DELABY Julien, Marie, Joseph

Par Madeleine Singer

Né le 20 mai 1933 à Méricourt (Pas-de-Calais), mort le 7 février 2012 ; linotypiste, permanent CFTC-CFDT ; secrétaire général de l’Union régionale interprofessionnelle (URI) CFDT (1975-1988), membre du bureau national CFDT (1976-1988).

Julien Delaby
Julien Delaby

Resté veuf avec trois enfants, Louis Delaby* épousa Irène, Marie, Joseph Deprez également veuve avec un enfant. Ils en eurent ensemble cinq dont Julien fut l’aîné. Louis Delaby, d’abord galibot mineur, puis employé dans les bureaux des mines, fut permanent syndical CFTC du 1er avril 1932 jusqu’à sa retraite en 1963. Dans sa jeunesse il avait milité à l’ACJF (Association catholique de la jeunesse française). En juin 1926 il adhéra au syndicat libre des mineurs qui était à la Fédération française des syndicats chrétiens du sous-sol et similaires, fondée en 1921 ; il en devint le président quand le poste fut créé au congrès fédéral de 1954 et garda cette fonction jusqu’à sa mort. Avant d’être embauché par son syndicat, il avait travaillé pour une Compagnie minière dont la direction le mit en quarantaine à cause de ses activités syndicales. Ayant adhéré au MRP à la Libération, Louis Delaby passa au Centre démocrate quand, après les élections présidentielles de décembre 1965, le MRP se fondit dans ce nouveau parti qui comprenait aussi le Centre national des indépendants et paysans. Les parents de Julien Delaby étaient tous deux catholiques et pratiquaient régulièrement leur religion.

À l’âge de cinq ans, Julien Delaby alla avec ses parents habiter Lens (Pas-de-Calais). Il fréquenta alors le jardin d’enfants et les classes primaires mixtes de l’Institution Sainte Ide et passa pour la Septième à l’Institution Saint Paul qui scolarisait uniquement les garçons. Il quitta cet établissement après la Cinquième et fut recruté comme linotypiste par l’imprimerie de la Centrale des mineurs CFTC, sise à Lens. Il effectua ce travail, interrompu seulement par le service militaire, jusqu’à ce qu’on lui demanda de devenir permanent à l’Union départementale du Pas-de-Calais. Il exerça cette fonction du 1er septembre 1963 au 31 décembre 1974. Il passa alors, toujours en qualité de permanent à l’URI CFDT Nord-Pas-de-Calais. Enfin le 12 janvier 1989 il devint le directeur de l’AICE (Animation inter comités d’entreprise), association créée par la CFDT Nord-Pas-de-Calais, laquelle couvrait les deux départements. Il y prit sa retraite en 1993.

Julien Delaby avait épousé en 1956 Marie-Louise, Françoise Delattre. Celle-ci était alors secrétaire de direction chez Collaert à Lille (Nord), après avoir passé trois ans pour la JOCF (Jeunesse ouvrière chrétienne féminine) à Dakar (Afrique) où Julien Delaby l’avait connue en faisant son service militaire. D’abord mère au foyer, elle devint en 1972 animatrice à Lens de l’association « Victoire-Lampin », association locale soutenue par la municipalité et par la Caisse d’allocations familiales ; cette association accueillait les femmes du quartier pour les initier à la coupe, à la couture et autres travaux ménagers ; c’était aussi et surtout un lieu d’échanges, avec les Maghrébines notamment. Marie-Louise Delaby fit partie, avec son mari, de la Confédération syndicale des familles (CSF), activité qu’ils quittèrent peu à peu quand Julien Delaby devint permanent. Depuis leur mariage ils appartenaient tous deux à l’Action catholique ouvrière (ACO) où Marie-Louise Delaby animait toujours en 2003 l’équipe locale. Ils eurent quatre enfants : deux filles, l’une aide-ménagère, l’autre avocate ; deux fils, l’un formateur dans un Centre de formation pour adultes, l’autre ingénieur. Ils habitèrent leur vie durant à Lens dans la maison qu’ils avaient acquise.

Jociste depuis l’âge de quatorze ans, Julien Delaby fut responsable de l’équipe de sa ville et devint ultérieurement président de la fédération de Lens et environs, fonction qu’il remplit jusqu’à son mariage. Dès son entrée au travail, il avait adhéré au Syndicat CFTC du livre ; trésorier de la section quand il partit au service militaire, il fut à son retour élu délégué du personnel (DP). Mais dans une entreprise qui dépendait du syndicat, il avait peu de problèmes et ne prenait pas toutes ses heures de délégation. Il devait seulement intervenir quand le directeur interprétait à sa manière la convention collective. À partir de 1956-1957 et jusqu’à son affectation en qualité de permanent, il assuma la fonction de secrétaire de l’Union locale (UL) de Lens. Il animait aussi la commission des jeunes de l’UD, commission qu’il avait remise en route avec quelques camarades. La guerre d’Algérie qui se déroula jusqu’en 1962 ne l’amena pas à participer à quoi que ce soit car les mineurs qui à Lens constituaient 80 % des adhérents locaux, considéraient que ce n’était pas une question syndicale. Julien Delaby était simplement, comme les autres, opposé à cette guerre.

Quand il devint en 1963 permanent de l’UD, il demeura adhérent au Syndicat du livre dont la Fédération, devenue CFDT en 1964, fusionna en 1969 avec celle des services, puis en 1984 avec l’action culturelle : ainsi naquit la FTILAC (Fédération des travailleurs de l’information, du livre et de l’action culturelle). Sur le plan de l’UD, il secondait le secrétaire général Jo Simon* ; au début ils couvrirent chacun la totalité du département en se partageant les professions : il avait en charge le livre, le textile, le papier-carton et la métallurgie. Puis ils modifièrent la répartition des tâches. Lui-même couvrait l’est du département, c’est-à-dire les arrondissements d’Arras (Pas-de-Calais), de Béthune (Pas-de-Calais) et de Lens pour toutes les professions, tout en continuant à participer aux réunions paritaires des conventions collectives pour la métallurgie et le papier-carton. Le travail de permanent lui fit découvrir les conflits du monde du travail car l’imprimerie de la Centrale des mineurs était un milieu « protégé » où il n’y avait jamais eu un seul licenciement. À son arrivée comme permanent, la grève de la SOCOMO (Société de construction de machines-outils) à Béthune fut pour lui le baptême du feu : il dut découvrir les contacts à prendre à la préfecture ou ailleurs, etc. La grève dura sept semaines et finit avec de piètres résultats. Il connut ensuite bien d’autres conflits, notamment ceux qu’il suivit comme secrétaire général de l’URI Nord-Pas-de-Calais : les conflits de la CIP (Confection industrielle du Pas-de-Calais) à Haisnes, de Desombre à Lille et de Deffrenne à Roubaix (Nord). Ce furent, dit-il, des conflits de longue durée pour l’emploi, les deux premiers conduits par des femmes, dans une forme d’autogestion, avec une issue positive.

1963 fut son premier congrès confédéral où il fit la connaissance d’Eugène Descamps*. En novembre 1964, ils partirent à trois dans la même voiture pour le congrès confédéral extraordinaire, mais ne revinrent qu’à deux : le troisième qui avait choisi la CFTC « maintenue » était resté à Paris pour l’assemblée de scission. Ce qui marqua le plus Julien Delaby, ce fut l’absence de préparation lointaine de ce congrès par l’UD du Pas-de-Calais : ils ne commencèrent à réfléchir que lorsque les textes nationaux arrivèrent. Leur souci, c’était le maintien de tous dans l’UD, prêts à s’incliner devant le vote confédéral comme le préconisait le président Georges Lair*. Ils organisèrent le congrès de l’UD fin novembre 1964 de manière à éviter les débats sur le fond puisque l’essentiel était de respecter le vote majoritaire du congrès confédéral. Ce vote fut ratifié par 14 640 voix contre 13 363. Il fallut ensuite s’expliquer avec des militants, des sections, pour tenter de convaincre les hésitants, sans toujours pouvoir éviter des scissions douloureuses qui entraînèrent des pertes de sièges lors d’élections suivantes.

Comme l’imprimerie de la Centrale des mineurs était restée CFTC, Julien Delaby contribua dans les années 1966 à la création d’une imprimerie coopérative où travaillèrent une douzaine de salariés qui avaient dû quitter celle de la Centrale vu qu’ils avaient choisi la CFDT. Julien Delaby fut jusqu’à sa retraite membre du conseil d’administration de cette imprimerie coopérative qui, sise à Liévin (Pas-de-Calais), était en 2003 gérée par les 70 salariés qui en étaient propriétaires.

Julien Delaby participait aussi à des initiatives régionales importantes. En 1967 il y eut à Lille une manifestation avec la CGT, la FEN (Fédération de l’éducation nationale) et l’AGEL (Association générale des étudiants lillois) qui avaient constitué, avec l’URI CFDT, un Comité régional de défense de l’emploi, du pouvoir d’achat et de la Sécurité sociale. En effet le nouveau gouvernement Georges Pompidou, issu des élections législatives de mars 1967, allait prendre par ordonnances des mesures d’ordre économique et social menaçantes pour les travailleurs. Puis Mai 68 trouva Julien Delaby sur la brèche : il courait le Pas-de-Calais d’entreprise en entreprise, appelé par les grévistes pour aider à la rédaction des cahiers de revendications. Il tint des réunions d’information dans des entreprises où se créèrent de nouvelles sections. Ainsi à Calais (Pas-de-Calais) il y eut un millier de nouveaux adhérents ; s’ils n’ont pas tous persévéré, des équipes syndicales apparues alors ont subsisté. Le congrès confédéral de 1970 marqua profondément Julien Delaby à cause des textes sur le socialisme démocratique : ce fut pour lui une vraie révolution car l’ambiance familiale qui avait imprégné sa jeunesse, était aussi hostile au socialisme qu’au communisme. Pendant ces douze années de permanent de l’UD, il siégea au conseil d’administration de l’ASSEDIC (Association pour l’emploi dans l’industrie et le commerce) du Pas-de-Calais. Il y rencontra, dit-il, des patrons qui, tout en défendant les positions de leurs syndicats, étaient capables de dialoguer avec les représentants des confédérations ouvrières.

Quand Julien Delaby passa en 1975 au service de l’URI Nord-Pas-de-Calais, ses responsabilités prirent une dimension nationale. Devenu secrétaire général de l’URI au congrès régional de 1975, il fut élu membre du bureau national au congrès confédéral de 1976 et garda ces deux fonctions jusqu’au congrès confédéral de 1988. C’est en cette qualité qu’il participa en 1982-1983 aux négociations avec les partenaires sociaux (CGT, FO, CGC et le patronat) au sujet des retraites complémentaires : le gouvernement ayant fixé la retraite à soixante ans par les ordonnances du 25 mars 1982, il s’agissait de voir si les retraites complémentaires seraient versées à 60 ans et avec quel financement. En 1983 Julien Delaby prit à la demande de Pierre Héritier* la succession de celui-ci à la tête de l’ASSECO (Association études et consommation), association nationale de consommateurs dont tout adhérent CFDT était membre d’office ; il demeura dix ans à ce poste.

Quand le 1er janvier 1989 Julien Delaby devint directeur de l’AICE, sa mission fut, dit-il, « de faire en sorte que ce groupement contribue au renouveau syndical et en même temps au développement de la région Nord-Pas-de-Calais ». Mais il ne renonça pas pour autant aux responsabilités syndicales. Avant de quitter l’URI, il avait en novembre 1988 pris la présidence du CREFO (Centre régional de formation en milieu ouvrier) et la garda jusqu’en 1993. À l’époque ce centre s’occupait notamment de la formation des aides ménagères et assurait la préparation au CAFAD (Certificat d’aptitude à la fonction d’aide à domicile) dont il fut l’inventeur en France.

En septembre 1988 Julien Delaby était entré au Comité économique et social régional (CESR) pour relayer un partant de la délégation CFDT. Il fut l’année suivante reconduit pour deux mandats successifs de six ans durant lesquels il assuma la fonction de rapporteur au plan. Au départ il s’agissait seulement de préparer l’avis du CESR sur le projet de plan régional. Puis durant le second mandat, il fallut évaluer le contrat de plan proposé par l’État et le situer dans un schéma régional. À cet effet Julien Delaby animait un groupe composé des présidents des commissions du CESR. Pour aider à la rédaction du contrat de plan, le CESR organisa sur sa proposition une séance spéciale avec une dizaine d’experts à dominante universitaire. Il participa à la création de la COPIRE (Commission paritaire interprofessionnelle régionale de l’emploi) qui existait encore en 2003. Par ailleurs en mars 1987 Julien Delaby, remplaçant André Glorieux* qui venait de décéder, était devenu président de l’Association de gestion de « La Ruche », lycée professionnel sis à Lille, créé par les syndicats féminins CFTC ; il l’était toujours en 2003.

Sur le plan national il faisait partie depuis septembre 1989 de la délégation CFDT au Conseil économique et social (CES) ; il y demeura dix ans et fut président de la section du « Cadre de vie ». C’est, dit-il, la responsabilité « qui m’a la plus déconcerté car je devais diriger les débats d’une bonne trentaine de personnes représentant toute la société civile : syndicats de salariés, d’employeurs, agriculteurs, commerçants, etc. Ce n’était pas aisé, mais c’était une tâche passionnante ».

Appartenant au bureau national de la CFDT, Julien Delaby fut membre de la commission internationale de la Confédération et fit à ce titre quelques voyages internationaux. Quelques années auparavant il avait été au Tchad (Afrique) pour une formation de militants syndicaux dans le cadre de l’Institut syndical de coopération technique internationale (ISCTI) dépendant de la CFDT dont il fut membre jusqu’à son entrée au bureau national. Avec le bureau national il estima que la CMT (Confédération mondiale du travail, titre pris en 1968 par la Confédération internationale des syndicats chrétiens) n’atteindrait jamais la taille suffisante pour peser sur les évolutions économiques mondiales. La désaffiliation de la CMT fut votée au congrès confédéral de mai 1979 à Brest (Finistère). On avait alors précisé que la CFDT n’aurait pas d’autre affiliation internationale. Aussi Julien Delaby fut surpris de voir qu’en 1988 Edmond Maire* ait proposé au congrès l’adhésion à la CISL (Confédération internationale des syndicats libres) parce qu’elle rassemblait toutes les grandes organisations syndicales des pays industriels et le plus grand nombre de syndicats du Tiers-monde. Mais il comprit que la CISL avait évolué et que la CFDT pouvait accélérer l’évolution de cette Internationale d’abord inféodée aux intérêts américains.

Quand Julien Delaby prit en 1993 sa retraite, il quitta le syndicat affilié à la FTILAC et adhéra au Syndicat des retraités CFDT de Lens et environs, sans y prendre de responsabilités vu celles qu’il avait au CESR et au CES. Mais en 2003 il faisait partie d’un groupe de soutien à des initiatives au Sénégal (Afrique) : c’était une petite structure, associée à l’AICE, qui s’était constituée lors du retour au Sénégal d’un militant qui avait été délégué du personnel chez MCA (Maubeuge constructions automobiles) à Maubeuge (Nord). Julien Delaby collaborait également à des travaux visant à faire inscrire la mémoire du bassin minier, l’évolution des personnes et des biens auprès de l’Unesco.

Si Julien Delaby put au cours de son existence assumer tant de responsabilités, c’est qu’il n’avait jamais cessé de se former. Après les réunions de la JOC, il y eut les stages organisés par l’UD pour les jeunes, puis chaque mois les journées régionales de permanents. En outre tous les étés il participait aux ENO (Écoles normales ouvrières) de la CFTC-CFDT : celles-ci offraient pendant cinq jours des cours donnés par des universitaires ou des experts qui, dit-il, nous ouvraient l’esprit dans des domaines de société avec le souci constant d’en rechercher l’application syndicale. Lorsqu’il quitta le bureau national au congrès confédéral de 1988, Julien Delaby fut chargé de prononcer le discours de clôture. Il invita les syndicalistes à se montrer convaincants par leurs actes plus que par leurs discours : cela leur permettra d’obtenir l’adhésion des salariés à un projet de transformation de la société qui rendra la vie « plus vivable ». Ces syndicalistes se caractériseront par leur joie de vivre ; ils seront heureux de construire et « bien dans leurs godasses ». C’était en fait son propre portrait que Julien Delaby traçait ainsi.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article21894, notice DELABY Julien, Marie, Joseph par Madeleine Singer, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 21 décembre 2017.

Par Madeleine Singer

Julien Delaby
Julien Delaby

ŒUVRE : La Trouée, Liévin, Imprimerie la Centrale, 1977, 318 p.

SOURCES : Archives de Jules Catoire, Saint-Nicolas-les-Arras. — Archives de la CFTC de Lens. — Interview de J. Delaby par Gilbert Ryon, 24 août 1994. — Son curriculum vitae non daté, 1 p. dactylographiée. — Fiche biographique remplie par J. Delaby, 22 septembre 2002. — Syndicalisme, 1er décembre 1988, p. 15. — Article de Nord-Éclair, 3 février 1989. — Lettres de J. Delaby à M. Singer, 20 août 2003, 13 septembre 2003 (Arch. G. Ryon). — Nord-Eclair, 21.04.1972, 27.09.1979. — Michel Launay, « Aux origines du syndicalisme chrétien en France : le Syndicat des Employés du Commerce et de l’Industrie », Le Mouvement social, juillet-septembre 1969. — Supplément à l ’Écho des Mines édition spéciale, juillet 1974, « 1924-1974 : un demi-siècle au service des travailleurs des mines, La fédération des mineurs CFTC ( ouvriers, ETAM, Ingénieurs, Retraités) », La Centrale, Lens. — « Cent ans de syndicalisme chrétien, 1887-1987 », supplément à Syndicalisme CFTC, n° 229, novembre 1987. D. Cooper-Richet, « Les étapes syndicales des ETAM de la mine », Le Mouvement social, octobre-décembre 1993. - Bruno Béthouart, Jules Catoire, Arras, Artois Presse Université, 1996. Bruno Béthouart, « La naissance du syndicalisme chrétien dans le Pas-de-Calais », in Le Mouvement social, n° 174, janvier-mars 1996, p. 75-95. — État civil de Méricourt, 28 juin 1999. — Notes de Bruno Béthouart.

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