DELMAS André, Pierre, Émile

Par Jean Maitron, Michel Dreyfus

Né le 6 avril 1899 à Montauban (Tarn-et-Garonne), mort le 18 avril 1979 à Paris (XVIIIe arr.) ; instituteur ; syndicaliste, membre de la commission permanente du SNI (à partir de 1926) puis secrétaire général (1932-1940) ; membre suppléant (1931-1933) puis titulaire (1933-1936) du Conseil national économique ; secrétaire général du Mouvement fédéraliste européen (1959-1962).

Fils d’un ouvrier typographe de Montauban qui installa par la suite, dans cette ville, une petite imprimerie, et d’une mère employée de commerce dans une mercerie, André Delmas eut un frère, Édouard, né en 1903, et une sœur, Adrienne, née en 1912. La famille était de sentiments républicains, ne fréquentait pas l’église mais le jeune André fit toutefois, le moment venu, sa première communion. En mai 1910, il passa le concours des Bourses, fut reçu mais ses parents n’ayant pas obtenu l’aide financière attendue, renoncèrent au lycée pour leur fils qui entra au cours supérieur le 1er octobre 1910 et, en juillet 1911, fut reçu troisième du canton au Certificat d’études primaires. Toutefois, atteint d’une pleurésie puis d’une péritonite, il dut interrompre ses études durant dix-huit mois et ce n’est que le 1er octobre 1912 qu’il put les reprendre au Cours complémentaire de Montauban. Deux années plus tard c’était la guerre et toutes ses conséquences, y compris sur le plan des études. Reçu premier au concours d’entrée à l’École normale en 1915, André Delmas y resta deux années - la troisième année étant supprimée du fait de la guerre - et fut reçu au Brevet supérieur en juillet 1917. Il travailla ensuite à l’inspection académique de Montauban durant un an, prépara le professorat de lettres auquel il échoua étant donné les conditions déplorables de sa préparation. Après avoir accompli son service militaire, il se retrouva en novembre 1921, instituteur dans un cours élémentaire à Saint-Antonin-Noble-Val dans l’arrondissement de Montauban. L’année suivante il était nommé au Cours complémentaire de Montauban où il exerça d’octobre 1922 à février 1931 et enseigna Français et Histoire-Géographie.

« C’est dans les premiers mois de 1924 que je m’engageai vraiment dans le combat syndicaliste » a écrit André Delmas dans ses Mémoires d’un instituteur, op. cit., p. 99 et, de fait, il fut alors avec Ségalas-Talous secrétaire adjoint de la section syndicale des instituteurs du Tarn-et-Garonne, rédacteur responsable du Bulletin, Serres, directeur d’école, étant secrétaire général. Dans ces fonctions, il intervint au congrès national du SNI tenu à Paris en août 1925 et critiqua la Circulaire De Monzie du 20 juin précédent qui avait certes créé le Comité consultatif dans chaque département mais qui ignorait le syndicat et dont le comité n’était, ainsi que le titre l’indiquait, que simplement consultatif.

En 1924 André Delmas, élu secrétaire adjoint de l’Union des syndicats CGT de son département dépendante de la Haute-Garonne, par la direction de Toulouse Haute-Garonne, fit reconnaître par la direction de Toulouse l’autonomie du Tarn-et-Garonne, lança L’Action ouvrière, journal de la nouvelle UD et adhéra en mai au Parti SFIO dont il fut l’année suivante secrétaire fédéral. André Delmas mena alors une propagande très active tant sur le plan politique que sur le plan syndical. Candidat socialiste SFIO aux élections législatives du 22 avril 1928, il prit pour ce faire un congé de quinze jours sans traitement et groupa sur son nom 2 300 voix environ dont 1 300 à Montauban. Au printemps de l’année suivante, il fut d’ailleurs élu, quoiqu’inéligible (fonctionnaire rétribué partiellement par la commune) au conseil municipal de Montauban.

Lors du congrès du SNI tenu à Strasbourg en 1926, A. Delmas avait été élu membre de la Commission permanente nationale et chargé, avec Marie-Louise Cavalier des revendications des jeunes. Cinq ans plus tard, le 1er mars 1931, il fut détaché comme permanent et s’installa à Paris. Cette même année il épousa Marcelle Artis, née le 27 août 1905 à Sept-fonds (Tarn-et-Garonne), Sévrienne et alors jeune professeur de physique au lycée de Montauban. Membre de la commission de contrôle de la CGT depuis le 19 septembre 1931, il devint un des secrétaires adjoints de la Fédération générale des Fonctionnaires en 1932.

« C’est le soir même de la clôture du congrès de Clermont-Ferrand le 6 août 1932 que j’ai pris effectivement la direction du SNI » a écrit Delmas dans ses Mémoires (cf. p. 169). Installé au 94 rue de l’Université à Paris (VIIe arr.), il conserva cette direction jusqu’en 1940. En schématisant on peut dire qu’il se consacra essentiellement, outre à la défense de la situation des instituteurs, à trois luttes essentielles : pour l’indépendance du syndicalisme, contre les menaces fascistes, contre la guerre menaçante.

La défense des conditions de vie de ses camarades s’exprima dans le combat mené de 1932 à 1936 afin de faire abroger le décret loi du 9 novembre 1932 qui entraînait pour les instituteurs le passage du régime de retraite dont ils bénéficiaient, de la catégorie B à la catégorie A, c’est-à-dire du cadre du personnel actif dans celui du personnel sédentaire. L’annulation ne fut obtenue, non sans mal, que fin 1936.

Le SNI et son secrétaire général jouèrent un grand rôle dans l’organisation du combat républicain à la suite de l’émeute du 6 février 1934, la grève générale et les manifestations qui s’ensuivirent le 12. C’est à l’initiative de Delmas, G. Lapierre, P. Gérôme, et toujours en vue du succès de la même cause, que fut créé le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes (CVIA) dont la première réunion se tint le 17 février 1934 avec Alain, P. Rivet, P. Langevin et P. Gérôme (F. Walter dit) secrétaire. Les premières signatures du manifeste parurent dans l’École libératrice le 10 mars et le Comité se montra très efficace durant deux années puis se survécut jusqu’à la guerre. Une souscription lancée dans le milieu instituteur rapporta 625 000 francs en juin et permit la parution d’un hebdomadaire, destiné aux ruraux, La Terre qui devint La Terre libre et groupa jusqu’à 40 000 abonnés. A. Delmas en rédigeait chaque semaine le billet politique. Il collaborait hebdomadairement aux Cahiers d’information du militant (1er numéro janvier 1935) qui comptèrent 1 500 abonnés en 1938 et publièrent deux numéros spéciaux : Les 200 familles ? Les voici, septembre 1935 et, en octobre 1938, un autre numéro sur la crise internationale. Delmas assurait l’essentiel du travail de recherche, de présentation des informations, des corrections d’épreuves et mise en page. Le 10 novembre 1934, A. Delmas lança un appel dans l’École libératrice « pour un large rassemblement » prélude du Rassemblement populaire dont la première réunion se tint au siège du SNI et qui organisa le 14 juillet 1935 le rassemblement du vélodrome Buffalo suivi l’après-midi de la grande manifestation de la Bastille au cours de Vincennes.

André Delmas joua également, selon son propre témoignage, un rôle actif dans la réunification du mouvement syndical. Il se prononça nettement pour l’unité syndicale mais avec « élimination complète des méthodes et procédés communistes ». Une importante discussion sur la question de la réunification eut lieu au Comité confédéral national de la CGT les 5 et 6 octobre 1934 à l’issue de laquelle le CCN demanda la « reconstitution totale de la vieille CGT ». Le 9 octobre, une première réunion commune entre militants de la CGT et de la CGTU à laquelle assista André Delmas, eut lieu, suivie d’une nouvelle réunion le 25 janvier 1935. Il s’y montra partisan résolu de l’indépendance syndicale vis-à-vis des organisations politiques et interpella avec insistance les militants de la CGTU sur ce problème qui fut une pierre d’achoppement aux discussions pendant plusieurs mois. Enfin, en juin 1935, la CGTU se prononça contre « la constitution dans les syndicats d’organismes agissant comme des fractions ». Dès lors, la marche à la réunification syndicale se fit à grands pas et le congrès de réunification entre la CGT et la CGTU se tint à Toulouse du 2 au 5 mars 1936.

Dans le cadre de ses responsabilités, André Delmas eut plusieurs entrevues avec Léon Blum et d’autres membres du gouvernement de Front populaire. Selon son témoignage, il ne lui fallut guère attendre pour que sa confiance dans la réussite gouvernementale du Front populaire fut fortement ébranlée (À gauche de la barricade p. 97, 111, 112-113, 126). Lors du congrès du Syndicat national des instituteurs qui se tint à Lille au début d’août 1936 il dénonça l’attitude du Sénat qui s’attachait « à retarder le plus possible le vote de projets de lois que le gouvernement dépose devant lui ». Cette intervention fut critiquée par l’Humanité ce qui amena André Delmas à proclamer que « le Parti communiste n’était pas spécialement qualifié pour prendre la défense des vénérables institutions parlementaires » (À gauche de la barricade, p. 124).

Très en défiance à l’égard des communistes, André Delmas veilla, durant cette période 1936-1939 à soustraire à leur influence le SNI (85 000 adhérents) et la CGT. Membre de la CA de la CGT depuis 1936, il avait soutenu l’hebdomadaire Syndicats (n° 1, 16 octobre 1936) de ses amis Belin et Froideval, destiné à contrebalancer l’influence de la Vie ouvrière. Son action la plus notable eut lieu à Nantes, au congrès de la CGT de novembre 1938. C’est Delmas qui présenta une motion hostile à l’influence du PC contre celle « centriste » ou de « statu quo » de Vivier-Merle à laquelle s’étaient ralliés les communistes. Il recueillit 7 221 voix contre 16 582 à celle de Vivier-Merle (abstentions 1 280, motion Serret 121). Pendant ce congrès parurent les décrets-lois Daladier-Reynaud contre lesquels fut déclenchée la grève du 30 novembre 1938.

Mais la guerre menaçait, précédée par le soulèvement franquiste et la guerre civile espagnole. André Delmas se prononça en faveur de la politique de non-intervention et sur cette question, « à contre-courant dans la CGT, mais avec succès dans les rangs des instituteurs syndicalistes, je soutins la courageuse politique de Léon Blum » Mémoires, p. 337. En septembre 1938, peu avant Munich, lorsque les menaces de guerre se firent plus pressantes, Delmas lança avec le SNI et le syndicat des agents des PTT une pétition écrite de sa main et qui recueillit en trois jours 150 000 signatures. Deux mois plus tard, au congrès de Nantes, c’est lui qui présenta une motion sur la défense de la paix qui obtint 6 419 voix, la motion Vivier-Merle en groupant 16 784 (abstention 1 046, motion Serret 76 voix). Pour Munichois qu’il ait été, Delmas tint dans ses Mémoires (p. 269-270) à marquer son désaccord avec la formule lancée par son ami Mathé des PTT à Toulouse en mars 1935 : « Plutôt que la guerre, la servitude. », formule dont on lui fit parfois endosser la paternité. Il précisa : « En défendant la démocratie et la liberté, nous défendons en même temps la paix. La lutte pour la liberté et la lutte pour la paix sont un même combat qu’aucun syndicaliste ne saurait déserter. »

Et puis ce fut la guerre. André Delmas rejoignit la 42e demi-brigade de mitrailleurs malgaches à Pamiers puis fut versé le 1er février 1940 au dépôt des travailleurs auxiliaires d’artillerie de Toulouse. L’armistice l’y surprit caporal. Rendu à la vie civile, il rejoignit Montauban. Appelé par René Belin ministre du Travail, il se rendit à Vichy le 13 septembre 1940, rencontra le lendemain le Maréchal Pétain et réussit sur le moment à le convaincre de mettre un frein aux sanctions contre les instituteurs. Mais, son entourage convainquit Pétain que le Syndicat national des instituteurs n’ayant jamais eu d’existence légale, il fallait éviter de lui conférer, même indirectement, une reconnaissance et les autorités interdirent une réunion des secrétaires de sections départementales de la zone sud à Clermont-Ferrand. Delmas fut nommé au Cours complémentaire de Saint-Cloud. Sans notification officielle, le SNI fut dissous et ses biens mis sous séquestre. De 1940 à 1944, Delmas vécut, semble-t-il, à Montauban. Il écrivit dans La France socialiste sous le pseudonyme de Ch. Letisserand. Il fut arrêté en 1944 pour « collaboration ». Selon l’École libératrice (article de G. Georges et H. Aigueperse) du 4 mai 1979, A. Delmas « crut devoir, à partir de la dissolution du syndicat en 1940, se tenir à l’écart de l’opposition syndicale active au régime de Vichy et on lui reprochait de n’avoir pas cherché à établir des contacts avec des militants du bureau ou des sections pendant l’Occupation ». Aussi ne figura-t-il pas sur la liste des membres du bureau national reconstitué dont H. Aigueperse fut, en 1945, le secrétaire général.

Admis à faire valoir ses droits à la retraite en 1948, directeur en 1951 de l’Information socialiste, organe du Parti socialiste démocratique, il fut ensuite de 1959 à 1963 secrétaire du Mouvement fédéraliste européen puis se fit remplacer pour raison de santé. Il était en 1965 directeur de l’édition en langue européenne de Fédéraliste européen.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article22074, notice DELMAS André, Pierre, Émile par Jean Maitron, Michel Dreyfus, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 3 août 2022.

Par Jean Maitron, Michel Dreyfus

ŒUVRE : Brochures de 1933 : Contre l’absurde déflation (série d’articles d’A. Delmas parus dans L’École libératrice), La Crise actuelle et le syndicalisme (sans nom d’auteur mais « de ma plume » écrit A. Delmas dans Mémoires, op. cit., p. 185). — Le rôle social de l’instituteur, Paris, Librairie syndicale, Centre confédéral d’éducation ouvrière, 1937, 24 p. — Gérant du journal Syndicalisme. — Combats pour la paix, Sudel, 1939. — À gauche de la barricade, Paris, L’Hexagone 1950, 224 p. — Les Communautés européennes, Paris, Association européenne des enseignants, 1965, 64 p. — Intervention in Édouard Daladier, chef de gouvernement, avril 1938-septembre 1939, Paris, Presses de la Fondation nationale des Sciences politiques, 1977, 319 p. — Communication in La France et les Français en 1938-1939, Paris, Presses de la Fondation nationale des Sciences politiques, 1978, 366 p. — Mémoires d’un instituteur syndicaliste, préface de G. Lefranc, Paris Albatros, 1979, 478 p. La version intégrale (la moitié a été publiée) et deux ouvrages inédits ont été remis à M. Claude Harmel par Mme Delmas avant son entrée dans une maison de retraite de la MGEN.

SOURCES : Arch. PPo. 306. — Arch. Jean Maitron. — Collection de L’École libératrice, 1930-1939. — À gauche de la barricade, op. cit. — École libératrice, n° 26, 4 mai 1979. — Le Monde, 26 avril 1979.

ICONOGRAPHIE : A. Delmas Mémoires, op. cit

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