KIEFFER René, dit « l’Alsacien »

Par André Balent

Né en 1919 ou 1920, mort le 2 mars 1944 à Nîmes (Gard), pendu publiquement par des SS de la division blindée Hohenstaufen ; bûcheron à Saint-Hippolyte-du-Fort (Gard) ; recruteur pour les maquis de réfractaires au Service du travail obligatoire (STO).

Alsacien — certains, dans la presse locale ou sur Internet (en particulier le site du Musée de la Résistance en ligne en 2019), ont dit qu’il était Belge — René Kieffer âgé de vingt-quatre ans en 1944, s’était établi à Saint-Hippolyte-du-Fort où il travailla un temps chez un négociant en vins, Gaubiac. Réfractaire au Service du travail obligatoire (?), René Kieffer s’était fait embaucher dans les Cévennes, toujours à Saint-Hippolyte, par Grousset, exploitant forestier. Bûcheron, il avait des contacts avec d’autres professionnels forestiers des Cévennes dans l’Hérault (Ganges et son canton) et, surtout dans le Gard (cantons de Lassalle, Le Vigan, Saint-Hippolyte-du-Fort et Sumène). Il mit à profit ses contacts professionnels afin de recruter pour les maquis cévenols des réfractaires au STO. Les bûcherons de la famille Ordines (Voir Ordines Miguel et Ordines Jean) établis dans le hameau de Driolle (commune de Saint-Roman-de-Codières, Gard) faisaient partie de ses réseaux de contacts. Il conduisit ainsi Jean-Louis Baudouin chez les Ordines, à Driolle.
René Kieffer fut dénoncé aux Allemands qui connaissaient ainsi ses liens avec Driolle où ils purent arrêter divers réfractaires dont Jean Ordines lui-même. (Mais dans d’autres fermes ou hameaux, des réfractaires prévenus à temps purent s’enfuir et se cacher dans les bois). Les Allemands l’arrêtèrent à son domicile de Saint-Hippolyte, alors que, le 28 février 1944, ils occupaient cette localité. Kieffer fut adjoint aux prisonniers, résistants ou otages civils que les Allemands avaient capturés à Driolle, Saint-Hippolyte-du-Fort et Lasalle (Gard).
Ces otages furent amenés à Nîmes. Les femmes, dont Isabelle Ordines, femme de Miguel furent incarcérées à la prison de la ville puis à Marseille (Bouches-du-Rhône) d’où elles furent extraites sans explications trois mois plus tard. Les hommes capturés à Driolle, sauf Broussous déjà pendu à Saint-Hippolyte-du-Fort, furent regroupés avec les otages capturés à Ardaillers (commune de Valleraugue, Gard) (Voir par exemple Louis Carle) et à Lasalle. Plus tard, ils furent rejoints par les deux maquisards de Bir Hakeim blessés dans un affrontement avec les Allemands à Saint-Hippolyte-du-Fort et capturés à l’hôpital de Nîmes. Le 2 mars 1944, certains otages furent séparés des quinze hommes destinés à la pendaison alors que tous avaient été regroupés à l’école de la Croix de Fer, rue Bonfa, réquisitionnée par les Allemands. Le même jour, ils furent pendus à Nîmes, en trois lieux différents de la ville. Un témoin, le pâtissier Faucher, dont la maison faisait face à la cour de l’école put observer la scène. Le lieutenant SS Ernst Güttmann, Feldgendarme, chef du détachement cantonné à l’école de la Croix-de-Fer — et qui avait participé, les jours précédents, à l’expédition dans les Cévennes —, assista au départ des hommes destinés à la pendaison et dirigea, le lendemain, le peloton d’exécution de SS qui massacra quinze villageois du hameau des Crottes (Ardèche). Les quinze hommes furent pendus dans trois endroits différents de Nîmes, aux principales sorties de la ville (routes d’Uzès, 3 ; de Montpellier : avenue Jean-Jaurès à son intersection avec la route de Montpellier, 6 ; de Beaucaire, 6). Les pendus furent hissés sur le toit des camions. Les cordes étaient attachées à des arbres (avenue Jean-Jaurès, alors avenue de la Camargue) ou sous un pont de chemin de fer, les camions reculaient afin de provoquer la mort des suppliciés qui portaient tous une pancarte avec l’inscription : « Ainsi sont traités les terroristes français ».
Les actes de l’état civil de Nîmes n’indiquent pas les lieux exacts des décès. Ils se contentent de signaler simplement l’heure approximative (« vers dix-huit heures »). Les corps auraient dû être exposés pendant 24 heures. Toutefois, l’indignation de la grande majorité de la population nîmoise, incita les forces d’occupation à écourter la durée de l’exposition. Le général Wilhelm Bittrich, commandant de la division Hohenstaufen aurait peu apprécié le principe d’exécutions publiques de « terroristes » par pendaisons. Il fit détacher les cadavres des pendus et les fit enterrer peu après en un lieu inconnu. Le préfet du Gard, le très pro-allemand Chiappe, conscient de l’émoi des Nîmois, fit aussi pression afin de détacher les pendus au plus tôt. Un agriculteur de Jonquières-Saint-Vincent (Gard), dans la vallée du Rhône, Joseph Quiot, surprit des soldats allemands en train d’enterrer des cadavres dans un champ de luzerne. Deux jours plus tard, le propriétaire du champ, Louis Dany vérifia la présence de cadavres. Il prévint la préfecture du Gard. Les cadavres furent exhumés après la Libération.
Quatorze cadavres purent être identifiés. Le quinzième, celui de René Kieffer, ne put l’être et le resta pendant dix ans. Ceux qui auraient pu le faire étaient absents, sa famille alsacienne ainsi que ses deux employeurs successifs de Saint-Hippolyte-du-Fort, MM. Gaubiac et Grousset. L’acte n°1595 de l’état civil de Nîmes, parmi ceux des décès des pendus du 2 mars 1944, est celui d’un « inconnu ». Il fut inscrit sur le registre de l’état civil de Nîmes le 16 septembre 1944, sur déclaration de Jean Flandin, secrétaire de police à Nîmes.
Il n’y a pas de dossier établi à son nom au Service historique de la défense à Vincennes. Le nom de René Kieffer figure sur une des plaques apposées sur le viaduc ferroviaire (voie ferrée aujourd’hui désaffectée) où fut pendu Fernand Broussous. Elles commémorent les morts de Saint-Hippolyte-du-Fort tués par les soldats de la division Hohenstaufen dans cette ville le 28 février 1944.
René Kieffer fut le seul des « pendus de Nîmes » à n’être pas inhumé dans le carré du cimetière Pont-de-Justice de Nîmes. Son corps fut transporté à Saumane (Gard) à La Carrière, où les anciens du maquis (AS) d’Aire-de-Côte (Voir Rascalon René) avaient projeté d’établir le cimetière des combattants de leur maquis. De fait, en plus de de la dépouille de Kieffer, on n’enterra à La Carrière de Saumane que celle de Marcel Bonnafoux (1910-1944), un des chefs du maquis (AS) d’Aigoual-Cévennes, successeur du maquis d’Aire-de-Côte) tué au combat du Vigan (Gard) le 16 août 1944. Georges Salan, chef départemental (Gard) des Mouvements unis de la Résistance (MUR) redonna en 1954 une identité au quinzième des pendus de Nîmes. Initialement, une plaque avait été apposée sur sa tombe à Saumane : « Inconnu pendu à Nîmes le 7 [sic] mars 1944. Tu représentes les peuples luttant en silence pour leur liberté ». Le nom de René Kieffer, dit « l’Alsacien », fut adjoint ultérieurement après l’enquête de Georges Salan. Le 17 septembre 2016, la plaque de la tombe de René Kieffer de Saumane fut victime d’un acte de vandalisme. La plainte déposée par le maire de la commune et l’amicale des anciens du maquis Aigoual-Cévennes et l’enquête menée par la gendarmerie permit d’identifier les deux auteurs, des mineurs.

Voir : Nîmes (Gard), Pendaisons publiques, 2 mars 1944

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article220569, notice KIEFFER René, dit « l'Alsacien » par André Balent, version mise en ligne le 21 novembre 2019, dernière modification le 4 janvier 2020.

Par André Balent

SOURCES : Arch. com. Nîmes, état civil, acte de décès de « Inconnu » [René Kieffer]. — Gérard Bouladou, Les maquis du Massif Central méridional 1943-1944. Ardèche, Aude, Aveyron, Gard, Hérault, Lozère, Tarn, Nîmes, Lacour Rediviva, 2006, 617 p. [En particulier, pp. 149-150]. — Claude Émerique, « Les pendus de Nîmes », in La Résistance dans le Gard, Paris, AERI, CDROM et livret d’accompagnement, 36 p. Paris, 2009. — (Georges Salan),, Les pendus de Nîmes,Nîmes, Mouvement de Libération nationale Fédération Gard-Lozère, 1954, 48 p. — Aimé Vielzeuf, Bloc-notes 44 (Dans le Gard, en attendant la liberté), Nîmes, Lacour, 1994, 150 + XXXII p. [voir plus particulièrement les pp. 27-29 et 31-33]. — Aimé Vielzeuf, En Cévennes et Languedoc. Au temps des longues nuits, Nîmes, Lacour, 2002, 276 p., Voir le chapitre III, « De l’affaire de Saint-Hippolyte-du-Fort aux pendaisons de Nîmes (28 février-2 mars 1944) », pp. 104-195, plus particulièrement les pp. 118-119, 186-187. — Midi Libre, 19 septembre 2016. Chronique locale de Saumane. — Site MemorialGenWeb consulté le 19 novembre 2019. — Site MemorialGenWeb consulté le 19 novembre 2019. — Site Mémoire des hommes, consulté le 18 novembre 2019— Site du Musée de la Résistance en ligne consulté le 20 novembre 2019.

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