DISPY Raymond. Pseudonyme : Raymond LAMBERT. [Belgique]

Par José Gotovitch

Bruxelles (pr. Brabant, arr. Bruxelles ; aujourd’hui Région de Bruxelles-Capitale), 31 décembre 1903 − Saint-Antonin-du-Var (département du Var, France), 19 décembre 1980. Employé, militant communiste, militant syndical, élève à l’École léniniste internationale, représentant du Parti communiste de Belgique en Espagne, dirigeant clandestin, membre du Bureau politique du parti, conseiller communal de Bruxelles, ministre sans portefeuille en 1944, député de 1946 à 1950.

Né dans une famille de quatre enfants dans le quartier populaire de Notre-Dame au Rouge à Bruxelles, d’un père tailleur, « apiéceur pour dames », chez Old England, libéral et libre-penseur, et d’une mère, Marie-Thérèse Kayens, catholique flamande, ménagère, Raymond Dispy grandit dans les Marolles, un autre quartier populaire de la capitale. Il fait ses études primaires à l’École n° 6, située au boulevard du Midi. Élève brillant, il entame l’École normale. Il a fait sa communion mais perd la foi sous l’influence de son professeur d’histoire. Mais après la troisième année, il doit abandonner pour des raisons financières. Il devient employé et se forme à la comptabilité. Son service militaire accompli en 1923, Dispy occupe divers emplois dont il est fréquemment renvoyé pour activité syndicale et participation à des grèves.

En 1927, Raymond Dispy adhère à la Jeunesse communiste (JC). Il lit énormément et garde un souvenir particulier de Nikolaï Boukharine (1888-1938). Il devient administrateur de La Jeunesse ouvrière et communiste, journal de la JC, alors riche de 143 abonnés pour tout le pays ! Mais le 1er janvier 1929, il fait partie du contingent de jeunes communistes que le parti, asséché par la scission trotskyste, intègre dans ses rangs. Secrétaire de rayon, secrétaire d’organisation fédéral, il se distingue comme orateur populaire, dans les rues, devant les entreprises, au Vieux Marché. Il est alors comptable dans une fabrique de meubles à la rue Haute et milite également au syndicat.

En mai 1930, alors qu’il connait une nouvelle période de chômage, Raymond Dispy est envoyé à Moscou où il suit une courte session de formation syndicale à l’École léniniste internationale (ELI), sous le pseudonyme de Raymond Lambert. Au cours du séjour qui comporte une partie « emploi d’explosifs », il assure des traductions au Ve Congrès de l’Internationale syndicale rouge (Profintern) en août 1930, puis travaille encore deux autres mois comme « pratiquant » (« référent ») au Profintern.

Rentré à Bruxelles, Raymond Dispy devient membre du Comité fédéral bruxellois, secrétaire d’organisation. Il y suit particulièrement les questions syndicales au sein de l’Opposition syndicale révolutionnaire. Lors de la Conférence nationale de 1935, il se rallie fermement à la nouvelle direction. Le congrès de 1936 l’intègre au cadre permanent comme secrétaire fédéral de Bruxelles et le désigne comme candidat au Comité central. Il fait adopter la modification du terme « rayon » en « section », plus conforme à la tradition belge. L’avis porté à son sujet par la Commission des cadres de l’Internationale communiste (IC) est balancé. Loué pour sa formation politique, son énergie et sa fermeté, en particulier pour sa lutte contre les trotskystes au sein du mouvement syndical, Dispy est cependant critiqué pour son autoritarisme et sa tendance au formalisme, voire son attitude méprisante envers d’autres membres, moins bien formés, du Comité central. Y est relevée également sa tendance bureaucratique : il préfère des longues circulaires à une direction vivante.
En 1936, il porte la contradiction à Léon Degrelle, fondateur et dirigeant du parti d’extrême-droite francophone, Rex, au Palais des Sports de Bruxelles. La police doit assurer sa sortie au milieu des rexistes déchaînés.

En qualité de secrétaire politique fédéral, Raymond Dispy supervise le recrutement des volontaires pour l’Espagne. Il subit des critiques pour son absence de discernement dans les choix opérés. Il cautionne en effet des candidats dont les qualifications pour un conflit réel et meurtrier sont douteuses et dont l’indiscipline ternira quelque peu la réputation des Belges. En mai 1937, le Parti l’envoie comme représentant auprès des Brigades internationales. Mais désormais intégrées à l’armée espagnole, les Brigades ne connaissent plus de « délégués de parti ». Dispy est dès lors attaché à l’inspecteur général des Brigades, Luigi Longo. Il refuse cependant d’être nommé officier, d’en recevoir la solde et d’en porter l’uniforme. Pour être considéré comme égal dans les réunions d’État-major, il acceptera le baudrier et le revolver.
Le parti lui confie la mission de créer un bataillon belge au sein de la 14e Brigade. Ce sera le Bataillon Pierre Brachet qu’il constitue, de son propre aveu, en vidant la prison d’Albacete des nombreux compatriotes y « séjournant », principalement pour ivresse. Pressenti pour en prendre la tête, Raoul Baligand, déjà vétéran des Brigades, refuse de quitter ses camarades de combat. Dispy joue par ailleurs un rôle décisif dans l’exclusion de Henri De Boeck du Parti. André Marty, grand patron initial des Brigades, paraît l’avoir englobé dans son hostilité générale au contingent belge.

Raymond Dispy est rappelé à Bruxelles en janvier 1938. Il reprend sa place à la direction fédérale. La même année, il est à la seconde place sur la liste communiste lors des élections communales. Il est élu au Conseil communal de Bruxelles en novembre 1938. Pendant la « drôle de guerre », le PC étant inquiété par le Parquet, il est affecté à la direction clandestine de la Fédération liégeoise. Revenu à Bruxelles le 10 mai, il est mobilisé le 15 mai, et envoyé avec d’autres, en taxi Vert, à Carcassonne (département de l’Aude, France) ! Après la cessation des hostilités, il rentre de France le 15 août 1940.

Raymond Dispy reprend place dans le triangle fédéral bruxellois et siège au Conseil communal jusqu’à sa suppression au début de 1941. Clandestin après le 22 juin 1941, il exerce diverses responsabilités fédérales dans le pays : à Huy (pr. Liège, arr. Huy) de novembre 1941 à la mi 1942, au Borinage (pr. Hainaut) ensuite jusqu’en août 1943. Sa compagne, Régine Vitrier, de son vrai nom Rywka Zaidenfeld, militante active, est arrêtée le 19 février 1942 et disparait en déportation.
Après les rafles de juillet 1943 qui déciment la direction communiste et celle des Partisans armés, Raymond Dispy est appelé comme secrétaire national d’organisation, le numéro 4 de la direction nationale, en liaison directe avec Andor Berei. Reconstruisant avec ce dernier, avec Edgar Lalmand, secrétaire national, et Henri Buch, responsable des cadres, toute la structure du Parti, il introduit une forme très rigoureuse mais très administrative du travail qui pèsera fortement sur les pratiques d’après-guerre.
En juillet 1944, à moins de deux mois de la libération de Bruxelles, Raymond Dispy succède en catastrophe au commandant national des Partisans armés, Henri Buch, arrêté le 5 juillet. Il se moule parfaitement dans le rôle, correspondant bien à sa nature. Mais lui, qui n’aura de fait exercé très symboliquement la fonction que pendant deux mois, revêt ce profil « militaire » pour toute la sortie de guerre. Cela lui vaut d’être désigné par le Parti comme ministre sans portefeuille dans le gouvernement d’union nationale, mis en place le 26 septembre 1944 et dirigé par le catholique Hubert Pierlot. Il incarne ainsi le double symbole de la résistance armée et du communiste. Il a quelque peine à trouver des vêtements adéquats pour se présenter au Parlement. Il exerce une activité purement formelle auprès du ministre du Ravitaillement, le socialiste Léon Delsinne*. Mais dès le 16 novembre 1944, les ministres communistes, y compris Fernand Demany, tête du Front de l’Indépendance, quittent le gouvernement pour protester contre le désarmement de la résistance. Dispy occupe une place centrale dans l’agitation qui entoure ce désarmement. Il porte notamment la coresponsabilité, avec Andor Berei, du détournement de la manifestation de protestation du 25 novembre vers la zone interdite du Parlement.

Raymond Dispy reprend sa place au secrétariat du parti, en charge de l’organisation. Le congrès de 1946 confirme son élection au Comité central ainsi qu’au Bureau politique. Député de l’arrondissement de Bruxelles en février 1946 – il est troisième sur la liste électorale –, réélu conseiller communal en octobre 1946, il épouse en avril 1947 une infirmière communiste, Rosine Delaite, née à Seraing en 1911. Cette dernière avait assuré diverses responsabilités dans le Parti et les Partisans armés sous l’occupation. Un enfant naît en 1948. Réélu au Comité central en 1949 et en 1951, réélu député en 1949, il est imposé en 1951 à la tête de la Fédération du Brabant, contre l’avis des dirigeants de celle-ci. Il est placé sous la tutelle directe de Edgar Lalmand. Mais les mauvais résultats électoraux de 1952 lui sont imputés. Il est devenu « un cas ». La Commission de contrôle instruit son dossier en janvier 1953. Il refuse de faire une autocritique sérieuse, parlant « d’un coup monté », et, surtout contre tous les usages, il met en cause le tout puissant secrétaire général. Le verdict tombe en mars 1953 : « pour son opposition à la ligne du parti, son manquement aux principes de collégialité et son indiscipline », il est écarté du Secrétariat fédéral, du Comité central et du cadre permanent. En clair, il perd et ses fonctions et son gagne-pain. Il se consacre dès lors à la présidence du Front de l’indépendance et à son mandat communal. Après l’avoir perdu en 1958, il le retrouve en 1964, et siège au conseil communal de Bruxelles, avec Louis Van Geyt, jusqu’en 1970.

C’est sur le terrain communal que Raymond Dispy a développé son action la plus efficace. De 1938 à 1969, il arpente les rues de « ses » Marolles, connu de tous, parlant la langue de chacun. Il mène ses batailles avec fougue. Il prend ainsi une part importante à la création de l’hôpital des enfants et est l’un des « généraux » de la « Bataille des Marolles » qui voit en 1969 les habitants du quartier s’opposer victorieusement à l’extension du Palais de justice. Cependant, l’évolution sociologique, intervenue à Bruxelles, rabote sa base électorale des quartiers populaires qu’il connait bien et qui le connaissent. Il cède la place. En 1967, il quitte le Comité central retrouvé en 1964. Il préside le Front de l’indépendance jusqu’en 1973 et se retire ensuite à Saint-Antonin-du-Var en France. Il reste membre de son Parti auquel il envoie régulièrement ses cotisations jusqu’à sa mort, et cela, malgré qu’il ait dû, pour arrondir la petite la pension que sa vie militante lui a octroyée, placer pendant un temps des encyclopédies...

Raymond Dispy incarne ainsi un parcours exemplaire et très représentatif du PCB, auquel ne manque aucune étape symbolique : la crise et le chômage, l’Union soviétique, l’Espagne, la résistance, l’introuvable après-guerre, avec les difficultés d’une « carrière » militante également : l’instituteur inaccompli, l’employé syndiqué et fréquemment chômeur pour activité sociale et politique, le « colonel » des Brigades internationales, le clandestin, le commandant des Partisans, le ministre, le secrétaire national puissant dans son petit empire, le député… Et puis la disgrâce et les encyclopédies que l’on s’efforce de placer de porte en porte, sans qu’ait jamais faibli l’engagement de toute une vie.

Sa stature résistante lui vaut de nombreuses distinctions honorifiques : Grand Officier de l’ordre de Léopold, officier de la Légion d’honneur, Croix de guerre avec Palme, ordre de la Guerre Patriotique de 1ère classe, Médaille de Lénine.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article220618, notice DISPY Raymond. Pseudonyme : Raymond LAMBERT. [Belgique] par José Gotovitch, version mise en ligne le 25 novembre 2019, dernière modification le 9 novembre 2023.

Par José Gotovitch

SOURCES : RGASPI, 495 10a 153 ; 495 74 67 ; 545 6 259 − Tsentralnoe chranilise sekretnych del, Moscou, Fonds 5, dossier personnel Dispy, 12-35, 46-62 − CArCoB, dossier personnel CCP – Le Marollien rénové, n° 69, 31 janvier 1981 − Interviews réalisées par José Gotovitch en 1964 et en 1980.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable