FEILLET Jules-Jean

Par Jean-Yves Guengant

Né le 23 février 1809, Lorient (Morbihan), mort le 10 février 1886 à Brest (Finistère)  ; officier de marine  ; candidat aux législatives de 1848 sous l’étiquette fouriériste, soutint la création de l’ « Union agricole d’Afrique », dont il était le correspondant brestois. Ami de Jules Duval, collabora à L’Économiste français et correspondit avec les membres de l’École sociétaire. Introduisit l’homéopathie en Bretagne et fut poursuivi pour pratique illégale de la médecine.

Jules-Jean Feillet naquit dans une famille ayant des attaches avec la Marine. Son père, Joa-chim, était agent-comptable, attaché à la frégate La Cybèle. Ses parents étant originaires de la région de Saint-Malo, il passa son enfance à Saint-Servan chez sa grand-mère paternelle. Joachim avait été nommé en 1816 à Saint-Pierre-et-Miquelon, lors de la rétrocession de l’île par les Anglais. Jules-Jean l’y rejoignit en 1825 pour l’année scolaire. Il se présenta au con-cours de l’École royale d’Angoulême. Lors de son passage au lycée de Rennes, il s’était lié d’amitié avec les frères Andrieux, de Morlaix, amis du futur écrivain Émile Souvestre.
Pendant son séjour à Saint-Pierre, il rencontra Alexandre Duhamel, professeur qui le prépara à l’examen d’entrée au collège royal d’Angoulême. Alexandre était le frère de Jean-Marie-Constant, l’un des fondateurs du journal saint-simonien Le Globe. Jules-Jean intégra l’École navale en novembre 1826. Il fut affecté ensuite à Brest et embarqua sur l’Orion en no-vembre 1828, le navire-école des élèves officiers. A partir de 1830, il embarqua pour plusieurs campagnes, en Méditerranée, puis sur l’océan Atlantique. Enseigne de vaisseau en 1833, il poursuivit sa carrière à Lorient en 1834, puis à Toulon en 1835. En octobre 1835, il était de retour à Brest. Ses affectations lui permirent de nouer des relations utiles qui servirent au mo-ment de la création de l’Union agricole d’Afrique, à Saint-Denis-du-Sig, près d’Oran.
Il navigua aux Antilles et dans l’océan Indien. Promu lieutenant de vaisseau le 6 décembre 1841, il était reconnu bon officier, aimant son métier, mais d’un caractère difficile : ses supé-rieurs le jugeant tenace, jusqu’à l’indiscipline. Cela lui coûtera le commandement de navires : en 1841, devenu capitaine, il fut affecté à Brest.
En novembre 1837, il épousa la nièce d’Émile Souvestre, Aimé Eugénie Pinchon. Sa belle-sœur, Angélina Pinchon était l’épouse d’Aristide Andrieux, son ami d’enfance et le fils d’un papetier du Finistère, François-Marie Andrieux, ami du nantais Thomas Dobrée. La famille était progressiste, marquée par l’engagement envers les écoles mutuelles. Son réseau familial le mettait en relation avec des imprimeurs comme Camille Mellinet, soutien des saint-simoniens. Sa mère était une Malassis, famille d’imprimeurs bretons connus. Plusieurs de ses amis offi-ciers entretenaient des relations avec les groupes fouriéristes. Sa route croisa celle d’Émile Chevé en 1847, lors de la création de la société civile de colonisation de Saint-Denis-du Sig.
Jules-Jean Feuillet fit partie de l’état-major de l’École navale où officiaient une quinzaine de professeurs et d’examinateurs. Il y resta 6 ans, jusqu’en 1848. Il y est reconnu comme un ex-cellent professeur, notamment en astronomie, qu’il enseignait avec brio. La suite de la carrière militaire de Jules-Jean ne comporte plus d’embarquement ; il fut nommé rapporteur devant le tribunal militaire, mission dont il s’acquitta avec zèle. Devenu capitaine de frégate en 1855, il sut que sa carrière ne connaîtra plus de promotion et il prit une retraite anticipée en 1857, afin de rejoindre l’École des gardes de la marine chilienne. Son engagement fouriériste peut expli-quer ce coup de frein à sa carrière.
Dans l’engagement fouriériste de Feillet, l’Union agricole d’Afrique tient une place impor-tante. Fondée en décembre 1845, elle fut autorisée en novembre de l’année suivante à exploi-ter un domaine agricole près d’Oran, à la condition d’y installer trois cents familles euro-péennes. La société avait désigné en 1847 des correspondants dans vingt villes de France. A Brest, Feillet et un banquier, Montjaret de Kerjégu, étaient les relais de l’association auxquels on pouvait s’adresser pour les souscriptions d’actions, versements de fonds, etc. Émile Chevé fut quant à lui correspondant pour Paris. La communauté de Saint-Denis-du-Sig, avait une forte proportion de militaires. Trois armes y étaient représentées : le génie, l’artillerie, la ma-rine. Trois armes présentes dans les ports militaires (Brest, Cherbourg, Lorient, Rochefort et Toulon) à la fois bases navales et forteresses.
La région brestoise occupe une place de premier choix dans la liste de souscripteurs. Feillet avait fait un travail de recrutement extrêmement efficace, aidé par la famille Montjaret-Kerjégu et par François Guiastrennec, vice-président de la société d’agriculture, secrétaire de la société des « Amis de l’industrie de Brest ». Au total, dans le Finistère, trente-deux souscrip-teurs sont recensés en 1848. Les fouriéristes brestois n’y apparaissent pas. Est-ce à dire que l’opération fut perçue comme une spéculation touchant la bourgeoisie militaire, ou un acte de colonisation ? Les souscriptions lancées pour lutter contre la disette et la constitution parallèle de la boulangerie ont-elles freiné les ardeurs ? Enfin, notons la présence d’une seule femme parmi les souscripteurs, Anaïs Valeton, la fille du négociant brestois Jacques Daniel et d’Elizabeth Guillemette Edern, âgée de quarante ans. Une femme en rupture avec les codes de son époque et adhérant aux principes du fouriérisme.
Une géographie du fouriérisme se dessine : les souscripteurs étaient des urbains, habitant le centre-ville bourgeois, ce sont des hommes d’autorité. La souscription montre aussi les limites de ce type de population : elle concerne un nombre conséquent de personnes soumises à mobi-lité, et pour la plupart sans liens étroits avec la ville. Une mutation commence : la Marine pèse moins à Brest et les éléments conservateurs l’emportent désormais sur les officiers proches des idées de progrès.
Jules-Jean Feillet se présenta aux élections législatives d’avril 1848 et il arriva en deuxième position des candidats sur le navire-école Borda, juste après Lacrosse, le grand favori de l’élection. Mais il récolta peu de voix en dehors de son milieu. Feillet était l’un des deux mili-taires d’active à se présenter, parmi cinquante-cinq candidats pour l’ensemble du département - le scrutin est départemental. Il ne disposait pas de réseaux suffisamment étendus : surtout il comprit très vite que les comités locaux électoraux, validant certaines candidatures et repous-sant d’autres, ne pouvaient pas permettre à ses idées d’être diffusées. Le journal L’Océan donna la parole aux candidats en mars, ce fut la seule occasion pour lui de présenter son pro-gramme.
« Voici mon programme : la république de 1792 a détruit l’ordre ancien ; la République de 1848 doit constituer l’ordre nouveau. La République doit fonder l’ordre sur la liberté. Tout BON CITOYEN doit accepter, sans ARRIERE-PENSEE, l’ordre des choses actuel et concou-rir, avec dévouement à la consolidation et au développement des institutions républicaines ». (les majuscules sont dans le texte original).
Après avoir énoncé les quatre piliers de sa profession de foi - respect de la propriété, de la fa-mille, des croyances et du droit au travail garanti – il explique son programme social. « Pré-voyance sociale étendue à tous les faibles par la création : 1° De caisses de réserve pour les invalides du travail ; 2° De banques agricoles pour développer la première de toutes nos indus-tries déshéritées jusqu’à ce jour de tous moyens d’action ; 3° De comptoirs d’escompte pour soustraire le petit et le moyen commerce aux exigences de la haute finances ; 4° de crèches, de salles d’asile, écoles d’arts et métiers, fermes écoles, etc., Union fraternelle entre les chefs de l’industrie et les travailleurs. Création d’un ministère spécial de l’agriculture. Création d’un ministère du progrès. »
Après 1849, Feillet collabora régulièrement au journal L’Armoricain, se cantonnant désor-mais à des articles généraux. Au début des années 1860, maintenant à la retraite, il se rappro-cha de Jules Duval, l’ancien directeur de la société de colonisation de Saint-Denis-du-Sig, alors à la tête du journal L’Économiste français. Il poursuivit sa propagande fouriériste comme l’atteste une correspondance publiée dans le Journal des initiés ; ainsi, en février 1863, il proposa « une souscription permanente de tous les travailleurs de France, à 10 cen-times par semaine, pour former une caisse de prévoyance en vue de toutes les éventualités de chômage et autres vicissitudes auxquelles le travail peut être exposé dans tous les départe-ments ».
Il correspondait régulièrement avec la rédaction du journal La Science sociale, qui regroupait les partisans de la cause phalanstérienne autour de François Barrier, à la fin du second Empire. Les deux hommes se connaissaient de longue date. Il adhéra également au projet du Cercle parisien des familles, destiné à offrir un lieu de rencontre et de détente pour les fouriéristes et les sympathisants. Feillet appuyait l’idée consistant à composer le conseil d’administration par une majorité de femmes (1870) et se plaignait de se trouver isolé dans son engagement :
« Sur le point où je suis, les phalanstériens n’existent plus que de souvenir. Je ne vois même aucun des anciens condisciples brestois qui [mot illisible] encore se dire phalanstérien. Cela ne me décourage pas, mais je comprends la nécessité de me tourner d’un autre côté pour ne pas perdre mon temps, et je me tourne naturellement vers le Centre » [27 juillet 1870].
Il signa des articles dans La Science sociale, l’un est un hommage à l’exercice féminin de la médecine, l’autre un hommage aux constructeurs du canal de Suez. Il estimait que le gouver-nement français avait dévoyé l’aventure en Algérie, la conquête civilisatrice ayant cédé la place à une exploitation de « la pauvre Algérie ». Il se rapprocha de la famille de Louis Rous-seau, de Keremma.
Il tenta de se faire élire conseiller municipal à Brest, mais n’étant pas Gambettiste, il fut écarté. Il commença à cette époque à pratiquer l’homéopathie, qu’il qualifiait dans une lettre au Cercle parisien des familles, de « médecine de charité ». Il pouvait « fournir les remèdes gra-tuitement en donnant les soins ; et ceux qui le peuvent le paient. » (27 juillet 1870). Cette intru-sion dans le monde médical lui coûta son retour en politique et un procès en 1871. Condamné une seconde fois en 1874, cette fois-ci lourdement, il quitta Brest pour l’Ille-et-Vilaine, puis revint en 1875 à Brest. Sa condamnation pour pratique illégale de la médecine, lui valut une suspension de six mois de l’ordre de la légion d’honneur.
Dès 1870, il manifesta son intérêt pour la Maison rurale d’enfants de Ry (Seine-Inférieure – Seine Maritime) tenue par le docteur Jouanne par un soutien financier régulier. Bientôt, il per-dit le contact avec l’École sociétaire, si ce n’est une association, « L’adoption, société protec-trice des enfants abandonnés », fondée par la fouriériste et romancière Marie-Louise Gagneur .
Feillet décéda à Brest le 10 février 1886. Sa famille abandonna rapidement les idées fouriéristes de Jean-Julien, se tournant vers un catholicisme militant.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article221918, notice FEILLET Jules-Jean par Jean-Yves Guengant, version mise en ligne le 9 janvier 2020, dernière modification le 9 janvier 2020.

Par Jean-Yves Guengant

SOURCES : Marie-Françoise Bastit-Lesourd, « Jules-Jean Feillet, 1809 - 1886, saint-simonien & fouriériste », Les Cahiers de l’Iroise, n° 209, août-décembre 2009, — Service historique de la défense, Marine, Dossier Feillet. — Union agricole d’Afrique. Rapport sur l’état actuel de la colonie et sur son avenir, Besançon, imprimerie de Sainte-Agathe aîné, 1847. BNF. — L’Océan, 22 mars 1848, bibliothèque municipale d’étude de Brest. — La Science sociale, 1868-1869, — École sociétaire - Maison rurale d’enfants à Ry (Seine-Inférieure), reproduction de lettres de Feillet dans les numéros de novembre-décembre 1871, janvier-février 1872, mars-avril 1872, et mai-juin 1872.

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