WEISS Erich

Par Bernard reviriego

Né le 28 février 1904 à Gera (Allemagne), exécuté sommairement le 29 mars 1944 à Montignac (Dordogne) ; commerçant antiquaire ; résistant de l’AS et du NAP.

Weiss Erich, avril 1940. Arch. dép. Dordogne, 42 W 42-1
Weiss Erich, avril 1940. Arch. dép. Dordogne, 42 W 42-1

De nationalité autrichienne, Erich Weiss était le fils de Max Weiss et de Betti Hirsch et il avait épousé Martha Berditschewsky, russe, née le 7 novembre 1919 à Fürth (Allemagne). Ils eurent deux enfants, Diane et Robert. Il était commerçant antiquaire. Il était entré en France en 1933. Ils avaient vécu avant-guerre à Saint-Dié (Vosges), 14 Place Saint-Martin. Ils s’étaient ensuite réfugiés en Dordogne. Après avoir été domiciliés, en septembre 1939, à Périgueux, 12 bis rue Louis Blanc (chez M. Méredieu), puis à Sarlat, en mai 1940, puis à Coulounieix (Cité Nouvelle), leur dernière adresse semble être, à Périgueux, 6 rue Chancelier de l’Hôpital. Ils furent, en avril 1940, internés au camp de la Braconne (Charente) et ils détenaient tous les deux un visa d’entrée en République dominicaine. Alors qu’il était dans ce camp, Erich Weiss écrit d’ailleurs au préfet pour lui demander l’autorisation de quitter la France.
Erich Weiss fut incorporé au 647e GTE de Chancelade (Dordogne) au cours de la séance d’incorporation tenue le 11 juin 1942. Sa demande de libération avait ensuite été examinée par la commission d’incorporation au cours de sa séance du 18 mars 1943, qui le libéra, avec la mention « contrat de travail d’un an, bon élément ».
Il appartenait à la Résistance depuis janvier 1943, sous le commandement du capitaine Credot. Puis il aurait été agent de renseignement pour le compte du NAP et de l’AS sous les ordres de Jean Rizza, ex commandant Jean. Ce dernier fournit, le 20 juin 1953, une attestation d’appartenance de Weiss à son groupe (Maquis Dordogne Centre, AS-ORA) depuis le mois de juin 1943. Selon les écrits de son épouse, il avait plus spécialement travaillé pour le compte des responsables du mouvement NAP et de Rizza et il était en liaison avec Louis Bourgoin et Paul Louis, inspecteurs des Renseignements généraux. Son nom de Résistant était « Marchal ».
C’est à partir de son envoi en mission à Montignac, fin mars 1944, que débuta une histoire complexe qui impliqua deux autres personnes, André Champagne et l’inspecteur Paul Louis, dont les corps furent retrouvés au même endroit, mais abattus à un ou plusieurs jours d’intervalle, Weiss et Champagne par les Allemands et Louis pars des Résistants FTP.
Le 26 ou le 27 mars, Erich Weiss partit pour Montignac, sans vraiment justifier auprès de sa famille les raisons de ce déplacement. Il aurait prétexté une visite à une dénommée « Betty » (famille ou amie). Il ne pouvait connaître le grand danger auquel il allait être confronté et qui le perdit. En effet, à partir de cette même date, la division Brehmer lançait des colonnes répressives dans différents secteurs du département, dont celui de Montignac.
Le 27 avril 1944, les Renseignements généraux de Périgueux rédigèrent un message téléphoné dans lequel ils faisaient état que, ce même jour, dans la matinée, trois cadavres avaient été trouvés à Montignac, distants d’une dizaine de mètres l’un de l’autre et en état de décomposition très avancé. Le premier était enterré sous une couche de terre de 10 à 20 cm environ, il avait été tué par une balle tirée dans le front. Un papier était posé à côté du corps portant l’inscription « Inspecteur Louis à Périgueux ». Le deuxième cadavre était étendu sur le sol face contre terre, il portait une trace de balle à l’arrière de la tête. Parmi divers papiers trouvés sur lui se trouvait un coupon d’achat de chaussures, taille 28, portant le nom de Weiss Robert délivré à Périgueux le 4 mars 1944 (Robert était le fils, âgé de 4 ans, d’Erich Weiss). Le troisième cadavre était également étendu face contre terre, la victime avait été tuée par une rafale de mitraillette dans le visage. Il fut identifié comme étant André Champagne, employé à l’usine de boisage à Montignac .
Les événements se déroulèrent de la façon suivante : le 28 mars, les responsables FTP du camp du maquis proche furent informés de la présence depuis « quelques jours » de deux hommes suspects. Les deux hommes furent arrêtés par le maquis. Paul Louis demanda, avant de quitter la ville, de pouvoir récupérer un porte-documents laissé à la gendarmerie. Cela lui fut accordé et il fut accompagné à la gendarmerie dans laquelle il entra seul. Puis, Louis et Weiss furent conduits au-dessus des « Castines » pour y être interrogés tranquillement. Là, Weiss fut rapidement mis hors de cause, sa présence n’était motivée « que par la recherche de ravitaillement » .
Paul Louis, lui, selon le témoignage de Pierre Morlet, entendu par la police judiciaire dans le cadre de l’enquête au sujet de l’exécution de Louis, détenait des « papiers compromettants et en particulier des plans sur l’emplacement des détachements de maquis de la 12e région sur lesquels il n’a[vait] donné aucune explication ». Toujours selon Morlet, Louis aurait « refusé de rester avec les FTP le temps de faire la preuve de sa bonne foi, il fut alors décidé de le fusiller », par un comité qui décida « à l’unanimité ». Il se recommanda de Bourgoin, mais, face à la pression militaire de la Brehmer et au contexte de délation et de méfiance de l’époque, les Résistants jugèrent puis exécutèrent Paul Louis au lieu-dit « Les Castines » .
Le lendemain, Erich Weiss, hypothétiquement le 29 mars donc, aurait voulu regagner Périgueux en faisant un détour par Clairvivre (commune de Salagnac). Il aurait été pris en charge par un garagiste du nom de Pérez qui conduisait des malades à Clairvivre . C’est au cours du trajet que le taxi fut arrêté par les Allemands qui gardèrent Weiss après vérification d’identité. On ignore les raisons, et les explications que put donner Erich Weiss, qui firent qu’il fut ramené par les Allemands à l’endroit même où les Résistants avaient exécuté Paul Louis. De plus, selon Martial Faucon, en passant par le lieu-dit « Le Chambon », les Allemands abattirent en pleine course André Champagne , qui prit peur à leur approche et s’enfuya. Il est pour l’heure impossible de savoir pourquoi le corps d’André Champagne se retrouva aux « Castines » à côté de ceux de Weiss et Louis. Fut-il, contrairement à ce qu’écrit Martial Faucon, abattu aux « Castines » ? La façon dont il fut exécuté ne plaide pas pour cette hypothèse. Mais alors pourquoi l’avoir emmené dans le bois des « Castines » ?
On peut supposer que Paul Louis fut exécuté le 28 mars et André Champagne et Erich Weiss le 29 mars. Leurs corps ne furent découverts que le 27 avril 1944 et l’acte de décès fut dressé le 29 avril. C’est ce qui explique qu’il est parfois écrit qu’ils furent exécutés le 27 avril 1944.
Il nous paraît intéressant de revenir sur l’itinéraire de Paul Louis, tellement lié à celui d’Erich Weiss, parce que son dossier est très documenté, ce qui est rare, mais aussi parce qu’il exprime parfaitement toutes les tensions et les difficultés d’une époque . Il n’est évidemment pas dans notre intention de porter un quelconque jugement, cela est impossible, ni de nuire à la mémoire de la Résistance et de ceux qui ont fait le choix courageux de l’engagement contre l’oppresseur et ses vassaux, mais il est de notre devoir, avec les matériaux qui sont les nôtres, d’écrire l’histoire, de façon dépassionnée, et de dire les parcours individuels, même s’ils ont été injustement jugés. Ce faisant, nous avons le sentiment de rendre aussi justice à l’ensemble de la Résistance.
La réhabilitation de Paul Louis, né le 13 novembre 1916 à Holling (Moselle), fut très vite engagée. Le 21 novembre 1944, à la demande du Comité d’épuration de la Dordogne et du Commandant de la Place militaire de Périgueux, un rapport détaillé fut établi par le Commissaire de police, chef du service des Renseignements généraux dont les conclusions « démontrèrent d’une façon irréfutable que l’on se trouvait en présence d’une erreur fatale ». Ce rapport expliquait que le corps de Paul Louis avait été formellement reconnu par ses anciens collègues des RG de la Dordogne, Franchi, Monteil et Paul Nussbaum. Ses obsèques eurent lieu à Périgueux le 2 mai 1944. Il était conduit par le préfet de la Dordogne et aucun membre de la famille n’y participa. Après avoir travaillé comme instituteur, il s’engagea dans les Renseignements généraux. Il fut nommé inspecteur stagiaire au service des RG de la Dordogne par arrêté du 22 juin 1942, et il occupa ce poste à compte du 16 juillet 1942. Ses qualités et capacités firent qu’il se spécialisa dans les affaires politiques et il contacta à cet effet les différents milieux politiques. Il fut ensuite désigné pour faire partie d’une équipe directement rattachée à Bourgoin, à qui il fit aussitôt part de son activité résistante. Bourgoin le chargea de fréquenter Lapuyade et les milieux du PPF. Selon ce rapport, « Bien qu’il n’ait pas eu probablement la confiance des milieux qu’il fréquentait, il avait réussi néanmoins à y jouer un rôle de premier plan et à obtenir des renseignements très précieux que je communiquais ensuite aux différents chefs de la résistance et des maquis. A une époque que je ne puis préciser (…) il a réussi à obtenir une liste établie par Lapuyade et sur laquelle figuraient des noms de personnes signalées comme suspectes aux autorités allemandes. Cette liste a été communiquée aux dirigeants de la résistance. En octobre 1943, Louis a été chargé par le chef de service de faire une enquête à l’effet de situer l’emplacement exact d’un maquis signalé au chef de service, comme étant cantonné dans un bois situé dans la commune de Cendrieux. A son retour, Louis a fait un rapport à ce sujet dans lequel il ne donnait que des indications très vagues, et en même temps il prévenait, en accord avec moi, le capitaine Goldmann, chef du groupe Aline, qui dirigeait les mouvements de résistance à Périgueux. Louis a été chargé d’autres enquêtes de ce genre. A chaque fois, il a fourni des renseignements imprécis et le double de nos rapports était communiqué par mes soins aux chefs des mouvements de résistance à Périgueux, en l’occurrence, Messieurs Aline et Carlux. Au début de décembre 1943, à la suite d’un incident provoqué par un nommé Argast (actuellement détenu au 35eme) Louis a été déplacé et nommé aux Renseignement généraux de Toulouse. Pendant son séjour à Toulouse, il est revenu fréquemment à Périgueux et il me tenait au courant de ce qu’il faisait dans cette région. Je sais qu’il avait été chargé de faire une enquête dans le Lot-et-Garonne, relative à des emplacements de maquis. J’ignore les renseignements qu’il a fournis, mais il m’avait dit à son passage qu’il continuait à opérer comme il l’avait fait à Périgueux. La liste des suspects de Périgueux et du département de la Dordogne, à arrêter au moment de la Libération, a été établie par mon équipe qui se composait de Louis, Monteil, Nussbaum. Louis y a contribué pour une bonne part, parce qu’il connaissait très bien les milieux au service des Allemands puisqu’il était spécialisé dans cette partie. Pendant qu’il était avec moi, il a établi de nombreuses fausses cartes d’identité, de fausses cartes d’alimentation. En un mot, Louis a déployé toute son activité contre Vichy et pour le compte de la Résistance. En mars 1944, étant tombé malade, il obtint un congé de douze jours qu’il est venu passer en Dordogne, chez des amis. Quelques jours avant l’expiration de ce congé, il s’est rendu à Montignac pour affaire personnelle. Le lendemain de son arrivée dans cette localité, il a été arrêté par le maquis du lieu. Conduit dans un bois, à 3km de Montignac, jugé et exécuté. Il paraît qu’on aurait découvert en sa possession un carnet compromettant. Je n’ai pas connaissance des renseignements qu’il aurait pu noter sur ce carnet, mais j’affirme que je considère Louis comme un bon Français, ayant fait preuve d’un loyalisme certain et d’un courage exemplaire, tout le temps que je l’ai connu. Je suis persuadé qu’une grave erreur a été commise (…). A l’appui des indications que je viens de fournir, il existe, dans les Archives du commissariat, des notes qui établiront les faits que je viens de citer. Mes collègues, Monteil et Nussbaum sont à même de confirmer également le travail qui a été fourni par Louis au service de la Résistance. Le commandant Jean, ex chef du maquis AS de la Dordogne, actuellement au 13ème RI en Algérie (…), Crédot, actuellement capitaine Max à Montauban, peuvent être entendus sur l’attitude de mon ancien camarade Louis ».
Le 9 avril 1945, le préfet de la Dordogne Maxime Roux, le « préfet du maquis », fait publier dans la presse un communiqué de réhabilitation de Paul Louis.
Il obtint la Croix de guerre 1940 à titre posthume. Le statut d’interné résistant lui fut pourtant refusé par décision de la Commission nationale le 29 avril 1955 au motif que l’intéressé n’était pas justiciable du statut défini par la loi du 6 août 1948.

Son épouse était elle aussi dans la Résistance, groupement NAP-AS, ses parrains étaient le commissaire de police Bourgoin et le capitaine Crédot. Elle remplissait des missions de renseignements et était agent de liaison. On lui a attribué la mention Mort pour la France et le titre d’interné résistant lui a été attribué le 30 septembre 1953.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article218991, notice WEISS Erich par Bernard reviriego, version mise en ligne le 15 septembre 2019, dernière modification le 11 décembre 2020.

Par Bernard reviriego

Weiss Erich, avril 1940. Arch. dép. Dordogne, 42 W 42-1
Weiss Erich, avril 1940. Arch. dép. Dordogne, 42 W 42-1

SOURCES : Registre d’état civil de Montignac. Arch. Dép. Dordogne, 1573 W 6 ; 1573 W 8 ; 42 W 42-1 – dont photo ; 42 W 239-1 ; 42 W 240 ; 2114 W 8 (vues 237 et 238). Dossier SHD, AC-21P-275 756 (dossier de décès) ; AC-21P-550 096 (dossier d’interné résistant) ; 16 P 602162 — Bernard Reviriego, Les Juifs en Dordogne, 1939-1944, Périgueux, Éditions Fanlac-Archives départementales de la Dordogne, 2003, p. 490 — Guy Penaud, Les crimes de la division Brehmer, La traque des résistants et des juifs en Dordogne, Corrèze, Haute-Vienne (mars-avril 1944), Périgueux, Éditions La Lauze, 2004, p. 404. — Paul Mons, La folie meurtrière de la division Brehmer, mars-avril 1944, Dordogne-Corrèze, Haute-Vienne, Brive-la-Gaillarde, Éditions Les Monédières, 2016, p. 103-104 — Martial Faucon, Francs Tireurs et partisans français en Dordogne, Ed. Maugein, Tulle, 1990, p. 244 et p. 247 — Jean-Jacques Gillot ; Michel Maureau, Résistants du Périgord, Ed. Sud-Ouest, 2011, notice Pierre Morlet, p. 428.

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