VINCENT Aristide

Par Jean-Yves Guengant

Né le 6 Messidor an XII (25 juin 1804) à Brest (Finistère), mort le 27 janvier 1879 à Brest  ; exploitant agricole et entrepreneur, puis journaliste à Brest. Ingénieur, architecte, directeur de société maritime, inventeur, phalanstérien actif dans la ville de Brest, entre 1843 et 1870.

Aristide Vincent est le fils de l’ingénieur des travaux hydrauliques de la marine, Ambroise Méry Vincent (1776-1863) et d’Henriette Antoinette Rideau du Sal (1786-1834). Le père d’Henriette, Marcel-Henry, décédé quelques jours avant le mariage, était premier sous-inspecteur de la marine et membre influent de la loge maçonnique L’Heureuse Rencontre.
Un oncle fut guillotiné comme fédéraliste en juillet 1794. La famille était aisée et son père devint inspecteur des jardins de la Malmaison, en décembre 1805. Aristide passa son enfance à Paris, dans l’ombre de la famille impériale. Son père devint contrôleur des bâtiments de la couronne impériale, à Compiègne, en 1814. Il suivit Napoléon dans l’aventure des Cent-Jours. Ayant perdu son emploi, il se reconvertit dans le métier d’architecte. Il y connut une nouvelle fortune qui lui permet d’acquérir en 1825 les terres de l’ancienne abbaye de Landévennec, près de Brest. La famille s’adonna aux joies d’une propriété, située agréablement aux bords de la rade de Brest. Henriette, artiste peintre appréciée, y trouva l’agrément d’une vie simple. Ambroise Méry se désintéressa du domaine, qu’il confia à un régisseur véreux puis qu’il loua à Aristide en 1833, avant de le vendre en 1843. Aristide, enfant timide et réservé, échoua dans ses différents projets. Préparant en secret son admission à l’école navale d’Angoulême, à l’âge de quatorze ans, Aristide essuya le refus de sa mère, qui le plaça dans une entreprise de sa famille au Havre. Aristide Vincent s’embarqua pour l’Argentine en 1823 et il y séjourna un an.
En 1831, Aristide revint à Landévennec. Il remonta le domaine, se lança dans la culture de la betterave sucrière et créa une entreprise de briques et de carreaux de faïence. Après 1836, une série d’échecs marquent la famille Vincent : postes de fonctionnaires attendus mais jamais attribués, refus du père de l’aider ou de lui céder son cabinet parisien d’architecte, échec dans ses tentatives industrielles. La marine s’opposa au dragage du maërl au moment où Aristide Vincent avait trouvé l’argent, le bateau nécessaire à l’exploitation, et construit un quai à Port-Launay, sur l’Aulne.
En 1843, Aristide Vincent perdit tout : sa fille Henriette-Lasthénie venait de décéder ; privé d’emploi par la vente du domaine paternel et par le refus de la marine de pérenniser l’entreprise d’exploitation de maërl, il dut aller chercher du travail à Brest. Son épouse et leurs cinq enfants vinrent habiter à Lambézellec, dans les faubourgs de la ville, où il venait de trouver un poste de rédacteur, au journal L’Armoricain.
Aristide Vincent s’empressa de présenter aux lecteurs de L’Armoricain la théorie de Charles Fourier, cinq articles se succèdent pendant l’été, détaillant la doctrine phalanstérienne. Le lectorat de L’Armoricain apprécie ce genre d’articles en feuilleton. Aristide Vincent rend compte des activités du groupe fouriériste : le 11 avril 1844, il écrivit un compte rendu dans L’Armoricain du banquet qui s’est tenu le 7 avril en l’honneur de l’anniversaire de la naissance de Fourier. Dans un autre article il proposa à ses lecteurs une description de la phalange, « entreprise sociale par actions, exploitée dans l’intérêt de tous les actionnaires, mais mobile et transmissible comme toute propriété l’est aujourd’hui ».
Puis il décrivit le principe du phalanstère, insistant sur la notion de mise en commun des forces. Plusieurs de ses cahiers autographes reprennent ses idées sur une éducation donnée dans un milieu sauvegardé des tares de la ville, ce qui l’amena à développer le concept de la colonie agricole. Il poursuivit cependant sa présentation de l’École sociétaire, en 1845, présentant Considerant comme « le chef de la nouvelle école » (sociétaire).
Aristide Vincent s’intégra rapidement dans la société brestoise. Il reprit rapidement ses activités d’architecte, il fut sollicité pour plusieurs importants chantiers brestois. Il développa dès la fin des années 1830 un appétit extraordinaire pour présenter de projets d’organisation sociale, de développement de transports (chemins de fer, voies maritimes), ou d’amélioration de l’agriculture. Aristide Vincent avait alors neuf enfants, dont cinq garçons, ayant la particularité de porter un prénom double, rappelant le panthéon d’Aristide : Albert-Franklin, Henri-Sully, Lucien-Parmentier, Émile-Colbert, Benjamin-Vauban. En 1852, il devint le directeur de la compagnie des paquebots à vapeur fluviaux et maritimes, entreprise qu’il racheta en 1867. La société prospéra, créant plusieurs lignes sur la rade et des liaisons vers Nantes et Lorient. Mais c’était incompatible avec la présence d’un port militaire. Aristide Vincent prit position en 1849 pour un pont reliant les deux rives de Brest, apte à développer la réunion des brestois et leur esprit civique ; « regrettant les centaines de millions qui vont s’engouffrer chaque année dans cet abîme qu’on appelle la marine militaire, il s’indignait que les douze mille à quinze mille mètres de quai de la Penfeld, soient plus ou moins stérilement absorbés pour l’aristocratie marine ». Il s’aliéna durablement le pouvoir militaire, dans sa volonté de développer une économie civile à Brest. La guerre de 1870 mit un terme à l’expérience de la compagnie maritime. Le chemin de fer ruina à son tour le canal de Nantes à Brest. Aristide Vincent s’en trouva durablement affaibli.
On retrouve ses engagements, dans ses écrits, principalement dans la lutte pour l’éducation des jeunes enfants et contre la mendicité et l’organisation de groupes associatifs. Il laisse plus de cinquante manuscrits. Aristide Vincent se fit l’ardent défenseur des colonies agricoles. Dans un mémoire adressé à la municipalité en 1845, il suggéra la création d’une ferme capable de mettre au travail les mendiants. Atteindre rapidement l’autosuffisance et dégager un bénéfice que l’on aurait réinvesti dans d’autres fermes, étaient les objectifs avancés par Aristide. Le corps de ferme reprenait le schéma du phalanstère : au centre, les locaux communs, et de part et d’autre les dortoirs séparés des femmes, des hommes et des enfants. Les ailes abritent les étables et écuries. Face au bâtiment, des hangars et des ateliers, permettant une production d’outils et de produits manufacturés, fermaient la cour. La ferme devait être financée par des parts sociales. L’entrée et la sortie de la colonie devraient être à tout moment possibles ; il n’est pas question d’enfermer mais d’aider une population déshéritée à suivre une vie saine et productive.
L’asile serait aussi une maison de retraite fort salutaire, et fort convenable à tous égards, car la campagne est pour les hommes âgés une nécessité, un moyen de bonheur. Enfin, arriverait le moment où une école primaire, suivie d’une école professionnelle, offrirait aux jeunes gens et aux enfants trouvés, les moyens de se placer avantageusement partout.
Vincent, conscient de la difficulté à encadrer une population « dépravée et soumise aux vices », se proposait de permettre aux congrégations religieuses, jugées les plus aptes à mener à bien ce projet de prendre la tête de cet asile. Se méfiant des instituteurs laïques « qui font de l’éducation une spéculation et qui substituent trop souvent le charlatanisme au zèle consciencieux... ». Le projet ne plût pas du tout à une municipalité désireuse d’écarter les congrégations religieuses et peu encline à supporter des charges supplémentaires. Quelques années plus tard (1853), le maire, H. Bizet, reprit le projet en créant un asile pour enfants mendiants à Poul-Ar-Bachet, propriété rachetée par la ville en 1850 et y fit construire une exploitation agricole, Il activa des ateliers pour les adultes, mais renonça à créer une colonie trop difficile à encadrer.
En janvier 1848, un article de La Démocratie pacifique rendit compte de l’action d’Aristide Vincent. Voulant éponger la dette de la ville qui s’escrimait à lutter contre la crise frumentaire, il expliquait qu’il avait souhaité lancer une souscription, dont il avait versé les premiers deniers. Il réunit une somme importante, acheta du blé, fit fabriquer du pain dans les fours de la boulangerie de l’arsenal et organisa la distribution au tiers du prix du marché, dans le but de casser la spéculation. Durant quelques jours, le système fonctionna puis, faute de blés, la spéculation reprit. La ville s’endetta dans l’affaire énormément. Les phalanstériens commencent à mettre en garde contre les projets bâtis à la hâte, la générosité ne pouvant tout régler.
Le débat rebondit à Brest, au sujet d’une boulangerie sociétaire. Un comité installa au début de l’année 1849 un four à pain dans l’immeuble appartenant à M. Aubry, situé dans le quartier de Brest, rue Duquesne. Une boulangerie fut ouverte dans le quartier de Recouvrance, rue Vauban. Mais ce ne fut pas à l’initiative d’Aristide Vincent.
Trop inventif, trop rapide, passant d’un projet à l’autre, imaginant de bâtir des immeubles sociaux, des crèches, malheureux en affaires, Aristide Vincent ne trouva plus la confiance de ses compatriotes. Dans sa vie politique, on note peu d’événements saillants. En avril 1848 il se présenta aux élections législatives. La nouveauté du scrutin, le nombre élevé des candidats, la méconnaissance complète des idées défendues par Vincent, entrainèrent un nombre réduit de voix (3956 voix pour l’ensemble du département, le dernier élu ayant recueilli 50 028 voix, le plus chanceux des candidats fouriéristes, Édouard de Pompéry, dépasse tout juste les 10 000 votants. En août 1865, Aristide Vincent, après un long purgatoire, accéda enfin au conseil municipal de Brest, au sein de la municipalité Kerros. Il y fut actif mais il peina à se faire entendre, comme l’attestent plusieurs procès-verbaux du conseil municipal.

Aristide Vincent n’a jamais organisé un véritable mouvement politique. Son adhésion au fouriérisme fut solitaire et condamnée à l’échec ; il s’était aliéné les forces politiques progressistes et subit les foudres des conservateurs. Les dernières années de sa vie furent dominées par un sentiment d’échec et par la maladie. « Tout ce qui me concerne tourne si mal ! La persistance des mauvaises chances est extraordinaire, rien n’aboutit quand cela me regarde, tout tourne à mal, c’est extraordinaire, mais malheureusement trop réel ». En 1877, il écrit à ses enfants : « Je ne vous laisse rien qu’un nom honorable et qu’un souvenir pour que celui-ci persiste quelque temps, ne tombe pas bientôt dans l’oubli... ». Il mourut à Brest le 27 janvier 1879.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article221920, notice VINCENT Aristide par Jean-Yves Guengant, version mise en ligne le 9 janvier 2020, dernière modification le 9 janvier 2020.

Par Jean-Yves Guengant

SOURCES : « Projet d’asile agricole pour l’extinction de la mendicité dans la ville de Brest, 23 juillet 1845 » , 8 pages manuscrites. Archives municipales de Brest, série 1R.
Projet d’organisation d’une réserve publique de céréales à Brest, Brest, Revue bretonne et maritime, 1847, p. 227-249, FB BR D516, bibliothèque d’études, Brest. — L’Armoricain : journal politique, commercial, maritime et littéraire, Brest. —
L’Océan : journal des intérêts maritimes et constitutionnels, Brest, La Démocratie pacifique,
Société d’émulation de Brest,
Annuaire de Brest et du Finistère pour les années 1836 à 1851.

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