DENANTE Ernest, Emmanuel

Par Francis Roux

Né le 30 octobre 1889 à Gordes (Vaucluse), mort le 29 janvier 1973 à Bédoin (Vaucluse) ; instituteur pacifiste et internationaliste ; délégué au congrès de Tours, un temps militant du Parti communiste dans le Vaucluse, exclu, puis oppositionnel.

Compère-Morel, Encyclopédie socialiste, op. cit.

Second des trois fils d’un propriétaire de Gordes, cultivateur et éleveur, Ernest Denante, après des études à l’école primaire supérieure professionnelle de l’Isle-sur-la-Sorgue, entra à l’École normale d’instituteurs d’Avignon. D’abord instituteur à l’Isle-sur-la-Sorgue, puis à Courthézon, il épousa à l’Isle, en avril 1913, la fille de son ancien professeur de mathématiques et devint père d’une petite fille en avril 1914. Se livrant, dès cette époque, à une active propagande pacifiste et antimilitariste, comme son collègue vauclusien Alexandre Blanc*, il adhéra au Parti socialiste unifié, soutint la candidature d’Henri Gourdeaux* aux élections d’avril 1914, « se montrant ennemi acharné de la loi de 3 ans » et, selon le même rapport de police, gagnant au Parti socialiste à Courthézon, une cinquantaine de voix. En août 1914, ayant déclaré qu’il ne répondrait pas à l’appel de mobilisation, il suscita l’intervention de la gendarmerie, mais prit cependant le train le soir même pour rejoindre, comme soldat de 2e classe, le 3e régiment d’infanterie.

Dès le début de la guerre, grièvement blessé à la jambe droite lors des combats de la « course à la mer », sur le front de la Somme, fait prisonnier, il commença une captivité de trente-neuf mois, à Grafenwöhr (Allemagne centrale). En 1916, bénéficiant d’un échange de prisonniers, il fut transféré en Suisse où il se fit affecter au secteur universitaire de Genève, s’inscrivant à l’Institut Jean-Jacques Rousseau des Sciences de l’éducation et au laboratoire de Psychologie expérimentale où il suivit les cours du docteur Claparède. L’« année trouble » le vit installé à Champéry, dans le Valais. Il y connut une infirmière de la Croix Rouge originaire de Caen, Geneviève Noël, fille d’une infirmière major de l’École normale de Caen et d’un ancien proviseur du lycée d’Avignon. Fut-il alors en rapports étroits avec les milieux enseignants pacifistes et internationalistes, Champéry étant limitrophe de la Haute-Savoie où l’institutrice Lucie Colliard*, future déléguée de la fédération socialiste du Calvados, introduisait la revue rollandiste Demain ? Faut-il y voir la raison de la révocation et du renvoi en France de Mademoiselle Noël ou ce fait n’est-il le résultat que de l’intervention de Madame Denante, comme le suggère la police ? Madame Denante, en effet, vint à Champéry avec sa fille, en juillet 1917, y séjourna jusqu’en septembre, mais ne put que constater, au travers de scènes fréquentes parfois violentes, la dissociation de son ménage.

Commença alors pour Denante, une nouvelle liaison : une princesse « roumaine » du nom de Gickla, mère d’une fille de dix-huit ans résidant à Nice. Cette liaison devait durer plusieurs années, puisqu’après le retour de Denante en France les rapports de police signalent sa correspondance suivie avec la Suisse, un voyage en Suisse et à Nice en 1919, un autre à Genève en août 1920, et qu’une lettre du receveur des PTT de Courthézon au directeur des PTT, en février 1921, dénonce notamment la « correspondance suivie entre Denante et une nommée princesse Gickla qui évolue constamment entre la Suisse et Nice ».

Dès son retour en France, Ernest Denante avait déployé une intense activité sociale, syndicale, politique.

Le divorce fut prononcé, en mai 1918. Ses qualités professionnelles semblèrent toujours reconnues. Instituteur à Courthézon on ne put lui reprocher un enseignement tendancieux et, en dépit des pressions du préfet suscitées par les dénonciations de ses adversaires politiques, l’Inspecteur d’Académie, parfois plus compréhensif que l’Inspecteur Primaire, se refusa aux sanctions les plus graves, proposant seulement une réprimande, en mai 1921, pour l’appel qu’il avait signé en qualité de secrétaire de l’ARAC, demandant, entre autres, aux enseignants vauclusiens de se refuser à célébrer le centenaire de la mort « du plus grand des massacreurs d’hommes ».

Organisateur et président de l’Association des Combattants et victimes de la guerre de Courthézon, Denante se montrait très serviable, s’occupant volontiers des demandes pour les pensions de guerre, ce qui lui attirait des sympathies, y compris celles de ses ennemis politiques. Mais il poursuivait en même temps son action pacifiste, dénonçant sans trêve la guerre, et aussi le système politique qui en était, selon lui, le responsable, faisant voter par l’ARAC en mai 1919 un ordre du jour refusant l’érection d’un monument aux morts tant que ne serait pas réalisée la société « de Droit, de Justice, de Liberté », pour laquelle ils étaient morts.

Parallèlement, Denante conduisit une importante action politique. En novembre 1919, 4e candidat de la liste socialiste, avec Blanc, Ruff, Gourdeaux, il traitait plus spécialement des questions militaires dans les réunions électorales. « De petite taille, les cheveux longs, la crinière au vent, le regard défiant l’auditoire », tel le décrivaient des rapports de police qui admettaient parfois qu’il était un « orateur habile et persuasif ». Attaquant le Traité de Versailles, il annonçait que cette paix ne serait pas définitive ni cette guerre la dernière « si le peuple n’y prenait garde ». Il obtint 14 119 voix (moyenne de liste : 14 277. Quotient électoral : 11 636), Blanc étant le seul élu de la liste avec 14 576 voix, mais à Courthézon il arrivait en tête des quatre candidats.

Cependant il se montrait de plus en plus intransigeant. Au printemps 1920, il organisait les sections socialistes de Courthézon, de Châteauneuf-du-Pape, incitait les gens à ne pas souscrire à l’emprunt national, développait sa propagande parmi les ouvriers baletiers et les ouvriers agricoles, continuant une correspondance suivie avec la Suisse d’où il recevait journaux et colis. En juillet 1920, dans un meeting à Mondragon, il aurait tenu des propos si révolutionnaires que l’Inspecteur Primaire, alerté par un dénonciateur, crut bon de lui adresser une lettre de reproches. Au demeurant son activité politique n’empêchait pas ses préoccupations pédagogiques et ne nuisait pas à sa conscience professionnelle.

Le 14 novembre 1920, Denante prit la parole, après Marcel Cachin* et Alexandre Blanc*, à la grande manifestation socialiste de Bollène qui se termina par des incidents et il se félicita de voir flotter le drapeau rouge sur la mairie.

Dans ces conditions, la fédération socialiste du Vaucluse, qui donnait 42 mandats sur 47 à la motion Cachin*-Frossard*, le délégua au congrès de Tours avec Abram, Blanc* et Lussy* et il prit la parole le 26 décembre 1920. Il vota l’adhésion à la IIIe Internationale et participa aux premiers développements du Parti communiste du Vaucluse qui faisaient de cette fédération, en 1921-1922, une des vingt-cinq, les plus importantes de France. Quelles furent ses responsabilités exactes dans la première organisation du parti SFIC ? Ses amis, Blanc, Gourdeaux*, faisaient partie du premier Comité directeur. Lui-même, inscrit au Carnet B en mai 1922, était qualifié d’« organisateur du Parti communiste dans le Vaucluse, antimilitariste notoire avant la guerre, défaitiste ensuite, très intelligent, très actif, réellement dangereux pour l’ordre intérieur ». Il est vrai qu’il était resté en étroit contact avec les luttes ouvrières en 1919-1920.

Créant dès 1919 une coopérative, « La Maison du peuple », à Courthézon, il recrutait les adhérents surtout parmi les ouvriers baletiers. Désormais il allait être solidaire de leur action, soutenant leurs grèves, notamment en novembre 1924, où un article dans l’Humanité lui valait une nouvelle intervention de la police auprès de l’Académie, dénonçant « l’instituteur Denante qui fait de la propagande communiste par écrit, même les jours de classe » ; lors de la grève générale du 12 octobre 1925 contre la guerre du Rif, le Parti communiste fut très actif à Courthézon et, en février 1926, une nouvelle grève des baletiers avait son soutien public. Mais c’est en 1920 que Denante participa le plus directement aux grèves révolutionnaires. Son activité politique cette année-là, ses liaisons avec la Suisse, pouvaient le faire soupçonner de participer au soi-disant « complot » pour la « lutte finale » dénoncé par le gouvernement. Le 2 mai 1920, au début de la grève générale des cheminots, il prit la parole à la Bourse du Travail d’Avignon en présence des grévistes du PLM et des délégués de l’UD des syndicats vauclusiens

Après ces années d’activité fébrile, en 1923-1924 il apparut moins au premier plan. Est-ce désillusion, sont-ce premiers désaccords avec l’évolution interne du Parti dont l’effectif vauclusien baissait rapidement ? Il n’était pas parmi les orateurs au grand meeting des Jeunesses communistes de Carpentras du 1er juillet 1923 où son ami, le docteur Aymé portait le drapeau rouge et où Maurice Laporte* et Henri Gourdeaux* prirent la parole. En février 1924, le congrès de la fédération du Vaucluse du Parti désigna, pour les élections de mai, Blanc, député sortant, Aiglon, cheminot révoqué, et Gobelin, maire de Bédoin, comme candidats du « Bloc ouvrier et paysan ». Mais Blanc, malade, devant annoncer quelques jours avant le scrutin, qu’il serait remplacé par Denante, l’ouvrier agricole Magnau remplaçant Gobelin.

Au cours de la campagne électorale, Denante n’intervint pas, semble-t-il, dans les réunions les plus importantes. Tête de liste, il obtint 7 660 voix, Aiglon 7 441, Magnan 7 445 (quotient électoral : 17 646), les trois candidats du Cartel l’emportant largement. Mais, quelques jours plus tard, dans un article de l’Humanité, il affirma que « la lutte gigantesque qui met aux prises exploiteurs et exploités [...] ne se résoudra pas avec des bulletins de vote », article « jugé trop osé » par plusieurs personnes « sous la plume d’un instituteur en fonctions » comme l’indiqua une note de police au préfet demandant des sanctions.

L’année suivante au moment où le Parti faisait un gros effort du côté des Jeunesses et développait leur action antimilitariste on le vit participer aux congrès des Jeunesses communistes vauclusiennes à Sarrians puis à Cavaillon. Il s’occupait en même temps d’organiser un syndicat d’enseignants affilié à la Fédération unitaire, réunissant en un grand meeting à Avignon le 24 octobre 1926, les instituteurs vauclusiens. Sous le patronage de la CGTU, les orateurs y développèrent des thèmes anticléricaux et se dressèrent contre la préparation militaire à l’école et l’esprit militariste de l’École normale primaire. Denante sera le secrétaire général de ce syndicat dont les statuts furent publiés le 28 février 1929 ; il sera aussi le rédacteur principal du bulletin bimensuel L’Éducateur syndicaliste. Cependant il subissait avec impatience la « bolchevisation » du Parti. En janvier 1927, il protestait contre les initiatives de Ramé, secrétaire du rayon d’Avignon, qui faisait distribuer des tracts devant les écoles, prenant à partie les instituteurs, et portant tort ainsi « au syndicat qui était en train de se constituer » En 1928, désigné comme candidat de la circonscription d’Orange, il annonçait le 3 mars, lors de l’assemblée régionale populaire qu’il présidait au Théâtre municipal d’Orange que son état de santé (dépression nerveuse) l’obligeait à se retirer et il cédait la place à Fontenay. Il présidait cependant, et pour la première fois, un mois après, la fête annuelle du Parti, à Fontaine-de-Vaucluse, où Gourdeaux, (qui allait être arrêté), prit la parole. Ce fut semble-t-il sa dernière manifestation publique comme membre du Parti communiste : l’échec électoral du 22 avril et de la tactique classe contre classe, les divisions internes ouvraient une période de crise pour le Parti, en Vaucluse comme ailleurs. Denante fut exclu en même temps que le docteur Aymé* en février 1930. À la différence de ce dernier il ne sollicita pas sa réintégration. Il poursuivit son activité syndicale au sein du syndicat unitaire ; en avril 1929, il fut candidat au Conseil départemental de l’enseignement primaire contre les représentants du SNI, Cluchier et Escoffier qui seront élus. En août 1929, il fut délégué au congrès fédéral des instituteurs CGTU à Besançon puis, en août 1930 au congrès de Marseille où s’affrontèrent durement majorité fédérale à laquelle appartenait Denante et MOR (Minorité oppositionnelle révolutionnaire, id est communiste). En novembre se constitua le syndicat du Vaucluse qui confia son secrétariat et l’Éducateur, bulletin du syndicat, à Ernest Denante, assisté de H. Sarda*, secrétaire corporatif et chargé des rapports avec le groupe des jeunes, G. Constant secrétaire pédagogique, Mlle Gobelin trésorière, A. Marsaud, administrateur de l’Éducateur, A. Miquel, délégué aux relations internationales, Toulisse, délégué au second degré. En 1932, Denante dénonça dans l’École émancipée la stalinisation de la CGTU. Au congrès de Bordeaux, cette même année, il fut remplacé au bureau fédéral où il avait été élu en 1930 comme secrétaire à l’Internationale mais il resta membre du conseil fédéral jusqu’en 1934.

Instituteur à Carpentras, Ernest Denante s’était remarié le 26 septembre 1930 avec Mlle Gobelin, institutrice comme lui, fille de l’ancien maire communiste de Bédoin. Les autorités considérant que depuis son installation dans cette ville, en octobre 1932, « sa conduite a été irréprochable », qu’il ne fait plus de politique militante, ne sort qu’en famille, s’est définitivement « assagi », et « passe pour un excellent maître », sa radiation du Carnet B fut demandée et obtenue en mai 1938.

L’instructeur communiste Guilleminault dans son rapport du 9 février 1938, sur le Parti communiste à Carpentras, signalait les activités d’un « groupe trotskiste » autour de l’électricien Goldstein qui publiait un journal Le Franc Parleur auquel participait Denante, instituteur en exercice à Carpentras, exclu du Parti

En 1942, il fut déplacé dans l’Ardèche, à la Voulte où il devait prendre sa retraite ainsi que sa femme. Ils se retirèrent alors à Bédoin. Fidèle abonné d’Unir, revue oppositionnelle communiste, Denante appartint au comité de réhabilitation d’André Marty*. Ayant sa carte de « Citoyen du Monde » et demeurant un pacifiste convaincu, c’est dans le calme de ce petit village historique, au pied du Ventoux qu’Ernest Denante* s’éteignit le 29 janvier 1973.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article22236, notice DENANTE Ernest, Emmanuel par Francis Roux, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 19 avril 2020.

Par Francis Roux

Compère-Morel, Encyclopédie socialiste, op. cit.

SOURCES : RGASPI, Moscou, 517 1 1896 (Jacques Girault). — Arch. Nat. F7/12992, F7/13022 et F7/13749, Avignon, 18 novembre 1929. — Arch. Dép. Vaucluse, 1 M 723, 816, 818, 823, 824, 825, 841, 3 M 279, 280, 281, 4 M 234, 10 M 28, 29, 30, 31. — A. Autrand, Statistique des élections parlementaires et des partis politiques en Vaucluse de 1848 à 1928, 1930. — A. Autrand, Un siècle de politique en Vaucluse, Avignon, 1958. — Bernard, Bouët, Dommanget, Serret, Le Syndicalisme dans l’enseignement, op. cit. — Renseignements communiqués par la famille. — Notes de J. Girault. — Débat communiste, 15 janvier 1964. — Unir-Débat, 15 mars 1973.

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