LE MEUR Jean

Par Frédéric Stévenot

Né en 1932 ; professeur agrégé ; réfractaire opposé à la guerre d’Algérie.

Fils de paysans bretons catholiques, élève au lycée Louis-le-Grand, Jean Le Meur fut reçu à l’agrégation, ce qui mit un terme à son sursis. Il avait un frère qui, devenu curé, fut affecté comme lui en Algérie, mais comme aumônier.

Élève officier de réserve à l’école de Cherchell (Alg.), peloton 803, il fut de la promotion formée du 6 janvier au 16 juin 1958. Il termina sa formation au 122e rang (sur 400). Jean Le Meur fut alors affecté au 1/94e régiment d’infanterie, à Tabergda, dans les Némentchas, à 1 200 m d’altitude (secteur postal 86 966).
Témoin d’exactions et de tortures, il expédia une lettre au ministre de la Défense le 6 juillet 1958, pour dénoncer les faits et poser sa démission. Le colonel Marey, commandant l’école de Cherchell, lui infligea quinze jours d’arrêts, qui s’ajoutèrent à ceux que lui avaient déjà donnés le colonel commandant son unité.
En août, le ministre de la Défense repoussa la démission de Jean Le Meur. On lui signifia la peine encourue en cas de désobéissance (art. 205 du code militaire). IL s’interrogea alors sur la conduite à tenir, dans une lettre envoyée à son ancien comparse Michel Bibard, sans cacher qu’il n’était « pas disposé à céder […] car ce qui est en question ce n’est pas l’accessoire, les modalités, mais l’essentiel. Il s’agit de faire la guerre d’Algérie ou de ne pas la faire. Même planqué dans un bureau je participe à cette politique de répression, à cette guerre coloniale, dont les méthodes sont ce que disent les défaitistes qui n’arrivent pas à exagérer. Si je fais la guerre je dois être un combattant sur qui l’on peut compter, alimenter les salles de torture etc… Maintenir les Algériens dans les griffes de Massu, Sérigny, Lagaillarde. Je ne veux pas faire ce boulot. Il n’y a pas plusieurs manières de l’éviter. Ce faisant bien sûr j’échappe à un certain nombre de nobles devoirs qui peuvent survivre à l’intérieur du système : la solidarité avec les soldats, le respect de l’ennemi. Mais il fallait accepter le système. Et puis dans le domaine de la grâce, rien n’est inutile ». Jean le Meur est alors cantonné à Kheirane, dans le sud des Aurès, avec la première compagnie du 94e régiment d’infanterie.
Dans une autre lettre adressée à Michel Bibard, le 15 octobre 1958, il lui appris qu’il purgeait sa peine à Khenchela (un total de quarante jours d’arrêts de forteresse), dans une caserne de gendarmes mobiles. Le 20 septembre, Jean le Meur fut inculpé pour refus d’obéissance et participation à une entreprise de démoralisation de l’armée. Pendant une opération, il avait en effet manifesté son désaccord auprès d’un commandant d’une unité de tirailleurs algériens, qui avait donné l’ordre par radio de pas faire de prisonniers. Il fut de retour à Tebergda, au PC du 94e régiment d’infanterie, aux alentours du 10 octobre. Dans le même courrier, il continua à regretter d’être isolé du reste de la troupe, de passer pour un « faux-frère qui s’en va en Suisse courir l’aventure ou se planquer ». Il indiqua également qu’à Khenchela, « un soir pendant plus d’une heure [, il a] entendu les hurlements des prisonniers qu’on interrogeait ».
Le 31 octobre, il informa son correspondant qu’il était toujours « à Tabergda, dans une chambre du sous-sol, dont le soupirail haut perché d’un demi-mètre [lui] laisse voir aujourd’hui une tranche de ciel bleu ». Il se confortait dans son action : « on ne refuse pas d’obéir sans encourir des risques : sinon le fondement même de la discipline est ruiné ». Il ne semblait pas douter de l’issue : « je suis passible de détention pour une durée que j’ignore, et qui ne peut être inférieure à deux ans ». Mai sil compte aussi sur un soutien extérieur : « je pense, avant le piston, que je n’écarte pas, faire appel aux organisations qui défendent la même cause, et à la presse, si on me fait un déni de justice. Cette histoire a une signification politique que je veux préserver ».
Le 12 décembre, il appris à Michel Bibard que le chef d’accusation de participation à une entreprise de démoralisation de l’armée avait été abandonné. Jean le Meur a demandé à Esprit de lui trouver un avocat.
Quelques jours après, il est transféré à Biskra pour y subir soixante jours d’arrêts de forteresse, toujours avec les « hurlements des suppliciés ».
Une lettre du 29 janvier 1959 part de Constantine. Michel Bibard apprit alors que Jean Le Meur est enfermé à la prison militaire de cette ville. Le 14 mars, il l’informa que l’instruction de son procès est presque achevée, et que le procès aurait lieu dans les deux mois.
C’est le 25 juin 1959 qu’il fut condamné à deux ans d’emprisonnement, sans que son grade lui soit enlevé ; il fut tout de même révoqué. Un pourvoi en cassation fut alors signé, ce qui permettait à Jean Le Meur de rester en préventive, et donc de bénéficier d’une certaine liberté dans sa correspondance. La fin de son incarcération est alors prévue pour le 10 octobre 1960.Son pourvoi rejeté, Michel Bibard obtint tout de même l’autorisation de le visiter le 20 février 1960.
Entre temps, la revue Esprit publia un long article de Jean Le Meur en décembre 1959 : « Histoire d’un acte responsable : le cas Jean Le Meur ». On y avait également fait paraître ses lettres.
Le « cas Jean Le Meur » fut également évoqué par Françoise Giroud dans L’Observateur, et par Morvan Lebesque dans Le Canard enchaîné.
En décembre 1960, il est en permission à Rennes, prolongée par un séjour à l’hôpital militaire Ambroise-Paré, en raison d’une jaunisse. Le 1er septembre 1961, il était au 9e régiment du génie à Angers, quand il quitta enfin l’armée. Jean Le Meur, comme d’autres, ne fut pas réhabilité.
Jean le Meur vivait encore en 2013.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article220235, notice LE MEUR Jean par Frédéric Stévenot, version mise en ligne le 8 novembre 2019, dernière modification le 23 novembre 2021.

Par Frédéric Stévenot

SOURCES. Tramor Quemeneur, « Refuser l’autorité ? Étude des désobéissances de soldats français pendant la guerre d’Algérie (1954-1962) », Outre-mers, tome 98, n° 370-371, 1er semestre 2011, p. 57-66 ; Tramor Quémeneur, « Ils ont dit "non" à la guerre sans nom ». Les désobéissances de soldats français pendant la guerre d’Algérie (1954-1962), Histoire coloniale et post-coloniale, 2008. Jean Le Meur, « Histoire d’un acte responsable : le cas Jean Le Meur », Esprit, déc. 1959, p. 675 et suiv. — Site Internet : Site de Michel Bibard.

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