FAFCHAMPS Pierre, Albert, Joseph, Henri. [Belgique]

Par Marie-Thérèse Coenen

Grivegnée (aujourd’hui commune, pr. et arr. Liège), 1er mai 1957 – Diegem (commune de Machelen, pr. Brabant flamand, arr. Hal-Vilvorde), 29 décembre 2014. Employé puis permanent syndical à la Centrale nationale des employés, fils de Jules Fafchamps, petit-fils de Joseph Fafchamps, neveu de Joséphine Fafchamps.

Trois générations de militants : de gauche à droite, Jules, Joseph et Pierre Fafchamps, Bruxelles, 1977-1978.
Trois générations de militants : de gauche à droite, Jules, Joseph et Pierre Fafchamps, Bruxelles, 1977-1978.

Pierre Fafchamps est issu d’une famille originaire de Liège. Plusieurs de ses membres ont marqué l’histoire des organisations ouvrières chrétiennes tant au niveau local que national et international. Son grand-père paternel, Joseph Fafchamps* (1907-1993), sa grande-tante, Joséphine Fafchamps* (1905-1997), ont une longue carrière dans le mouvement ouvrier chrétien. Son père, Jules Fafchamps, né à Grivegnée, le 29 octobre 1932, a occupé différents mandats syndicaux à la Confédération des syndicats chrétiens (CSC). D’octobre 1958 à juillet 1961, il séjourne au Congo à Bukavu (Kivu) : il est chargé d’y lancer le syndicalisme chrétien ainsi qu’au Rwanda et Burundi. À son retour, la famille s’installe à Bruxelles où Jules devient permanent national à la CSC. Par la suite, il militera aux Équipes populaires, au Mouvement ouvrier chrétien (MOC) à Bruxelles, aux mutualités chrétiennes (UCP-Union chrétienne des pensionnés et Aide aux malades) et au mouvement des ainés de la CSC : les Pensionnés, prépensionnés et chômeurs âgés de la CSC (PPCA). Sa mère, Maryse Lambert, née à Jemeppe-sur-Meuse (aujourd’hui commune de Seraing, pr. et arr. Liège), le 24 octobre 1932, travaille, jeune femme, à la Fabrique nationale d’armes de guerre à Herstal comme pointeuse et au service de la mécanographie. Elle milite successivement à la Jeunesse étudiante chrétienne (JEC), à la Jeunesse ouvrière chrétienne féminine (JOCF) et à Vie féminine (appelée avant 1969 Ligues ouvrières féminines chrétiennes). Elle collabore au journal La Cité. Depuis 1980, elle est animatrice-comédienne et participe à des actions culturelles dans les entreprises en grève. Enfin, elle s’engage à Serein, un service d’échanges libres (SEL), situé à Seraing. À l’instigation de son fils Pierre, elle devient coopératrice et militante de la NewB, société coopérative dont l’objet est de créer une banque coopérative.

Pierre Fafchamps est le second d’une fratrie de quatre enfants, avec Jacqueline, née en 1955, Anne en 1960, et Claude en 1963. Il est l’époux d’Anne-Françoise Gillain, psychologue, dont il a deux enfants.

Sa formation

Après un séjour au Congo à Bukavu (Kivu), les Fafchamps reviennent en Belgique en 1960 (Jules rentre en 1961). La famille s’installe en 1963 à Bruxelles, avenue Léon Mahillon à Schaerbeek. Pierre fait ses classes primaires à l’Institut Saint-Jean-Baptiste de la Salle, à l’école Notre Dame de la Paix. Il effectue des humanités scientifiques à l’Institut Sainte-Marie. Assez turbulent, il est renvoyé de cet établissement et termine ses humanités en pension à Nivelles (aujourd’hui pr. Brabant wallon, arr. Nivelles). Il entreprend une première année de droit à l’Université de Liège qu’il réussit mais se réoriente vers une formation d’assistant social à l’Institut Cardijn à Louvain-la-Neuve (commune d’Ottignies-Louvain-la-Neuve, aujourd’hui pr. Brabant wallon, arr. Nivelles). Après son grand-père (1922), son père (1952), il est la troisième génération à effectuer ce parcours. Il fait partie de la cohorte d’étudiants de 1978 à 1981. Son travail de fin d’année (voir Œuvre), qu’il réalise avec Béatrice Derroitte et Pierre Pilatte, porte sur une analyse des luttes urbaines menées par diverses associations dans le quartier Josaphat, à Schaerbeek dans les années 1970, et les causes de leurs échecs. À Schaerbeek, il fréquente une maison communautaire dite « de la rue de la Poste », où il retrouve Christian Melis et Bernard Hengchen, anciens étudiants de l’Institut Cardijn, dont il restera très proche, ainsi que Daniel Fastenackel, futur secrétaire fédéral du Mouvement ouvrier chrétien (MOC) de Bruxelles, et Yves Depuyt. C’est un lieu de rencontre de la gauche schaerbeekoise antinolsiste. Le bourgmestre, Roger Nols (1922-2004), député-bourgmestre de Schaerbeek de 1970 à 1989, qui, lors des élections communales de 1982, crée sa propre liste Nouvelles orientations des Libertés schaerbeekoises-NOLS (voir DELFORGE P., Roger Nols, dans site de l’Institut Destrée), connu pour ses positions racistes et xénophobes à l’encontre de la population migrante installée dans la commune, suscite un large mouvement d’opposition dénonçant entre autres, sa politique de ségrégation.

De 1989 à 1992, Pierre Fafchamps complète sa formation à la Faculté ouverte en politique économique et sociale (FOPES), à l’Université catholique de Louvain (UCLouvain). Il y décroche en janvier 1993 la licence en politique économique et sociale grâce à un mémoire portant sur le discours des partenaires sociaux en matière de chômage (voir Œuvre). Pierre maîtrise le néerlandais tant écrit que parlé. Ce sera un atout certain dans sa vie professionnelle future.

Son parcours professionnel

Son diplôme d’assistant social en poche, Pierre Fafchamps est exempté de service militaire pour des raisons de santé. Il peut se lancer dans une vie professionnelle déjà entamée pendant ses études : travail dans une usine de construction mécanique, taximan de nuit, déchargement de marchandise au marché du Midi à Bruxelles avec Théo Hachez (1957-2008), de son vrai nom Pascal Hachez, alias Le Chat, qui deviendra par la suite journaliste et rédacteur en chef de La revue nouvelle. Il donne un coup de main à son ami, Benoit Otjacques, surnommé Bijou, étudiant comme lui à l’Institut Cardijn, dans la petite entreprise de revente de vêtement de seconde main que ce dernier, soutien de famille, avait lancé. Benoit Otjacques présentera en 1981 son travail de fin d’études sur L’équipe populaire Josaphat, lieu d’expérience et d’insertion par la pédagogie du projet et deviendra par la suite entrepreneur en rénovation et patron d’un célèbre café-restaurant à Saint-Josse, « le thé-au-harem d’Archi Ahmed » fermé en 2011.

En 1982, Pierre Fafchamps est embauché à la banque d’épargne du Mouvement ouvrier chrétien (MOC), la COB (Coopération ouvrière belge) qui deviendra en 1993 la BACOB, avant d’être intégrée au groupe Dexia en 2002 (banque devenue depuis Belfius). Il y est chargé de la réorganisation et du développement des agences locales. Jusqu’alors, la banque du mouvement ouvrier chrétien reposait sur un réseau composé de délégués COB qui étaient aussi des militants syndicaux. Elle décide de supprimer ces intermédiaires et passe à un service en agence. Pierre Fafchamps devient « volant » et ensuite directeur d’agence de la COB d’abord à Couvin (pr. Namur, arr. Philippeville) et ensuite à Soignies (pr. Hainaut, arr. Soignies).

Repéré par les responsables syndicaux à La Louvière (aujourd’hui pr. Hainaut, arr. La Louvière), Pierre Fafchamps devient, en octobre 1987, permanent propagandiste interprofessionnel à la Fédération des syndicats chrétiens de Mons-La Louvière. Chargé entre autres de la coordination régionale des services syndicaux et de l’animation des activités syndicales, il complète ce mandat par une responsabilité à l’asbl Formation-Éducation-Culture (FEC) en charge de la formation à la CSC francophone. Il y développe des compétences de formateur, d’élaboration de programme de formation en lien avec l’action et la stratégie syndicales ainsi que des processus d’évaluation. Pendant toute sa carrière, la formation des militants et militantes restera une priorité qui l’accompagnera, à La Louvière, mais aussi dans ses fonctions futures, notamment à l’école syndicale ISCO-CNE (Institut supérieur de culture ouvrière-Centrale nationale des employés), lancée en 2004 par le secrétaire général de la CNE, Raymond Coumont, et dans diverses formations de délégués, organisées dans le cadre de ses mandats syndicaux européens (UNI), ce qui lui vaudra de faire de nombreux séjours en Hongrie, en Allemagne, en collaboration avec ses collègues du pendant néerlandophone de la CNE (Centrale nationale des employés), la Landelijke bediende centrale (LBC, aujourd’hui Puls).

En 1997, Pierre Fafchamps entre à la CNE qui le charge du secteur Finances. Il est négociateur national auprès des sociétés Fortis, ING, AXA, Allianz, etc. Il assume la coordination des activités de la CNE dans l’ensemble des entreprises du secteur financier de la région de Bruxelles. Pendant ce mandat, il assume la difficile réorganisation du secteur bancaire et pilote des négociations complexes avec la transformation des institutions financières publiques ainsi que leur intégration dans des ensembles financiers de taille européenne. Ainsi, la Caisse générale d’épargne et de retraite (CGER) fusionne avec la Société générale de banque (SGB) et devient le groupe Fortis. Le Crédit communal s’allie avec différentes banques et sociétés d’assurances, entre autres la COB-BACOB (groupe ARCO) et devient le groupe Dexia. Ces fusions-absorptions s’accompagnent de tensions sociales dues aux pertes d’emplois sévères, à la fermeture de nombreuses agences bancaires et à une réorganisation du métier de banquier et d’assureur. De 2003 à 2009, il est secrétaire national de la CNE, où il coordonne les activités et les entreprises dans le secteur financier tant au niveau régional, fédéral et européen.

Les années 2000 sont émaillées de négociations difficiles, de menaces de grèves et de manifestations, ce qui est rare pour ce secteur traditionnellement connu pour sa capacité à conclure des accords sociaux. Comme responsable national, Pierre Fafchamps pilote, avec ses collègues de la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB) et de la Confédération générale des syndicats libéraux (CGSLB), les difficiles négociations des barèmes salariaux, l’harmonisation des statuts des employés et l’encadrement de la flexibilité de ces nouvelles entités. En 2008, la crise financière avec la faillite des banques Fortis et Dexia et leur « quasi-nationalisation » le trouve en première ligne pour défendre les travailleurs et travailleuses.

Porte-parole de la CNE dans les instances nationales et européennes pour les secteurs financiers, Pierre Fafchamps développe aussi différents projets syndicaux internationaux. Il occupe des mandats comme membre, secrétaire, vice-président ou président dans les fonds paritaires pour les groupes à risque ou pour la formation professionnelle des travailleurs des secteurs financiers : FOPAS (Assurances), ELAN et ELAN+ (Banques), EPOS (Banques d’épargne).

En 2009, pour des raisons de santé, Pierre Fafchamps quitte ses fonctions de secrétaire national du secteur Finances de la CNE. Il devient conseiller au Secrétariat général de la CNE en charge de la formation du personnel de la centrale. Ses capacités de négociateur et sa connaissance fine du mouvement sont mobilisées pour la concertation sociale dans les organisations ACV-CSC (Algemeen christelijk verbond - Confédération des syndicats chrétiens) et le secteur des mutualités.

Tous en témoignent : Pierre Fafchamps est homme de parole et de débats. Il laisse peu de traces écrites, à l’exception de quelques articles de circonstances. Par contre, il apporte sa contribution et ses réflexions à des dossiers thématiques publiés dans la presse syndicale et qui se prolongent parfois dans les programmes de formation : les salaires (voir Le droit de l’employé, n° 1, janvier 2011), la protection sociale, le temps de travail, la flexibilité, le travail intérimaire (voir Le droit de l’employé, n° 10, décembre 2010). En 2007, il collabore à un dossier intitulé Les trois frontières de l’inacceptable (voir Œuvre), sur la publicité outrageuse faite par les banques et les assurances – le point de départ est une publicité de Citibank évoquant la torture. L’entreprise est condamnée à ce titre par le jury d’éthique publicitaire – pour vendre des rendements à des taux d’intérêt impossibles. Il critique cette marchandisation du rêve qui se paie cash par la détérioration des conditions de travail des travailleurs. Il faut bien que l’argent vienne de quelque part. Le syndicat peut dénoncer, les équipes syndicales en entreprise peuvent réclamer une charte éthique, mais chacun, comme citoyen, peut rejoindre les groupes de consommateurs responsables comme le Réseau de financement alternatif « qui nous propose d’autres façons solidaires et responsables de placer notre argent ou des associations comme Respire qui luttent contre le déferlement de la publicité ».

Au moment de quitter ses fonctions de permanent national du secteur Finances de la CNE, Pierre Fafchamps partage, avec son comité de secteur, ses convictions sur les mutations qu’il observe dans le monde syndical. Pour lui, la pratique de la négociation à l’œuvre dans le secteur de la finance, du local au mondial a produit de « bons techniciens », mais sans mener une réflexion politique sur les sens des changements à l’œuvre tant au niveau national qu’européen et international. « Je suis convaincu » dit-il, « qu’il nous a manqué un accord-cadre fondamental partagé au niveau du front commun syndical sectoriel, intersectoriel et interprofessionnel ».
Son deuxième credo est la capacité pour le syndicalisme d’être une force collective pour contraindre le politique à encadrer les forces du marché. Il prolonge cette réflexion par la suite au service d’étude de la CNE (voir FAFCHAMPS P., « Campagne : la CNE redéfinit ses rapports au politique », Bulletin des militants, n° 1, janvier-mars 2014, p. 16). Cela peut apparaître aujourd’hui, dit-il, une « utopie », tant elle est difficile à construire, mais elle est essentielle pour sauvegarder non seulement les avantages particuliers et surtout les intérêts communs à tous les travailleurs et travailleuses. Elle suppose d’avoir des alliés : la CSC, la LBC et le front commun syndical qui est, pour lui, l’outil par excellence de construction d’une véritable action collective.

Enfin, Pierre Fafchamps plaide pour « la transmission de l’histoire de la concertation dans le secteur ou l’entreprise ». « Nous avons construit » dit-il, « par la concertation sectorielle, un ensemble structuré de CCT (convention collective de travail) qui n’a pas grand-chose à envier aux autres secteurs d’activités. Nous avons une superbe réglementation : les 35 heures, pas de travail le samedi, pas de travail de nuit, l’enregistrement obligatoire du temps de travail, des investissements financiers importants dans la formation professionnelle continuée des travailleurs, des CCT intéressantes en matière d’interruption de carrière, de fin de carrière anticipée, de diversité, d’égalité hommes-femmes, d’encadrement de la mobilité géographique et professionnelle, de garantie de barèmes, etc. ». Mais la vigilance s’impose, car derrière ces textes, se profilent de multiples techniques de détournement qui organisent les dérogations et les arrangements… avec le risque de façadisme et d’un dumping social qui ne dit pas son nom. Il précise : « Beaucoup de ces conditions imposées par les employeurs finissent à mener à des évolutions culturelles acceptées du fond du cœur ou du bout des lèvres par les travailleurs "individus" et augmentent en définitive notre manque de capacité de « résistance culturelle collective ». « Ce fil rouge », dit-il, « m’a guidé toutes ses années et je continuerai à les porter dans mes nouvelles fonctions ».
Les thèmes, mis en avant dans ce discours, font écho à la démarche prospective de la CSC wallonne, menée au début des années 1980 avec Syndicalisme des années 80-90 en Wallonie. Analyse et propositions pour un large débat, 1981-1983, dont l’objectif était de repositionner les organisations sociales face à la mondialisation du capitalisme, le chômage massif, le grippage de la concertation sociale et les changements structurels à l’œuvre dans l’économie et les bassins d’emplois. Les pistes d’action étaient la démocratie syndicale, le développement de l’interprofessionnel, les solidarités avec les travailleurs les plus précarisés, l’ouverture aux autres acteurs sociaux et sociétaux. Ce texte, longuement débattu avec les militants et militantes et dans les instances de la CSC, sera la colonne vertébrale de son action syndicale, ce qu’il confirmera à de nombreuses reprises à ses collègues de la CNE.

Son engagement citoyen

Dans sa jeunesse, Pierre Fafchamps s’est impliqué dans les organisations scoutes de la paroisse Saint-Albert à Schaerbeek, avec Christian Kunsch, qui sera directeur de la Mutualité Saint-Michel de Bruxelles de 2002 à 2013, puis président du MOC de Wallonie-Bruxelles de 2013 à 2019, Dominique Taeymans, Luc Roussel et son ami Théo Hachez. Avec son épouse, Anne-Françoise, il s’investit également comme « parent » dans les mouvements de jeunesse fréquentés par ses propres enfants, à La Louvière. Pierre est également marin (voile) et musicien, deux « hobbies », stimulés par sa famille tant paternelle que maternelle. Il fait de la moto. Il pratique régulièrement au plus grand bonheur de ses compagnons d’équipage qui sont parfois aussi ses collègues.

L’asbl Contrepoint est une entreprise de formation par le travail, située à La Louvière. Lancée en 1986, elle forme des jeunes âgés de 18 à 30 ans n’ayant pas de diplôme de l’enseignement moyen inférieur, à divers métiers du bâtiment (menuiserie, carrelages & plafonnage, maçonnerie, couvreur-zingueur, toiture. Pierre Fafchamps rencontre Marc Goeseels, directeur de cette entreprise en économie sociale, pendant ses études à la FOPES. C’est le point de départ d’une longue collaboration. Il s’investit dans ce projet qui s’inscrit à la fois dans la lutte contre le chômage et dans l’insertion professionnelle des moins qualifiés. Il devient administrateur de l’asbl en 1990 et accompagne le développement de l’association et l’innovation (technique d’écoconstruction). L’association est agréée comme entreprise de formation par le travail (EFT) par la Région wallonne et est reconnue par le Fonds social européen. Marc Goeseel le présente « comme un ami et compagnon de travail. … Il avait ce regard et cette analyse critique tellement indispensable pour moi, qui suis en permanence sur le terrain ».

En tant que responsable du secteur Finances de la CNE et intéressé par les alternatives qui se mettent en place, Pierre Fafchamps s’engage, en son nom propre, dans le Réseau Financité, (ex-Réseau Financement alternatif) dont il est administrateur depuis 2006. Il écrit dans Le droit de l’employé de novembre 2013 : « Le Réseau Financité réunit des citoyens et des organisations qui veulent plus de solidarité et de responsabilité dans les rapports à l’argent. Ensemble, ils forment un mouvement citoyen qui se bat au quotidien pour que la finance soit un facteur de changement positif dans le respect de l’homme et de son environnement, tant dans l’économie locale, que dans les relations Nord-Sud, en renforçant les liens sociaux et en développant des alternatives solidaires et durables ». Il entraîne le MOC dans cette aventure. « Pierre, l’éclaireur éclairé, savait aussi convaincre et construire les alliances déterminantes ! » Il est élu administrateur à FairFin, l’alter ego néerlandophone du Réseau. FairFin sensibilise, publie des recherches et mène des actions de sensibilisation sur les questions de l’éthique dans la finance et son intégration dans des perspectives de développement durable. En sa mémoire, le centre de documentation du Réseau Financité sera baptisé « Centre de documentation Pierre Fafchamps ».

Dans son combat pour une finance éthique, Pierre Fafchamps conjugue syndicalisme et engagement militant. C’est ainsi qu’il participe au groupe de travail mis en place en 2001, par les Travailleurs sans emploi (TSE) de la CSC, associant des chômeurs et des travailleurs du secteur bancaire pour revendiquer un service bancaire universel. Suite au dépôt, le 18 juillet 2001, de la proposition de loi instaurant un service universel bancaire par la députée socialiste, Karine Lalieux, le service d’étude de Financité est chargé par le ministre de l’Économie, le socialiste Charles Picqué, d’une étude sur l’exclusion bancaire en 2001-2002. C’est également Financité qui fera l’évaluation, en 2006, de l’impact de la loi du 24 mars 2003 (publiée dans Le Moniteur belge du 15 mai 2003) instaurant le service de banque de base, . Cette loi vient couronner les efforts et les mobilisations de diverses associations et organisations, y compris syndicales (FGTB et CSC), luttant contre l’exclusion bancaire des plus précarisés de la société. Dans ce dossier, Pierre Fafchamps construit concrètement des passerelles entre son secteur professionnel, l’interprofessionnel et avec Financité. Cette solidarité, il la met en pratique lors du Forum social européen qui se tient à Londres du 14 au 17 octobre 2004. Une délégation des travailleurs sans emploi de la CSC et une délégation « Finances » de la CNE ébauchent ensemble une même plateforme de revendications : défense du patrimoine social pour les uns (sécurité sociale, services publics et droit à la négociation collective), et, pour les autres, un manifeste, intitulé De l’espoir à en pleurer de rage, avec le droit à un logement, aux soins de santé, à l’alphabétisation, à la culture, à la justice, à l’approvisionnement en énergie, autrement dit, à mener une vie digne. La meilleure façon de lutter contre l’exclusion et la pauvreté, écrit-il dans Le droit de l’employé de novembre 2004 (voir Œuvre), « est le partage des richesses rendu possible par notre patrimoine social. C’est dans la coopération et la solidarité que nous ferons avancer nos luttes respectives ».

La coopérative NewB

Après que la crise financière de 2008 ait démontré le dévoiement du modèle financier dominant, la nécessité de construire des réalités économiques fondées sur des modèles différents devient urgente. Dans une note interne à la CNE datée de mars 2013, Pierre Fafchamps souligne que « Depuis la disparition de la CGER, du Crédit communal, de la Bacob, de Cera, de la Codep, de la banque HBK, d’Ethias banque, il n’existe, à l’heure actuelle, aucune alternative pour celui ou celle qui voudrait une banque simple et solide, œuvrant dans l’intérêt général et qui traite son client comme partenaire plutôt que comme une "vache laitière" ». Or, depuis mai 2011, une dizaine de banquiers et d’experts de la société civile, soutenue par 51 organisations organisées au sein de la coopérative NewB, analyse la faisabilité d’une telle banque et croient le projet possible à condition d’avoir suffisamment de clients, de capital, et si les conditions de marché le permettent. Pierre Fafchamps s’engage dans ce passionnant chantier de construction de cette nouvelle grande banque coopérative belge, la NewB. Il participe activement d’abord comme conseiller bénévole dès le démarrage de la coopérative. Il est nommé ambassadeur c’est-à-dire qu’il est mandaté pour représenter la coopérative au niveau local et être le porte-parole des coopérateurs de sa commune auprès de NewB. Jusqu’à la mi-2013, il est membre et président de la commission des rémunérations et nominations. À ce titre, il est l’auteur de plusieurs notes de travail pour préparer le mémorandum de gouvernance de la future banque présenté le 23 janvier 2014, et fixer les principes d’évaluation de la fonction d’administrateur de la nouvelle banque. Lors de l’assemblée générale de 2014, Pierre Fafchamps est élu au Comité sociétal, ce nouvel organe dont la mission est de développer la NewB et surtout de contrôler le respect des valeurs prônées par la banque, dans les actes qu’elle pose. Dans l’hommage qui lui est rendu lors de son décès, NewB précise : « Pierre était un des bâtisseurs de la première heure, un des ouvriers de l’ombre, mettant son expérience de syndicaliste dans le monde financier au service du projet auquel il croyait ferme ».
Pierre Fafchamps signe plusieurs articles dans l’organe de la CNE, Le droit de l’employé. Il y présente le projet en l’inscrivant dans la longue histoire des banques coopératives du mouvement ouvrier chrétien et socialiste. À partir du constat que le paysage bancaire est fortement réduit et que l’État a abandonné son rôle d’acteur du monde de la finance, Pierre plaide pour la mise en place d’une banque alternative qui soit accessible à tous et œuvre pour l’intérêt général. Il emporte l’adhésion de la CNE à cette nouvelle coopérative.

Ce parcours évoqué ci-dessus ouvre de nouvelles voies pour comprendre l’action syndicale des 20 et 21e siècles. À côté d’une carrière syndicale, relativement classique, marquée par le souci de faire du lien, Pierre Fafchamps s’est frotté aux luttes populaires urbaines de la fin des années 1970 et du début des années 1980, à décloisonner l’action syndicale entre les secteurs et les TSE. Dans son engagement dans l’insertion socioprofessionnelle et dans le secteur financier alternatif, Pierre Fafchamps témoigne aussi de l’intérêt d’articuler les luttes qui relèvent du champ syndical avec d’autres lieux et formes d’engagements, appartenant au domaine de la citoyenneté. Des passerelles existent et le décloisonnement des approches s’impose comme une nécessité pour comprendre l’action d’une personne à 100 % engagée dans le mouvement ouvrier et dans la société.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article220623, notice FAFCHAMPS Pierre, Albert, Joseph, Henri. [Belgique] par Marie-Thérèse Coenen, version mise en ligne le 26 novembre 2019, dernière modification le 29 septembre 2023.

Par Marie-Thérèse Coenen

Trois générations de militants : de gauche à droite, Jules, Joseph et Pierre Fafchamps, Bruxelles, 1977-1978.
Trois générations de militants : de gauche à droite, Jules, Joseph et Pierre Fafchamps, Bruxelles, 1977-1978.

ŒUVRE :
-  Avec DERROITTE B., PILATTE P., Nouvelle approche du travail social : l’analyse qualitative du discours le vécu quotidien, source de l’action. " Écouter" sur le chemin politique de la conscientisation, Mémoire de fin d’études, Louvain-la-Neuve, Institut Cardijn, session 1981 – Les politiques de l’emploi dans la décennie 1980-1990 : analyse du discours des principaux partenaires sociaux, Mémoire de licence en politique économique et sociale, Louvain-la-Neuve, FOPES, 1993.
-  Collaboration à la presse syndicale notamment :
o Dans Le droit de l’employé : « La CNE en force au Forum Social Européen ! », n° 9, novembre 2004, p. 11-12 ; avec CICCIA L., VAN KEIRSBILCK F., « Les trois frontières de l’inacceptable », n° 3, mars 2007, p. 8-11 ; « La CNE adhère au Réseau FINANcité », n° 9, novembre 2013, p. 7.
o Dans Le Bulletin des militants : « Une autre banque est possible », n° 6, juin 2013, p. 7 ; « Campagne : la CNE redéfinit ses rapports au politique », n° 1, janvier-mars 2014, p. 16

SOURCES : CARHOP, fonds CNE, papiers Pierre Fafchamps, voir la boite 4 qui contient le document « De COB à NewB. Note interne à la CNE de mars 2013 » et la boite 3 pour le discours de Pierre Fafchamps à l’occasion de son départ de la fonction de responsable national des secteurs financiers de la CNE – FAFCHAMPS J., Sur les chemins du passé. Souvenirs et anecdotes, tapuscrit, 1992 – La CSC et le MOC dans le Kivu, le Rwanda et le Burundi de 1958 à 1961. Échange de lettres entre Jean Brück et Jules Fafchamps, dirigeants syndicaux. Commenté par Jules Fafchamps, Bruxelles, CARHOP, 2009 (Les carnets du Carhop) – BAYOT B., Élaboration d’un service bancaire universel, 1re partie : L’accès ou le maintien d’un compte bancaire, Namur, Réseau financement alternatif, 2002 (Étude Financité, 2002) – DISMEUR L., RADEMAECKER F., BAYOT B., « Évaluation de la loi du 24 mars instaurant le service bancaire de base », Cahier Financité, n° 2, juin 2006 – BODSON J.-L., « Une économie sociale performante dans les marchés publics : étude de cas », dans BODSON J.-L., ROBERT F. (dir), « Marchés publics et économie sociale. La nouvelle législation, la technique et la pratique », Les dossiers d’ASBL Actualités, dossier n°2, 2006, p. 181-184 – Informations de M. Goeseels données par courriel à M.-T. Coenen, 10 mai 2016 – Entretien avec Anne-Françoise Gillain, Houdeng-Gœgnies, 23 mai 2016 – Hommage à Pierre Fafchamps, dans Site WEB : financité.be – COENEN M.-T., Pierre Fafchamps. Essai de biographie d’un militant syndical de la fin du 20e et 21e siècle (1er mai 1957 – 29 décembre 2014), Bruxelles, CARHOP, 2016.

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