SIMONETTI Eugenia [dite TOMASINI Lina, Lina, SIMONETTI Lina, FRANCHI Lina]

Par Hervé Lemesle

Née le 10 janvier 1905 à Kaštelir près de Poreč en Istrie (Autriche-Hongrie, Italie puis Yougoslavie, Croatie actuelle), morte en 1964 à Marseille (Bouches-du-Rhône] ; militante anarchiste, émigrée en France ; volontaire en Espagne républicaine ; internée en France.

Cadette d’une fratrie de quatre filles engendrées par Giovanni Simonetti et Elena Uljanić d’origine croate, Eugenia Simonetti grandit à Trieste, où les quatre sœurs adhérèrent au mouvement libertaire. Maria Simonetti (1896-1971) fut la plus active dans le chantier naval San Marco, ayant été impliquée dans l’incendie de ce site le 1er mars 1921 en représailles à celui de Bourse du travail la veille par les squadristes ; arrêtée quelques jours après, elle fut acquittée grâce à l’intervention d’un ingénieur allemand auquel elle avait sauvé la vie auparavant, mais dénoncée en novembre 1921 pour « outrage à la sécurité publique ». Après la prise de pouvoir de Mussolini, Eugenia Simonetti émigra en 1923 en France avec son compagnon, un jeune anarchiste triestin avec qui elle eut un fils et qui décéda prématurément dans un accident. Elle demeurait au 14 de la rue du Repos jouxtant le cimetière du Père Lachaise à Ménilmontant (XXe arr.) sous le pseudonyme de Lina Tomasini, sans doute inspiré par le nom d’Umberto Tommasini (1896-1980), un autre libertaire qu’elle avait connu à Trieste et qui fut également volontaire en Espagne républicaine. Elle recueillit en 1925 l’anarchiste sarde Pompeo Franchi (1905-1936), qui venait d’être expulsé de France pour propagande subversive. Son frère Ferdinando Franchi (1896- ?) écopa de la même peine en septembre 1927, fut condamné en mars 1928 à quatre mois de prison pour infraction à l’arrêté d’expulsion puis resta à Paris sous l’identité de Mateo Daga et épousa ensuite Lina Simonetti.

Ses sœurs la rejoignirent dans la région parisienne. L’aînée Giuditta Simonetti (1892- ?) fut identifiée comme milicienne en Catalogne par Bruno Salvadori dit Antoine Gimenez (1910-1982), mais il la confondait avec l’anarchiste lombarde Giuditta Zanella (1885-1962), qui assista à l’exécution par les communistes du petit-fils et homonyme du célèbre pédagogue catalan Francisco Ferrer le 5 mai 1937 à Barcelone. En 1925, Maria Simonetti s’établit sous le faux nom de Maria Carmi Melato à Vitry-sur-Seine (Seine-et-Oise) et fut arrêtée deux ans après avec deux autres libertaires italiens comme des « subversifs cambrioleurs de coffres-forts » et emprisonnée à Versailles. La police belge demanda en août 1928 sa photo à son homologue italienne dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat d’un fasciste à Liège, et son extradition aux autorités françaises qui refusèrent et la libérèrent en octobre 1928. Lors d’un banquet organisé en son honneur, Maria Simonetti exhortait ses camarades à « poursuivre la lutte et venger ceux qui sont tombés pour la cause » ; elle travailla un temps pour le journal Rinascita socialista et émigra en 1930 aux Etats-Unis. Membre du groupe anarchiste Adunata dei refrattari à New York, elle fut l’une des instigatrices du projet d’assassinat de Mussolini mené par Michelle Schirru (1899-1931), un libertaire sarde naturalisé américain en 1926, que Lina Simonetti accueillit en août 1930 à Paris ; rentré en Italie, Schirru fut arrêté avant d’avoir pu commettre l’attentat et fut exécuté le 29 mai 1931. Selon l’historien italien Marco Puppini, grand spécialiste des volontaires de Vénétie julienne et d’Istrie en Espagne républicaine, les membres de la police politique fasciste (l’OVRA) étaient en compétition avec la police italienne et cherchaient des informations sensationnelles pour augmenter leur solde ; il doute donc de l’implication de Lina Simonetti dans la préparation de l’attentat contre le Duce, mais les archives de la police française l’attestent. Quoiqu’il en soit, l’OVRA publia le jour même de l’exécution de Schirru un avis de recherche sans photographie la considérant comme indésirable en Italie. Suite à l’arrestation de son mari en mai 1931 et à celle de son beau-frère en octobre 1932 à Fontenay-sous-Bois (Seine-et-Marne) lors d’une réunion ayant pour objectif la reparution du journal Umanita Nuova, elle quitta Paris avec son époux et séjourna dans le Midi, sa présence étant signalée à Nice puis à Cannes, où Pompeo Franchi trouva du travail comme peintre en bâtiment. L’Italie réclama en février 1934 l’extradition de ce dernier pour son implication dans un nouveau projet d’assassinat de Mussolini, mais la France refusa faute de preuves ; il fut néanmoins suspecté par la suite de préparer un autre attentat avec Lina Simonetti.

Lina Simonetti arriva en août 1936 en Espagne avec son époux et son beau-frère ; ils s’engagèrent tous les trois dans la colonne Rosselli et combattirent sur le front de Huesca en Aragon. Pompeo Franchi fut grièvement blessé à la jambe le 28 août à Monte Pelato, et décéda le 19 septembre de la gangrène à l’hôpital de Lérida en présence de son frère. Suite au retrait des femmes des unités combattantes durant l’automne 1936 dans le cadre de militarisation des milices très mal vécues par de nombreux anarchistes espagnols et étrangers, elle s’établit à Barcelone et y demeura jusqu’à la Retirada. Ferdinando Franchi, opposé à la ligne modérée du gouvernement républicain soutenue par le Parti communiste d’Espagne (PCE), fut arrêté comme « trotskiste » à Barcelone et transféré en octobre 1938 au camp de démobilisation de Cardedeu au nord-est de la capitale catalane ; selon le communiste italien Pietro Pavanin qui rédigea sa caractéristique en avril 1940 à Moscou, il s’y livra avec ses camarades libertaires à un travail de « désintégration » contre le PCE et la direction des Brigades internationales. Il fut ensuite interné en France à Argelès-sur-Mer (Pyrénées-Orientales), et l’on perd ensuite sa trace.

Lina Simonetti se retrouva quant à elle à Saint-Clément près de Tulle (Corrèze), où sa présence avec sa sœur Giuditta est attestée par les sources italiennes en septembre 1939. En 1940, à la demande d’Umberto Tommasini alors interné au Vernet (Ariège), Maria Simonetti envoya des Etats-Unis une somme importante pour venir en aide aux détenus affamés. Après la Libération, Lina Simonetti s’établit à Marseille, où elle resta active dans la mouvance libertaire, tout comme Maria restée en Amérique mais qui fit plusieurs voyages en Italie pour y soutenir les organisations anarchistes.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article221263, notice SIMONETTI Eugenia [dite TOMASINI Lina, Lina, SIMONETTI Lina, FRANCHI Lina] par Hervé Lemesle, version mise en ligne le 17 décembre 2019, dernière modification le 4 janvier 2022.

Par Hervé Lemesle

SOURCES : Arch. Dép. du Gard, 1M757, menées terroristes, liste n°2, 16 avril 1937. – RGASPI (Moscou), 545.6.494, caractéristique du 2 avril 1940 (Ferdinando Franchi). – Marino Buducin et Mihael Sobolevski (dir.), Naši Španjolski dobrovoljci [Nos volontaires espagnols], Rijeka, Centar za historiju radničkog pokreta i NOR Istre, Hrvatskog primorja i Gorskog Kotara, 1988, p.316. – Alvaro Lopez et alii, La Spagna nel nuestro cuore 1936-1939, Rome, AICVAS, 1996, pp.202 et 435. – Bibliothèque Franco Serantini, Maria Simonetti, 2004. – Antoine Gimenez, Les fils de la nuit. Souvenirs de la guerre d’Espagne (juillet 1936-février 1939), Montreuil, L’Insomniaque, 2006, pp.111, 205, 304-305. – Dictionnaire international des militants anarchistes, Ferdinando Franchi) et Pompeo Franchi, 8 juin 2007 ; Lina Simonetti, 23 février 2011. – Les Giménologues, Antoine Gimenez. Souvenirs de la guerre d’Espagne, (Giuditta Zanella), octobre 2008. – Avgust Lešnik et Ksenja Vidmar Horvat, « The Spanish Female Volunteers from Yugoslavia as Example of Solidarity in a Transnational Context », The International Newsletter of Communist Studies, vol. XX/XXI (2014/2015), n°27-28, p.48. – Augusto Cantaluppi et Marco Puppini, Sin haber empuñado un fusil jamás : Antifascistas italianas en la guerra civil española, Cuenca, Universitad de Castilla-La Mancha, 2016, pp.114-115 et 130. – Ingrid Schiborowski et Anita Kochnowski (éd.), Frauen und der spanische Krieg 1936-1939. Eine biografische Dokumentation, Berlin, Verlag am Park, 2016, p.128, 128, version actualisée en ligne. – Andrea Torre (coord.), Data Spanish Civil War. Oggi in Spagna, domani in Italia, 2015-2018, Fernando Franchi, Pompeo Franchi, et Lina Simonetti.

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