DELBRÊL Madeleine [DELBRÊL Anne, Marie, Madeleine]

Par Michèle Rault

Née le 24 octobre 1904 à Mussidan (Dordogne), morte le 13 octobre 1964 à Ivry-sur-Seine (Seine, Val-de-Marne) ; assistante sociale ; responsable des équipes Madeleine Delbrêl ; mystique chrétienne ; écrivain.

Madeleine Delbrêl, 1964
Madeleine Delbrêl, 1964
Arch. M. Delbrêl

Fille unique d’Hippolyte Delbrel, né à Salviac (Lot), cheminot, et de Jeanne, Lucile, Marie Junière, née à Mussidan, sans profession, Madeleine Delbrêl vint vivre à Paris (XIVe arr.) en 1916. Son père, chef de gare, avait été nommé à la gare de Denfert. Élève de cours privés, elle prenait des leçons de piano, écrivait des poèmes et se passionnait pour le monde de l’art, de la littérature et de la philosophie. Ballottée entre un père libre-penseur et une mère qui avait obtenu qu’on la baptise, elle se déclarait athée. En 1922-1923, elle fit la rencontre de Jean Maydieu, étudiant de l’École centrale, mais leur relation s’arrêta brutalement lorsque celui-ci décida de rejoindre le noviciat des Dominicains. Madeleine Delbrêl fut profondément marquée par cette résolution qui l’amena à se tourner vers Dieu et à retrouver la foi. Elle lisait abondamment, s’imprégnait d’écrits religieux et rédigea un essai sur les relations entre l’art et la mystique. Délaissant les ateliers de peinture et son goût pour l’écriture poétique, elle pensa entrer au Carmel mais abandonna cette idée pour rester disponible à sa famille. Par l’intermédiaire d’un groupe de jeunes amis de son quartier, elle fréquenta alors la paroisse Saint-Dominique et y fit la rencontre capitale de l’abbé Jacques Lorenzo, aumônier scout. Sous son influence, elle se lança dans le scoutisme en 1926, et devint en 1928, commissaire du district de Paris des scouts de France qui comprenait une partie de la banlieue. Avec plusieurs jeunes femmes de la paroisse, elle constitua un groupe qui prit, en 1931, le nom de « Charité » et se donnait pour objectif de se mettre au service des plus pauvres. Dans ce même élan, elle choisissait un métier qui la rendrait « disponible aux autres ». Elle commença une formation d’infirmière et entra, en 1932, à l’École pratique de Service social, boulevard Montparnasse dont elle sortit assistante sociale diplômée en novembre 1936.

Petit à petit, Madeleine Delbrêl ébaucha, avec ses amies de la paroisse Saint-Dominique, un projet de vie communautaire : tout en aidant une paroisse, elles exerceraient un métier se mêlant ainsi au quotidien des gens. Elles se voulaient chrétiennes vivant selon les préceptes de l’Évangile, mais laïques écartant ainsi l’idée de rentrer dans une congrégation religieuse. Elles envisageaient de s’installer dans une paroisse de la banlieue parisienne. De fait, le 15 octobre 1933, Madeleine Delbrêl et deux de ses compagnes (l’une infirmière, l’autre laborantine) s’établirent à Ivry-sur-Seine pour y prendre la responsabilité du Centre d’Action sociale attaché à la paroisse Saint-Jean-Baptiste du Plateau. Les métiers, que Madeleine Delbrêl et ses amies exerçaient, favorisèrent les contacts. Madeleine Delbrêl découvrait la misère ouvrière et s’étonna de l’indifférence qu’elle trouvait auprès des chrétiens d’Ivry. Pour elle, commença la découverte de la politique, de ses affrontements et de ses enjeux dans une ville qui était représentée par des élus du Parti communiste depuis 1925.

En avril 1935, Madeleine Delbrêl avec son équipe qui comprenait désormais plusieurs membres, déménagea pour s’installer dans une maison du centre-ville, au 11 rue Raspail. Elle accédait ainsi à une plus grande indépendance vis-à-vis de la paroisse et se trouvait au centre de la ville au moment où celle-ci était touchée de plein fouet par la crise économique. Il lui semblait de plus en plus urgent, légitime et nécessaire de lutter contre les injustices. En avril 1936, elle s’engagea au sein du comité d’entraide aux chômeurs qui avait pour président le maire communiste, Georges Marrane, et pour vice-président, le curé de la paroisse d’Ivry-Centre, l’abbé Jacques Lorenzo. Parallèlement, elle consolida l’équipe qu’elle formait avec ses amies et publia, en 1938, un texte sous le titre Nous autres, gens des rues qui définissait la spiritualité du groupe.

En septembre 1939, à la déclaration de guerre, Madeleine Delbrêl participa à l’évacuation des populations civiles. Le 16 septembre 1939, avec l’accord de Georges Marrane, elle était nommée assistante sociale de l’Office de Protection de la maternité et de l’enfance de la Seine (OPMES) en poste à la mairie d’Ivry et, au mois de juin 1940, déléguée technique pour le canton d’Ivry. Au début de l’année 1941, elle fut embauchée à mi-temps au Secours national d’Ivry-sur-Seine et était recrutée parallèlement pour le Service social de la région parisienne. Le 21 mars 1942, le préfet de la Seine la nomma conseillère municipale d’Ivry en tant que représentante des œuvres d’assistance et de bienfaisance. Au cours de cette période, Madeleine Delbrêl mit en place des organismes sociaux (maison de la mère, maison de l’enfant, centres de jeunesse) et fit partie du comité de liaison des services sociaux organisé par le préfet. Ses réalisations devinrent un laboratoire que l’on venait visiter. Elle participait à la formation d’élèves assistantes et à celle d’auxiliaires sociales de la région parisienne. Elle écrivit, en 1942, Veillés d’armes aux travailleuses sociales où elle analysait le travail social tout en tant livrant des propositions concrètes d’organisation.

Parallèlement à son travail d’assistante sociale, Madeleine Delbrêl prenait part à la réflexion que menaient des chrétiens sur la déchristianisation en France. Elle rencontra ainsi en 1941 à Lisieux, l’abbé Louis Augros chargé de créer un séminaire pour former des prêtres spécialement adaptés à l’évangélisation des régions déchristianisées qui allait devenir La Mission de France. Par son expérience de vie communautaire et les textes qu’elle écrivait (Nous autres, gens des rues ; Missionnaires sans bateaux), elle contribua à en définir la ligne. Elle incita Louis Augros à former un clergé séculier au service des diocèses plutôt qu’à créer une congrégation religieuse spécialisée dans l’apostolat missionnaire.

À la Libération, Madeleine Delbrêl précisa au maire Georges Marrane son « attitude d’esprit et d’action » entre 1939 et 1944. Elle considérait sa présence dans les institutions mises en place pendant l’Occupation comme « une représentation du service social ». Elle était alors confirmée par Venise Gosnat, maire-adjoint communiste d’Ivry, dans ses fonctions de déléguée technique du service social. Elle s’engagea dans plusieurs structures, rédigea de nombreux rapports et aurait été appelée à se présenter aux élections municipales d’avril 1945. Mais, le 1er octobre 1945, elle cessait toute activité professionnelle puis, en octobre 1946, démissionnait définitivement de son emploi d’assistante sociale au Groupement d’action des services sociaux de la Seine (GASSS). Sa position publique lui apparaissait sans doute contradictoire avec la vocation qu’elle voulait contemplative, de son groupe. Elle décidait de se recentrer sur l’organisation de ses équipes qui comprenaient une quinzaine de femmes dont certaines s’établissaient, en 1946, dans le bassin minier de Longwy (Meurthe-et-Moselle). Le 11 de la rue Raspail où elle habitait était plus que jamais un point de rencontre, de dialogue et d’accueil en particulier de déportés espagnols rescapés des camps. Avec deux d’entre eux, Carmen et Alberto Codina, elle créa en 1952 une coopérative ouvrière de confiserie dont elle devint la comptable.

La rencontre de militants antifranquistes espagnols la conduisit à prendre des engagements en faveur de leur combat. Elle prit ainsi position dans l’affaire Miguel Grant, emprisonné pour un règlement de compte meurtrier dans la Résistance. En 1951, elle rédigea une lettre aux chrétiens d’Espagne pour protester contre l’inculpation des « 34 de Barcelone » responsables d’un mouvement de grève. L’année suivante, elle participa aux démarches pour empêcher la tenue dans l’Espagne de Franco du premier congrès eucharistique international. Son retrait professionnel des services municipaux n’empêcha pas Madeleine Delbrêl de participer aux actions collectives soutenues par les communistes d’Ivry. En 1953, elle s’engagea pour l’obtention de la grâce d’Ethel et Julius Rosenberg en particulier lors d’un meeting au Vel’ d’Hiv’ et parvint à introduire un avocat jusqu’au pape Pie XII pour lui demander d’intervenir auprès du gouvernement américain. Elle se joignit également aux membres du Mouvement de la Paix d’Ivry et se prononça contre la Guerre d’Algérie.

En contact permanent avec le mouvement missionnaire, Madeleine Delbrêl avait pressenti les difficultés auxquelles les prêtres-ouvriers allaient être confrontés. Elle se rendit à cet effet une première fois à Rome, en 1952, puis fut reçue par Pie XII en 1953. Elle soutint individuellement des prêtres-ouvriers mais n’en avait pas moins avec eux des divergences de fond sur leurs formes et milieux d’action. Elle élabora ainsi une distinction entre une « tendance de salut » et une « tendance d’alliance » avec le marxisme qu’elle réfutait. En août 1954, Madeleine Delbrêl remit à Monseigneur Veuillot un dossier fait de notes qu’elle n’avait cessé d’écrire depuis son arrivée à Ivry et qui fournirent la matière de son livre Ville marxiste, terre de mission, paru en septembre 1957, où elle décrivait l’incarnation de sa foi dans le quotidien. Elle suivait ses équipes qui s’ouvraient au Tiers-monde et s’implantèrent en Afrique dans la banlieue d’Abidjan, puis étudia l’installation d’équipières en Algérie. Elle intervenait lors de sessions et conférences tant en France qu’à l’étranger. Entre 1959 et 1964, elle apporta sa contribution au concile Vatican II en rédigeant des notes préparatoires.

Madeleine Delbrêl eut sur la vie de l’Église en France une influence diffuse mais considérable au point qu’elle est considérée comme l’une des figures marquantes de la spiritualité française du XXe siècle pour avoir, en particulier, été l’une des premières chrétiennes à engager un dialogue avec les marxistes. En 1988, Mgr François Frétellière, évêque de Créteil (Val-de-Marne) décida l’ouverture du procès en béatification de Madeleine Delbrêl dont la cause fut introduite à Rome, en janvier 1995.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article21994, notice DELBRÊL Madeleine [DELBRÊL Anne, Marie, Madeleine] par Michèle Rault, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 22 novembre 2022.

Par Michèle Rault

Madeleine Delbrêl, 1964
Madeleine Delbrêl, 1964
Arch. M. Delbrêl

ŒUVRE : Ville marxiste, terre de mission, rédigé à Ivry de 1933 à 1957, Cerf, 1957. — Œuvres complètes, 6 tomes, Nouvelle Cité, 2004-2007.

SOURCES : Arch. des équipes Madeleine Delbrêl. — Arch. com. Ivry-sur-Seine. — « Les communistes et les chrétiens. Alliance ou dialogue ? Madeleine Delbrêl », Le supplément, Cerf, 1990. — Le ciel était rouge, Serpenoise, 1990. — Tangi Cavalin, Nathalie Viet-Depaule, Une histoire de la Mission de France. La riposte missionnaire, 1941-2002, Karthala, 2007. — Données du site Généanet. — Notes de Renaud Poulain-Argiolas.

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