échos d’histoire

1920 : grévistes et révoqués

Il y a un siècle l’histoire sociale et politique fut marquée, comme aujourd’hui, par la mobilisation des salarié-e-s des chemins de fer. Nous vous proposons de revenir sur les grandes grèves cheminotes de 1920 à travers les notices du Maitron.

L’élément déclencheur de ce mouvement semble au départ bien anecdotique. Les 14 et 15 février 1920, Jean-Baptiste Campanaud demanda un congé pour assister, à Dijon, à une réunion de la commission administrative de l’Union syndicale PLM. L’autorisation lui fut refusée et Jean-Baptiste Campanaud passa outre. Il fut alors sanctionné le 19 d’une mise à pied de 48 heures et cet incident fut à l’origine d’un mouvement gréviste d’une grande ampleur compte tenu des problèmes importants qui étaient alors en discussion dans la profession : l’élaboration d’un statut des cheminots et la question de l’échelle des traitements.

Le 19 février, 1 600 cheminots de Villeneuve-Saint-Georges arrêtèrent le travail. Entre le 20 et le 25 février, la grève s’étendit et gagna tout le réseau PLM (Paris-Lyon-Méditerranée) pour devenir finalement une grève générale des chemins de fer. Le mouvement dirigé à Villeneuve-Saint-Georges par Jean-Baptiste Campanaud et Mathieu prit fin le 3 mars. Mais il recommença le 1er mai et se termina le 28 mai sur un échec, avec pour conséquence la révocation de 18 000 cheminots.

Source : Institut d’histoire sociale CGT cheminots, collection numérique



L’impact de ces révocations est très présent dans les notices du Maitron, qui permettent plus largement de saisir l’ampleur du mouvement sur tout le territoire français. On compte par exemple soixante-seize révoqués dans l’Indre (dont Gaston Lucas, Marius Olivier, Louis Bernon, Augustin Chollon, Fernand Roger), cinquante-six grévistes à Laval (Mayenne) parmi lesquels Martiniaux, Dufrenoy, Paul Devenon, Henri Galliot, Georges Goinard, d’autres encore à Nancy (Meurthe-et-Moselle) (Didier Croise, Gaertner, Daly) ou Dieppe (Seine-Inférieure, Seine-Maritime) (Robert Arpajou, Louis Leymarie, Sylvain Lafargue, et André Perry).

Parmi les grévistes sanctionnés en 1920, beaucoup avaient déjà été révoqués après les grèves de 1910 : Léonce Raynaud, Émile Robin, Claude Hays, Jules Dejonkère, Arthur Loiselle, Martial Gilbertas, Henri Toti, Eugène Boisjoly, Jules Buissonnière.

L’événement et la révocation marquent les itinéraires de nombreux dirigeants syndicaux des années 1920 : Henri Barthélémy, Jean Jarrigion, Paul Le Guen, Marcel Bidegaray, Lucien Midol, Gaston Monmousseau, Antoine Rambaud, Pierre Semard, Jacques Sigrand.

Pour les militants, la grève ne va pas toujours de soi ou est en tout cas est source de questionnements. Ainsi, Lucien Midol participa à la grève générale de mai 1920 par discipline syndicale, alors même qu’il avait été le responsable le plus en vue du PLM lors de la grève de février 1920.

Dans d’autres cas, la grève fut l’occasion du basculement vers une carrière politique comme pour Étienne Mazoyer qui, parce que cheminot révoqué, fut le candidat communiste aux élections législatives à Alger en 1921 et 1924. Ernest Bizet devint quant à lui maire socialiste puis communiste de Saint-Cyr-l’École de 1919 à 1933 et fut député de Seine-et-Oise (1924-1928). On peut également évoquer un effet « positif » de la révocation dans les cas de Joseph Puig, maire adjoint de Rivesaltes (1921-1922), résistant, déporté ; Ernest Michaud secrétaire de la Fédération CGT des Services publics ; Georges Guillory nommé archiviste de la Fédération des cheminots.

Si beaucoup furent réintégrés en 1924, comme André Perry, Pierre Giannoni, René Égretaud, Didier Lepeltier, Édouard Bessin, Eugène Dubré, d’autres se reconvertirent tout naturellement dans la métallurgie (Ernest Constant, François Soler, Eugène Decouflet, Gaston Roulaud), devinrent ouvriers d’usine (Fernand Féraud, Julien Favard) ou alors employés municipaux (Edmond Dordé, Pierre Lacombe).
On compte cependant des reconversions dans des domaines plus inattendus :

Comme le rappelle l’introduction au dictionnaire Cheminots et militants. Un siècle de syndicalisme ferroviaire, l’écho des grèves de 1920 se fait sentir également dans les biographies des générations suivantes, y compris celles des responsables syndicaux de l’après-Seconde Guerre mondiale. Ainsi, la tante de Pierre Anquetil avait épousé un révoqué de 1920, contribuant ainsi à un entourage familial composé de nombreux militants cheminots. Jacques Agrain « avait été largement influencé par Albert Saleich, révoqué à deux reprises, en 1920 et en 1940. Henri Barlier se maria avec la fille d’un révoqué de 1920. Les pères de Robert Degris, de Jean Le Maulf et de Fernand Pavoux — lui-même révoqué puis réintégré en 1947 — l’avaient été, ainsi que le grand-père d’André Dupont.

A l’issue des grèves de 1920, les cheminots obtinrent un accord sur le statut du personnel et l’échelle des salaires. Celui-ci fixait les conditions de recrutement, les congés, les droits en cas de maladie, l’avancement, les modalités de représentation du personnel et les mesures disciplinaires, et resta le statut de référence tout au long du XXe siècle.

Le Maitron des Cheminots, édité en 2003, est à retrouver en ligne dans son intégralité (17539 biographies revues et augmentés), accompagné des articles thématiques de la version imprimée.

Les documents présentés ci-dessus sont tirés de la bibliothèque numérique de l’IHS-CGT Cheminots, dans laquelle vous retrouverez d’autres sources concernant ce sujet.

Par Barbara Bonazzi

1920 : grévistes et révoqués
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