Montchal (Loire), 19 mars 1944

Par Henry Destour

Montchal est une commune rurale des Monts du Lyonnais située dans le département de la Loire, à six kilomètres de Panissières (Loire). A une vingtaine de kilomètres à l’est, on rejoint Feurs (Loire) et la plaine du Forez où passent la Nationale 82 et la voie ferrée de Saint-Etienne (Loire) à Roanne (Loire) ; à la même distance au nord-ouest, à Tarare (Rhône), passent la Nationale 7 et des lignes ferroviaires reliant Lyon à Roanne, à la Saône-et-Loire et à une partie de l’Allier et du Puy-de-Dôme. En 1939, six à sept cents habitants y vivaient au bourg, dans des petits hameaux et des fermes isolées.

En mars 1943, un premier groupe de Francs-Tireurs et Partisans Français (FTPF) se rassembla dans la vallée de l’Azergues et prit le nom de maquis Vendémiaire. En septembre 1943, la direction des FTPF du Rhône chargea Roger Chavanet (alias Guérin) de former un second groupe pour renforcer l’action de Vendémiaire et constituer ainsi la 1ère compagnie des FTPF de la Vallée de l’Azergues. En octobre, le camp Desthieux, du nom d’un résistant communiste, DESTHIEUX André, Raphaël fusillé le 27mai 1942 à Dijon , vit le jour et s’installa au lieu-dit Le Guéry sur la commune de Chamelet (Rhône). Le groupe manquait d’équipement et orienta son action vers la récupération de matériel, d’armes, de munitions, et vers le sabotage ferroviaire. Après quelques coups de mains, il fut repéré et dût quitter Le Guéry. Les rigueurs de l’hiver 1943 paralysèrent la circulation et offrirent un répit aux maquisards contraints de se déplacer fréquemment. À la fonte des neiges, leur situation redevint précaire et le 10 mars 1944, Roger Chavanet décida de quitter le Rhône et de gagner la Loire. Le camp Desthieux - qui avait entretemps récupéré l’armement de Vendémiaire pourchassé par les Allemands et obligé de se disperser - s’établit au lieu-dit Le Magat, sur la commune de Montchal.

La localisation était stratégiquement intéressante et une trentaine d’hommes purent occuper trois fermes désaffectées sans opposition, voire avec l’aval des propriétaires. Ils se répartirent en trois groupes d’inégale importance :
- Le poste de commandement et un premier groupe de quatorze personnes sous les ordres de Pierre Clémenti occupèrent le ferme Chambost.
- À une centaine de mètres, la ferme Dupin hébergea les sept hommes du deuxième groupe commandé par Georges Hoerdt (alias Templar) .
- À six cents mètres au sud, un troisième groupe de neuf partisans avec à leur tête René Carrier s’installa dans une ferme appelée la Kabylie appartenant à Monsieur Berchoud.

L’accueil de la population locale fut plutôt favorable : le curé de Montchal, Francisque Poyet visitait régulièrement ces nouveaux paroissiens en portant la communion aux croyants et les tenait informés des nouvelles du canton. Les relations avec la brigade de gendarmerie de Panissières étaient plus mitigées ; Le chef de brigade Girardin et son adjoint Bonnet étaient des pétainistes convaincus mais d’autres militaires ne partageaient pas leurs convictions. Après d’âpres discussions, Chavanet et Girardin convinrent que le mot de passe « France d’abord » serait utilisé par les gendarmes pour s’identifier en cas de rencontre fortuite. Si la cohabitation s’installa, ce dernier n’en prévint pas moins son échelon hiérarchique d’arrondissement à Montbrison (Loire) et rapidement une rumeur d’intervention des forces de l’ordre circula dans Panissières.

Le 18 mars 1944 Chavanet, avant de se rendre à Lyon avec deux hommes pour une réunion de liaison, décida avec ses chefs de groupe de quitter Le Magat dans la nuit. Le même jour, un gendarme prévint le curé Poyet qu’une attaque contre le camp était prévue dans quatre jours ; celui-ci transmit aussitôt l’information au maquis. Dans la nuit du 18 au 19 mars, la météo fut exécrable ; des trombes d’eau s’abattirent sur le secteur inondant les chemins et les rendant impraticables. Les chefs de groupe décidèrent alors de surseoir à l’évacuation jusqu’à la nuit suivante.

Au matin du 19 mars, 27 partisans étaient dans les fermes, trois étaient en mission loin du camp et trois autres en patrouille vers le lieu-dit La Croix-de-Signy. Ces derniers rencontrèrent trois gendarmes et les désarmèrent ; après explications et mot de passe « France d’abord » ils leur rendirent leurs armes et poursuivirent leur chemin. Au retour, un groupe de gendarmes voulut les appréhender et ils tentèrent de fuir. Roger Lacour y parvint et put rejoindre la ferme de la Kabylie où il allait trouver la mort un peu plus tard ; Michel Guillermin, blessé fut fait prisonnier ainsi que Maurice Mérigneux qui dut être hospitalisé et amputé d’une jambe.

A six heures quinze, un escadron des Groupes mobile de réserve (GMR) de soixante-quinze hommes conduit par le chef Berchet, commandant de la gendarmerie départementale, commença la fouille des maisons, d’abord sans résultat tandis qu’un peloton de gendarmes, prélevé sur les brigades voisines, sous les ordres du capitaine Arthaud, prenait position sur les éventuelles voies de repli. Au bout d’une heure, ils atteignirent la ferme Dupin où une sentinelle armée résista et donna l’alarme. Les GMR ripostèrent, un feu nourri s’engagea mais le groupe 2 défendu par une mitrailleuse Hotchkiss, repoussa l’attaque et fit deux morts chez les assaillants. Un peu plus loin, avant d’être encerclé, le groupe 1 réussit à décrocher au prix de lourdes pertes : Jean Grossiord, Louis Bertrand et Frantz, un combattant étranger, furent tués pendant la sortie ou au cours de la poursuite qui s’engagea. Au même moment, la Kabylie était sur le pied de guerre. Sagar Bedikian, posté en sentinelle et sur le point d’être découvert, ouvrit le feu ; il fut vite abattu mais René Carrier mit à profit le flottement qui s’ensuivit pour faire décrocher le groupe 3. Dans la poursuite, Roger Lacour, déjà blessé à la Croix-de-Signy, perdit la vie.

Vers huit heures, l’assaut se concentra sur la ferme Dupin où le groupe 2 résistait sans faiblir. Berchet demanda l’envoi de deux escadrons supplémentaires de GMR et d’un mortier. Plus tard, il entreprit d’installer une base de feu avec des armes automatiques et un lance-grenades. Les préparatifs prenant de l’ampleur, Georges Hoerdt, encerclé de tous côtés et craignant l’utilisation d’artillerie, décida de tenter une sortie. Vers 10 heures 30, les gardes se replièrent pour dégager le champ de tir peu avant que la base soit opérationnelle. Pendant ce laps de temps, après avoir rendu la mitrailleuse inutilisable, les 7 hommes jaillirent de la maison en faisant feu de toutes parts. La surprise fut totale, le groupe le plus menacé s’en sortait indemne et pouvait rejoindre un point de ralliement près de l’Azergues.

Une poursuite commença aussitôt. Vers 14 heures, le préfet de la Loire, André Boutemy, vint en personne prendre la direction des opérations et les renforts arrivèrent entre 14 et 23 heures. Un ratissage systématique permit la capture de quatre résistants : MATEO José, GUILLERMAIN Michel, Marc, Marius, VOLAY Joseph, Germain et MULARD Guy furent livrés aux autorités allemandes pour interrogatoire avant d’être emprisonnés puis fusillés au fort de la Duchère, Lyon IXè arr. (Rhône). Une vingtaine de maquisards put néanmoins quitter la souricière. Le préfet regagna Saint-Etienne dans la soirée non sans avoir participé à l’interrogatoire des prisonniers et fait enjoindre au maire M. Montmain d’enterrer les morts anonymement, sans cercueil ni croix. Le 21 juin, malgré ces ordres, les obsèques rassemblèrent des habitants du village et le maire fit procéder à l’inhumation des cercueils dans une tombe avec le nom des morts que le curé Poyet bénit. Seul Frantz repose encore au cimetière, les autres victimes ayant été ultérieurement transférées dans des sépultures familiales.

Le massacre de Montchal fut exclusivement le fait des forces de l’ordre de l’État français, sous la conduite du préfet Boutemy, sans concours de la Milice ou des allemands. Le 26 mai 1944, le capitaine de gendarmerie Arthaud fut tué par balles à 10 heures 30, à Panissières. Le 28 mai 1944, le chef de brigade Girardin fut abattu à Montbrison. En 1945 et 1946, deux enquêtes à l’initiative du service du Mémorial de l’Oppression de Lyon ne permirent pas d’établir la participation effective de Girardin et de Bonnet au combat. Jusque dans le milieu des années 1950, les évènements furent l’objet de controverses, ils illustraient la revendication communiste du « parti des 75000 fusillés » à laquelle leurs adversaires opposaient la stigmatisation d’un aventurisme désastreux.

Le 11 juin 1944, André Boutemy fut nommé préfet régional à Lyon. Condamné et emprisonné pour collaboration en 1945, il fut révoqué. En 1946, il devint conseiller politique du Centre national du patronat français où, à la tête du Centre d’études économiques et politiques, il fut le principal bailleur des fonds patronaux auprès de tous les courants politiques de la 4e République susceptibles de s’opposer aux communistes et aux gaullistes. Amnistié puis réintégré en 1952, il devint ministre en janvier 1953 dans le gouvernement Mayer. Il dut démissionner un mois plus tard après une campagne de Louis Aragon, de la presse communiste et d’anciens résistants à propos du massacre de Montchal et de son passé dans l’administration de Vichy. Élu membre du Conseil de la République en 1952 en Seine-et-Marne, il fut réélu au Sénat en 1958 jusqu’à son décès le 14 juillet 1959.

Quant à Georges Hoerdt, dans l’hiver 1944-1945, à la tête d’un bataillon de volontaires alsaciens, il fut grièvement blessé près d’Haguenau, sa ville natale et amputé des deux jambes ; il avait 23 ans. Chevalier de la Légion d’honneur, il fut fait officier le 18 mars 1951 par le général René Petit, à Montchal lors de la cérémonie commémorative du combat . Il reçut ensuite la distinction de commandeur en 1957.

Résistants tués le 19 mars 1944 : BÉDIKIAN Sagar alias Oscar, BERTRAND Jean [dit Louis], LACOUR Claudius, Roger, Louis, GROSSIORD Jean, Aliz, FRANTZ.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article220450, notice Montchal (Loire), 19 mars 1944 par Henry Destour, version mise en ligne le 14 novembre 2019, dernière modification le 18 novembre 2019.

Par Henry Destour

SOURCES : Arch. Dép. Loire : archives du colonel René Gentgen, 11 J 500/2. --- Arch. Dép. Rhône : Mémorial de l’Oppression, 3808 W 739. — Chavanet Roger dit Guérin, Histoire vécue des maquis de l’Azergues, Imprimerie Vaudrey, Lyon, 1982, 256 pages. — Association nationale des amis des FTPF (section du Rhône), Les maquis de la vallée d’Azergues, Imprimerie Marquès, Villeurbanne, non daté, 88 pages (avec photos). — Yvonne Cavassilas, membre du conseil national du Front national, Les combats du Magat, une page de gloire au Livre d’or des FTPF, 1945, édité par l’Association nationale des amis des FTPF, non daté, vraisemblablement 1945. – Site Mémoire des Hommes. — Site de l’Amicale des anciens des maquis de la Vallée de d’Azergues, maquis.azergues.com. — Site du Sénat : biographie d’André Boutemy. — Jean Garrigues, André Boutemy, une éminence grise de la 4e République, Presses Universitaires de Rennes. — books.openedition.org. – Base Léonora, www2.culture.gouv.fr -

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