DRAGIĆ-BELOVIĆ Olga, dite MILIĆ Milica [Née DRAGIĆ Olga, dite BELOVIĆ Olga, Milica, ŽIVKOVIĆ Milica]

Née le 12 septembre 1914 à Vienne (Autriche-Hongrie), morte le 25 avril 1998 à Belgrade (Serbie) ; étudiante en médecine ; émigrée en Tchécoslovaquie, militante des Jeunesses communistes ; volontaire en Espagne républicaine, internée en France ; médecin à Belgrade après la Libération.

Des volontaires de Yougoslavie à Murcia en 1937 : de gauche à droite Liza Gavrić, Veljko Vlahović, Olga Dragić, Marko Spahić, un volontaire non identifié, Adela Bohunicki.

Issue d’une famille bourgeoise serbe, Olga Dragić entama en 1934 des études de médecine à l’Université de Belgrade et devint l’année suivante membre de la Ligue de la jeunesse communiste de Yougoslavie (SKOJ). Elle épousa Ratomir Belović dit Đorđe Stefanović (1915-1961), un étudiant serbe à la Faculté de technique de la capitale yougoslave, fils d’un riche entrepreneur belgradois, adhérent de la SKOJ dès 1933 et arrêté de ce fait plusieurs fois de 1933 à 1936. Le jeune couple émigra donc en mars 1936 à Prague, Olga Dragić s’étant inscrite en médecine et Ratomir Belović en architecture, mais ils partirent fin décembre pour l’Espagne.

Alors que Ratomir Belović rejoignit immédiatement Albacete où il fut affecté à la commission culturelle de la base des Brigades internationales (BI) puis au secrétariat du Service de sécurité des BI (SIM), Olga Dragić resta plus d’un mois à Paris pour suivre une formation d’infirmière. Déçue de n’avoir pas été autorisée à gagner tout de suite l’Espagne, elle logea dans une petite chambre d’hôtel avec un seul lit qu’elle partagea avec une autre volontaire, Liza Gavrić (1907-1974). Arrivée le 17 février 1937, Olga Dragić voulut servir au front mais fut affectée à Murcia, où elle travailla comme infirmière à l’hôpital Pasionaria, puis à partir de novembre dans le centre de convalescence des BI à Benicasim (Levant) et à partir d’avril 1938 à Moià (Catalogne). Considérée comme l’une des meilleures infirmières du service de santé international, elle milita dans la cellule du Parti communiste d’Espagne (PCE) à Moià mais ne fut pas admise par la commission étrangère du Comité central, car son mari était considéré comme un « élément hostile ». Ratomir Belović a en effet connu un parcours chaotique : parti en septembre 1937 dans une unité combattante, la batterie anti-char Miletić rattachée à la 45e division, il devint le mois suivant interprète des Soviétiques dans la 9e brigade de la 11e division puis tomba malade en janvier 1938 ; après sa convalescence à Benicasim et à Barcelone, il reprit sa fonction d’interprète dans la 227e brigade de la 42e division. Transféré dans le camp de Ripoll après la démobilisation des BI en septembre 1938, il se lia avec des volontaires critiques à l’égard de la ligne imposée par le PCE et qualifiés de « trotskistes ». Il fut donc arrêté puis libéré sur intervention de l’ambassade yougoslave, mais resta considéré comme un provocateur ayant cherché à éviter le front. Olga Dragić fut contrainte de divorcer, ce qui explique sans doute l’impression de Braina Rudina (1902-1973), qui la trouva « bizarre, un peu isolée, qui essaie de progresser individuellement ». Elle partit d’Espagne très éprouvée, comme en témoigne sa réponse à un autre ancien étudiant de Prague, Ivo Vejvoda (1911-1991), futur grand diplomate de la Yougoslavie titiste, qui lui demandait comment elle allait alors qu’ils s’apprêtaient à passer la frontière française en février 1939 : « J’ai l’impression d’avoir 200 ans. J’ai oublié de rire ».

Après la Retirada, Olga Dragić fut internée en France avec Borka Demić (1903-1989), d’abord au Boulou (Pyrénées-Orientales), puis à Saint-Zacharie (Var). Après une grève de la faim pour protester contre la rétention de vivres destinées aux enfants espagnols, les anciennes volontaires internationales furent séparées et Olga Dragić fut transférée avec quatre autres camarades en juin ou juillet 1939 à Vidauban (Var, entre Toulon et Draguignan) dans un camp de femmes espagnoles. Ces dernières accueillirent fraîchement les nouvelles venues, car elles avaient été convoquées à la préfecture avant leur arrivée et sommées de ne pas leur parler. Les internationales logèrent donc à part dans une chambre complètement vide avec un sol en béton et pas de paille pour faire une litière. Elles parvinrent toutefois à établir progressivement la confiance avec leurs codétenues, devenant les déléguées pour obtenir de meilleures conditions de vie et une aide médicale, l’alimentation étant insuffisante, le savon et le dentifrice faisant défaut. Ayant pris contact avec l’association locale des femmes, elles obtinrent une aide matérielle mais durent travailler en échange, à l’exception d’une internationale tuberculeuse qui périt après : elles firent les vendanges, puis Olga Dragić aida une couturière allemande prénommée Greta. L’argent gagné permit d’acquérir de la paille, des caisses récupérées firent office de table et de chaises, la ration fut améliorée grâce la collecte de melons, raisins et pêches.

Libérée rapidement, Olga Dragić rentra à Belgrade en octobre ou novembre 1939.
Comme Ratomir Belović, qui parvint à quitter le camp d’Argelès-sur-Mer (Pyrénées-Orientales) grâce à l’influence de son père, elle ne s’engagea pas dans la Résistance, et reprit après la guerre ses études de médecine, qu’elle acheva en 1950. Elle travailla six ans dans l’Institut de radiologie de la ville, puis dans le centre minier de Bor en Serbie orientale. Elle ne remplit pas le questionnaire de l’Association des vétérans yougoslaves (UJDŠRV), mais contribua au recueil de témoignages publié en 1971 sous la direction de Čedo Kapor (1914-2004). Malgré les déboires qu’elle avait connus en Espagne et sa prise de distance précoce avec le mouvement communiste, elle exprima son attachement profond à la lutte antifasciste en ces termes :

« L’Espagne ? Que signifie-t-elle aujourd’hui, 30 ans après ? […] L’Espagne pour nous n’est pas une somme d’anecdotes de guerre. Elle est synonyme de la jeunesse de notre génération, de ses aspirations et de ses combats pour une vie meilleure et un avenir digne de tous les peuples du monde. C’est aussi le synonyme de la tragédie d’une génération. Tragédie, parce que cette génération est morte. Et alors et après. Pendant toute une décennie. Là-bas, et dans tous les pays du monde, gagnés par la guerre que nous avons voulu empêcher. Elle est morte vite, souvent de façon épouvantable, inhumaine. Comment faire comprendre la solidarité en action des progressistes du monde entier à cette époque ? Comme faire comprendre aux jeunes d’aujourd’hui ce que nous avons tous ressenti alors ? Que nous sommes venus des cinq continents, de toutes professions, portés par la volonté d’empêcher l’expansion du fascisme, porteur d’horreurs, de ténèbres et d’asservissement de l’humanité entière, qui se préparait ? […] Comment parler du grand amour d’une génération de la Terre entière ? L’amour pour la paix, la liberté, le progrès, l’humanisme, la culture. On ne peut parler d’un tel amour. On doit le vivre […] ».

Interviewée quatre ans plus tard par une jeune journaliste du quotidien belgradois Politika, elle réitérait ces propos et ajoutait :

« L’Espagne ? Qu’en dire aujourd’hui après tant d’années ? Dire quelque chose à ce sujet à mes amis de l’époque est inutile. Nous nous comprenons encore aujourd’hui. Et nous nous comprendrons jusqu’à la fin de notre vie. Les mots ne sont pas nécessaires, ni les souvenirs. Un regard, un sourire, une poignée de main suffisent. […] Chaque fois que j’ai été en difficulté ensuite, je me suis souvenue de ce que j’avais vécu en Espagne. Après l’offensive au Jarama. Et je savais que je pouvais supporter beaucoup, beaucoup plus que j’avais appris la première heure. Et plus jamais je n’ai dit : ce n’est pas possible […]. Pour beaucoup, et aussi pour moi, ce furent les plus belles années de notre vie. Car nous les combattants pour la république espagnole avons vécu ces quelques années dans un monde exceptionnel, dans lequel les idéaux étaient plus intelligents, dans lequel on aimait l’autre plus que soi-même. Le cœur de l’homme était plein. On avait une autre position envers la vie. Chacun de nous savait, ressentait qu’il n’était pas seul. Et il semble que ça n’a plus jamais été comme ça dans ma vie ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article221247, notice DRAGIĆ-BELOVIĆ Olga, dite MILIĆ Milica [Née DRAGIĆ Olga, dite BELOVIĆ Olga, Milica, ŽIVKOVIĆ Milica], version mise en ligne le 17 décembre 2019, dernière modification le 6 janvier 2022.
Des volontaires de Yougoslavie à Murcia en 1937 : de gauche à droite Liza Gavrić, Veljko Vlahović, Olga Dragić, Marko Spahić, un volontaire non identifié, Adela Bohunicki.
À Belgrade en 1975

ŒUVRE : « Sećanje » [Souvenirs], in Čedo Kapor, Španija 1936-1939 [L’Espagne], Belgrade, Vojno-izdavačko zavoda, 1971, vol.5, p.448.

SOURCES : Archives d’État de Croatie (HDA, Zagreb), 1360.3.69, liste de volontaires, mai 1938. – RGASPI (Moscou), 545.6 caractéristiques n°715 du 9 mai 1941 (Milica Milić) et n°1010 du 30 mai 1941 (Đorđe Stefanović). – Archives de Yougoslavie (AJ, Belgrade), 724.ŠpI-b10 déclarations au CC KPJ à Paris de Kornelija Sende, Liza Gavrić et Braina Rudina en 1939 ; 724.Šp.VIII-B56, dossier personnel, questionnaire de Ratomir Belović sans date ; Šp.X1a5, rapport du ministère de l’Intérieur du 13 février 1937 ; Šp.X2/19 témoignage sur les camps français avec Borka Demić, sans date. – Liza Gavrić, « Zašto je sve teško bilo lako » [Parce que tout ce qui est difficile était facile], in Čedo Kapor et alii, Španija 1936-1939 [L’Espagne], Belgrade, Vojno-izdavačko zavoda, 1971, vol.3, p.327. – Slobodanka Ast, « Naše Španjolke 1936-1939. 4 Plamen jedne generacije » [Nos Espagnoles. La flamme d’une génération], Politika, 11 mars 1975. – Gojko Nikoliš, Korijen, stablo, pavetina (memoari) [Les racines, le tronc, le lierre (mémoires)], Zagreb, Sveučilišna naklada Liber, 1981. – Vera Gavrilović, « Organizacija sanitetske službe u Španskom ratu. Jugoslavenski dobrovoljci sanitetski radnici » [L’organisation du service de santé dans la guerre d’Espagne. Les volontaires yougoslaves impliqués dans ce service] in Ljubo Boban (éd.), Španjolska 1936-1939 [L’Espagne], Zagreb, Globus, 1986, p.177. – Lazar Udovički, Španija moje mladosti. Pismo mojoj deci [L’Espagne de ma jeunesse. Lettre à mes enfants], Belgrade, Čigoja štampa, 1997. – Anija Omanić, « Žene učesnice u Španskom ratu sa područja bivše Jugolavije » [Les femmes des territoires de l’ancienne Yougoslavie engagées dans la guerre d’Espagne] in Č. Kapor, Za mir i progres u svijetu [Pour la paix et le progrès dans le monde], Sarajevo, SUBNOR BiH, 1999, p.135. Avgust Lešnik et Ksenja Vidmar Horvat, « The Spanish Female Volunteers from Yugoslavia as Example of Solidarity in a Transnational Context », The International Newsletter of Communist Studies, vol. XX/XXI (2014/2015), n°27-28, p.45. – Ingrid Schiborowski et Anita Kochnowski (éd.), Frauen und der spanische Krieg 1936-1939. Eine biografische Dokumentation, Berlin, Verlag am park, 2016, p.133, version actualisée en ligne. – Stevan Gužvica, “Books and Rifles : The Political Activity of Yugoslav Communist Students in Prague from 1927 until 1937”, Prague, Slovansky prehled, n°103/1 et 2, 2017, pp.65-103 et 343-373.

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