Le Gué de la Chaux, à Arcon (Loire) 22 juillet 1944.

Par Henry Destour

Le Gué de la Chaux, sur la commune d’Arcon (Loire), se situe aux confins du Forez et du Bourbonnais et à la jonction des départements de l’Allier, de la Loire et du Puy-de-Dôme. Au nord-Ouest, Le Mayet-de-Montagne (Allier) est à vingt kilomètres, Vichy (Allier) à cinquante. A l’est, Roanne (Loire) est à une trentaine de km. Le secteur des Monts de la Madeleine et des Bois Noirs, bénéficiant d’un relatif isolement, a accueilli plusieurs maquis d’origines géographiques et politiques diverses.

Au cours du premier semestre 1944, le secteur de Roanne (Loire) de l’Armée Secrète (AS) connut des difficultés certaines. La guerre des chefs y faisait rage et entravait l’action. La seule réalisation significative fut la création du maquis de la Cabane Fayot, commandé par le sergent-chef Lavigne, à l’ouest du Rocher de Rochefort sur la Côte Roannaise. Le 25 juin 1944 ce dernier, craignant une attaque, décida d’abandonner ce camp et de partir vers les Bois Noirs. À Arconsat (Puy-de-Dôme) un accident immobilisa le camion qui transportait dix-neuf hommes ; trois furent blessés et l’un d’eux, Paul Griffon, décéda à l’hôpital de Thiers où il avait été transporté. Après une réparation de fortune, le groupe put gagner le camp Vaillant-Couturier des Francs-Tireurs et Partisans (FTP) au Puy-du-Montcel à quelques kilomètres. Début juillet, Lavigne et cinq maquisards décidèrent de s’adjoindre à leurs hôtes tandis que le sergent-chef Burger qui avait renoué le contact avec l’AS partait s’installer au Gué de la Chaux avec douze compagnons.

Ce maquis s’étoffa de nouveaux recrutements et reçut un bon armement. En prévision de nouvelles arrivées, il fut décidé de créer trois camps susceptibles d’accueillir chacun une cinquantaine de personnes et un centre de tri dans une masure à un kilomètre en aval. Les camps, camouflés par un couvert boisé, donnaient sur une vaste clairière coupée en deux par un saillant également boisé. Au nord, un mamelon dominait le paysage et abritait près du sommet un chalet, ancien relais de chasse. Trois cents mètres plus bas, dans la partie ouest, une ferme était le centre de gravité du dispositif et l’exploitant Jean-Claude Dépalle et sa famille fournissaient aide et assistance aux maquisards ; l’est de la clairière était homologué par la Section des Atterrissages et des Parachutages (SAP). Au sud, la ravine du Sapey, un petit cours d’eau et la route départementale 177 délimitaient l’ensemble. A la mi-juillet, les trois camps rassemblaient en tout une cinquantaine d’hommes. Les relations avec la mairie d’Arcon et ses 280 habitants étaient bonnes. A cinq kilomètres, au lieu-dit la Croix-Trévingt sur la commune de Chérier (Loire), un autre groupe d’une trentaine de partisans également bien armés et commandé par le maréchal des logis Jules Postel-Pellerin, ancien des MUR qui refusait toute subordination à l’AS, avait établi son cantonnement.

Le 12 juillet 1944, deux maquisards du groupe Burger se rendirent au ravitaillement à Saint-Nicolas-des-Biefs (Allier) dans un char à bœufs portant une plaque d’identification au nom de Dépalle-Le Gué de la Chaux. Contrevenant aux ordres reçus, l’un d’eux, Jojo Bras portait une carabine ; ils furent contrôlés par la police allemande qui les soupçonna aussitôt d’être des terroristes. Bras fut molesté, jeté dans le coffre d’une voiture et emmené à Vichy ; Champalle put s’enfuir et regagner le camp.

Le 20 juillet lors d’une inspection, le lieutenant Roger Barriquand, tout juste nommé au commandement du secteur AS du Roannais, constata que le camp Burger était dépourvu d’installations de défense susceptibles de parer une attaque éventuelle. Informé de l’incident du 12 juillet et de la présence d’une compagnie de SS au Mayet-de-Montagne, il décida d’aménager en urgence des postes de tir enterrés, de mettre en batteries camouflées les deux mitrailleuses afin de couvrir les accès et de rester jusqu’à la fin des travaux. Il était là encore le 22 juillet 1944.

Ce jour-là avant l’aube, Paul Forge et Jean-Pierre Lau, en faction à 350 mètres, surveillaient la départementale 177. Ils perçurent des mouvements suspects et des bruits sur la route ; Forge courut donner l’alerte et revint à son poste. Au lever du jour, une troupe de 200 hommes - SS et volontaires de légions de l’Est commandés par le capitaine Knachel- franchit le Sapey et convergea vers la ferme Dépalle qui fut criblée de balles. Forge et Lau, grièvement blessés, furent massacrés sur place alors que Paul Genevrier, lui aussi blessé, était récupéré mais décéda le lendemain. Pierre Quatrepoint, qui faisait sa toilette à l’abreuvoir, tenta de fuir mais fut touché par un tir et achevé. Les allemands découvrirent un officier français n’appartenant pas au camp Burger qui était hébergé à la ferme : le capitaine René Bardet fut roué de coups puis transféré à Vichy où il fut torturé avant d’être fusillé ou abattu sommairement. Barriquand eut cependant le temps de déployer son dispositif pendant que Burger effectuait une diversion sur le flanc gauche ennemi. L’attaque allemande se concentra alors au nord de la ferme, sur le camp central dont les maquisards s’étaient répartis en deux pôles : Burger avait pris position à 100 mètres à l’est du chalet tandis que Barriquand défendait le carrefour des chemins d’accès à l’ouest. Les troupes allemandes donnèrent l’assaut quatre fois sans résultat. Yves Bérard et Paul Leroy furent tués dans leur poste de tir enterré.

Peu après 9 heures, un escadron du Groupe Mobile de Réserve (GMR) de Roanne, venu en renfort de l’ennemi, se mit en position au Nord-Ouest, sans être repéré par Postel-Pellerin et ses hommes et attaqua par les bois. Les GMR parvinrent à proximité du camp mais furent repoussés à la grenade. Pris en tenaille et en infériorité numérique manifeste, les résistants ne pouvaient que décrocher. Barriquand partit vers le nord à travers bois avec une trentaine d’hommes et réussit à passer entre les GMR et les allemands pendant que Burger essayait de gagner à l’ouest un camp inoccupé au lieu-dit la Grande Écluse. Là, il dut faire face à quelques ennemis restés en retrait. Le combat se termina vers 11 heures. A midi les SS et leurs supplétifs quittèrent le Gué de la Chaux avec des otages ; leur marche était ralentie par la trentaine de vaches du troupeau et deux chars à bœufs transportant les blessés, les armes et un butin important. Les GMR, avec des policiers allemands et des miliciens de Roanne, furent chargés de ratisser le secteur pour retrouver les fuyards ; ils restèrent à la Croix-Trévingt jusqu’au 25 juillet.

La capacité d’action de l’AS du Roannais fut sérieusement amoindrie. Malgré la qualité de leur riposte défensive les combattants avaient subi un choc moral incontestable. Le 23 juillet, au point de ralliement du stade Malleval de Roanne, seule une dizaine d’entre eux avaient retrouvé Barriquand et Burger ; quelques-uns avaient rallié le camp Vaillant-Couturier et d’autres étaient simplement rentrés chez eux. En outre, une colonne de renfort d’une centaine de volontaires, qui se dirigeait vers le Gué de la Chaux sous la conduite de l’adjudant-chef Guidotti, s’était dispersée en quasi-totalité à la nouvelle du combat. La guerre des chefs se ralluma, certains reprochant à Barriquand de n’avoir pas su maintenir la mobilisation et la capacité d’action du secteur roannais. Ceux qui restaient du groupe Burger s’installèrent à Saint-Georges-de-Baroille (Loire) avec quelques volontaires de Guidotti et reconstituèrent un maquis dont le commandement fut confié à Carrière, officier de réserve et officier de police. Le 18 août 1944, cette unité participa au combat de Neaux où certains rescapés du Gué de la Chaux trouvèrent la mort.

Le bilan humain du combat est difficile à établir, les inexactitudes ne manquent pas. Certains commentaires font état d’au moins dix morts chez les assaillants, ce qui paraît invraisemblable au regard de la durée de l’affrontement et des forces engagées du côté du maquis ; le témoignage de Daniel Devernois mentionne deux blessés dont l’un décéda à Saint-Nicolas-des-Biefs. Le groupe Burger ne disposait que de deux mitrailleuses, d’un bazooka, de grenades et d’armes individuelles. Les sources allemandes se font la part belle : dans le Journal de marche de son unité, le rapport du capitaine Knachel, daté du 25 juillet 1944, décrit ainsi l’opération : « Camp terroriste découvert dans région « Le Mayet », 20 km sud-est de Vichy, le 22/07 par commando de chasse du 18ème bataillon de SS, d’instruction. 41 ennemis tués, 7 prisonniers. Butin : 4 mitrailleuses, 2 bazookas, 7 fusils automatiques, 13 pistolets-mitrailleurs et munitions… » ; aucune mention n’est faite de pertes dans leurs rangs. A la fin de l’engagement, on compta cinq morts côté français et un blessé qui mourut le lendemain ; en outre parmi les otages, certains allaient décéder ultérieurement en déportation ou des suites de mauvais traitements.

Tous les occupants de la ferme furent emmenés comme otages. Ils furent interrogés, certains sous la torture, et emprisonnés. Ancien combattant, blessé et prisonnier de 14-18, Jean-Claude Dépalle, âgé de 56 ans, fut déporté ; il mourut le 11 décembre 1944 à Ladelund (Allemagne). Son fils Robert, âgé de 20 ans, déporté lui aussi, mourut à Dautmorgen (Allemagne) le 25 janvier 1945. La famille Dépalle avait déjà perdu un fils à la guerre, Albert en 1940. Deux journaliers venus travailler aux champs furent également torturés : Roger Degoulange, 17 ans, qui décéda en 1947 des suites de ces sévices et Antoine Mazioux qui vécut jusqu’en 1975. Victorine Dépalle, épouse de Jean-Claude, ses deux filles Jeanine et Ginette ainsi que Daniel Devernois, un petit berger d’une dizaine d’années, furent libérés au lieu-dit La Verrerie près de Saint-Nicolas-des-Biefs et se réfugièrent chez une parente au village de Périasse (Allier).

Une question reste posée, celle du rôle de Jojo Bras, accusé par certains d’avoir informé et guidé les SS. Le colonel Gentgen souligne son imprudence à l’origine de l’intervention ennemie, mais reste convaincu qu’il s’est tu sous la torture et mérite « indulgence et considération ». Le délai de dix jours entre son arrestation et l’assaut du camp semble indiquer que les allemands ne disposaient pas d’informations précises. En outre, le choix, peu habituel chez les SS, d’une attaque pédestre, atteste de leur méconnaissance du potentiel réel des résistants et de la crainte d’une embuscade sur la route départementale 177. La présence de Bras sur le lieu du combat, mains liées dans le dos et « tenu en laisse par un SS », rapportée par Daniel Devernois est possible, ces derniers n’hésitaient pas à exhiber des otages entravés lors de leurs exactions afin de saper le moral de leurs adversaires et de s‘en servir au besoin comme boucliers humains. Le colonel Gentgen le signale comme déporté mais aucune autre source consultée ne permet de le confirmer ou de savoir ce qu’il est advenu de lui.

Le 18e bataillon SS était commandé par le lieutenant-colonel Kremer. Cette unité fut impliquée dans de nombreuses exactions notamment à Saint-Yorre (Allier) le 7 août et à Saint-Yan (Saône-et- Loire) le 31 août 1944. Ses chefs furent jugés par le Tribunal militaire de Lyon du 8 au 12 décembre 1952 pour ce dernier massacre. Le capitaine Knachel qui avait dirigé les opérations du Gué de la Chaux et avait lui-même achevé des blessés à coups de crosse fut déclaré entièrement responsable et condamné à mort ; le colonel Kremer fut acquitté.

Au Gué de la Chaux, un important monument commémoratif rappelle le souvenir du maquis et de ses vingt-trois morts. On y retrouve les noms des victimes citées dans le récit, dont Paul Griffon accidenté en mission. Y figurent également des maquisards repliés à Saint-Georges-de-Baroille dont neuf trouvèrent la mort au combat de Neaux ; trois autres périrent dans les Vosges et en Alsace quelques mois plus tard. Une erreur malencontreuse a transformé le nom de Paul Leroy en Deroy.

Résistants exécutés au Gué de la Chaux

Bérard Yves
Forge Paul
Genevrier Paul
Lau Jean-Pierre
Leroy Paul
Quatrepoint Pierre

Bardet René fut fusillé à Aulnat.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article220999, notice Le Gué de la Chaux, à Arcon (Loire) 22 juillet 1944. par Henry Destour, version mise en ligne le 16 décembre 2019, dernière modification le 11 avril 2021.

Par Henry Destour

SOURCES : Arch. Dép. Loire : Archives du colonel René Gentgen, 11J436. — Arch. Départ. du Rhône : Mémorial de l’oppression : 3808W697. — Chambon Pascal, Les Résistances dans le département de la Loire 1939-1945, Éditions De Borée, Clermont-Ferrand, 2016, 395 pages. — Gentgen René, Résistance Loire, Esperluette, 38620 Monterrat, 1993, 395 pages. — Moncorgé Raymond, Montagne bourbonnaise 1939-1945, Imprimerie nouvelle, Saint-Pourçain-sur-Sioule, 2004. — Le Résistant de la Loire, bulletin trimestriel d’information publié par le comité départemental de l’ANACR-Loire, n° 34, 35,36,37,38 : Juillet 1944, La Chapelle – Le Gué de la Chaux, témoignage de Daniel Devernois. – site du journal Le Monde : le monde.fr>Archives, article : Le capitaine Knachel est condamné à mort, 13 décembre 1952. — Site Mémoire des Hommes. — Site memorialgenweb.

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