FLECHINE (FLESHIN) Senya (Simon)

Par Rolf Dupuy, Mariia Tarasova

Né le 19 décembre 1894 à Akhtyrka, Empire russe (Okhtyrka, Ukraine contemporaine), mort le 19 juin 1981 à Mexico. Photographe, anarchiste.

Senya Flechine, 1956.Mediateca Inah, Mexico.

Né de parents russo-juifs, Samuel et Damia Steinberg, Senya Fléchine émigra à New York, à l’âge de 15 ans, où il travailla pour le journal anarchiste d’Emma Goldman Mother Earth. Il retourna en Russie en 1917, après la Révolution de février, et rejoignit le groupe du journal anarchiste Golos Trouda à Petrograd, puis la Confédération des organisations anarchistes d’Ukraine Nabat. Lors du premier congrès du Nabat, tenu à Elisabethgrad en avril 1919, il était intervenu pour dénoncer les bolchéviques et « la muraille de Chine qu’ils étaient en train de dresser entre eux et les masses ». En novembre 1920, la Nabat fut liquidée par les bolcheviks, et Fléchine, ainsi que les autres membres de la confédération – Voline, Grigori Maksimoff, Aaron et Fanya Baron, Olga Taratuta, Mark Mratchny, Anatole Gorelik, entre autres – fut arrêté et incarcéré à Moscou. Libéré peu après, il rentra à Petrograd en 1921 pour travailler au Musée de la Révolution.

C’est à ce moment-là à Petrograd qu’il rencontra sa future épouse Mollie Steimer, qui venait d’arriver après son expulsion des Etats-Unis.
Continuant à militer, notamment en créant la Société de secours aux prisonniers anarchistes à Petrograd, le couple fut arrêté le 1er novembre 1922 pour aide aux « éléments criminels » et liens avec des anarchistes étrangers (les deux étaient en correspondance avec Emma Goldman et Alexander Berkman, qui se trouvaient à cette époque-là à Berlin). Incarcérés à Petrograd et condamnés à la déportation perpétuelle aux îles Solovetsky près de la ville d’Arkhangelsk, au nord de la Russie, ils furent cependant libérés suite à leur grève de faim et grâce à l’intervention auprès de Trotsky de l’anarchiste française May Picqueray, qui en novembre 1922 accompagnait le secrétaire de la Fédération unitaire des métaux Lucien Chevalier au 2e congrès de l’Internationale syndicale rouge à Moscou. Finalement, malgré leur désir, le 23 septembre 1923 Fléchine et Steimer furent contraints à quitter l’Union soviétique et déportés en Allemagne.
Ayant passé peu de temps à Berlin, où ils participèrent au Comité de défense des révolutionnaires emprisonnés en Russie créé par Berkman et Goldman en 1922 et collaboraient au journal Anarkhicheskii Vestnik (Berlin, 1923-1924) fondé par Voline, le couple parvint à Paris en 1924, probablement pour des raisons de travail. Se disant journaliste de métier, Fléchine commença à exercer le métier de photographe à la maison Paul Vitez, 61 rue de Flandre.
Senya et Mollie n’ont pas abandonné leurs activités anarchistes, restant en contact avec le Comité de Berlin (qui en 1926 s’est rebaptisé Relief Fund of the International Working Men’s Association for Anarchists and Anarcho-Syndicalists Imprisoned in Russia), ainsi qu’avec d’autres immigrés. En 1927 ils furent à Paris les fondateurs avec Jacques Doubinsky, Alexandre Berkman et Voline du groupement d’entraide chargé d’aider les compagnons exilés de toutes nationalités. Flechine collaborait à l’époque au Libertaire et prit position contre le projet de Plateforme organisationnelle (dite Plateforme d’Archinov) présentée par le groupe éditeur de la revue Delo Truda. C’est aussi de cette période parisienne que datent beaucoup de ses portraits d’anarchistes russes, se trouvant actuellement à l’Institut international d’histoire sociale à Amsterdam.
En 1929, Senya et Mollie repartirent pour Berlin, où Fléchine travailla à la Maison Sacha Stone [Sasha Stone, photographe d’opinions socialistes, également un immigré d’origine russo-juive] pendant un an avant d’ouvrir son propre studio. Ce dernier fut établit sous le nom Photo-Semo (« Semo » pour Senya et Mollie) dans le quartier de Charlottenburg, un des lieux principaux de l’immigration russe à Berlin. Cependant, en 1933, après l’avènement d’Hitler au pouvoir, Fléchine et Steimer, ainsi que tous les membres du Comité anarchiste de Berlin, furent contraints à se réfugier encore une fois à Paris. Fléchine y travailla comme chef opérateur aux studios photographiques Harcourt jusqu’à juin 1940.
Déjà en 1938, anticipant la guerre, Mollie Steimer avait commencé à discuter avec ses amis militants outre-Atlantique de la possibilité pour elle et Fléchine d’émigrer sur le continent américain. Le couple se maria le 17 août 1939 pour faciliter cette évacuation perspective. Grâce à la pression de Rose Pesotta, vice-présidente de l’International Ladies Garments Workers’ Union, partie intégrante du Jewish Labor Committee créé à New York en 1934 pour combattre l’antisémitisme en Europe, qui s’était chargé de l’obtention des visas pour les Juifs en besoin auprès des gouvernements américain et mexicain, le couple arriva à obtenir les visas pour le Mexique, où ils parvinrent le 16 décembre 1941 à bord du navire Serpa Pinto.
Malheureusement, l’exemple des Fléchine – et celui de leur camarade, l’anarchiste allemand Augustin Souchy, évacué au Mexique en avril 1942 – est unique dans l’ensemble des militants et des compatissants du fonds de secours d’Europe d’origine juive. La plupart d’entre eux n’ont pas réussi à obtenir les visas, mais ont survécu à la guerre ; d’autres, soit « 3/4 de la colonie juive », furent déportés par les nazis et périrent probablement dans des camps d’internement et d’extermination. Dans la ville de Mexico, Senya et Mollie furent accueillis par les anarchistes Jacob et Mary Abrams (Juifs russes, arrêtés aux USA en 1919, déportés en Russie en 1921, puis réfugiés au Mexique en 1926). Encore une fois, les anarchistes des USA qui occupaient des postes auprès des organisations syndicales légales — comme Abraham Bluestein, secrétaire exécutif de la Labor League for Human Rights —contribuèrent à réunir des fonds permettant aux Fléchine d’ouvrir un petit studio privé, Foto-Semo, en avril 1942. Déjà le 15 mai 1942, Senya inaugurait la première exposition mexicaine de ses 94 travaux, « Exposición de fotografia artistica », au Palais des beaux-arts de Mexico (Palacio de Bellas Artes), qui fut ensuite transférée à New York. En été 1943, Fléchine fut invité à travailler avec le Ballet de la Ciudad de México, une expérience qui plus tard déboucha sur l’organisation d’une autre exposition, apportant au photographe une véritable renommée.
Bien que gagnant leur vie grâce au travail de Senya, les Fléchine ne s’en encore une fois pas contentés, restant des militants actifs du mouvement humanitaire anarchiste.
Mollie Steimer est morte suite à une attaque cardiaque le 23 juillet 1980 à Cuernavaca, la maison des Fléchine depuis 1963. Senya, écrasé par le décès soudain de son épouse, s’est éteint moins d’un an après, le 19 juin 1981, à l’Hôpital espagnol de Mexico. Le couple n’a pas laissé d’enfants, mais la mémoire de leurs activités humanitaires, ainsi que l’héritage photographique de Fléchine, ont perduré jusqu’à nos jours.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article221636, notice FLECHINE (FLESHIN) Senya (Simon) par Rolf Dupuy, Mariia Tarasova, version mise en ligne le 1er janvier 2020, dernière modification le 3 janvier 2020.

Par Rolf Dupuy, Mariia Tarasova

Senya Flechine, 1956.Mediateca Inah, Mexico.
Senya Flechine et Mollie Steimer.

SOURCES : Arch. PPo, série 1W850, dossier 36132, Simon Flechine (né 1894), Martha Alperine (née 1897), juillet 1928, avril 1941. — IISH, Amsterdam, Senya Fléchine Papers, Rudolf Rocker papers, Boris Yelensky papers. — Paul Avrich, Anarchist Portraits, Princeton, Princeton University Press, 1990, chap. 16, « Mollie Steimer : An Anarchist Life », p. 214-226. — Emma Cecilia García Krinsky, Semo : fotógrafo, 1894-1981, Mexico, UNAM, 2001. — Répression de l’anarchie en Russie..., op. cit.Liberté, 1959, « Morts en exil » par May [Picqueray]. — Le Monde libertaire, 12 & 19 février 1981. — Recherche en cours de Mariia Tarasova.

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