le souci moral occasionné dans les luttes ouvrières par la présence des enfants. »

L’usine qui fabriquait notamment des fils téléphoniques, était sous les eaux au cours de l’inondation historique de la Marne qui recouvre tous les terrains bas pendant tout le mois de février 1910. Début mars, les eaux s’étant retirées, la direction voulut procéder au graissage des machines qui avaient été submergées. Une vingtaine de mécaniciens parisiens était recrutée par les contremaîtres vendredi 18 mars ; ils arrivèrent accompagnés matin et soir par une escorte de policiers entre la gare du chemin de fer de Joinville et l’usine. Mais l’entrée des ateliers était barrée par des grévistes embusqués qui leur interdisaient l’accès de l’usine, tirant même des coups de revolver ; dix grévistes furent arrêtés.
La direction décida alors de faire appel au « Syndicat des jaunes », un mouvement anti-gréviste fondé en 1899 et soutenu par des groupes d’extrême droite. Le lundi 21 mars, ils étaient une quarantaine, toujours accueillis par des protestations des grévistes. La tension monta encore. Des menaces de mort furent été adressées au directeur et des fils télégraphiques et téléphoniques furent coupés à Saint-Maurice et dans le Bois de Vincennes.
Un des ouvriers nouvellement embauché était surpris emportant des pièces de cuivre dans une toile dissimulée sous son veston. La police procéda à une fouille à l’entrée de la gare parmi les ouvriers qui regagnaient Paris : elle trouva sur six d’entre eux une moyenne de vingt kilos de métal ; ils furent eux aussi envoyés en prison. Le lendemain, un autre était encore convaincu de vol. La direction de l’usine décida alors de congédier tout le personnel nouvellement embauché et de fermer les ateliers.
Six grévistes du Bi-Métal comparaissaient, le 12 avril, devant le tribunal correctionnel, pour entrave à la liberté du travail, outrages aux agents et port d’arme prohibée ; le 27 mars, ils avaient attaqué à coups de pierres et de bâtons des travailleurs non-grévistes. Victor Bluche, qui était présenté comme un meneur, était condamné à trois mois de prison pour « entrave à la liberté du travail et violences aux agents » par le tribunal correctionnel de la Seine. Gaston Florence reçut la même peine, tandis que son futur beau-frère François Lucchi et Jean Elipoura (dit Lepicoura) se virent infliger deux mois de prison et Catherine Gutbrod (née Thomé), quinze jours.

Le 18 avril, l’usine rouvrit après pratiquement trois mois d’arrêt, et la plupart des ouvriers reprirent le travail. Mais les incidents se poursuivirent, avec notamment le sabotage de lignes téléphoniques. Au total, 25 personnes impliquées dans le conflit auront été arrêtés. Des bagarres se produisirent encore le 5 mai, lors d’un meeting organisé dans la vaste salle de la coopérative de Gravelle à Saint-Maurice.
Un « comité révolutionnaire secret de la région de Joinville » dont le syndicaliste révolutionnaire Émile Pouget (1860-1931), fondateur du Père Peinard puis rédacteur en chef du journal de la CGT, La Voix du peuple, vanta l’action dans son ouvrage Le sabotage paru la même année, revendiqua la coupure de 795 lignes téléphoniques et télégraphiques du lors d’actions conduites entre le 8 et le 28 juillet 1910 pour « protester contre l’arrestation arbitraire du camarade Ingweiller, secrétaire de l’Union syndicale des ouvriers sur métaux, les poursuites scandaleuses engagées contre le comité de grève du Bi-Métal et les condamnations prononcées le 25 juillet 1910. »
Pendant la Première Guerre mondiale, Victor Bluche fut d’abord mobilisé au 82e régiment d’infanterie. Malade, il fut hospitalisé plusieurs mois à partir de février 1915 puis, en octobre de la même année, affecté à l’autre usine du groupe Bi-Métal, celle d’Alfortville (Seine, Val-de-Marne). Il fut rebasculé dans les rangs combattants en juillet 1917 et finalement démobilisé fin mars 1919.
En octobre 1918, Victor Bluche s’était marié avec Marie Jeanne Lucchi à Joinville.
À partir de 1926, il était devenu conducteur de machine à vapeur au sein de l’usine des eaux de la ville de Paris, située sur le territoire de Joinville. Il était victime en 1935 d’un accident de travail et se vit attribuer une pension. Il obtint aussi, en février 1937, la Médaille d’honneur communale et était alors employé au sein de la direction générale des travaux de Paris.
Victor Eugène Bluche mourut peut-être des suites de son accident. Il était âgé de 51 ans et avait deux filles mineures.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article218762, notice BLUCHE Victor par Benoit Willot, version mise en ligne le 30 août 2019, dernière modification le 2 septembre 2021.

Par Benoit Willot

SOURCES : Arch. Dép. Eure-et-Loir (état civil). — Arch. Dép. Val-de-Marne (état- civil, recensements, listes électorales). — Arch. Dép. Paris (registre matricule). — Journal officiel, quotidien, 11 février 1937. — Recueil actes préfecture Seine, mensuel, avril 1938. — Délibérations conseil municipal Paris, 1935. — La Libre Parole, quotidien, 13 avril 1910. — Le Petit Parisien, quotidien, 1910. — La Petite République, quotidien, 1910. — Le Petit Journal, quotidien, 10 mars 1925. — Journal des débats, quotidien, 10 mars 1926. — L’Aurore, quotidien, 26 mars 1910. — L’Humanité, quotidien, 10 avril 1913. — L’Écho de Paris, quotidien, 13 avril 1910. — L’Univers, quotidien, 1910. — Le Radical, quotidien, 13 avril 1910.

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