POULIQUEN Joseph, François, Marie

Par Jean-Yves Guengant

Né le 23 août 1800 à Morlaix (Finistère), mort le 31 avril 1884 à Condé-sur-Vesgre, Seine-et-Oise (Yvelines)  ; magistrat  ; fouriériste.

Joseph Pouliquen fut un militant fouriériste finistérien de la première heure. ]Magistrat dans le Finistère-Nord, il soutint Victor Considerant, puis se rallia au groupe de Brest en 1844. Il créa une boulangerie sociétaire à Landivisiau puis s’installa à l’Union agricole d’Afrique, à Saint-Denis du Sig, Algérie, en 1849. Il fut le fondateur et un membre résident du Ménage sociétaire, la Colonie, à Condé-sur-Vesgre. Il y décéda en 1884.
Joseph Pouliquen est issu d’une famille de commerçants. Un père aubergiste à Morlaix, des parents commercialisant des fils pour les tisserands, nombreux en Léon (la partie ouest du Finistère-Nord). Il fut d’abord greffier (1834) et il fréquenta Yves Caroff, huissier de justice à Plouescat. En 1838, il fut le témoin d’Yves Caroff lors de son mariage avec Julie-Josèphe Ridard, de Saint-Pol-de-Léon – mariage célébré par Pierre-François Miorcec, maire de Saint-Pol et fouriériste. Les deux amis auront une carrière parallèle, Yves Caroff devenant le greffier du juge Pouliquen. Joseph Pouliquen fut promu juge de paix en août 1840 et occupa un premier poste à Plouzévédé (Finistère), au centre d’un triangle formé par les communes de Saint-Pol-du Léon au nord, Plouescat à l’ouest et Landivisiau au sud. C’est là qu’il constitua son premier réseau de militants et de sympathisants. Lui-même avait acheté en 1834 l’ouvrage de Charles Fourier, le « Traité de l’association domestique-agricole ».

Ces premiers fouriéristes étaient des hommes de loi (Yves Caroff, à Plouescat, Pierre-François Miorcec à Saint-Pol), et des propriétaires, agriculteurs, Jean-Baptiste de Kersaint-Gilly (1779, Loguivi, Côtes d’Armor – 1856, Plouescat) à Plouescat, Jean Foucault et Étienne-René Contant, à Guipavas et Brest. Il abonna l’instituteur du collège municipal de Landerneau, Le Goff à La Phalange, le journal de l’École sociétaire. Dès le lancement du journal en juillet 1836 il fut le correspondant local, et il recueillit les abonnements, et quand le sympathisant étaient sans ressources, il payait son abonnement. Il essaya de créer des dépôts de livres de l’École sociétaire mais il dut constater que les ouvrages s’écoulent difficilement.
Il mit en place une nouvelle méthode en confiant des ouvrages à quelques sympathisants de confiance. En juillet 1836, il prit contact avec la figure la plus connue du fouriérisme en Bretagne, Louis Rousseau, de Tréflez, qui essayait de développer à Keremma un projet d’exploitation semi-coopératif. Venu du Saint-simonisme, celui-ci s’est converti au fouriérisme à l’automne 1832, mais déjà, il avait pris distances et ne voulait pas développer ses relations avec Pouliquen. Au total, trois lieux d’implantation se dégagèrent : la ville de Saint-Pol-de-Léon, la région de Landivisiau, et Brest où existe un groupe concurrent, membre de l’Union harmonienne. Peu d’abonnements, une dizaines d’ouvrages placés, dont le premier volume de Destinée sociale, de Victor Considerant. La Phalange confia à Pouliquen en dépôt neuf exemplaires de Nécessité d’une dernière débâcle politique en France, écrit par Victor Considerant, qu’il plaça à Brest et à Morlaix, où il ne trouva pas acheteur. Il étenditd les dépôts à Lannion et Guingamp, en septembre 1836 et surtout transmit les remarques des lecteurs du journal, qui en attendaient plus de variété et moins de dogmatisme.
Les militants se sentaient isolés. La question sociale a peu d’écho dans le Finistère, et les fouriéristes se firent traités d’illuminés et d’anti-religieux : « Un de nos amis a été admonesté pour avoir fait circuler de mauvais livres » (Archives nationales, fonds Fourier et Considerant, lettre de Pouliquen, 14 octobre 1836). Pouliquen confia à Considerant qu’il a tout au plus une vingtaine de personnes intéressées, dont cinq peuvent devenir militants. L’année suivante (1837) il annonça quelques résultats mais « mais c’est si péniblement et avec tant de lenteur que nous cherchons tous les moyens d’accélérer notre marche ! »
Les quelques militants commencèrent à collecter de l’argent pour créer un phalanstère. La collecte fut améliorée mais restait insuffisante. Joseph Pouliquen se plaça derrière Victor Considerant dans la crise qui secoua l’École sociétaire pendant l’été 1837. Il commença à écrire dans La Phalange en décembre 1836, un article intitulé « Les véritables utopistes ». Pourtant en 1838, il apparut comme le correspondant de l’Union harmonienne, de Jan Czynski, comme ses amis Foucault et Caroff à Guipavas et Plouescat.
En 1840, il fit paraître, dans L’Écho de Morlaix, un article consacré à la science sociale : Il y présentait la création des salles d’asile, des caisses d’épargne, des fermes-modèles, des comices agricoles ou la réforme pénitentiaire, comme des acquis de la science sociale. En septembre 1841, il plaida auprès de Charles Pellarin la cause d’Édouard de Pompéry qu’il vpoyait « éloigné de votre groupe » et sa réintégration dans l’École sociétaire. Ses amis Contant, Bourguignolle et Foucault, étaient partis depuis l’automne à Cîteaux, participer à l’expérience menée par Zoé Gatti de Gamond et le philanthrope Arthur Young (1841-1844).
En décembre 1844, son souhait d’union des phalanstériens aboutit à la création du « Groupe de Brest et de ses environs », animé par Paul de Flotte. En octobre 1843, il devint juge de paix à Landivisiau, où il exerça jusqu’en 1849. En 1847, il créa un « comptoir communal », qui gérait une boulangerie « sociétaire » ou « garantiste » (les deux termes étaient utilisés). 4000 francs furent réunis par 39 sociétaires, avec le soutien de minotiers dont la famille Bazin, propriétaire d’une minoterie à la Roche-Maurice, près de Landerneau. La société du « Moulin de l’Elorn » était la plus importante minoterie du département. Lucien-Gabriel Bazin était le maire de la commune, le président de la société et l’un des actionnaires de l’Union agricole d’Afrique. La crise frumentaire étant passée, la boulangerie cessera après le départ de Pouliquen le 10 mars 1849. Pouliquen quitta la magistrature et rejoint l’Union agricole d’Afrique, à Saint-Denis-du-Sig (Algérie). Il s’y installa, aux côtés de Jules Duval , directeur de la coopérative. Il y resta dix mois, le climat algérien ne lui convenant pas. Il arriva à la Colonie de Condé-sur-Vesgre en 1850 et participa à la fondation de la nouvelle société, le Ménage sociétaire. Pouliquen fait partie avec son ami Jean Foucault des fondateurs du Ménage sociétaire et de la Société civile immobilière. Il devint en 1861 le secrétaire du conseil syndical. La Colonie était un lieu de résidence et une maison d’hôtes. Les statuts de la société immobilière rédigés par Foucault, affirment que pour être adhérent, il faut :
-  Adhérer aux statuts et aux buts du ménage ;
-  Louer une ou plusieurs chambres ;
-  Acquérir des parts, représentant une part de la location.
C’est un vaste bâtiment qui permettait de louer des chambres aux colons ou aux invités ; il abrite les espaces communs, salles à manger, salons et salles de jeux, la cuisine et la buanderie… Les repas se prennent en commun et les charges sont partagées. Bientôt, de manière dérogatoire, quelques maisons furent construites, suffisamment éloignées pour assurer l’indépendance des sociétaires. Les amis fouriéristes de passages étaient reçus. On note la présence d’une institutrice, Rose Adrienne Faucheroux, veuve et âgée de 45 ans, qui fait la classe aux enfants (1861). La Colonie voit ses habitants varier entre 15 l’hiver et 40 l’été. La Colonie avait une fête annuelle et l’anniversaire de la naissance de Fourier était fêtée en avril.
En 1868, d’après La Science sociale, soixante-douze personnes, dont une vingtaine d’enfants y participent, dans une ambiance agréable ; Pouliquen termina le banquet en chantant une ode composée par Béranger : « L’Humanité ».
Pouliquen voulut que la Colonie soit « un lieu sympathique, où il est possible de vivre la vie collective ». En 1855, il montra son scepticisme face au projet de « Réunion », au Texas, estimant que François Cantagrel, le directeur du projet, a lancé l’opération de façon prématurée, et il reprocha au mouvement d’avoir abandonné la Colonie à elle-même, d’avoir perdu la foi dans l’idéal commun du phalanstère. Il fut élu au conseil municipal de Condé-sur-Vesgre en 1860 et il y siègae jusqu’en 1871. Il fonda une société de secours mutuels pour la commune et en devint le président en 1864.
Pouliquen résida jusqu’à la fin de sa vie à la Colonie, qui accueillait, au début des années 1880, une communauté réduite. Son ami Bourguignolle était venu le rejoindre. C’est son ami Julien Chassevant âgé de 76 ans, signalé comme « ancien professeur, pensionné de l’État », habitant la Colonie, qui déclara le décès à la mairie en 1881.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article221922, notice POULIQUEN Joseph, François, Marie par Jean-Yves Guengant, version mise en ligne le 9 janvier 2020, dernière modification le 13 janvier 2020.

Par Jean-Yves Guengant

Pouliquen à la Colonie.

SOURCES  : Archives départementales du Finistère, archives départementales des Yvelines, État-civil de Condé-sur-Vesgre. Société de secours mutuels de Condé-sur-Vesgre.
Archives nationales, fonds Fourier et Considerant, 10 AS 41 : lettres de Pouliquen à V. Considerant, C. Pellarin, F. Guillon. — Almanach social pour l’année 1840, Paris, Librairie sociale. — Journaux : La Phalange, La Science sociale. — Bernard Desmars, Militants de l’utopie ? Les fouriéristes dans la seconde moitié du XIXe siècle, Dijon, Les Presses du réel, 2010.

ICONOGRAPHIE : Portrait de Pouliquen, sans date Archives de la Colonie de Condé-sur-Vesgre. Portrait de Pouliquen, sans date Archives de la Colonie de Condé-sur-Vesgre

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