RUDINA PEDANOVA Braina [dite NENADOVA Marlena dans l’Internationale communiste, FOS ou RUDIN-FOS Braina en Yougoslavie, VOSS, WESS, FOSSA, RUDIN-VOSS ou RODIN-VOSS Braina en Espagne, RUDINA Braina]

Par Hervé Lemesle

Née le 24 juin 1902 à Riga (Russie, Lettonie actuelle), morte le 9 novembre 1973 à Riga (URSS) ; médecin ; militante du Parti communiste, émigrée en Allemagne, en Autriche et en Yougoslavie ; volontaire en Espagne républicaine ; médecin dans l’Armée rouge en 1941, à Riga après 1945.

Braina Rudina ; source : I. de la Torre.

Issue d’une famille juive de Lettonie très pauvre, Braina Rudina fréquenta jusqu’en 1921 le lycée de Riga puis fit des études de médecine en Allemagne à Berlin et Fribourg comme sa sœur aînée Miriam (1898- ?) – qui se porta ensuite volontaire pour l’Espagne comme leur frère Jakob. Elle travailla en Allemagne, adhéra en 1931 au Parti communiste (KPD) et fit la connaissance de son futur époux Alfred Bergman (1901-1941), un juriste d’origines juives également devenu cadre du Parti communiste de Yougoslavie (KPJ), interné de 1929 à 1931 en Serbie, membre du Front des combattants rouges (RFB) et arrêté en 1933 à Berlin. Elle s’installa alors à Vienne pour fuir les persécutions antisémites, s’y spécialisa en psychiatrie, entra dans le KPJ et retrouva son mari, qui était entretemps rentré en Yougoslavie et avait été incarcéré à deux reprises en 1934 à Mostar dans sa Bosnie natale puis à Zagreb. Il dirigeait alors le centre technique du KPJ, chargé des relations entre la direction du parti en exil et les organisations du pays, dans lequel était impliquée une autre future volontaire croate en Espagne républicaine, Marija Habulin (1912-1941). Il est possible que Braina Rudina ait dans ce cadre vécu un temps à Zagreb et Belgrade, sous couvert de son activité médicale. Le couple partit en août 1935 à Moscou et suivit les cours de l’Ecole léniniste internationale (ELI) ; Braina Rudina y fut remarquée pour son zèle et promue dans les instances de l’Internationale communiste (IC), recevant une médaille stakhanoviste pour son travail dans un hôpital. Alfred Bergman intégra en août 1936 la Section des liaisons internationales de l’IC (OMS) étroitement contrôlée par le NKVD ; il fut chargé de recruter des volontaires et d’acheter des armes pour la République espagnole. Il partit en décembre à Prague, puis séjourna à Vienne et à Paris.

Braina Rudina quitta elle aussi Moscou en décembre 1936 et rencontra à Prague le secrétaire général du KPJ Josip Čižinski dit Milan Gorkić (1904-1937), qui lui confia la mission d’aller en Yougoslavie pour organiser le départ d’un groupe important de plus de 300 volontaires. Malgré les réticences de son époux, elle fit deux séjours à Belgrade, où elle comprit que le projet était périlleux vu la rigueur de la surveillance policière. Elle fut néanmoins convoquée début février 1937 à Paris, où Gorkić lui donna de l’argent pour organiser l’embarquement sur le bateau français La Corse à partir du littoral dalmate et monténégrin. Elle se rendit donc à Split puis à Kotor, mais début mars le plan tourna au fiasco à cause d’une météo exécrable et surtout parce que la police yougoslave avait été informée du projet par les autorités italiennes. Arrêtée à Budva, elle fut transférée à Belgrade, dans la prison malfamée de Glavnjača, et interrogée par le chef de la police, qui connaissait parfaitement son identité. Mais elle se montra inflexible, d’où son surnom de « Braina d’acier » : « Je suis médecin en Allemagne et je suis venue à Budva pour y acheter une maison et peut-être y ouvrir un centre de soin. Je ne sais rien ni sur le bateau La Corse ni sur les volontaires yougoslaves ». Lors de sa confrontation avec l’un des organisateurs de l’opération avortée, Adolf Muk (1893-1943), qui l’appelait par son pseudo Marlena et lui disait de tout avouer, elle le traita de provocateur en le vouvoyant. N’ayant rien cédé même sous la torture, son attitude héroïque fut saluée par l’organe du KPJ Proleter. Jugée en octobre 1937 et condamnée à six mois de prison qu’elle avait déjà purgés, elle fut expulsée de Yougoslavie, regagna Prague puis Paris et partit finalement en Espagne. Cet échec fut imputé à Gorkić, qui fut rappelé à Moscou et liquidé comme espion à la solde des Britanniques, Josip Broz dit Walter (1892-1980) le remplaçant à la tête du KPJ. Le futur maréchal Tito multipliait depuis des mois les efforts pour favoriser le départ de volontaires vers l’Espagne en activant ses propres réseaux en Yougoslavie. Alfred Bergman, arrivé à Albacete dès février 1937, affirma dans la biographie rédigée le mois suivant s’être opposé à la politique des cadres menée par Gorkić depuis 1934. Il adressa également deux lettres au Comité central du KPJ siégeant à Paris, dans lesquelles il imputait à Gorkić les failles de l’appareil technique qu’il avait constatées : à Prague, le futur volontaire Marko Perić dit Velimir Drechsler (1914-2000), l’ami d’Adela Bohunicki (1905-1978), était inexpérimenté et isolé ; à Vienne, un autre futur volontaire, Stevan Lilić dit Anton (1906-1938), était connu par la police et ne cloisonnait pas assez, utilisant de vieilles planques et manquant de matériel de propagande à destination de la Yougoslavie. À Paris, Bergman avait trouvé dans un hôtel des publications du parti, des bouteilles vides et des vêtements de ceux qui étaient déjà parti en Espagne permettant de connaître leur adresse. Lorsque la nouvelle de la liquidation de Gorkić parvint en Espagne, Bergman signala en avril 1938 au commissaire politique de la base des Brigades internationales Luigi Longo dit Gallo (1900-1980) que des brochures de l’ancien secrétaire du KPJ y circulaient encore et devaient être retirées.

À son arrivée à Albacete en février 1938, Braina Rudina fit au représentant du KPJ Božidar Maslarić (1895-1963) un rapport sur la situation en Yougoslavie comme le lui avait demandé Broz-Walter lors de son passage à Paris. Elle fut ensuite affectée à l’hôpital de Murcia jusqu’à son évacuation en avril, puis dirigea l’hôpital de S’Agaró en Catalogne, ce qui lui valut d’être promue capitaine. Pendant la Retirada, elle accompagna les invalides jusqu’à la frontière française, organisant une ambulance dans un tunnel pour se protéger des raids aériens ennemis et menaçant des chauffeurs d’un pistolet pour qu’ils prennent des blessés avec eux. En dépit de son adhésion sans réserve à la ligne stalinienne, elle ne fut pas admise dans le Parti communiste d’Espagne (PCE), sans doute parce que son époux, qui avait travaillé dans le service de sécurité des BI (SIM) pourtant très lié au NKVD, avait été réprimandé pour une raison qui reste à ce jour inconnue.

Contrairement aux autres volontaires, Braina ne fut pas enfermée à son arrivée en France. Elle parvint grâce à l’ancien chef des BI André Marty à intégrer le Comité des médecins français créé pour venir en aide aux internés dans les camps du Roussillon. Elle travailla ainsi à Perpignan pendant deux ou trois semaines, mais fut contrainte de partir quand cette tâche fut interdite aux médecins étrangers. Elle gagna alors Paris, où elle rédigea une déclaration au CC du KPJ, dans laquelle, conformément aux pratiques alors en vigueur dans l’appareil communiste, elle « évalua » ses camarades connues à Murcia et à S’Agaró. Si elle fut indulgente envers son époux, admettant qu’il avait des « défauts » sans préciser lesquels mais affirmant qu’il avait fait du « bon travail », elle se montra dans l’ensemble sévère envers ses consœurs, qualifiant Lujza Pichler dite Borka Demić (1903-1989) de « faible politiquement et nerveuse », Olga Dragić dite Milica Milić (1914-1998) de « bizarre », Kornelija Sende dite Nelly Popović (1914-1941) de « limitée et assez fourbe ». Cette dernière, dans sa propre déclaration, n’épargna pas non plus Braina Rudina, l’estimant « très capable mais ambitieuse ». Braina admettait dans ce document qu’elle avait peut-être fait des erreurs dans ses relations avec les autres, et déclarait être à disposition du KPJ et prête à retourner en Yougoslavie. Mais l’IC en décida autrement : elle fut rappelée à Moscou, où elle arriva en avril 1939 avec un invalide monténégrin, Veljko Vlahović (1914-1975), qui fit ensuite une belle carrière dans la Yougoslavie titiste. Elle travailla comme médecin pour le Secours rouge international (MOPR), venant en aide aux réfugiés d’Espagne. Dans un rapport adressé en décembre 1939 à l’IC sur le livre de Gusti Jirku Wir kämpfen mit ! publié en 1938 à Valence, elle se montrait peu amène avec sa collègue Adela Bohunicki, l’estimant peu expérimentée et plus soucieuse de faire de la propagande auprès des civils que de soigner les patients, et même avec sa sœur Miriam Rudina, déplorant son manque de fermeté dans les moments difficiles.

Braina Rudina intégra le service de santé de l’Armée rouge après l’attaque allemande contre l’URSS en juin 1941, travaillant dans différents hôpitaux, puis dirigea après la guerre l’Institut de médecine de Riga. Alfred Bergman ne survécut pas : embarqué à Marseille avec un groupe de vétérans d’Espagne incluant Nada Dimitrijević (1907-1941), il fut arrêté à son arrivée à Split le 24 septembre 1940 et transféré à Zagreb. Assigné à résidence, il fut de nouveau capturé en mars 1941 et livré deux mois plus tard aux collaborationnistes croates, les ustaši d’Ante Pavelić, qui l’internèrent avec d’autres détenus communistes dans le camp de Kerestinec. Ramené à Zagreb, il y fut fusillé le 9 juillet 1941, quelques jours avant une tentative avortée d’évasion de Kerestinec, lors de laquelle périt un autre ancien d’Espagne, l’écrivain croate August Cesarec (1893-1941). La sœur d’Alfred Berta Bergman (1894-1945) mourut également en détention dans le camp de concentration de Jasenovac.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article221259, notice RUDINA PEDANOVA Braina [dite NENADOVA Marlena dans l'Internationale communiste, FOS ou RUDIN-FOS Braina en Yougoslavie, VOSS, WESS, FOSSA, RUDIN-VOSS ou RODIN-VOSS Braina en Espagne, RUDINA Braina] par Hervé Lemesle, version mise en ligne le 17 décembre 2019, dernière modification le 6 janvier 2022.

Par Hervé Lemesle

Braina Rudina ; source : I. de la Torre.
Braina Rudina avec une petite Espagnole ; source : G. Jirku.

ŒUVRE : Braina Rudin-Fos, « Pripreme za odlazak brodom "La Kors" » [Les préparatifs du départ avec le bateau La Corse], in Čedo Kapor, Španija 1936-1939 [L’Espagne], Belgrade, Vojno-izdavačko zavoda, 1971, vol.1, pp.436-448.

SOURCES : T.T. (Josip Broz Tito), « Slučaj izdajnika Adolfa Muka » [Le cas du traître Adolf Muk], Proleter, décembre 1937, p.3.Gusti Jirku, Wir kämpfen mit ! Antifaschistische Frauen vieler Nationen berichten aus Spanien, Valence, 1938 (Réédition ¡Nosotras estamos con vosotros ! Mujeres antifascistas de distintos países hablan de su trabajo en España, Madrid, AABI, 2018). – RGASPI (Moscou), 495.70.155 lettres d’Alfred Bergman au CC KPJ du 24 et 27 mars 1937 ; 545.3.703 informations sur Braina Rudina ; 545.6.606 Note confidentielle de Braina Rudina du 8 décembre 1939 intitulée Infirmières des Brigades internationales. Mon avis sur le livre de Gusti Jirku ; 545.6.1519 lettre d’Alfred Bergman à Luigi Longo du 1er avril 1938 ; 545.6.1525 biographie d’Alfred Bergman du 24 mars 1937. – Archives de Yougoslavie (AJ, Belgrade), 724.Šp.Ib10, déclarations de Braina Rudina et Kornelija Sende au CC KPJ à Paris début 1939 ; 724.Šp.VIII-B19, dossier personnel d’Alfred Bergman, note de la police yougoslave de 1940. – Rodoljub Čolaković, Kazivanje o jednom pokoljenju [Récit d’une génération], vol.3, Sarajevo, Svjetlost, 1972, pp.53-54. – Slobodanka Ast, « Naše Španjolke 1936-1939. 9 Otišle da ne se ne vrate » [Nos Espagnoles. Elles sont parties pour ne plus revenir], Politika, 17 mars 1975. – Marko Perić, „Jevreji iz Jugoslavije. Španski borci“ [Juifs de Yougoslavie. Combattants espagnols], Zbornik jevrejski istorijski muzej, n°3, Belgrade, 1975, pp.37-39. – Arno Lustiger, « Shalom Libertad ! ». Les Juifs dans la guerre d’Espagne 1936-1939, Paris, Editions du Cerf, 1991, pp.237 et 244. – Anija Omanić, « Žene učesnice u Španskom ratu sa područja bivše Jugolavije » [Les femmes des territoires de l’ancienne Yougoslavie engagées dans la guerre d’Espagne] in Č. Kapor, Za mir i progres u svijetu [Pour la paix et le progrès dans le monde], Sarajevo, SUBNOR BiH, 1999, p.139. – Ingrid Schiborowski et Anita Kochnowski (éd.), Frauen und der spanische Krieg 1936-1939. Eine biografische Dokumentation, Berlin, Verlag am park, 2016, pp.144-145, version actualisée en ligne. – Ignacio de la Torre, Latvian volunteers in the Spanish Civil War 1936-1939, 13 février 2016, en ligne. – Esther Bussot Liñon, « Les Brigades Internacionals. L’Hospital Militar Clínica núm. 4 de S’Agaró. Biografia de vuit brigadistes internacionals que hi moriren. Commemoració del 80è aniversari (1938-2018) », Estudis del Baix Empordà, n°37, 2018, pp. 173 et 178. – Ivo Goldstein (dir.), Židovski biografski leksikon [Dictionnaire biographique des juifs], notice d’Alfred Bergman.

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