DELABY Louis

Par Bruno Béthouart

Né le 25 septembre 1897 à Méricourt-sous-Lens (Pas-de-Calais), mort le 19 avril 1972 à Rivière Grosville (Pas-de-Calais) ; employé aux mines ; secrétaire du Syndicat libre des employés des mines, secrétaire-permanent au siège de la Fédération CFTC des mineurs à Lens, président de la Fédération nationale des ETAM CFTC.

Deuxième enfant d’une fratrie de sept, Louis Delaby était né à Méricourt-sous-Lens dans une famille de mineurs : il vit plusieurs membres de sa famille emporté parmi les 1 200 victimes du grisou de la catastrophe de Courrières. Son père ouvrier mineur socialiste fut secrétaire de la société de secours mutuel de la commune et le fondateur d’une coopérative d’alimentation l’Avenir des travailleurs. Galibot à treize ans, Louis Delaby descendit dans la mine à la fosse 5 de Lens. Le jeune homme fut séduit par les idées sociales de l’abbé Wautier, curé de la paroisse depuis 1906 et décida de militer à l’ACJF. Prisonnier civil durant la Grande Guerre en Belgique, il réussit à s’enfuir et devint ensuite comptable de la coopérative de reconstruction de sa ville. Membre du PDP, il entra en 1926 comme employé aux mines de Drocourt et s’inscrivit au Syndicat libre des mineurs (SLM) fondé en 1923 par Jules Catoire et Jules Pruvost*. Son engagement syndical l’amena à soutenir le 7 mai 1931 une liste CFTC qui rassemblait des employés et des ouvriers de la mine aux élections des délégués du personnel. Les syndicalistes chrétiens sous la direction d’André Lardier obtinrent 330 voix juste derrière la CGTU (546 voix) et devant la CGT (252 voix). Le SLM comptait alors 30 sections et les premières unités de la fédération polonaise s’organisaient autour de Piechocki, Bednarek, Waigroch avec également des mineurs yougoslaves.

Le 1er avril 1932, Louis Delaby, père d’une famille de trois enfants, fut proposé par Jules Catoire comme 2e permanent chargé des ETAM (employés, techniciens, agents de maîtrise) il venait en effet d’être « mis en quarantaine » par l’administration des Houillères qui lui reprochait d’avoir osé monter aux élections des administrateurs de la caisse de secours de Dourges une liste commune ouvriers-employés. Avec Jules Catoire, il organisa dans les mines des tournées de formation, de propagande. Près d’une centaine de cercles d’études chaque mois furent organisés tous les hivers. Chaque dernier dimanche du mois, « les professeurs de cercles d’études » de la région Arras-Mines, étaient convoqués au chef-lieu du département au siège des syndicats chrétiens, 21 de la rue Saint-Michel. Ils passaient ensemble, autour de l’abbé Joseph Hébert, aumônier de la JOC. une journée entière à faire le bilan des cercles précédents et à préparer les prochains en s’appuyant sur des textes rédigés en partie par Louis Delaby. Des retraites « fermées » à Wardrecques étaient organisées entre militants syndicalistes chrétiens sur les conseils et souvent en présence de Mgr Hoguet directeur des œuvres diocésaines. Une École Normale Ouvrière fondée dès 1925 par Charlemagne Broutin, secrétaire de l’Union régionale, permit à Louis Delaby et à ses mineurs de recevoir des cours dispensés par les professeurs des facultés catholiques tels qu’Eugène Duthoit, Joseph Danel, Louis Blanckaert. Dès le congrès du 5 novembre 1933, plus de 1200 adhérents et 32 sections nouvelles furent recensées.

Une terrible épreuve attendait Louis Delaby et ses compagnons syndicalistes chrétiens en 1936. Alors que les accords de Matignon venaient d’être signés par la seule CGT et le patronat, un mot d’ordre se répandit le 11 juin sur le carreau des mines : la carte de la centrale cégétiste était indispensable pour avoir le droit d’être admis à nouveau au travail. Jules Catoire et Louis Delaby décidèrent dans un premier temps de tenter un compromis avec le responsable CGT Julien Priem qui se déroba. Des actes d’intimidation, des pressions sur les familles furent alors exercés pour faire céder les svndicalistes chrétiens. Les deux chefs syndicalistes chrétiens décidèrent là où la résistance était impossible d’accepter la double adhésion, à la CFTC et à la CGT, mais soutinrent les sections qui résistaient comme celle de fa concession de Maries qui sous l’impulsion de Joseph Sauty* refusa de céder. Dès le 2 juillet 1936, Louis Delaby déclarait que « le cyclone cégétiste n’a pu ébranler notre Fédération libre des mineurs : la pression. L’oppression n’ont pas produit l’effet escompté par les dictateurs et les provocateurs des partisans « du Pain et de la Liberté ». Grâce à des interventions en haut lieu, auprès de Léon Blum, président du conseil et de Jean-Baptiste Lebas. ministre du Travail, les incidents cessèrent peu à peu mais les « martyrs de la liberté » du « camp de concentration de Marles » restèrent victimes d’un ostracisme syndical jusqu’en 1937. Signe de la victoire de la CFTC des mineurs. Joseph Sauty devint permanent syndical et une Union locale fut créée à Lens cette année-là. Le « congrès de la Liberté » qui se tint les 3 et 4 avril 1937 à Lens fut honoré par la présence de Jules Zirnheld et Gaston Tessier. Le 1er octobre suivant, le SLM installa son siège à la Centrale au 19 et 21 de la rue Diderot à proximité du centre-ville de Lens. L’achat de cet immeuble avait fait l’objet de la part de Louis Delaby, soutenu par Jules Catoire, d’un pari audacieux en la capacité de mobiliser les énergies et les ressources financières correspondantes. La Centrale devint même le siège de la Fédération nationale des mineurs CFTC. La croix de l’Ordre de Saint-Grégoire-le-Grand vint récompenser Louis Delaby mais aussi, Louis Beugniez, Jules Pruvost* et Joseph Sauty* dans le cadre du grand rassemblement en l’honneur du Christ Ouvrier à Béthune le 21 mai 1939.

L’offensive allemande en mai 1940 surprit Louis Delaby qui perdit un de ses enfants dans les bombardements de Lens. Après un court et inutile exode dans le pays de Montreuil, la famille Delaby revint à Lens. La résistance à la Charte du Travail commença dès le 17 novembre 1940 lors d’une rencontre des responsables. Louis Delaby rédigea un manifeste condamnant la disparition des confédérations : « ce que les adversaires de la vraie liberté syndicale, ce que les ennemis jurés ou non avoués du syndicalisme chrétien n’avaient pas réussi à faire en 20 ans, un gouvernement né de nos malheurs, le réalise en un tournemain ». Au nom de ses camarades, il fit un vœu : « Quand la France sera libérée de ses ennemis, et si le syndicalisme chrétien retrouve sa pleine indépendance, nous promettons solennellement d’aller remercier publiquement le Christ-Ouvrier notre divin chef en la basilique du Sacré-Coeur à Montmartre et sa sainte Mère en l’Église Notre-Dame des Victoires à Paris nous nous engageons à faire à l’aller le voyage à pied ». Cette réaction rappelait celle de 1936, Louis Delaby et ses amis reçurent aussitôt le soutien de Mgr Hoguet qui ne partageait pas les conceptions de son évêque Mgr Dutoit pour le moins pétiniste. Le 21 décembre 1941, le bureau du SLM réuni à la Centrale de Lens faisait savoir qu’ il ne participerait pas à l’application de la Charte du Travail . Cette position n’empêcha pas les responsables d’entrer momentanément dans une commission de liaison sociale qui se réunit dans le bassin minier. Louis Delaby la quitta dès qu’elle installa les comités sociaux, créés par la Charte du Travail. Il prit en charge la diffusion dans le bassin minier de Témoignage chrétien. Les cahiers de TC arrivaient ainsi régulièrement à la centrale CFTC de Lens dans les camions du Secours National ! Le 13 février 1942 en réponse au secrétaire d’État à la Production industrielle, François Lehideux qui rappelait que « le maréchal est décidé à briser toutes les chapelles », Louis Delaby membre de la délégation syndicale chrétienne répliqua : « Monsieur le Ministre. Il v a une chose que vous ne briserez jamais, c’est l’idéal que nous servons et que nous saurons défendre ». Louis Delaby n’hésitait pas à cacher des résistants dans la Centrale et organisa en 1944 avec Jules Catoire des réunions au nom du MOC (Mouvement Ouvrier Chrétien) qui sertirent de couverture aux activïtés résistantes.

En mai-juin 1944. Il fit partie des membres fondateurs du rassemblement des Résistants d’Inspiration Chrétienne, sorte d’antichambre dans le Nord-Pas-de-Calais du MRP. Membre CFTC du CLL de Lens il fut présent dans la délégation départementale chargée de préparer les États généraux de la Renaissance française en 1945 Louis Delaby fut élu conseiller municipal de Lens du 1er décembre 1944 au 12 mai 1945 Battu en mai à cause d’une alliance des socialistes et des communistes, il fut réélu en octobre 1947 jusqu’en 1953. Président de la Fédération des mineurs de 1954 à 1962, il mit au point et réalisa des projets tels que la maison de vacances « le Hamel du mineur » aux Andelys. Vice-président des Charbonnages de France, membre du comité consultatif de la Communauté européenne du charbon et de l’acier, il fut élu en 1950 président de la CAREM (Caisse Autonome de Retraites des Employés des Mines). Veuf, il épousa en secondes noces la soeur du chanoine Pierre Deprez et éleva en sa compagnie ses huit enfants.. Il écrivait très régulièrement dans le Nord social d’abord puis dans l’Écho des Mines des chroniques patoisantes signées « L’Meneux d’Bidets ». Homme simple, droit, militant ouvrier parmi les ouvriers, organisateur né, ce fut un orateur chaleureux, capable de convaincre des mineurs réticents à continuer de travailler durant l’hiver 1945/1946 un dimanche sur deux pour ravitailler en charbon les hôpitaux. Il rédigea à la fin de sa vie un texte intitulé la Trouée qui raconte l’épopée des mineurs syndicalistes chrétiens : « Considérant ce que je suis, un chrétien en lutte contre l’injustice et contre l’erreur d’où qu’elles viennent, mais, autant que je l’ai pu, jamais contre les hommes, au soir d’une vie consacrée au rassemblement le plus grand possible des travailleurs, (...) mon souhait c’est que, malgré la diversité de leur engagement, les chemins différents, les travailleurs chrétiens s’efforcent de rechercher le dialogue ». La scission de 1964 représenta pour lui une épreuve délicate à surmonter.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article21895, notice DELABY Louis par Bruno Béthouart, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 2 décembre 2008.

Par Bruno Béthouart

ŒUVRE : La Trouée Liévin, Imprimerie la Centrale, 1977, 3I8 p.

SOURCES : Arch. de Jules Catoire, Saint-Nicolas-les-Arras. — Arch. de la CFTC de Lens. — Nord-Éclair, 21 avril 1972, 2 septembre 1979. — Michel Launay, « Aux origines du svndicalisme chrétien en France : le Syndicat des Employés du Commerce et de l’Industrie », Le Mouvement social, juillet-septembre 1969. — Supplément à l Écho des Mines édition spéciale, juillet 1974, « 1924-1974 : un demi-siècle au service des travailleurs des mines, La fédération des mineurs CFTC (ouvriers, ETAM, Ingénieurs, Retraités) », La Centrale, Lens. — « Cent ans de svndicalisme chrétien, 1887-1987 », supplément à Syndicalisme CFTC, n° 229, novembre 1987. — D. Cooper-Richet, « Les étapes syndicales des ETAM de la mine », Le Mouvement social, octobre-décembre 1993. — Bruno Béthouart, Jules Catoire, Arras, Artois Presse Université, 1996. — Bruno Béthouart, « La naissance du syndicalisme chrétien dans le Pas-deCalais », in Le Mouvement social, n° 174, janvier-mars 1996, p. 75-95. — Notice DBMOF, par Michel Launay.

ICONOGRAPHIE : La Trouée, op. cit.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable