DELEPLACE René, Édouard, Maurice

Par Jacques Girault

Né le 16 février 1922 à Calais (Pas-de-Calais), mort le 9 janvier 2010 à Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine) ; professeur d’éducation physique ; militant syndicaliste ; militant communiste ; théoricien de la pratique du rugby ; musicien.

Deleplace, porte-drapeau de la délégation de l’ENSEP au premier Festival mondial de la jeunesse à Prague (1947).
Deleplace, porte-drapeau de la délégation de l’ENSEP au premier Festival mondial de la jeunesse à Prague (1947).

René Deleplace était le fils d’un commis des postes devenu receveur, membre de la CGT et sympathisant communiste et d’une ancienne assistante d’un professeur à l’École de Beaux-Arts de Douai (Nord), peintre et sculpteur ; ils lui firent donner une instruction catholique au catéchisme. Il effectua sa scolarité secondaire aux collèges d’Arras, où il fut inscrit au conservatoire de musique, puis de Saint-Pol-sur-Ternoise (Pas-de-Calais) où son père était receveur des PTT, avant d’être nommé à Château-Gontier (Mayenne) à la fin de mars 1944.

Après avoir réussi au baccalauréat (mathématiques élémentaires) en 1940, René Deleplace obtint une licence d’enseignement en mathématiques à la faculté des sciences de Lille et un diplôme d’études supérieures (mécanique céleste) en 1943. Il commença à préparer l’agrégation de mathématiques et fut appelé au Service du travail obligatoire au début de septembre 1943. Dans le même temps, un bombardement détruisit des bâtiments publics à Saint-Pol-sur-Ternoise, centre de commandement des plateformes de lancement des V1, ce qui désorganisa l’administration. Profitant de la situation, il rejoignit, en octobre, le poste de professeur de mathématiques au collège de Lens, pour lequel il avait reçu une nomination rectorale, juste avant sa convocation pour le STO. Pratiquant l’athlétisme à Billy-Montigny, faisant partie de l’harmonie des mines, il ne fut pas inquiété. Sa carte de travail n’étant plus en règle, il fut considéré comme réfractaire au STO et, après un contrôle de police à Lens en avril 1944, il fut convoqué à nouveau pour partir en Allemagne. Pour qu’il puisse y échapper, le chef de l’harmonie lui obtint un emploi de mineur de fond dans la fosse 2 comme manœuvre au dérochage. À la fin mai, bénéficiant d’un congé, il s’enfuit vers Château-Gontier (Mayenne) où il arriva le 2 juin. Quatre jours plus tard, le débarquement allié accentua la désorganisation et il échappa à tout nouveau contrôle.

Pour mieux préparer l’agrégation de mathématiques, il devint maître d’internat au collège Chaptal à Paris (1944-1945). Il adhéra alors au Syndicat national des collèges modernes, représentant les surveillants au conseil d’administration.

Sympathisant communiste en 1939, camarade au conservatoire du jeune communiste Paul Camphin, René Deleplace avait découvert le rugby, pratiqué par les militaires britanniques. Il changea alors d’orientation. Un des professeurs d’éducation physique, muté de Chaptal à l’École normale d’instituteurs d’Auteuil, lui proposa de prendre le poste de maître délégué d’éducation physique créé en octobre 1945. En 1945-1946, il prépara le concours d’entrée à l’École normale supérieure d’éducation physique à l’Institut d’éducation physique de la faculté de médecine de Paris. Entré et sorti major de l’ENSEP (1946-1948), il diversifiait ses activités sportives. Depuis la Libération, il faisait partie de l’Union sportive du Métro comme équipier premier en rugby ; il pratiquait l’athlétisme au Racing club de France. Décathlonien, il fut classé deuxième au concours national de l’athlète complet (1946). D’autre part, il jouait dans l’équipe de hand-ball à 11 de Cachan avec Robert Surrel. Avec l’équipe de hand-ball de l’ENSEP, il fut champion de France universitaire (1947) et fut sélectionné dans l’équipe de France universitaire qui participa aux championnats mondiaux universitaires de 1947. Il rejoignit à l’ENSEP le Syndicat national des professeurs d’éducation physique dont il fut délégué au Cartel des écoles normales supérieures.

René Deleplace fut affecté professeur d’éducation physique à l’École normale d’instituteurs de Troyes (Aube) de 1948 à 1951, puis au lycée Marceau de Chartres (Eure-et-Loir) de 1951 à 1953. Dans ces deux établissement il fut le responsable des sections locales du SNEP. En outre, de 1949 à 1956, il assura l’animation de la section EPS de la FEN-CGT. Il fut ensuite nommé à Paris (lycées Janson de Sailly de 1953 à 1956, Saint-Louis de 1956 à 1959) où il assura également le secrétariat des sections du SNEP.

René Deleplace fut ensuite affecté comme cadre technique en rugby et en athlétisme à l’Institut national des sports de 1959 à 1961. Il fut muté d’office au lycée Lakanal à Sceaux (Seine), où il y enseigna de 1961 à 1967. Membre du conseil d’administration de l’établissement, il y initia une organisation novatrice en structurant toutes les classes en clubs, avec des rencontres interclasses selon un calendrier annuel. Cette initiative donnait une meilleure place à l’éducation physique dans l’organisation du lycée et traduisait son association avec le sport.

René Deleplace fut nommé professeur à l’Institut régional d’éducation physique et sportive de Paris, devenu UEREPS, puis UFRAPS, rattaché à l’Université de Paris V en 1971, avec comme domaines d’enseignement et de recherches, le rugby et l’athlétisme. Il prit part en 1969-1970 à la commission "constituante" des nouvelles universités de Paris. Membre du conseil d’administration de l’Université de Paris V jusqu’en 1986, administrateur pendant deux ans de l’UEREPS, il siégea également, dans la délégation du SNESup au Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il compléta sa formation en suivant notamment, sous la direction de Paul Fraisse, le séminaire de DEA de psychologie expérimentale (1977).

Parallèlement à ses activités professionnelles d’enseignant, René Deleplace jouait en club, à celui de Clichy à partir de 1952, puis comme capitaine de l’équipe de rugby de Fédération sportive et gymnique du travail (1953-1955), dont fut membre de la commission fédérale de rugby, ce qui lui permit de participer à diverses rencontres internationales dans les démocraties populaires (Roumanie, 1953, République démocratique allemande, 1953 et 1955). En 1954, il revint jouer à l’US Métro puis passa comme équipier premier au Paris Université Club en 1956. De 1957 à 1986, il exerça au PUC les fonctions d’entraîneur, puis de directeur technique successivement pour les équipes senior (accession à la demi-finale de division nationale en 1958), junior et cadet (finales du championnat de France en 1973 pour les juniors, et en 1981 pour les cadets).

Pour développer et améliorer la pratique du rugby dans la région du Nord, René Deleplace prit l’initiative, en 1958, de former et de perfectionner des joueurs et des éducateurs. Il organisa, chaque année jusqu’en 1984, avec l’appui de la Fédération française de rugby, de son directeur des stages d’éducateurs fédéraux, Julien Saby, de l’USEP, de l’UFOLEP, des animateurs de l’ASPTT d’Arras, des stages d’une dizaine de jours à Arras, pendant les vacances de Pâques. Ces stages connurent un grand succès comme en témoignent de nombreux articles dans la presse sportive, comme « Arras en ovalie » (L’Équipe, 22-23 avril 1978) avec une citation sous son portrait, « Toujours rendre le jeu plus vivant » en utilisant l’intelligence des acteurs pour les placements, les replacements constants, dans les affrontements collectifs. Une des consécrations fut l’accession du club de l’ASPTT en division nationale.

Ses interventions modifièrent les conceptions d’ensemble de l’enseignement des sports collectifs, du rugby en particulier, chaque discipline devant faire l’objet d’une réflexion originale. Pour lui, le sport collectif devait reposer sur l’opposition, donc pouvoir prévoir, et insister sur l’information, la perception et la décision. Ses conceptions, exposées dans de nombreux groupes d’innovation, stages et articles, en firent le théoricien d’une nouvelle formation des joueurs de rugby. Son ouvrage Rugby de mouvement, rugby total renouvela complètement son approche et sa pratique. Il considérait le terrain comme « un espace mental », le jeu collectif comme la « somme rationnelle d’expériences individuelles » ce qui revenait, selon la formule de Robert Barran, à « libérer totalement l’initiative individuelle » (Miroir du Rugby, mars-avril 1976). Pierre Villepreux résumait ainsi la portée de l’ouvrage, « l’essentiel du rugby moderne est déjà dans son livre de 1965 ». Il fit partie pendant une vingtaine d’années de la commission nationale de la Fédération française de rugby chargée d’organiser les stages de formation des éducateurs.

Ces conceptions venaient des recherches que Deleplace animait dans le cadre universitaire, enrichies par les nombreuses expérimentations. Sa notoriété était nationale et internationale et il fut appelé dans divers pays. Il fut notamment invité en Roumanie en 1959 et en 1967 pendant ses grandes vacances comme conseiller technique national. Un premier résultat fut enregistré par la victoire du Quinze roumain, le 24 avril 1960, lors des rencontres régulières avec l’équipe de France. Aussi la presse sportive commença-t-elle à parler en termes élogieux des rugbymen roumains. Il présenta dans un long article du Miroir du Rugby, en janvier 1962, son expérience en Roumanie. Il se rendit aussi en URSS avec une délégation du Parti communiste français en 1966 pour prendre connaissance de la nouvelle loi sur le sport.

Dans la FSGT, Deleplace, secrétaire de la commission fédérale rugby jusqu’en 1960, participa de 1963 à 1967 au Cercle d’étude central. Cette instance, créée par Jean Guimier et Maurice Baquet, assurait une réflexion collective sur l’orientation de la politique sportive, sur les aspects du développement technique et méthodologique des habilités corporelles à caractère athlétique. Il s’inscrivait dans le courant défendant la nécessité de donner à l’EPS une assise culturelle, analyse qu’il développa notamment dans le numéro spécial « Activité physique, éducation et sciences humaines » des Cahiers du centre d’études et de recherches marxistes (n° 43, octobre 1966) qu’il co-dirigea. Ces réflexions firent évoluer le contenu des stages de dirigeants et de directeurs techniques de stage et placèrent la FSGT en avance dans le domaine des connaissances sur l’éducation physique et le sport. Les sports collectifs en bénéficièrent (Robert Mérand pour le basket-ball. Deleplace, pour le rugby). En 1962, à Dijon, ce dernier assura, à son tour, un stage de directeurs techniques. Cette expérience le conduisit à proposer, « différents des deux types de stages de dirigeants existant mais ne se substituant pas à eux », des stages « d’expérimentation comparée », sous sa responsabilité, à Malakoff en avril 1964 puis à Sète (Hérault) en 1965. En 1966, le collectif de direction préféra l’orientation proposée par Mérand à celle qu’il préconisait. Dans ces stages qui prirent le nom de « stage Maurice Baquet », l’éducation et l’enseignement en direction de la petite enfance promouvait l’innovation pédagogique en rapport avec les sciences humaines. Deleplace, quant à lui, pensait qu’il fallait aborder de façon scientifique les questions du développement corporel et du sport de façon autonome, donc à en faire des disciplines de recherche universitaire. Ses interventions critiques lors des stages annuels jusqu’en 1969 à Sète, ne furent pas prises en considération et, après une dernière tentative en janvier 1970, il quitta la FSGT pour se consacrer dans un autre cadre à la recherche fondamentale sur le sport. Par la suite, dans le milieu de la recherche et de l’enseignement de l’éducation physique et sportive, certains se réclamaient de ses idées et ces contradictions traversaient aussi ceux qui se réclamaient du marxisme et du communisme. Plus tard, il résumait ainsi sa démarche, construire « la science de la maîtrise vivante de sa motricité complexe par l’homme ».

Maurice Deleplace ne participa pas aux réflexions intersyndicales SNESup-SNEP qui débouchèrent sur la proposition de création de la filière universitaire des sciences et techniques des activités physiques et sportives. Il eut cependant à les soutenir devant le CNESER, considérant qu’il s’agissait d’obtenir en priorité l’intégration universitaire de l’EPS. Mais selon lui, cette « faille pourrait se payer dans le futur et que cette intégration resterait menacée de retour en arrière ou de dégénérescence » car cette création « tournait le dos à la science de la maîtrise corporelle vivante ».

Dans le SNEP, Deleplace participa à la définition de la tendance « unitaire » avec Jean Guimier et Robert Mérand. Pour le congrès national, en 1953, il figurait parmi les candidats aux élections de la commission administrative sur la « Liste d’union pour la défense du corps des professeurs d’éducation physique et la démocratisation du syndicat ». Par la suite, il fut régulièrement candidat. Partisane d’une nouvelle définition de la place des activités physiques dans la société et dans l’enseignement, la liste du courant « Unité et Action » remporta la majorité en 1969. Membre de la commission administrative, il ne fut pas renouvelé, à sa demande, en fin de mandat. Syndiqué après sa retraite, il était membre de la commission des retraités du SNEP.

René Deleplace avait adhéré au PCF en janvier 1954 à la cellule du lycée Janson de Sailly. Pendant la guerre d’Algérie, lors du procès de Claude Despretz qui fut son élève à Lens, il fut témoin de moralité. Il collaborait aux travaux du Centre d’études et de recherches marxistes. À la fin des années 1960, il faisait partie de la commission des sports auprès du comité central du PCF. Secrétaire de la cellule du lycée Lakanal, il créa celle de l’UEREPS et en demeura le secrétaire jusqu’en 1986. Retraité, il faisait partie en 2008 de la section communiste de Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine) où il habitait.

René Deleplace s’était marié religieusement en août 1948 à Fontenay-aux-Roses avec Geneviève Chérel, née à Paris dans une famille catholique. Ancienne élève de l’École normale d’institutrices de Paris (1940) et du lycée Victor Duruy, ancienne élève de l’ENSEP, athlète et volleyeuse, recordwoman universitaire en saut en hauteur (1947), sélectionnée en athlétisme pour les championnats d’Europe, professeur d’éducation physique, elle enseigna au lycée Marie Curie à Sceaux de 1955 à 1971, puis à l’UEREPS jusqu’à sa retraite en 1980. Membre du Mouvement de la paix depuis 1950, active comme son mari dans la lutte pour la paix en Algérie, elle adhéra au PCF en 1960. Leurs trois enfants furent seulement baptisés.

Il participait à diverses activités en liaison avec le sport et le rugby. Le 2 septembre 2007, invité d’honneur du conseil général du Pas-de-Calais lors du match d’ouverture de la Coupe du Monde de rugby à Lens, la presse le présentait comme « l’initiateur du rugby moderne ».

René Deleplace jouait du cor d’harmonie depuis sa jeunesse. Souvent primé, titulaire d’une licence de concert de l’École normale de musique de Paris (1977), il fut souvent convié par les professeurs du conservatoire municipal de Châtenay-Malabry pour jouer dans des concerts de musique de chambre. Il participait, pour sa spécialité, aux réflexions théoriques sur l’habileté et la résistance à la fatigue de la pratique musicale, publiant un ouvrage de référence avec Jacques Adnet, soliste de l’Opéra de Paris.

Deleplace avait donné son corps à la science.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article22020, notice DELEPLACE René, Édouard, Maurice par Jacques Girault, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 2 mai 2022.

Par Jacques Girault

Deleplace, porte-drapeau de la délégation de l'ENSEP au premier Festival mondial de la jeunesse à Prague (1947).
Deleplace, porte-drapeau de la délégation de l’ENSEP au premier Festival mondial de la jeunesse à Prague (1947).
Deleplace avec l'équipe junior du PUC, finaliste de la coupe Frantz Reichel (1973).
Deleplace avec l’équipe junior du PUC, finaliste de la coupe Frantz Reichel (1973).

ŒUVRE : Le rugby : analyse technique et pédagogie, A. Colin, 1966, 392 p. — Rugby de mouvement, rugby total, EPS, 1979, 120 p. (réédition en 1996). — Avec Jacques Adnet, La technique du cor. Considérations générales sur les techniques de la pédagogie des cuivres : fonctionnement de la colonne d’air et de l’embouche, Issy-les-Moulineaux, EAP, Psychologie et pédagogie de la musique, 1994, 176 p.

SOURCES : Presse syndicale et nationale. — Témoignages sur la guerre d’Algérie in Gérard Couturier, dir, À l’épreuve de la Guerre d’Algérie Des profs d’EPS témoignent, Paris, Institut de recherches de la FSU-Centre EPS et société, Syllepse, 2005, sur ses activités dans la presse du Pas-de-Calais en 2007. — Paul Goirand, Jacques Journet, Jacqueline Marsenach, René Moustard, Maurice Portes, Les stages Maurice Baquet 1965-1975. Genèse du sport de l’enfant, Paris, L’Harmattan, 2004, 266 p. — Notes de M. Attali. — Sources orales. — Documentation et témoignage de l’intéressé (décembre 2007-janvier 2008) qui précisent le témoignage sur son itinéraire sous le titre « L’expérimentation en sport et en éducation physique », in 1945-1995. L’EPS face au sport. 15 acteurs témoignent, coordonné par G. Couturier, Paris, EPS et société, 1999, p. 138-154.

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