VANLERENBERGHE Pierre, Gérard, Maurice

Par Guy Groux

Né le 25 juin 1942 à Bully-les-Mines (Pas de Calais) ; ingénieur ICAM 1964, IAE de Paris ; secrétaire général de la Jeunesse étudiante chrétienne JEC (1965-1966), secrétaire national de la Fédération de la chimie FIC puis FUC-CFDT (1970-1975), secrétaire général de l’Union confédérale des ingénieurs et cadres UCC-CFDT (1975-1984), membre du Bureau national de la Confédération CFDT (1976-1984) ; cadre dirigeant de Saint-Gobain (1984-1992) ; chef du service des affaires sociales au Commissariat général du Plan (1992-2014) ; président d’Echange et projets (1988-1996) ; président de la Fondation des associations FONDA (2008-2012).

Fils de Victor Vanlerenberghe, responsable à la fédération des mineurs CFTC pour les employés, et de Jeanne Lefaire, institutrice puis mère au foyer, il est le second d’une fratrie de quatre enfants (deux garçons, deux filles). Son père fera partie du noyau de militants qui créèrent la CFTC dans les Mines de Béthune (Pas-de-Calais) dans les années 30 puis la développèrent à partir de 1936 face à « l’hégémonisme de la CGT » selon ses propres mots. Il communiqua ses passions syndicales et politiques à ses fils, Jean-Marie qui fut maire d’Arras et sénateur du Pas de Calais, et Pierre.
Celui-ci, né dans un coron minier de la Cité des Alouettes de Bully-les-Mines, a été profondément marqué par la question de la condition ouvrière, les luttes accompagnant la valorisation du métier de mineur, le rêve d’émancipation individuelle et collective portée par le syndicalisme, et un catholicisme de témoignage dont son père se réclamait haut et fort.
En 1955, Pierre Vanlerenberghe devient militant jéciste cadet durant ses études secondaires au collège Saint-Paul de Lens (Pas-de-Calais). La JEC était le mouvement d’Action catholique « trublion » de l’Association catholique de la jeunesse française (ACJF) dissoute en 1956 à la suite d’un conflit avec la hiérarchie catholique, un conflit qui ressurgira sous d’autres formes plus tard.
Ses études supérieures se déroulent à Lille à l’Institut catholique des Arts et métiers dont il sort ingénieur en 1964. Elles se poursuivront à l’IAE de Paris (Master AE, 1966) et à l’Institut des sciences sociales du travail auprès du professeur Bartoli (Paris Panthéon-Sorbonne), spécialiste de l’économie du travail. Durant cette période, il exerce différentes responsabilités, dont celle de secrétaire fédéral de la JEC du Pas-de-Calais au moment où elle connaît une impulsion largement liée à l’évêque d’Arras, Mgr. Huyghe. C’est à Lille qu’il rencontre son épouse Claudine Boo, également responsable départementale de la JECF, qui deviendra professeur certifiée de lettres classiques. Ils se marient en 1965 et auront deux garçons, Olivier et Julien.
En juin 1964, Henri Nallet (futur ministre de François Mitterrand, alors secrétaire général de la JEC) lui demande de venir l’assister à la direction nationale de la JEC. Il y devient secrétaire général adjoint auprès de Pierre Le Strat nouveau secrétaire général à la suite de remarques doctrinales faites par Mgr Veuillot. Rapidement l’équipe nationale se divise et après une intervention de l’épiscopat français, une moitié des dirigeants nationaux de la JEC démissionne. Pierre Vanlerenberghe prend la direction du mouvement afin de le redresser et de le moderniser.
Fin 1966, il intègre la société SOVIREL (filiale de Boussois et de Saint-Gobain pour les verres techniques). A l’occasion des événements de mai 1968, il y crée de toutes pièces avec des techniciens, la CFDT, sur une terre cégétiste « régnant » sur trois usines regroupant 3200 personnes. L’aspiration à la démocratisation de l’entreprise, telle qu’elle s’exprimait alors sur le terrain, formait un puissant stimulant pour la nouvelle organisation qui deviendra sous la houlette de Claude Jansac, rapidement majoritaire.
Au début 1968, il rencontre Jacques Moreau responsable des ingénieurs et cadres de la Fédération des industries chimiques FIC-CFDT. Il entretient des liens très forts avec lui durant les « événements » et c’est naturellement qu’il est appelé à siéger au conseil de l’UNICIC (Union nationale des ingénieurs et cadres des industries chimiques) dès 1969. Jacques Moreau, un « vrai intellectuel syndicaliste » comme l’a décrit Edmond Maire fut pour lui « un tuteur » sur le plan syndical comme sur le plan politique et philosophique.
Élu, fin 1970, secrétaire général de l’UNICIC, il est plus que jamais porté par une exigence, la démocratisation de l’entreprise. Le syndicat milite alors pour une extension des responsabilités économiques des Comités d’entreprise et la création d’instances similaires au niveau des groupes. Cette proposition travaillée par l’UCC, présentée à la Commission Sudreau sur la réforme de l’entreprise, fut retenue dans le rapport publié en 1975. Elle conduisit aux Comités de groupes établis par les lois Auroux en 1982 puis aux Comités d’entreprises européens créés par une directive en 1994.
En 1975, il succède à Roger Faist comme secrétaire général de l’Union confédérale des ingénieurs et cadres (UCC-CFDT) et constitue une équipe dirigeante avec Pierre Houdenot, Yves Lasfargue, Joseph Le Dren, Philippe Brocard puis plus tard Michel Rousselot.
Après la déconfessionnalisation de 1964 et l’affirmation de l’identité autogestionnaire du syndicat en 1968, les cadres adhérents à la CFDT se trouvaient au début des années 70 confrontés à la montée de revendications et de comportements anti-hiérarchiques. Afin d’éviter l’érosion d’adhérents, deux axes stratégiques sont alors privilégiés. Le premier, initié un peu plus tôt, consistait à interroger les relations d’autorité et de pouvoirs dans l’entreprise. L’affaire « Chapron-de Charrette » fut l’occasion de montrer que la responsabilité hiérarchique qu’ont certains cadres doit être codifiée comme n’importe quel autre lien de subordination au sein de l’entreprise. Le second axe renvoyait à la réflexion sur les conditions de l’engagement syndical des ingénieurs et cadres dans les grosses entreprises ou administrations, lieux principaux d’implantation, en leur permettant de s’interroger de façon pragmatique sur les pratiques professionnelles et syndicales susceptibles de favoriser une « réforme de l’entreprise » et ainsi de mieux se faire comprendre des autres salariés.
La publication par la CFDT du livre Les dégâts du progrès (Seuil, 1977) renforce l’idée que les changements liés aux nouvelles technologies de l’information dans le tertiaire et dans l’industrie sont un moment privilégié pour modifier les règles de gestion vers plus de progrès social et de meilleurs rapports humains. Alors l’une des lignes directrices de l’UCC qui sera reprise dans plusieurs colloques et numéros de la revue Cadres CFDT, peut se résumer ainsi : « il n’y a pas de déterminisme technologique » et entre plusieurs modes d’organisation possibles, il faut agir pour choisir celui qui crée de nouveaux rapports entre les salariés, favorise la participation de tous aux mutations en cours, conduit à plus d’efficacité. D’où les appels à faire des Comités d’entreprise des lieux d’analyse et de propositions.
En parallèle, sont enrichies les actions et propositions concernant des thèmes plus « traditionnels » : la question de la hiérarchie des salaires la plus juste possible, la protection sociale et les retraites, la recherche d’une fiscalité plus juste et bien sûr les questions de formation professionnelle et d’emploi.
La conjonction de ces deux démarches et la création dans chaque fédération d’unions fédérales de cadres (puis de pôles régionaux d’animation) donnent des résultats. Lors des élections prud’homales de 1979, l’UCC-CFDT est confirmée comme la seconde organisation syndicale chez les cadres, loin derrière la CGC mais distanciant nettement l’UGICT-CGT qui laissait accroire jusqu’alors qu’elle était la grande organisation rivale de la CGC. Ceci lui permet de jouer un rôle très actif lorsque la gauche accède au pouvoir en 1981, notamment sur le terrain de la politique industrielle, du lancement de la future CSG, de la réduction du temps de travail pour créer de l’emploi ou sur l’idée des fonds salariaux d’épargne obligatoire des salariés. En 1983, elle sera signataire de l’Accord national interprofessionnel sur l’encadrement signé, pour la CFDT, par Jean Kaspar et Pierre Vanlerenberghe. Portant pour l’essentiel, et dix ans après l’affaire « Chapron », sur les responsabilités en matière de sécurité, l’accord préconisait aussi le développement des entretiens annuels d’évaluation et l’application de règles adaptées aux cadres quant à la gestion du temps de travail.
Aux côtés de Jacques Chérèque, Pierre Vanlerenberghe anime la « majorité confédérale » qui, forgée au congrès d’Annecy en juin 1976, accompagnera la « re-syndicalisation » de la centrale à partir des pratiques de négociations des grandes fédérations industrielles, une « re-syndicalisation » liée au rapport Moreau adopté en 1977.
Au fil du temps, l’impulsion donnée dans les années 1970, conduit à une reconnaissance accrue de l’UCC dans la CFDT. D’une instance qui devait son existence à l’engagement de dirigeants comme Edmond Maire et René Decaillon ou à certaines fédérations (chimie, PTT, EDF, Cheminots notamment), elle est désormais reconnue par la plupart des fédérations.
Sur le terrain de la réflexion plus générale, Pierre Vanlerenberghe ne fut pas inactif. Il est à l’origine à la fin des années 1970, de l’une des premières grandes enquêtes de terrain à propos de l’engagement professionnel et militant des cadres dans l’entreprise, une enquête qui sera placée sous la houlette du laboratoire de sociologie du travail et des relations professionnelles dirigé par Jean-Daniel Reynaud, professeur au CNAM, et de la Délégation générale à la recherche scientifique et technique (DGRST). Il impulse, sur les questions du travail, de l’entreprise et de l’autorité, des séminaires de recherche menés avec de jeunes dirigeants comme Jean-Paul Jacquier et quelques autres ou des intellectuels comme Renaud Sainsaulieuet Henri Vacquin. D’autres initiatives du même type se déroulent avec Jean Kaspar, Jean-René Masson et des sociologues comme Johann et Andrée Schwalbach qui animeront des séminaires à propos de Gramsci ou de Touraine.
Sur le plan politique, Pierre Vanlerenberghe connaît à la fin des années 1960, une brève expérience au sein de la CIR (Convention des institutions républicaines incarnée par François Mitterrand). Avec d’autres dirigeants cédétistes, il rejoint en 1974, le Parti socialiste dans la foulée des « Assises du socialisme » dont il anime avec quelques autres tel André Jeanson, la « troisième composante ». En 1981-1982, il est membre de la commission « Réforme de l’épargne » animée par David Dautresme. C’est surtout avec Jacques Delors, qu’il mène une réflexion socio-politique, au sein du club Echange et projets créé par ce dernier en 1974. Il y côtoie des hauts fonctionnaires comme Jean-Baptiste de Foucauld, des chefs d’entreprises comme José Bidegain. Ce club irriguera les cabinets ministériels dans les premières années de la présidence Mitterrand, ce qui facilitera les relations de la CFDT avec le nouveau pouvoir notamment pour la conception des lois Auroux. Il en sera le président de 1988 à 1995.
Lorsqu’il quitte ses responsabilités à la CFDT, il rejoint à la demande de Roger Fauroux le groupe Saint-Gobain comme directeur de la gestion des cadres jusqu’en 1992. Après le vote de la loi sur le RMI (décembre 1988), il accepte de présider la première grande « Commission nationale d’évaluation » portant sur cette mesure emblématique. Il s’agissait là de donner forme à l’une des priorités de Michel Rocard alors Premier Ministre qui voulait faire de l’évaluation un outil essentiel de la modernisation de l’action publique. La commission rendra ses conclusions en février 1992 et la loi sera pérennisée et améliorée.
En septembre 1992, il rejoint le Commissariat général du Plan (CGP) comme chef du service des affaires sociales. Se déroulent ou s’organisent alors de nombreux travaux sur des sujets très divers comme le financement de la protection sociale (J-B. de Foucauld, 1995), l’avenir des retraites (J-M. Charpin, 1999), les grandes évolutions du travail (J. Boissonnat, 1995), la jeunesse et l’avenir (D. Charvet, 2001), la cohésion sociale et les territoires (J-P. Delevoye, 1997), la réduction du temps de travail (H. Rouilleault, 2001). Plus tard, il fera des propositions pour la transformation du CGP en Commissariat à l’évaluation et à la prospective stratégique partagée, des propositions qui inspireront en partie la création par le gouvernement Ayrault du Commissariat général à la stratégie et prospective.
A partir de mars 2008, toujours concerné par la question de l’engagement individuel et collectif, il succède à Jean-Pierre Worms et préside jusqu’en 2012 la FONDA (Fondation des associations) qui prolonge les initiatives de l’Association pour le développement des associations de progrès animée par François Bloch-Lainé au milieu des années 1970.
Il est fait Chevalier de la Légion d’Honneur en 1999.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article220997, notice VANLERENBERGHE Pierre, Gérard, Maurice par Guy Groux, version mise en ligne le 11 décembre 2019, dernière modification le 23 juillet 2022.

Par Guy Groux

ŒUVRE : Nombreux articles dans Cadres et Profession puis Cadres CFDT, articles dans CFDT Aujourd’hui, n°17, 23, 58, notamment n° 66 « Reconstruire des acteurs collectifs dans et grâce à la mutation » (mars-avril 1984), n°84 et n°106 « Le RMI ». — Le Pari de l’Insertion, rapport d’évaluation du RMI, Documentation Française, 1992. — « Pauvreté et exclusion » dans Enjeux économiques et sociaux, sous la direction de Philippe Chalmin, Economica, 1995. — « Société, économie, travail : la recomposition permanente » dans L’orientation face aux mutations du travail, Cité des sciences et techniques, Syros, 1997. — « Le droit peut-il produire de la cohésion sociale ? » dans Encyclopédie de la protection sociale. Quelle refondation ?, sous la direction de François Charpentier, Editions Liaisons et Economica, 2000. — Articles notamment dans Echange et Projets, la Tribune de la Fonda, et les revues Esprit et Projet. — Participation à de nombreux rapports du Commissariat général du Plan (période 1992-2004), notamment Le travail dans 20 ans, dit « rapport Boissonnat », Odile Jacob, 1995.

SOURCES : Arch. UCC-CFDT (notamment congrès de 1975, 1978, 1981 et 1984). — Revue Cadres et Profession puis Cadres CFDT, notamment n° 315-316, décembre 1984 (Congrès de Strasbourg). — Les nouveaux politiques, Alain Fernbach et Bernard Montanier, Garnier, 1979. — La deuxième gauche : histoire intellectuelle et politique de la CFDT, Hervé Hamon et Patrick Rotman, 1984. — Mémoires, Jacques Delors, Plon, 2004. — Le syndicalisme des cadres en France, 1963-1984 , un enjeu producteur d’enjeux, Guy Groux, thèse de doctorat d’Etat, Fondation nationale des sciences politiques, 1986. — Edmond Maire, Jean-Michel Helvig, Seuil, 2013. — La Jeunesse étudiante chrétienne, Bernard Giroux, Cerf, 2013. — Revues d’Echange et projets et de la FONDA. — Entretiens écrits et oraux avec Pierre Vanlerenberghe, 2019.

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