Par Pierre Petremann
Né le 26 juillet 1932 à Metz (Moselle), mort le 27 mai 2014 à Villejuif (Val-de-Marne) ; professeur agrégé d’économie et gestion ; militant du SNET, puis secrétaire national du SNES (1967-1983) ; militant communiste (1960-1999).
Fils d’un sous-officier de carrière et d’une mère sans profession, André Dellinger connut une scolarité primaire bousculée par la guerre. Il passa les quatre années du conflit à Gaillac (Tarn) où sa famille était réfugiée, après avoir été expulsée de Moselle par l’occupant allemand. Après l’obtention du certificat d’études primaires en 1946, il entra sur concours à l’école nationale professionnelle de Metz où il obtint le brevet supérieur d’enseignement commercial et le diplôme d’élève breveté des ENP. À partir de la rentrée scolaire 1950, il prépara au lycée technique de Reims (Marne) le concours d’entrée à l’École normale supérieure de l’enseignement technique ; admissible en 1951, il fut admis en 1952 en section D. Au bout de trois années d’études à l’ENSET - dont il fut secrétaire de l’association sportive -, il obtint en 1955 le certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement technique en sciences et techniques économiques. Il réussit le concours de l’agrégation d’économie et de gestion en 1966.
Nommé à la rentrée d’octobre 1955 à l’ENP d’Oyonnax (Ain), André Dellinger effectua son service militaire (décembre 1955-janvier 1958) dans l’intendance, puis à l’École militaire d’administration de Montpellier (aspirant), enfin à Alger. Il épousa le 9 janvier 1958 Andrée, Henriette Schmitt, à Metz, qu’il avait connue à l’ENSET (section D, 1954-1957), devenue comme lui professeure certifiée dans la même spécialité. Le couple eut trois enfants.
À son retour à la vie civile, André Dellinger enseigna à l’ENP Louis Vincent, puis au lycée Robert Schuman de Metz. Syndiqué depuis l’ENSET au Syndicat national de l’enseignement technique, secrétaire de la section locale de l’ENP de Metz, il fut membre de la commission administrative de Moselle de la Fédération de l’Éducation nationale dont Paul Berger était le secrétaire. Il était également membre de la CA de la section académique de Strasbourg et devint en 1959 membre de la CA nationale sur la liste « Union pour une action syndicale efficace » conduite par Étienne Camy-Peyret et Philippe Rabier, puis entra au bureau national, le 17 septembre 1962. Il fut élu à la commission administrative paritaire nationale des certifiés et assimilés des enseignements techniques théoriques en 1965.
En 1964, André Dellinger obtint sa mutation pour le lycée Turgot à Paris (IIIe arr.). La famille s’installa à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), où son épouse avait été mutée au lycée Jean Macé ; elle fut bientôt élue conseillère municipale.
En 1965-1966, Dellinger participa aux travaux de la commission des structures et de la commission pédagogique SNES-SNET. Il fut élu sur la liste « Unité et Action » à la CA et au BN du nouveau Syndicat national des enseignements de second degré (classique, moderne, technique). Après l’élection de 1967 qui porta les militants « Unité et Action » à la direction du syndicat, il fut durant les deux mandats des secrétaires généraux André Drubay et Étienne Camy-Peyret l’un des plus importants dirigeants nationaux, membre du « mini-secrétariat » (ainsi que Gérard Alaphilippe, François Blanchard et Jean Petite), secrétaire de la commission corporative de la CA. Jusqu’en 1983, déchargé de service à temps plein, il eut la responsabilité des questions dites « corporatives », de la revendication à l’action : rémunérations, carrières et retraites, statuts, conditions de travail, coordination des catégories. Il siégea de 1961 à 1983 à la CA nationale de la FEN, d’abord au titre du SNET puis du SNES, entre 1967 et 1983, au Conseil supérieur de la Fonction publique, de 1978 à 1983, au Comité technique paritaire ministériel.
D’une solide culture économique et politique, disposant d’une expérience syndicale forgée sur le terrain et dans les instances syndicales et consultatives, André Dellinger fut pendant seize ans, dans le vaste domaine des affaires corporatives, à la fois le principal négociateur du SNES et souvent, au titre du courant Unité et Action, le principal contradicteur de l’orientation de la majorité fédérale, notamment à propos de la signature des accords salariaux dans les années 1970. Au congrès fédéral de 1967, le SNESup, le Syndicat national des chercheurs scientifiques et le Syndicat national de l’administration universitaire se joignirent au SNES sur une motion corporative commune ; ces liens se développèrent par la suite entre les syndicats désireux de s’affranchir de la tutelle fédérale.
André Dellinger liait intimement la revalorisation de la fonction des personnels à l’amélioration et à la démocratisation du service public d’éducation. Il s’efforça d’associer pour chaque catégorie l’esprit de corps et l’esprit de service public. À partir de juin 1968 et dans les années qui suivirent, il fut un des principaux négociateurs de dossiers importants : transformation des surveillants généraux en conseillers et conseillers principaux d’éducation, statut des personnels d’orientation (fonctions de conseil, à l’opposé du projet ministériel d’en faire les « répartiteurs technocratiques des flux d’élèves »), réduction des maxima de service des professeurs de l’enseignement technique et mise en place de concours spéciaux permettant aux professeurs techniques adjoints de devenir certifiés (réforme basée sur une consolidation théorique des enseignements technologiques), extension du champ des chaires supérieures (classes préparatoires), résorption de l’auxiliariat par un large plan de titularisations. Dellinger et Jacky Monnereau, secrétaire de catégorie des adjoints d’enseignement-maîtres auxiliaires, refusèrent certaines voies de titularisation que proposait d’ouvrir le ministère, dans deux corps de qualification universitaire insuffisante dont ils obtinrent la mise en extinction (professeurs adjoints et chargés d’enseignement).
Il négocia avec la direction générale de la Fonction publique (réforme de la catégorie A) le relèvement de l’échelonnement indiciaire interne des professeurs certifiés et agrégés. Il fut l’initiateur de la revendication novatrice d’une seconde classe des certifiés adoptée par le congrès national de Bordeaux en 1979. Elle aboutit à la création d’une hors classe des certifiés en 1989, dont le bénéfice s’étendit rapidement, mais à laquelle ne purent accéder les retraités avant sa création. Il regretta que ces derniers aient été oubliés lors du reclassement général de 1989.
Élevé dans une famille catholique, peu pratiquante, et gaulliste, André Dellinger adhéra en 1960 au Parti communiste français, pour ses positions anticolonialistes ; il participa à un comité de Metz pour la paix en Algérie et fut membre du comité de la section communiste de Metz. Il fut de 1965 à 1983 membre de la commission de l’enseignement auprès du comité central du PCF. Il s’efforça de faire bénéficier son parti de sa connaissance des enseignements de second degré et de leurs maîtres. Alaphilippe et lui eurent une année durant un entretien hebdomadaire avec Henri Krasucki, au siège de la CGT, sur les perspectives du mouvement syndical français. Il critiqua les positions de certains communistes. Avec Alaphilippe et Blanchard, il protesta auprès de Gaston Plissonnier, secrétaire du comité central, contre le détournement du fichier de L’Université syndicaliste, « opéré subrepticement » pour envoyer aux syndiqués du SNES la propagande de Jacques Duclos lors de l’élection présidentielle de 1969. Avec Françoise Regnaut, il s’opposa à Pierre Juquin et Roland Leroy qui engageaient le groupe communiste de l’Assemblée nationale à voter la réforme Fontanet (1974). Louis Althusser présenta au printemps 1977 dans l’Humanité les maîtres auxiliaires comme les prolétaires de l’enseignement, exploités par les professeurs titulaires confortablement installés dans leurs prérogatives ; en riposte, il publia dans L’École et la Nation (mai 1977), à la demande de Pierre Juquin et sous le pseudonyme d’Auguste Schmitt, un article dans lequel il rappelait que l’insuffisance des recrutements aux CAPES et agrégations et son corollaire, le recours systématique à l’auxiliariat, se justifiaient selon la thèse de la droite gouvernementale par une prétendue incompatibilité entre les nécessités du service et les garanties statutaires - qualifiées de « privilèges » - des fonctionnaires. Il est indispensable au contraire, écrivait-il, de protéger l’employé de l’État contre l’arbitraire administratif ou politique, dans son recrutement, son emploi et sa carrière, condition impérative pour qu’il se comporte en agent impartial, investi d’une mission citoyenne de service public, selon le sens du statut général élaboré à la Libération par le ministre d’État Maurice Thorez, avec la contribution des fédérations syndicales CGT de fonctionnaires.
Comme nombre d’intellectuels, Dellinger se heurta à l’ouvriérisme du PCF. Lors de la rencontre du bureau politique avec 400 intellectuels communistes, les 9 et 10 décembre 1978 à Vitry-sur-Seine, il critiqua la « conception pauvre de la pauvreté » qu’avait en matière d’éducation le parti, centrée sur le revenu familial, sans réelle composante culturelle.
Les tout premiers rôles étaient interdits à André Dellinger dans la direction du SNES, en raison de l’antériorité de dirigeants plus âgés qui avaient son estime ; ensuite, des communistes de cette direction du SNES prirent apparemment ombrage de ses ambitions. Après la retraite de Camy-Peyret en 1981 et l’élection d’Alaphilippe comme secrétaire général avec Monique Vuaillat et Jean Petite comme adjoints, l’attention que portait le secrétariat général aux affaires corporatives fut moins grande. Au congrès national de La Baule en 1983, lors de la réunion de la tendance Unité et Action, il déclara que son secrétariat corporatif était en voie de marginalisation, dans une direction nationale qui négligeait la défense des intérêts professionnels des certifiés et agrégés au profit d’une stratégie consistant à disputer au SNI-PEGC la syndicalisation des PEGC, sous couvert d’unifier les corps de professeurs. Il critiqua la mise en sommeil des grandes commissions de la CA nationale (corporative, pédagogique, laïque) au profit de deux secteurs horizontaux polyvalents collèges et lycées. Cette réorganisation interne du secrétariat national s’inspirait, selon lui, d’une visée à la fois politicienne et corporatiste : pour les arracher au SNI-PEGC, on promettait aux PEGC l’égalité de condition avec les certifiés, on mettait une sourdine sur les revendications propres du SNES, on méconnaissait l’attraction naturelle exercée par le SNES sur les PEGC.
Jugeant négative une orientation qui s’avançait masquée sous le diptyque « revalorisation-unification » et ne visait qu’une unification au rabais, André Dellinger annonça qu’il quitterait ses responsabilités syndicales à la fin de 1982-1983. Lors de la réunion de tendance de la CA nationale de mai 1983, la direction générale (Gérard Alaphilippe, Monique Vuaillat) l’invita à rester au secrétariat national. Il y mit pour condition-test qu’un poste de secrétaire général adjoint lui soit attribué, ce qui lui fut refusé par vote. Sa demande d’occuper le poste de conseiller économique et social que la FEN concédait au SNES avait été également refusée auparavant. Il remit à la disposition du syndicat ses mandats syndicaux, en même temps que Françoise Regnaut, secrétaire de catégorie des agrégés, chargée de la formation des maîtres et de leurs conditions de travail, lassée de subir la censure des secteurs collèges et lycées.
André Dellinger prit à la rentrée de 1983 son poste au lycée Chérioux de Vitry-sur-Seine, proche de son domicile (il y avait obtenu sa mutation en 1979). Il enseigna l’économie en sections de Techniciens supérieurs et en formation continue de professeurs de collège et de lycées d’enseignement professionnel, stagiaires à l’année. Il prit en 1994 sa retraite de professeur agrégé hors-classe.
André Dellinger milita par ailleurs à la Caisse d’aide sociale de l’Éducation nationale-Banque populaire de 1972 à 2003 ; il y retrouvait son ami Théo Haddad, trésorier national du SNES jusqu’en 1980. Il y assuma des responsabilités bénévoles et électives, comme administrateur, membre de la commission des prêts.
En désaccord depuis longtemps avec sa ligne politique, il quitta le PCF en 1999. Il fut de 1999 à 2004 membre du conseil d’administration de l’Association pour la taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyens dans le Val-de-Marne. Il animait le groupe d’ATTAC de Vitry-sur-Seine en 2007. Il publia avant le référendum du 29 mai 2005 une étude critique du projet de traité constitutionnel européen ; il donna durant l’automne 2005 une suite de dix conférences-débats sur l’histoire du libéralisme.
L’invalidité de son épouse depuis 1995 rendait plus précieuses les réunions de famille. Dellinger continuait à apporter sa contribution militante au SNES, dans un stage national de formation syndicale (8 juin 2006), en participant régulièrement aux réunions des retraités et en écrivant des articles dans L’Université syndicaliste-retraités, et en participant aux travaux des instituts de recherches historiques de la Fédération syndicale unitaire (IRHES) et du SNES (IRHSES, dont il était membre du CA).
Par Pierre Petremann
SOURCES : Arch. Dép. Seine-Saint-Denis, fonds G. Alaphilippe. — Arch. IRHSES (SNET, Le Travailleur de l’enseignement technique, Congrès SNES, CA, secrétariat, L’Université syndicaliste, L’Enseignement public, Revue Unité et Action). — Fonds L. Astre. — Notes de J. Veyret. — Témoignage de l’intéressé.