BERTHOMÉ Henri, Georges, Alexandre

Par Jean-Yves Guengant

Né le 9 juillet 1923, La Melleraie-Tillay (Vendée), mort le 30 janvier 1999 à Quimper, (Finistère) ; ajusteur à Nantes (Loire-Inférieure, Loire-Atlantique) puis Brest (Finistère) pendant la guerre ; militant trotskiste du Parti ouvrier internationaliste (POI), arrêté en octobre 1943 et déporté à Dora ; après la guerre, installé à Quimper et militant de l’UGS puis du PSU.

Henri Berthomé naquit en Vendée où son père était cheminot. Lorsque la guerre éclata en septembre 1939, il milita aux Jeunesses socialistes de la ville de Rezé, Loire-Inférieure, dont son frère Georges, né en 1920, était le secrétaire. La chute de l’Espagne républicaine le marqua : il écrivit que cela ne lui laissa pas d’illusions pour la suite. Dès l’armistice, les jeunes socialistes de Rezé refusèrent d’admettre les pleins pouvoirs donnés au maréchal Pétain. Henri, muni d’un CAP d’ajusteur, travailla aux chantiers navals Dubigeon et commença à militer avec les trotskistes locaux en 1941.
À la mi-septembre 1942, Henri Berthomé fut envoyé par le groupe nantais du Parti ouvrier internationaliste chercher du matériel de propagande à Paris. Il y croisa par hasard Éliane Ronël*, militante de Quimper, qui devint en 1947 son épouse. Le mois suivant, lors de la réquisition d’ouvriers français des arsenaux et chantiers navals pour aller travailler en Allemagne, des mouvements de grève et des manifestations éclatèrent à Nantes. « […] j’ai personnellement incité au débrayage avec d’autres camarades des chantiers Dubigeon » indiquera plus tard Henri.

La situation à Nantes devenant difficile, Robert Cruau, Georges et Henri Berthomé, se réfugient chez Éliane Ronël, à Quimper en mars 1943. Ils s’installèrent à Brest, où Cruau et les frères Berthomé occupèrent le même appartement. Il trouva du travail comme ajusteur à l’arsenal de Brest et se lia avec des membres de l’organisation TODT.

L’essentiel de l’action du groupe fut la diffusion des journaux du parti et de tracts, essentiellement tournés vers la condition ouvrière. Courant 1943, apparut le thème de la fraternisation avec les soldats allemands dans un sens anticapitaliste. Des réunions eurent régulièrement lieu à Quimper, chez Éliane Ronël, ou à Daoulas, dans le cadre de l’auberge de jeunesse. Les 15 et 16 août 1943 se tint tenue à Daoulas un rassemblement d’une vingtaine de militants auxquels s’est joignit Yvan Craipeau..
Éliane Ronël se rappellera que « Le travail était organisé en commissions. Et suivi de discussions communes à toutes les commissions. Au cours de l’une de ces journées nous avons travaillé par équipe de 2. Alice Bourhis institutrice, veuve de Marc Bourhis, militant trotskiste fusillé le 22 octobre 1941 à Chateaubriant a rappelé qu’elle était avec Henri Berthomé […]. Robert Cruau et moi-même traitions du travail allemand ».

Il fut arrêté le 20 octobre 1943, alors qu’il avait quitté Brest. Du travail allemand, il écrira plus tard : « A (ma) connaissance au moment des arrestations de Brest des copains du travail allemand on a compté au plus une quinzaine de soldats allemands […] ».
Il fut déporté depuis Compiègne vers Buchenwald le 22 janvier 1944, dans le cadre de l’opération, « Écume de mer », puis à Dora le 29 octobre 1944. Il fut évacué du camp vers Bergen-Belsen (marches de la mort). Il fut libéré le 15 avril 1945. Il dut être hospitalisé en Belgique pour soigner une pleurésie contractée à Dora. Il y resta deux semaines avant de revenir à Rezé.

À son retour de déportation, Henri fut durement éprouvé par ce qu’il a vécu à Dora et par la disparition de son frère Georges. Des notes portées en marge du livre d’Yves Craipeau, Contre vents et marées, que possède Henri Berthomé, montrent l’amertume créée par les multiples revirements de la IVe Internationale, responsable des erreurs qui ont conduits des militants à la mort et à la déportation ! Surtout, la classe ouvrière, au nom de laquelle il s’était battue, semble ne pas avoir perçu les échos de leur lutte.

Il se maria le 26 juillet 1947 avec Éliane Ronël, et continua leur combat. Il fut très intéressé par les événements survenus en Yougoslavie et la création des brigades de travail auxquelles se joignirent plusieurs militants finistériens. Seul son état de santé ne lui aurait pas permis pas de participer aux chantiers internationaux. L’espoir d’une alternative au stalinisme s’esquissait enfin et s’exprima dans le journal Le Militant, journal du PCI, région Bretagne.
Cependant en 1948, la tendance regroupant des hommes proches des Berthomé - Louis Dalmas, Jean-René Chauvin, Yvan Craipeau et Marcel Baufrère - est exclue du Parti communiste internationaliste. Elle se retrouve au sein du Rassemblement démocratique révolutionnaire. Le couple Berthomé, qui a lutté à leur côté aura un parcours très proche de ces derniers, d’abord dans la Nouvelle Gauche puis l’Union de la Gauche socialiste et enfin le Parti socialiste unifié. D’autres membres du groupe restent au sein du PCI (Calvès).

Il s’inscrivit dans le soutien aux luttes anticoloniales et anti-impérialistes : Indochine, Algérie. Dans le sud-Finistère, un groupe actif rejoint L’Union de la gauche socialiste (UGS) en 1957, où l’on trouve plusieurs membres du Parti Ouvrier Internationaliste de la période de la guerre (Yvan Craipeau). En 1960, il participa à la naissance du Parti socialiste unifié dont il anima la section quimpéroise. Il soutint la grève du Joint Français (Saint-Brieuc, avril-mai 1972) et la lutte des ouvriers de Lip (1973). Très sensible à la lutte antifasciste, il s’engagea contre la dictature militaire au Chili, contre les procès contre les basques du pouvoir franquiste et les procès intentés aux dissidents soviétiques. En France, il participa à la lutte contre la montée du Front National.

En 1992, Éliane et Henri Berthomé participèrent à une délégation de déportés des camps nazis à Moscou. Jean-René Chauvin, Odette et Marcel Baufrère, qui connurent le combat du POI en 1943, sont aussi du voyage organisé à l’initiative de Jean-René Chauvin et Hélène Chatelain (Le Seuil) (Voix et Visages n°230, mai-juin 1992).
La même année ils fondèrent le « comité Bosnie » de Quimper, qui deviendra en 1999 le « comité Bosnie-Kosovo ». En 1993, à l’occasion des fêtes commémoratives du 8 mai, le comité rédigea un message adressé aux plus hautes autorités mondiales pour crier le droit à l’existence de la Bosnie lu par Henri Berthomé : « Le comité pour la Bosnie rappelle qu’aucune constitution ne présente jamais plus les fondements des droits sur l’ethnie ou la religion, que ne soit plus légitimée la supériorité militaire, que les auteurs de crimes contre l’humanité en Bosnie soient poursuivis ». Henri Berthomé conclut son discours en affirmant : « Que la communauté internationale ne puisse être accusée de non-assistance à État en danger de mort. ».
Président du comité, il intervint régulièrement dans les manifestations de souvenir du second conflit mondial pour rappeler le droit de la Bosnie à exister dans la paix et dans des frontières internationalement reconnues. En avril 1994, au nom de la fédération nationale des déportés, internés et résistants, FNDIP, il rappella le combat des déportés : « Nous nous sommes jurés de ne jamais permettre à l’oubli d’effacer les crimes des bourreaux et de leurs complices, de faire triompher les droits de l’homme et de la Paix », faisant écho à un appel pour la ville bosniaque de Goražde :
« Avec les populations de Bosnie Herzégovine qui luttent contre le totalitarisme, nous refusons le racisme et le concept de la purification ethnique. Nous refusons tout dépeçage, par la force, des États reconnus par la communauté internationale. Clamer notre soutien à la Bosnie Herzégovine, multiculturelle et démocratique, c’est aider à la construction d’une paix juste et durable dans les Balkans, c’est respecter la mémoire de ceux qui ont pris des risques dans la Résistance. Plus jamais ça, disions-nous... En écho tragique, nous avons appris la chute de Gorazde... Jusqu’où iront les atermoiements, l’inconséquence des instances internationales ». Ouest-France, 25 avril 1994.
Le combat pour les droits de l’homme, que ce soit en Tchétchénie, au Rwanda, au Kosovo, en Algérie, où il adhèra au comité de solidarité avec le Peuple algérien, devint essentiel. Convaincu que la liberté n’était jamais définitivement acquise, il appela à la vigilance pour sauvegarder liberté, égalité et fraternité, « piliers de notre démocratie » et s’exprima régulièrement dans la presse locale.
Il décéda le 30 janvier 1999. À ses obsèques, le 3 février, Lanig Le Disloquer, ancien membre du bureau national du PSU (décédé en 2007), rappela son ultime combat pour la Bosnie : « Dans sa vigilance sans faille, il restait fidèle à l’esprit de la Résistance et à son cri trop souvent oublié : plus jamais ça ! »... Quand notre mobilisation lui semblait fléchir, il la relançait avec détermination. Il ne fallait jamais se taire ; il ne fallait pas qu’on puisse dire qu’on ne savait pas. ». Quelques jours plus tard, une exposition consacrée au Kosovo fut inaugurée à Quimper, dernière expression du combat d’Henri Berthomé. Dans un article intitulé, « Les nôtres : Henri Berthomé, 1923-1999 », la Ligue communiste révolutionnaire rendit hommage à « l’un des acteurs de l’action des Trotskistes finistériens, […] exemple hélas trop rare de ce qui pouvait être une politique révolutionnaire et internationaliste ».
Les enfants Berthomé ont légué la bibliothèque de leurs parents à la ville de Quimper (Médiathèque des Ursulines).
Sa femme, Éliane Ronël-Berthomé, fut présidente du comité de soutien de Daniel Le Bigot, candidat Les verts aux élections législatives de 2002.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article220668, notice BERTHOMÉ Henri, Georges, Alexandre par Jean-Yves Guengant, version mise en ligne le 28 novembre 2019, dernière modification le 6 décembre 2019.

Par Jean-Yves Guengant

SOURCES : Erwan Le Bris du Rest : conférence donnée à la médiathèque des Ursulines, Quimper, 16 février 2013. — André Calvès, « J’ai essayé de comprendre, mémoires, 1ière partie : 1928-1950 ». — Yves Craipeau, Contre vents et marées, les révolutionnaires pendant la seconde guerre mondiale, Savelli, 1977.
Journaux : Le Militant (archives de Brest). — Voix et visages (revue de l’ADIR), juillet-octobre 2002. — Rouge (février 1999). – Le Télégramme . — Ouest-France. — Médiathèque des ursulines, Quimper : fonds – « bibliothèque d’Éliane et Henri Berthomé ».

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