KA Djibo Leyti

Par Ndiouga Diagne

Né le 21 février 1948, à Thiel (Linguère), Sénégal ; mort le 14 septembre 2017 à Dakar ; Haute administration ; plusieurs fois ministre ; membre de la Fédération des étudiants de l’Union progressiste sénégalaise (FEUPS) ; membre du Parti socialiste (PS) ; membre fondateur de l’Union pour le renouveau démocratique (URD)

Fils de Leyti Ka et d’Adama Ka, Djibo Leyti Ka est né le 21 février 1948, à Thiargny (Linguère) au Nord du Sénégal. Il est le second fils d’une famille peule de cinq enfants et sera lui-même père de cinq enfants. Ayant grandi dans un environnement partagé entre la culture pastorale et agricole, le jeune Djibo entre tardivement à l’école. En octobre 1955, une école ouvre ses portes à Thiel, situé à 30 km de Thiargny. Durant cette rentrée scolaire, le jeune Djibo Ka et ses parents étaient en transhumance aux environs de Thiel. Toujours est-il que Djibo Ka s’inscrit en classe de CI avec comme instituteur Dame Faye. À son entrée à l’école, Djibo vivait au campement de ses parents avant d’être hébergé par le chef de canton Boydo Lobé en même temps qu’une dizaine d’autres élèves. Voici ce qu’il en dit : « je ne vivais pas dans la cour, même s’il arrivait souvent que j’y prenne des repas le soir, en compagnie des élèves qui y vivaient » [1] . Après quatre années passées au cours préparatoire de Thiel, Djibo part poursuivre ses études à l’école régionale de Linguère. Durant ces deux années d’école, il a pour instituteur Abdoulatif Seck. Il passe ses vacances à Thiargny, redevenant le petit berger qu’il n’a jamais cessé d’être en réalité .

Ayant obtenu le Certificat de Fin d’Études Élémentaires (CFEE), Djibo quitte son village natal pour continuer ses études à Dakar. En 1961, il s’inscrit en sixième, au cours privé PGF. Un an plus tard, il réussit le concours d’entrée en cinquième au lycée Van vollenhoven, devenu aujourd’hui le Lycée Lamine Gueye, et obtient en même temps une bourse d’internat. Son caractère et son engagement lui valent d’être le responsable du foyer du lycée Van Vollenhoven. En 1968-1969, il est le responsable des élèves de l’internat. Ses responsabilités au sein de l’école coïncidèrent avec la crise de mai 68.

Djibo Ka obtient son baccalauréat en 1971 avec la mention assez bien. Il s’inscrit à la Faculté de Droit et des Sciences économiques de l’Université de Dakar en 1971-1972. Il lit et commente les œuvres de Karl Marx et d’Engels et de Lénine : , « j’acquis la conviction que l’élégance des œuvres ne suffisait pas pour rendre compte des réalités africaines, sénégalaises, qui étaient celles des sociétés fort éloignées de celles qu’ils analysaient et que la révolution prônée, pour l’avènement de la société communiste, n’avait pas de pertinence dans les sociétés africaines, plus pré-médiévales même pas pré-industrielles » [2]. L’UDES et l’UED sont alors les deux syndicats (non officialisés) les plus revendicatifs. Ce sont eux qui ont lancé la grève qui a, en 1968, ébranlé le régime de Senghor. Un syndicat étudiant socialiste, la Fédération des Etudiants de l’Union progressiste sénégalaise (FEUPS) c’est-à-dire proche de l’UPS de Senghor avait bien été créé en 1961 mais le contexte l’avait quasiment réduit à néant. Ses adhérents se faisaient discrets par peur des représailles. C’est dans ces circonstances que Djibo Ka y adhère, en 1969, dès sa première année d’université et y entreprend un travail de renaissance avec ses camarades.

Après avoir obtenu une Licence en Sciences Economiques, Djijo Leyti Ka entre à l’Ecole Nationale d’Administration et de la Magistrature. Il passe quatorze mois à Saint-Louis avant d’être nommé adjoint puis directeur de Cabinet du Président Léopold Sédar Senghor, en 1977. Lorsqu’Abdou Diouf arrive à la magistrature suprême, Djibo Ka obtient le poste de ministre de l’Information, des Postes, des Télécommunications et des Relations avec les Assemblées dans le gouvernement dirigé par Habib Thiam, le 2 janvier 1981. Entre 1988 et 1990, il se retrouve au département du Plan et de la Coopération. L’ajustement structurel faisait encore sentir ses effets. Djibo Ka est nommé le 27 mars 1990 ministre de l’Éducation nationale. Lui qui jouissait déjà d’une réputation de fin tacticien allait-il relever les défis posés par un département qui traverse alors une crise profonde ? En tout état de cause la loi d’orientation de l’Education nationale, de février 1991, date de son magistère et régit toujours le système éducatif sénégalais malgré quelques modifications.

Djibo Leyti Ka est nommé, en 1993, à la tête du Ministère de l’Intérieur. Le Sénégal est alors confronté à une crise sociale, politique et économique généralisée. Sur le plan politique, les contentieux post électoraux n’en finissent pas et l’assassinat de Maitre Babacar Seye vice-président du Conseil Constitutionnel (Djibo n’était pas encore ministre de l’Intérieur) rend la situation encore plus complexe. Á cela s’ajoutent les conséquences d’une dévaluation durement ressentie par les ménages sénégalais. La manifestation de l’opposition du 16 février 1994, à laquelle participe Serigne Moustapha Sy (homme politique et religieux et président du Dahiraratou « Moustarchidiny Wal Moustarchidaty ») aboutit à un affrontement avec les forces de l’ordre. Le mouvement de contestation, né du « Plan d’urgence » décrété par le gouvernement, avait abouti à une grève généralisée des syndicats, puis quelques mois après l’opposition avait tenu un meeting le 23 octobre 1993. Le meeting avait été autorisé par le ministre de l’Intérieur, mais la marche n’était pas déclarée. Des actes de vandalisme sont constatés à Thiaroye, sur l’Avenue Cheikh Anta Diop et sur le Boulevard du Général de Gaulle. La réaction disproportionnée des forces de l’ordre a pour conséquence de plonger le pays dans une grave tension. Le ministre de l’Intérieur fait état de la mort de six (6) policiers et plusieurs blessés. Des centaines d’arrestations eurent lieu, entre autres (Abdoulaye Wade, Landing Savané, Babacar Sané, Pape Malick Sy, Pape Yérim Seck). Inculpés et placés sous mandat de dépôt, ils seront tous libérés après leur procès. Cette manifestation est largement relayée par la presse nationale qui fait état de sept morts, dont six policiers et un civil .

Djibo Ka est appelé à la tête du ministère des Affaires Etrangères en avril 1991. La diplomatie sénégalaise suscite respect et admiration malgré ses relations difficiles avec la Mauritanie et la Guinée de Sékou Touré. C’est d’ailleurs Djibo Ka qui est un des maîtres d’œuvre du rétablissement des relations diplomatiques entre le Sénégal et la Mauritanie suite aux événements de 1989. Déclenché à la suite d’un affrontement entre agriculteurs Sénégalais et éleveurs Mauritaniens, le conflit s’est vite généralisé dans les deux pays et a abouti à de graves violences. Ces dernières ont entrainé une situation de conflit quasi généralisé et une rupture diplomatique entre les deux pays.

Il est renvoyé du PS à la suite d’un remaniement et d’une brouille l’opposant à Moustapha Niass, ministre des affaires étrangères, qui l’avait giflé en plein bureau politique, en présence du président Diouf, en 1996. C’est ainsi que Djibo et certains de ses camarades mettent en place le courant du Renouveau démocratique. Á la suite du fameux « congrès sans débat » qui a consacré son rival, Ousmane Tanor Dieng, secrétaire général, il crée l’URD (Union du Renouveau démocratique) en 1998. Lors des élections législatives de 1998, sous la bannière d’une coalition avec le parti Jëf-Jël de Talla Sylla, l’URD obtient 11 sièges sur les 140 que compte à l’époque l’Assemblée nationale. Outre cette législature, il a été deux fois député, sous Abdoulaye Wade, en 2001 et 2007. Djibo Ka s’est aussi présenté à l’élection présidentielle pour l’URD, en 2000. Candidat de son parti, l’Union pour le Renouveau Démocratique (URD), il fut classé quatrième, au premier tour, après Moustapha Niass. Sous Abdoulaye Wade, en 2004, Il est ministre de l’Économie Maritime puis ministre de l’Environnement et de l’Hydraulique pastorale, puis ministre d’État, ministre de l’Environnement, de la Protection de la Nature, des Bassins de rétention et des Lacs artificiels, en 2007. Lorsque Macky Sall arrive au pouvoir en 2012, il est nommé, le 21 décembre 2015, Président de la Commission nationale du dialogue des territoires (Cndt) poste qu’il occupera jusqu’en septembre 2017.
Djibo Ka est toujours resté fidèle avec ses idées et ses convictions. Il jouit d’une grande admiration dans son village à Linguère et auprès des hommes politiques. Le 14 septembre 2017, le petit berger devenu grand commis de l’État rejoint les prairies célestes à la clinique des Madelaines, à Dakar. Un grand serviteur de l’État s’en est allé en emportant autant de secrets sur les évènements dans lesquels il a été impliqué directement ou indirectement. Il repose au cimetière musulman de Yoff, loin de son village natal et de ses parents.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article221052, notice KA Djibo Leyti par Ndiouga Diagne, version mise en ligne le 11 décembre 2019, dernière modification le 11 décembre 2019.

Par Ndiouga Diagne

Bibliographie : KA Djibo Leyti, 2005, Un petit berger au service de la République et de la démocratie, Dakar, les Nouvelles Éditions africaines du Sénégal, 351 p.

Sources :
Entretiens :
Gathiol Mbissane Ka, 72 ans, habitant à Thiargny, 23-08-2019.
Momar Kane, né en 1940 à Yang-Yang, ancien secrétaire municipal de Linguère, Linguère, 28-08-2019.
Simbin Ka, née en 1939, à Thiel, le 24-08-2019
Presse :
Le Soleil, n° 7117, février 1994.
Le Soleil n ° 14190, vendredi 15 septembre 2017

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