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Philémon, Vieux de la Vieille

Parution

Retour sur l’histoire du roman de Lucien Descaves, Philémon, Vieux de la Vieille, à l’occasion de la parution d’une nouvelle édition présentée, établie et annotée par Maxime Jourdan (Paris, La Découverte, 2019, 348 p.).

En 1913, au terme d’une décennie de recherches minutieuses et d’entretiens patients avec les survivants de la Commune, Lucien Descaves publie Philémon, Vieux de la Vieille, livre demeurant, aujourd’hui encore, le plus abouti et le plus complet sur l’histoire de la proscription communaliste (1871-1880). Si sérieuse et si documentée est son étude qu’elle s’est imposée comme un instrument de travail incontournable auprès de générations d’historiens et qu’elle a permis, soit de créer de toutes pièces, soit d’enrichir quelque deux cents notices du Maitron.

Dans son ouvrage, en effet, Descaves brosse le portrait ou évoque le sort de plusieurs centaines de communards exilés, des plus obscurs, comme Boniface Vola, Alexandre Laprade ou Joseph Villeton, aux plus célèbres, tels Gustave Courbet, Ferdinand Gambon et Élisée Reclus.

Ayant pris le parti de donner à son livre une forme romanesque, Descaves s’est, pour modeler le personnage de Philémon/Colomès, son héros, amplement inspiré de la figure de Gustave Lefrançais. Néanmoins, un autre ancien insurgé, bien moins connu, lui a également été une puissante source d’inspiration : Henri Mathey, dont est ici présentée la notice actualisée.

Né d’un couple d’horlogers le 31 décembre 1825 au 20, rue de la Huchette à Paris, Ami Henri Mathey devint ouvrier bijoutier après quatre années d’apprentissage effectuées de 1839 à 1843.

Le 25 avril 1848, il épousa Pauline Mélanie Chauvel, polisseuse de son état. Après avoir eu deux enfants, Stéphanie, née en 1851, et Laurent, né en 1856, il se sépara de sa femme vers 1864 et emménagea au 9, cité Boufflers avec Sophie Descombes, blanchisseuse de quatre ans son aînée (qui inspira à Descaves le personnage de Baucis/Phonsine, âme sœur de Philémon/Colomès dans son roman).

Pendant le Siège de Paris, il fut simple garde à la 8e compagnie du 86e bataillon (celui de Louis Pindy). Sous la Commune, il se rendait un soir à l’Hôtel de Ville pour voir Félix Pyat, son ami intime, lorsqu’il rencontra Henri Brissac et Édouard Vaillant, qui lui enjoignirent de prendre le commandement du fort de Vanves. Mathey accepta et le commanda du 1er au 8 mai 1871.

Selon un jugement du capitaine Debeauvais écrivant le 13 mai 1871 à Delescluze, il s’y montra un « homme nul comme soldat, mais dévoué à la cause et d’une aptitude et d’un courage exemplaires ». Son commandement lui fut retiré le 8 mai pour être confié à Auguste Durassier. Le titre de commandant civil du fort lui fut alors attribué, avant de lui être retiré au bout de deux jours.

Pendant la Semaine sanglante, il participa à la guerre des rues et, quoique blessé, parvint à prendre la fuite. Le 18 septembre 1872, le 5e conseil de guerre le condamna par contumace à la déportation dans une enceinte fortifiée.

Réfugié à Genève, il vécut de son métier de bijoutier, qui lui rapportait jusqu’à 20 francs par jour. Il figura au nombre des proscrits signataires de deux brochures, Au citoyen Garibaldi, Genève, 27 janvier 1875 (54 signataires), et Les Proscrits français et leurs calomniateurs, Genève, imprimerie André Alavoine, 30 janvier 1880 (17 signataires).

De retour en France, il signa le 18 mai 1885, dans La France libre, l’appel d’un comité de souscription annonçant le projet de publication des Cahiers du peuple de Félix Pyat. Après la mort de ce dernier, dont il fut l’exécuteur testamentaire, il hérita des droits sur le théâtre de l’ancien représentant de 1848 et des manuscrits de deux pièces inédites : Le Médecin de Néron et La Famille anglaise. Mathey était lui-même l’auteur d’un drame intitulé Les Victimes du machinisme et d’une Introduction générale au théâtre populaire.

Après le décès de son épouse, intervenu le 14 juillet 1894, il régularisa son union avec Sophie Descombes le 3 janvier 1895, en vue d’entrer ensemble à l’hospice de Brévannes (aujourd’hui, Limeil-Brévannes, dans le Val-de-Marne). Ils y furent admis le 21 mai suivant. Le 11 janvier 1902, ils y reçurent la première visite de Lucien Descaves, qui jamais ne les avait rencontrés auparavant et devint aussitôt leur ami. Une dizaine d’années plus tard, ils s’y éteignirent tous deux, à neuf mois d’intervalle : elle, le 29 décembre 1912 ; lui, le 19 septembre 1913.

Par Maxime Jourdan

Philémon, Vieux de la Vieille
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