DAVIAULT Suzanne [née CARMILLET Suzanne, Amélie]

Par Josette Ueberschlag

Née le 28 avril 1907 à Morez (Doubs), morte le 11 janvier 1997 à Cuers (Var) ; institutrice en Algérie et dans le Doubs ; militante syndicaliste du SNI, militante communiste, militante pédagogique Freinet.

Suzanne Carmillet, Freinet et Marguerite Bouscarrut
Suzanne Carmillet, Freinet et Marguerite Bouscarrut
Vence 1935

Suzanne Carmillet était la huitième et dernière enfant d’un couple d’enseignants. Son père, Louis, Félix Carmillet (1866-1965), fut le premier de sa famille à sortir de la condition paysanne en devenant instituteur, puis professeur. Sa mère Marie, Justine, Césarine Dejeux, née le 24 décembre 1873 au Petit-Mercey (Jura), était institutrice, fille et petite-fille d’instituteurs.

L’ambiance de la maison d’école hébergeant la famille, fit naître des vocations d’enseignants dans la fratrie. Sa sœur Lucie (1900-1993), deux de ses frères, Léon (1900-1977) et Maurice (1906-1967) et elle-même, appartenaient à la troisième génération du côté maternel à épouser la carrière de l’enseignement. En outre, trois d’entre eux débutèrent en Algérie par conviction politique, voulant participer à l’émancipation des enfants algériens.

Suzanne Carmillet commença sa scolarité à Lons-le-Saunier (Jura). Reçue au brevet élémentaire en 1923, elle entra en 1925 à l’École normale d’institutrices de Vesoul (Haute-Saône), directement en classe de première. Son rang de sortie, 4e sur 26 en 1928, lui permettait d’envisager de poursuivre des études. Pour ce faire, ses professeurs lui proposèrent un poste de surveillante d’internat à l’école normale, mais auparavant, elle dut obtenir son certificat d’aptitude professionnel le 17 octobre 1928, après deux jours seulement de présence à l’école annexe. L’année suivante, elle demanda un congé pour convenances personnelles afin de préparer au lycée de Besançon (Doubs), le concours d’entrée à l’École normale supérieure de jeunes filles de Fontenay-aux-Roses, auquel elle échoua. Après un an comme institutrice à Fougerolles (Haute-Saône), elle décida de partir pour l’Algérie où elle enseigna quinze ans. Un de ses frères, Léon, prit avec elle la même résolution.

Ils furent nommés en 1931 à Saint-Lucien (département d’Oran, actuel Zahana), lui comme directeur des écoles, elle comme adjointe dans l’école « indigène » de filles. Au bout de trois ans, Suzanne Carmillet, insatisfaite de son rôle auprès des adolescentes, demanda à suivre une formation à Alger pour leur donner des cours professionnels. À l’issue du stage, elle fut nommée à l’école professionnelle de filles de Tlemcen (département d’Oran), mais ne rejoignit ce poste qu’un an plus tard, car elle était en congé pour longue maladie (tuberculose). Sur les conseils de Lisette Vincent, avec laquelle elle militait au sein de la section d’Oran du Syndicat national des institutrices et instituteurs de France et des colonies, elle prit pension au Pioulier à Vence (Alpes-Maritimes) chez les Oliveras, émigrés espagnols installés en France vers 1925, chez lesquels son amie avait séjourné deux ans plus tôt. Le bel ensoleillement de cet endroit, surnommé « la petite Afrique », constituait un cadre idéal pour une convalescente. Là, elle rencontra Élise et Célestin Freinet qui venaient tout juste d’achever la construction de leur école privée. Ils accueillaient à la rentrée 1935, leurs premiers élèves dont « Lulu », le jeune frère de Lisette Vincent. Cette année que Suzanne Carmillet passa à Vence fut bénéfique non seulement pour sa santé, mais également pour sa formation pédagogique et politique.

De retour à Tlemcen, elle se porta volontaire pour centraliser les commandes de matériel auprès de la Coopérative de l’enseignement laïc (CEL). Cependant, elle nourrissait une plus grande ambition, créer une section algérienne d’Éducation nouvelle, ce qui se réalisa le 29 décembre 1938. Une assemblée d’enseignants réunis à Alger avec le soutien du SNI, dont elle était la secrétaire adjointe de la section de Tlemcen, mit en route un groupe de travail et de recherche pédagogiques, le GAEN (Groupe algérien d’Éducation nouvelle) dont elle accepta le secrétariat pour l’Oranie. Au cours de l’année 1939, elle installa une « commission d’enseignement aux indigènes » étroitement associée à la pratique d’une correspondance scolaire interculturelle. Une vingtaine d’instituteurs et d’institutrices d’Algérie participèrent ainsi au cours de vacances à l’école Freinet de Vence, du 30 juillet au 6 août 1939 et en profitèrent pour élaborer le projet éditorial de la revue Soleil du GAEN dont le responsable fut Maurice Boisbourdin.

Suzanne Carmillet, convaincue de la valeur émancipatrice de la pédagogie Freinet, fonda l’apprentissage de la langue française exclusivement sur le texte libre et l’imprimerie à école : « Mes filles ne cherchent plus à traduire l’arabe en français, elles pensent en français, ne commettant plus ces incorrections grossières du parler familial si courantes en Algérie ». Cette nouvelle façon d’enseigner, prenant son inspiration dans le vécu des jeunes, l’enthousiasmait et correspondait chez elle à une conviction profonde, aider les élèves à davantage d’autonomie. Elle revendiquait pour les enfants « indigènes », une école nouvelle, différente de celle des colons du début du siècle : « Faire d’eux des êtres libres qui pensent par eux-mêmes ; non des craintifs qui copieraient très mal nos habitudes et auraient peur d’être mal considérés par les conquérants… que nous avons été. »

Elle était, dans les premières années de sa présence en Algérie, adhérente du Parti socialiste SFIO, comme son frère Léon qui en était un ardent militant, secrétaire de la section de Saint-Lucien. Un rapport au préfet d’Oran du 25 novembre 1937 la signala comme « communiste », apportant son soutien aux musulmans via des associations françaises. Comme son amie Lisette Vincent, elle était devenue militante du Parti communiste algérien créé en octobre 1936. Elle fut déplacée à la rentrée 1940 par le gouvernement de Vichy à Mazagran (département d’Oran) au climat aride, préjudiciable à sa santé fragile. Elle y demeura jusqu’en 1942, malgré ses protestations. Rien n’y fit jusqu’à son mariage, le 27 mars 1942 à Oran, avec Lucien Daviault, instituteur dans le Constantinois. Elle sollicita alors un rapprochement de son conjoint et quitta l’Oranie. Elle obtint un poste à Tabarourt (1942-1944), puis à Tizi-Ouzou (1944-1945) où, chargée du cours professionnel, elle était directrice de l’école des filles.

D’après une lettre au rédacteur en chef de l’Humanité de 1966 (voir infra), elle écrivait être membre du PC depuis 1943 et avoir été de 1943 à 1945, secrétaire de la section de Tizi-Ouzou de l’Union des femmes d’Algérie créée en 1943 par le PCA et dirigée par Alice Sportisse dont elle était une amie. La Libération de l’Algérie avait réveillé chez des militants algériens des désirs d’indépendance et de départ des Européens portés par le PPA (Parti du peuple algérien) de Messali-Hadj mais pas par les communistes, aussi bien les autochtones reprenant une activité légale au début 1943 que les internés politiques métropolitains libérés.Hostiles à l’indépendance, ils étaient partisans de l’union des peuples français et colonisés pour que l’Algérie fasse bloc dans la lutte contre Hitler. Dans l’atmosphère confuse de l’Algérie en 1944, où circulaient toutes sortes de rumeurs, certaines mirent en accusation Freinet. Indignée, Suzanne Daviault écrivit le 20 décembre 1944 à sa grande amie, Élise Freinet : « Il faut absolument que Freinet prenne la peine de se laver des accusations qui ont été portées contre lui par le PC. En Algérie, il court le bruit que Freinet est un traître et qu’il a collaboré avec l’ennemi : il aurait accepté d’aller faire des conférences en Allemagne [et aurait publié en Belgique un livre sur Pétain et les Chantiers de jeunesse]. Cela a eu une répercussion énorme sur le GAEN. On ne pouvait plus prononcer ton nom, [ni même parler] "des techniques Freinet" ». Elle lui révéla de qui elle tenait ses allégations : « C’est Fajon qui m’a mise au courant alors que j’étais venue lui parler "Éducation nouvelle" ».

Élise Freinet, vingt ans plus tard, dans Naissance d’une pédagogie populaire, ne décolérait pas : « C’est dans Alger libérée que [s’est situé] l’épicentre de l’anti-freinétisme nouveau-né. […] Les petits arrivistes [ont joué] les grands maîtres dans le mouvement d’Éducation nouvelle d’Algérie (GAEN), comme [à Paris] dans les antichambres [du pouvoir et du Groupe français d’Éducation nouvelle (GFEN)] ».
À la fin de la guerre, en mai 1945, la plupart des communistes d’Algérie ne comprirent pas les manifestations des Algériens dans le Constantinois et ne condamnèrent pas tout de suite la répression sanglante qui les frappa. Suzanne Daviault et son mari décidèrent de rentrer en métropole. Dans une lettre à l’inspecteur, elle évoquait des raisons de santé.

Le couple fut nommé à la rentrée 1945 à Vanclans dans le Doubs, département dont elle était originaire, où ils demeurèrent huit ans. Elle termina sa carrière en 1962 comme directrice de l’école de filles à 12 classes à Besançon (Doubs) dans la zone industrielle de Palente-Cités, où son mari était directeur de l’école de garçons.
Suzanne Daviault poursuivit son combat dans le mouvement pédagogique Freinet en Franche-Comté. Au premier congrès de l’après-guerre à Dijon (1947), elle intégra le CA de la CEL comme suppléante, puis en devint membre à part entière, deux ans plus tard. Elle le quitta à sa retraite, après le congrès de Caen en 1962. Ses responsabilités ne se limitèrent pas à la CEL. « L’esprit École Moderne » fut le sujet favori qu’elle développa souvent, par exemple à Sochaux en février 1962 devant un auditoire de 80 instituteurs et institutrices de la circonscription de Montbéliard. Elle rédigea de nombreux articles pour L’Éducateur, fut l’auteure de deux livrets dans la collection Bibliothèque de Travail et d’une Brochure d’Éducation nouvelle populaire sur l’enseignement du français en pays bilingues, ce qui l’amena à comparer ses élèves francs comtois à ses élèves algériennes : « mes plus grands élèves du cours élémentaire parlaient un français "petit nègre" qui n’avait rien à envier à celui que l’on entend dans les rues de nos villages d’Afrique du Nord ». Comme maints instituteurs des provinces françaises et d’Afrique du Nord, elle avait voulu repenser la pédagogie, considérant le multiculturalisme comme un enrichissement, non comme une entrave aux apprentissages.

Toujours communiste, retraitée à Gonfaron (Var) avec un groupe de couples d’amis fidèles à Freinet, elle fut outrée par l’article de Fernande Seclet-Riou paru dans l’Humanité du 19 octobre1966 après la mort de ce dernier. Elle écrivit une longue lettre à la rédaction du journal, condamnant vigoureusement les « calomnies » proférées depuis des années contre Freinet par le PCF, lettre qu’elle terminait ainsi : « On nous invite souvent à faire notre mea culpa. Nous aimerions dans cette affaire voir les responsables faire la leur, et faire éclater la vérité, faute de quoi, il n’y aurait plus de Grand Parti du peuple. »

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article219190, notice DAVIAULT Suzanne [née CARMILLET Suzanne, Amélie] par Josette Ueberschlag , version mise en ligne le 27 septembre 2019, dernière modification le 6 mai 2022.

Par Josette Ueberschlag

Suzanne Carmillet, Freinet et Marguerite Bouscarrut
Suzanne Carmillet, Freinet et Marguerite Bouscarrut
Vence 1935

ŒUVRE : « Fatima raconte… », Fatima Bou Hadjar, école indigène de Tlemcen, Enfantines, n° 91, juin 1938, éd. L’Imprimerie à l’école, Vence. — « L’Imprimerie à l’école indigène », L’Éducateur prolétarien, n°20, 15 juillet 1938, p. 413-417. — « Naissance d’un groupe d’Éducation nouvelle à Alger », L’Éducateur prolétarien, n°8, 15 janvier 1939, p. 187. « Échanges interscolaires », L’Éducateur, n°15, 31 mars 1940, éd. CEL, p. 195. — « Au cœur de la Kabylie », journal scolaire de la classe de Tizi-Ouzou en 1945, archivé au Centre international de Mayenne des Amis de Freinet. — « L’enseignement du français en pays bilingues », Brochure d’Éducation nouvelle populaire, n°57-58, déc.1950-janv.1951, Cannes, éd. l’École moderne française. — « Les cigognes », Bibliothèque de Travail, n°501, 8 mars 1952, co-écrite avec Paulette Cahen et Raymond Bastian, Cannes, éd. –– « Le déneigement », Bibliothèque de Travail, n°420, 10 janv. 1959. — « Art et poésie [contrastes entre vie à la campagne et dans les grands ensembles urbains] », Art enfantin, n°7-8, juin-sept. 1961. –– « À la rencontre de Freinet », Bulletin des Amis de Freinet, n°7, juin 1971. — « Bibliographie de Célestin Freinet, 1923-1940 », co-écrite avec Lucienne Balesse, Bulletin des Amis de Freinet, n°10, janvier 1972.

SOURCES : Arch. Nat. d’Outre-mer (ANOM) : Gouvernement général d’Algérie (GGA), série 9H (affaires musulmanes), (ANOM/GGA/9H/30). boîte n°30. — Arch. Dép. Doubs, 2200 W 52, 118 J et 138 J. — Arch. Dép. Alpes-Maritimes, 161 J 0047. — Élise Freinet, compte rendu du livre : La question algérienne de D’Orient N. et Loew M., L’Éducateur prolétarien, n°2, 15 oct. 1938, p. 46-47. — Suzanne Carmillet, « Le groupe algérien d’Éducation nouvelle au travail », L’Éducateur prolétarien, n°14-15, 30 avril 1939, p. 350. –Freinet, « Ralliement », L’Éducateur, n°1, 15 février 1945, Gap, éd. Comité de Libération. – « Groupe du Doubs de l’École moderne », L’Éducateur, n°14, 15 avril 1962, 2e de couv. – Élise Freinet, Naissance d’une pédagogie populaire (méthodes Freinet), Paris, éd. François Maspero, 1974, p. 287. – Michel Barré, Célestin Freinet, un éducateur pour notre temps, tome 2 : 1936-1966, Mouans-Sartoux, PEMF, 1996, p. 23 et 115. — Claire Marynower, Être socialiste dans l’Algérie coloniale. Pratiques, cultures et identités d’un milieu partisan dans le département d’Oran, 1919-1939, thèse d’histoire, dir. Marc Lazar, Institut d’Études politiques de Paris, 4 déc. 2013. – Claire Marynower, L’Algérie à gauche, 1900-1962, Paris, PUF, 2018. — Alain Ruscio, Les communistes et l’Algérie, des origines à la guerre d’indépendance, 1920-1962, La Découverte, 2019. — Notes d’Alain Dalançon, Daniel Le Blay, Jacques Jourdanet, Claire Marynower, Michel Mulat, Jean Poquet-Lallemand.

ICONOGRAPHIE : De gauche à droite, Suzanne Carmillet lors de son arrivée au Pioulier à Vence en 1935, Freinet et Marguerite Bouscarrut (fonds Jean Poquet-Lallemand).

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