POMPÉRY (de) Édouard

Par Jean-Yves Guengant

Né le 7 avril 1812 à Couvrelles (Aisne), mort le 23 novembre 1895 à Paris  ; écrivain et journaliste fouriériste, milita dans le mouvement démocrate-socialiste, puis socialiste aux côtés de Victor Considerant, Jean Macé et Benoit Malon  ; théoriciens du fouriérisme.

Aristocrate breton, Edouard de Pompéry adhéra jeune au fouriérisme. Journaliste et philosophe, il fut l’un des théoriciens du fouriérisme. Sur la fin de sa vie, il fut l’un des proches de Benoit Malon.

La famille de Pompéry était une famille noble originaire de l’Aisne. Le grand-père, François-Hyacinthe était membre de l’ordre de Saint-Louis et de celui de Saint-Lazare. Il occupa la charge de lieutenant dans la maréchaussée à Quimper à la fin des années 1770. Veuf de Marie du Marhallach, il épousa en secondes noces la fille d’un notable quimpérois, Anne-Marie Audouyn du Cosquer en 1786 ; de 1783 à sa mort à Soissons en avril 1820, elle échangea des correspondances, publiées par son petit-fils, Édouard en 1884. En 1805, la famille revint s’installer dans le village familial, à Couvrelles, bénéficiant d’un héritage constitué par le château et la ferme de Couvrelles.

François-Hyacinthe s’adonna à l’agriculture, les revenus de la famille étant principalement procurés par la vente des grains de leurs fermes bretonnes, mais leurs revenus ne cessèrent de baisser sous l’Empire, obligeant François-Hyacinthe à rechercher des revenus de sa ferme et rendant la vie au château simple et austère. Son fils, Louis-Charles de Pompéry, qui fut quelques temps dans la Garde de l’Empereur, vivait au château. Il eut quatre enfants d’un premier mariage avec Aline de Aléno de Saint Alouarn, dont, Édouard (1812), et Théophile, (1814), futur député de la gauche sous la IIIe république. Les enfants Pompéry bénéficièrent d’une éducation soignée dans le milieu familial puis dans les pensions brestoises. C’était un milieu catholique, contre-révolutionnaire mais influencé par les théories des physiocrates. Son épouse étant décédée en 1822, Louis-Charles se remaria en 1825 avec Marie Anne de Saisy de Kérampuil, dont il aurait également quatre enfants. Après avoir été officier de gendarmerie à Guingamp en 1825, Louis acheta en 1830, avec sa part de la vente du château du Soissonnais, un domaine de 800 ha à Rosnoën, près du Faou (Finistère).

Les Pompéry s’impliquèrent dans les travaux et les associations agricoles de l’époque, ils adhérèrent à l’Association Bretonne, née en 1843. Les comices agricoles qu’ils créèrent au Faou firent beaucoup pour leur réputation. En 1851, Théophile publia un premier ouvrage franco-breton : Quelennou var labour pe gonnidègues an douar, ou le nouveau guide du cultivateur breton. Ils expérimentent assolements et amendements. Pour Théophile, le maintien d’une forte population rurale ne pouvait se faire sans un enseignement agricole et une organisation du travail qui permettent de promouvoir une paysannerie propriétaire, bénéficiant des structures existant en ville pour secourir malades et nécessiteux. L’exploitation permit à Édouard une aisance financière qui rendit possible son activité littéraire.

Édouard de Pompéry était le second de la fratrie et le premier des garçons. Après avoir fréquenté une pension scolaire à Brest, il entra à la faculté de droit de Rennes et devint avocat. Il ne plaida qu’une seule fois ! Il s’essaya très tôt à la critique sociale et collabora à plusieurs journaux, Il eut même l’idée de créer un titre qui devait propager ses idées de rénovation sociale, mais qui resta au stade de numéro zéro. Il l’appela L’Humanité (1845)

Ses premières armes furent forgées contre l’économie coloniale : « La France et les colonies ou le sucre indigène » (1836). Il s’opposa au ministre des finances, d’Argout, qui souhaitait préserver l’économie des Iles sucrières antillaises.

Édouard de Pompéry publia son premier essai sur l’idée phalanstérienne en 1837, Le Docteur de Tombouctou, en 1837 : la critique qu’en fit La Phalange, le journal de Fourier, fut mauvaise ! Il s’engagea dans la réalisation d’une revue littéraire, La Revue du Finistère. Le directeur en était Jean-René Allanic, professeur dans l’une des pensions brestoises, un fouriériste de la première heure. Tous deux étaient membres d’un groupe fouriériste dissident, l’Union harmonienne. La librairie sociale, créée par Jan Czynski, pour diffuser les écrits fouriéristes, édita la brochure de Pompéry, Résumé d’une exposition de la science sociale constituée par C. Fourier, faite à Brest et reproduite dans l’Armoricain, après publication dans le journal L’Armoricain, d’une série d’articles sur l’idée phalanstérienne, entre le 31 octobre et le 10 décembre 1839. Pompéry était proche de Jan Czynski, directeur du Nouveau Monde, qui souhaitait appliquer rapidement les idées fouriéristes.

En octobre 1839, une série de conférences fut donnée à la loge des Élus de Sully de Brest : la volonté de donner une conférence est sans doute venue de l’Union harmonienne. Encore fallait-il trouver le lieu et le public. Une convergence suffisamment extraordinaire se produisit, pour qu’un événement somme toute banal puisse avoir un tel retentissement que Pierre Larousse le cite dans une notice biographique consacrée à Édouard de Pompéry dans son encyclopédie du XIXe siècle. Dès juin 1838, la loge s’intéressa au fouriérisme, dont elle décida d’étudier le système philosophique. En octobre, elle admit Allanic comme membre. Pompéry fut proposé à l’admission le 21 août 1839 ; le scrutin se déroula le 4 septembre, « les témoignages les plus flatteurs sont accordés à ce profane ». Le 11 octobre 1839, sur proposition du frère Auguste Levot, la loge décida « pour donner une marque de sympathie à la science sociale », de proposer au Grand Orient de modifier son titre distinctif en celui « des Élus de Sully et de Fourrier (sic), en conséquence un projet de planche à adresser au Grand Orient étant lu est adopté ». Le 23 octobre, enfin, Édouard de Pompéry fut reçu apprenti, ce qui rendait possible la délivrance d’un enseignement sociétaire en loge : le 26 octobre commença un cycle de huit conférences, auxquelles furent admis les phalanstériens brestois, non-maçons.

Pompéry fréquenta à Paris La Clémente Amitié, une loge particulière, car on y trouvait un nombre important de républicains, Victor Schœlcher, Félix Pyat, ou Jean Macé, dont Édouard de Pompéry devint un proche. L’amitié de Pompéry pour Jean Macé fut constante et il devint l’un des secrétaires du cercle parisien de la Ligue de l’enseignement après 1866.

À partir de 1842, Pompéry collabora à l’équipe de la Phalange, et ce jusqu’à la disparition du journal en juillet 1843. Il fit sienne la théorie de l’association et de l’unité universelle ; il se revendiquait être un économiste politique, puis un philosophe, désireux d’apporter sa pierre à la construction d’une société harmonieuse. Deux idées fortes dominent la réflexion de Pompéry :

- l’unicité du monde et de sa destinée ; elle est d’abord l’unité sociale du genre humain, l’association intégrale de tous ses membres, impliquant la convergence de tous les peuples, de tous les hommes, dans une « religieuse unité, une magnifique harmonie ».
- le travail ; de son organisation dépend l’amélioration du sort des hommes, une organisation conforme à la nature humaine, qui le ne contraigne pas. Pour Pompéry, le travail est le seul bien que l’homme possède en pleine propriété, le seul bien qui soit justifiable. Ce travail ne peut s’effectuer qu’au sein d’un groupe, qui est une libre association, (et non une communauté). La notion du travail-fonction, travail accepté par l’homme et correspondant à sa nature, n’exige de sa part aucune mutilation de ses instincts et de ses sentiments : ce travail s’exerce au sein d’un « comptoir communal » ou d’un phalanstère.

Pompéry était à cette époque déiste, il le répète dans ses ouvrages, Obéir à sa nature c’est être libre, affirmait-t-il. Dieu est une cause, un principe, une aspiration, un grand architecte. En 1869, il se dit panthéiste, et écrit un article polémique « l’individu et l’espèce », où il formulait l’idée d’une dualité de l’homme, individu et partie de l’espèce, avec laquelle il est indissociablement uni ; « de l’un à l’autre, la vibration est constante et caractéristique de l’existence ». À la fin de sa vie, il s’affirmait libre penseur et déiste, ses dernières volontés seront d’être incinéré. Les religions, et particulièrement la religion catholique, sont une étape de la pensée humaine, nécessaire mais dépassable. Se soumettre à une religion et abdiquer toute liberté, empêche l’homme de progresser. Pompéry rejetait l’idée de l’athéisme, pensant qu’un ordre existe dans l’univers, conséquence d’un plan supérieur à l’homme.

Édouard de Pompéry était un théoricien qui se préoccupe assez peu de passer à l’expérimentation, ce qui est pourtant l’une des caractéristiques du socialisme utopique. Il laissait ses frères mener les expériences agricoles, et il restait peu disert sur l’économie phalanstérienne. Ses propres thèses, y compris dans une brochure de 1882, Appel aux socialistes de toute nuance, prennent appui sur l’exemple breton développé par ses frères et sur le rôle central que peut jouer l’agriculture dans le changement de société : il rêve d’un Godin agriculteur, pour reprendre le modèle de Guise. Il reprend les idées émises par son frère Théophile sur les moyens d’éviter l’exode rural, en modernisant la société rurale et en la mécanisant, afin de réduite le labeur des hommes.

L’œuvre de Jean-Baptiste Godin à Guise, et son Familistère, fut une source de réflexion importante ; c’était « un cas de socialisme pratique », l’expérience d’un homme qui a mis en place la tentative la plus complète et le modèle le plus rationnel pour améliorer le sort de l’ouvrier, pour transformer ses conditions d’existence. Pompéry considérait Godin comme un bienfaiteur de l’humanité. En 1884, dans la revue de Charles Limousin, La Revue du mouvement social, Pompéry pensait que l’agriculture était le secteur le plus propre à montrer l’efficacité de l’association et à mettre en place cette notion de travail-fonction, chère à ses idées. Il se posait alors une question essentielle : qu’avait-il manqué dans toutes les expériences menées par les fouriéristes, pour qu’elles réussissent ? La réponse était pour lui les individus. Les fouriéristes n’avaient pas été suffisamment nombreux et n’avaient su développer les compétences nécessaires à leurs projets.

Ses contemporains lui reconnaissaient ingéniosité et ardeur à défendre ses théories. Il commença à se faire connaître dans les salons parisiens, où il apportait un piment particulier. George Sand, son amie, appréciait sa droiture et sa poésie, bien qu’elle reconnaissait en privé qu’il parlait trop, et trop de fouriérisme ! Ange Guépin le jugeait un peu trop exclusif dans ses idées mais original et méritant d’être lu. Quelqu’un cherchant à convaincre et dont l’appétit de vie restait intact, même dans la vieillesse ; dans son dernier ouvrage, à la mémoire de son ami le socialiste Benoit Malon, « Le dernier mot du socialisme rationnel » (1894), il inscrit la phrase suivante sur la page de couverture : « vivre, c’est agir, c’est être actif, c’est faire usage de ses forces et de ses facultés. Plus cet exercice est complet, plus on vit et plus on est heureux ».

Il écrivait beaucoup, produisant des articles variés dans plusieurs journaux et magazines, représentant l’essentiel de ses revenus. Il entretenait une correspondance importante.

La chute de la monarchie constitutionnelle, en février 1848, fut une opportunité : des candidats fouriéristes tentèrent l’aventure du suffrage universel (masculin) et de la députation à l’assemblée constituante. Émile Souvestre et Édouard de Pompéry sont les plus connus des candidats soutenus par le mouvement fouriériste. Édouard de Pompéry dépassa le cap des 10 000 voix sur le département (soit 10 fois moins que le premier candidat, le maire de Morlaix). Il le devait beaucoup au réseau de son frère Théophile. Édouard avait surévalué sa notoriété auprès des électeurs finistériens. Il professait des sentiments républicains, qui heurtèrent un électorat légitimiste. Malgré son échec, Pompéry ne songea pas à changer de département ; il se présentera toujours en Finistère, et ne fut jamais élu, contrairement à son frère, qui adopta un profil plus lisse, bien que nettement républicain.

Les événements de juin 1848 à Paris et la répression qui s’ensuit, furent une véritable blessure pour Pompéry. Dans La Question sociale dans les réunions publiques. Revendication du prolétaire (1869) il affirme que Juin 1848 a été un horrible malentendu. Aux élections présidentielles, l’aile gauche du mouvement fouriériste choisit de soutenir François-Vincent Raspail. Édouard de Pompéry participa à l’écriture de « l’almanach démocratique et social », diffusé pendant la campagne. Pompéry y écrit un dialogue, « Il faut être socialiste ». C’est une union de circonstance le temps d’une campagne. La plupart des fouriéristes, autour de Victor Considerant, se rallièrent à la candidature Ledru-Rollin. Victor Considerant eut l’intelligence politique de rassembler tout de suite les branches éparses du socialisme. Avec son ami Jean Macé, il organisa un comité dès le début janvier 1849, afin de se préparer aux élections législatives du printemps 1849, où les démocrates-socialistes recueillirent 35 % des voix et surtout un groupe à l’assemblée fort de 180 députés. Pompéry put continuer son action de propagandiste, en organisant des conférences en province.

Pompéry publia Despotisme ou socialisme, à la libraire phalanstérienne, en mai 1849, « un petit livre appelé à rendre service à la cause démocratique » selon La Démocratie pacifique du 21 mai 1849. Il y exprime une divergence forte avec le mouvement communiste, dont il rejette la doctrine fondée sur la propriété collective des moyens de production et l’utilisation de la violence révolutionnaire, quand il prône l’association et rejette l’appel à la force. Il condamne la théorie de Proudhon, selon l’idée que « Le principe de la vie est bon, l’homme est bon, la société doit être un tout harmonieux ». Pompéry se rangea nettement dans le camp de Considerant, au moment où une violente polémique déclenchée par Proudhon, opposait les deux chefs et leurs journaux respectifs en février 1849. Il opposait au « socialisme négatif » deProudhon, un « socialisme positif » fondé sur la théorie de Fourier qui trouve son fondement et la liberté de chacun dans l’association. Le socialisme positif (fouriériste) enseignerait les moyens d’établir une société de justice, de paix et de fraternité. Il affirmerait la nécessité d’une démocratie communaliste : les communes se composent de familles, les nations se forment elles-mêmes d’une certaine quantité de communes, reliées entre elles sous un gouvernement central. La commune est l’élément alvéolaire ou le rudiment de l’État. Il importe donc de s’occuper d’abord de l’organisation de la commune.

Pompéry développa une analyse pro féministe au contact de militantes féministes, dont il découvrit les œuvres – George Sand et Flora Tristan - ou dont il partagea le combat - Zoé Gatti de Gamond, qui éditait le Nouveau Monde en 1839, et participa au financement du phalanstère de Cîteaux, en 1841. Flora Tristan était devenue dans les années 1838-1840 une défenseuse des droits des femmes. Dans l’Union Ouvrière, elle dresse le constat des inégalités au sein même des couples de prolétaires : violence du mari, manque d’ouvrage, misère, grossesses à répétition, exigüité et insalubrité du logement. Elle réclamait le droit d’égalité absolue avec l’homme, des droits pour la femme, parce qu’elle était « convaincue que tous les malheurs au monde proviennent de cet oubli et mépris qu’on a fait jusqu’ici des droits naturels et imprescriptibles de l’être femme ». « Tous les maux de la classe ouvrière se résument par ces deux mots : Misère et ignorance, ignorance et misère. – Or, pour sortir de ce dédale je ne vois qu’un moyen : commencer par instruire les femmes parce que les femmes sont chargées d’instruire les enfants mâles et femelles ».

Pompéry aida le mouvement féministe. Son ouvrage La femme dans l’humanité qu’il écrit en 1864, porte en exergue la phrase « La condition sociale de la femme marque le degré de civilisation d’un peuple », attribuée à Charles Fourier. Dans cet ouvrage il essayait de définir le rôle et la « la valeur sociale » de la femme dans la société. En fait il resta très en retrait des écrits de Flora Tristan ; il idéalisait la femme et la définissait uniquement par rapport à l’homme ; seule, elle n’a pas d’existence ; sa nature différente la rend indissociable de l’homme, dont elle est « le plus énergique stimulant de son activité physique et morale. C’est pourquoi le degré de liberté laissé aux femmes par les mœurs et par les lois donne une mesure exacte de la civilisation d’un peuple ». Pour Pompéry, pas question de toucher à la nature de la femme ; « Nous la trouvons bien comme elle est ». Dans une critique du livre du philosophe Stuart Mill, « L’assujettissement des femmes », il précisait ses positions : l’égalité homme-femme n’est pas une égalité des facultés, par contre tous ceux qui font partie de l’humanité jouissent d’un droit égal au développement de leur être, enfant ou adulte, femme ou homme, blanc ou noir. Le droit à l’expansion pour chacun de son être et de ses facultés n’est pas l’égalité des facultés.
Il eut du mal à imaginer la femme hors de l’économie familiale et de l’éducation des enfants. Évidemment avait-elle le droit d’étudier toutes les arts et les sciences, y compris (mais en dernier sur la liste) les mathématiques pures ou appliquées, peut-elle vivre cependant de ces métiers élevés ? Sur les droits politiques préconisés par Mill, Pompéry estimait qu’il n’y avait pas urgence : la jouissance de l’égalité des droits civils serait une préparation à la conquête des droits politiques. « Avant de courir et de sauter, il faut savoir marcher », affirmait-il. Pour l’exercice régulier d’un droit politique, il faut, pensait-il, une capacité suffisante. Au final, Pompéry reste fondamental attaché à la séparation sexuée des fonctions, accouchement et allaitement pour les unes, protection et entretien pour les autres.

Pompéry fut un homme à la foi optimiste dans l’avenir de l’humanité, ce qui l’amena à la fin de la vie à soutenir les initiatives de Benoît Malon, l’un des chefs du parti ouvrier, puis la tendance réformiste au sein du mouvement socialiste français. Les certitudes de sa philosophie l’enfermèrent dans une répétition des idées de sa jeunesse et créèrent chez lui une certaine désillusion.
Il a connu deux périodes difficiles, l’Empire et les suites de la Commune de Paris. Dans les deux cas, certains de ses amis ont dû prendre la route de l’exil pour éviter la prison. Ce sont des époques où les idéaux socialistes étaient mal vus et durent être tus. La théorie fouriériste a rencontré des difficultés et les expériences successives se sont toutes soldées par des échecs. Pompéry se replia sur le monde qu’il connaissait, celui de la littérature et des salons. Sa production littéraire sous le second Empire reste limitée ; il s’essaya aux biographies, le chansonnier, Beethoven, une vie de Voltaire, Il travailla avec des hommes comme Maxime du Camp, ami de Flaubert et de Paul De Flotte, son ami au destin tragique, ou Émile Littré.

Son activité politique reprit avec la réorganisation de l’École sociétaire, à partir de 1864. La librairie est la première à être remise sur pied et prend le nom de Librairie des sciences sociales. En 1866, Pompéry est l’un des premiers auteurs à être publié par la librairie. En mars 1867, paraît le premier numéro de La science sociale, qui se voulait le successeur des journaux fouriéristes. Il n’y collabora qu’à partir d’octobre 1867, mais l’essentiel de son apport se situe en 1868 et 1869, où son activité militante développe un dynamisme certain, avec la parution de nouveaux textes sur la doctrine fouriériste. La crise du mouvement, puis la guerre et la Commune, dispersèrent les militants. Les banquets qui fêtaient l’anniversaire de la naissance de Fourier, reprenaient en avril 1872, mais le nombre convives diminuait au fil des ans. En 1874, à Paris, 42 membres sont au rendez-vous, dont Pellarin l’organisateur, et Pompéry le président de séance. Il lui échoit la lecture des hommages aux militants décédés. Cinq ans plus tard, il était de nouveau au rendez-vous.

Au sein du mouvement socialiste, qui commençait à s’organiser, au lendemain de l’amnistie des communards, il se rapprocha de Benoit Malon, de trente ans son cadet. Exilé en Suisse jusqu’en 1880, Malon était l’un des dirigeants du parti ouvrier naissant. Il s’opposait aux marxistes partisans deJules Guesde et se rapprocha des possibilistes de Paul Brousse, puis créa en 1885 la Revue socialiste, à laquelle Pompéry collabora. Malon publia de nombreux ouvrages sur les fondements du socialisme réformiste, et son œuvre majeure, Le socialisme intégral, parut en 1890. Malon fit entrer son ami Pompéry dans l’histoire du mouvement socialiste, le citant parmi les précurseurs fouriéristes du mouvement. Pompéry livra en 1892 à la Revue socialiste son article sur « Les Thélémites de Rabelais et les Harmoniens de Fourier ».

Pompéry rendit visite à Malon, très malade, en août 1893. Il apprit sa mort début septembre, alors qu’il se trouvait à Brest. Il lui dédia son dernier ouvrage politique « A mon ami Malon le dernier mot du socialisme rationnel, une série de trois articles dont certains avaient été publiés dans la revue et le premier écrit à la demande de Malon. Le premier article est consacré aux collectivistes révolutionnaires, guesdistes, blanquistes et marxistes, « Il y a toujours ceci de bon chez les collectivistes révolutionnaires : c’est qu’avec eux on sait parfaitement à quoi s’en tenir. Ils ne vous mâchent pas la châtaigne et ne vous baillent pas le lièvre par l’oreille. Ils vous disent crûment quels sont leurs moyens et quel est leur but ». Les moyens seraient « la force brutale, sans merci et sans miséricorde », le but, la nationalisation tous les capitaux. Une dernière fois, le polémiste trouvait à plus de quatre-vingts ans le mot juste et la phrase cinglante, pour défendre l’idée républicaine et les mécanismes de solidarité mis en place par les ouvriers, et traçait un avenir possible.

Édouard de Pompéry n’a pas pu réaliser son désir de faire un voyage en Bretagne en été 1895, et il s’éteignit le 23 novembre 1895 dans son appartement parisien. Le dernier livre que relut Pompéry est Ma sœur Henriette » de Renan. Son neveu Alexandre témoigne qu’il demanda plusieurs fois qu’on lui relise le dernier chapitre qui se termine par ces mots :

La partie vraiment éternelle de chacun, c’est le rapport qu’il a eu avec l’infini. C’est dans le souvenir de Dieu que l’homme est immortel. C’est là que notre Henriette, à jamais radieuse, à jamais impeccable, vit mille fois plus réellement qu’au temps où elle luttait de ses organes débiles pour créer sa personne spirituelle, et que, jetée au sein du monde qui ne savait pas la comprendre, elle cherchait obstinément le parfait. Que son souvenir nous reste comme un précieux argument de ces vérités éternelles que chaque vie vertueuse contribue à démontrer. Pour moi, je n’ai jamais douté de la réalité de l’ordre moral ; mais je vois maintenant avec évidence que toute la logique du système de l’univers serait renversée, si de telles vies n’étaient que duperie et illusion. Pour moi, je n’ai jamais douté de la réalité de l’ordre moral ; mais je vois maintenant avec évidence que toute la logique du système de l’univers serait renversée, si de telles vies n’étaient que duperie et illusion »

Le 26 novembre 1895, ses obsèques civiles, suivi de l’incinération du corps, eurent lieu au cimetière du Père-Lachaise.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article221548, notice POMPÉRY (de) Édouard par Jean-Yves Guengant, version mise en ligne le 26 décembre 2019, dernière modification le 27 décembre 2019.

Par Jean-Yves Guengant

Quelques œuvres de Pompéry
Le Docteur de Tombouctou : Nouveaux essais de science sociale et de philosophie, Paris, Ébrard, 1837.
Résumé d’une exposition de la science sociale constituée par C. Fourier, faite à Brest et reproduite dans l’Armoricain, Paris, Librairie sociale, 1839.
Despotisme et socialisme, Paris, Librairie phalanstérienne, 1849.
La Femme dans l’humanité, sa nature, son rôle et sa valeur sociale. Paris, L. Hachette, 1864.
La Question sociale dans les réunions publiques. Revendication du prolétaire, Degorce-Cadot, 1869.
La Fin du Bonapartisme, Paris, bureau de "l’Éclipse", 1872.
Le Dernier mot du socialisme rationnel, suite et conclusion des "Thélémites de Rabelais" et des "Harmoniens de Fourier" ; le sentiment de justice et l’idée d’organisation sociale, Paris, Reinwald, 1893.
Principaux journaux :
La Démocratie pacifique, 1843 – 1851. Directeur, Victor Considerant. Université de l’Illinois, archives.org.
La morale indépendante, hebdomadaire, Paris, 1865 -1870,
La Philosophie positive, Librairie Germer Baillière (Paris), 1867-1883, directeur, Émile Littré (1801-1881).
La Science sociale : journal paraissant deux fois par mois, École sociétaire, Librairie des sciences sociales, Paris, 1867-1870. Les articles de Pompéry sont concentrés dans le second volume (mars 1868 –janvier 1869, dont « travail-peine et travail fonction » et « aux spiritualistes, matérialistes et athées ».
La Revue socialiste, Paris, 1885, directeur : Benoit Malon. [« Les Thélémites de Rabelais et les harmoniens de Fourier, tome XV, janvier-juin 1892)

SOURCES : Jean-Yves Guengant, Pour un nouveau monde, les utopistes bretons au XIXe siècle, édition APOGÉE, Rennes, 2015. — À mon cher cousin... une femme en Bretagne à la fin du XVIIIe siècle : correspondance de Mme de Pompéry avec son cousin de Kergus suivie des lettres du Soissonnais / Mme Audouyn de Pompery ; présentées par Marie-Claire Mussat et Michel Maréchal, Paris, Ed. du Layeur, 2007. — Ph. Régnier, Le saint-simonisme, sa politique « industrielle » et sa vue sur le développement agricole de la basse-Bretagne, Louis Rousseau, les saint-simoniens et la Bretagne. Association bretonne, Classe d’agriculture, Compte-rendu et procès verbaux, rapports et procès-verbaux, conseil général du Finistère.

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