BUHR Victor [Dictionnaire des anarchistes]

Par Dominique Petit

Né à Cologne (Allemagne) le 3 août 1868 ; mort à New-York dans le quartier du Bronx (USA) le 5 juillet 1923 ; peintre décorateur ; socialiste révolutionnaire de Berlin, considéré comme anarchiste à Paris et syndicaliste à New-York.

Photo anthropométrique Alphonse Bertillon. Collection Gilman. Métropolitan museum of art. New-York

Le 6 novembre 1888, il était entré au 52ème régiment d’infanterie basé à Krossen (Brandeburg). Le 2 février 1890, il avait été envoyé par mesure disciplinaire, à la division ouvrière à Magdebourg et le 9 août 1891 à Koenigsberg. Libéré du service militaire le 30 septembre 1891, il était allé habiter à Berlin jusqu’au 21 avril 1893, puis à Johannisthal, un quartier de Berlin. A propos de son expérience au service militaire, il publia « Le socialisme dans l’armée allemande. Expériences de soi », Berlin 1892.
De jeunes membres du Parti social-démocrate étaient mécontents de la stratégie légaliste et réformiste du parti. Ils quittèrent le parti et fondèrent la Verein unabhängiger Sozialisten (Association des socialistes indépendants) . Parmi les « jeunes » se trouvaient Gustav Landauer (1870-1919) et Rudolf Rocker (1873-1958), les intellectuels les plus importants du mouvement libertaire de langue allemande.
Buhr aurait participé à la formation de « l’Association des socialistes indépendants » et aurait été élu président (avec Eugen Ernst), le 8 novembre 1891. En février 1892, il était président.
À Magdebourg, il apparut plusieurs fois en 1892 comme conférencier aux réunions des socialistes indépendants.
Lors de deux réunions publiques Buhr préconisa de positionner les indépendants au-delà de l’anarchisme et de la social-démocratie. Il considérait la lutte des classes dans les syndicats comme la seule voie viable du prolétariat.
Lorsque les indépendants furent divisés, Buhr aurait pris position contre une orientation anarchiste. À l’été 1893, il quitta la rédaction du Socialiste avec Carl Wildberger et Eugen Ernst.
Il avait été condamné à Berlin, le 2 avril 1892, à 4 mois de prison pour "excitation à la haine du gouvernement".
Le 20 septembre 1892, il était arrêté pour sédition, puis, en 1893,aurait été condamné à 6 mois de prison ; il avait semble-t-il distribué des tracts révolutionnaires à des soldats.
Il résultait de deux lettres saisies à Paris en 1894, que Buhr avait l’intention de faire appel de cette condamnation mais que cette démarche avait peu de chance d’aboutir. Dans une deuxième lettre d’un ami habitant Johannisthal, on pouvait lire : « Je n’ai pas encore expédié ton passeport. Aussitôt ton départ a paru dans la presse berlinoise, une note disant qu’un indépendant, le peintre Victor Buhr, a encore tourné le dos à l’Allemagne, pour se soustraire à sa condamnation. Tous les amis m’ont donc conseillé de ne pas expédier ton passeport, l’autorité militaire le saisirait » et plus loin : « J’ai essayé d’obtenir des compagnons quelque chose pour te venir en aide dans ta triste situation, mais en vain ; d’abord il n’y a plus d’argent et en second lieu, ils répondent que tu as déjà eu une première fois...Ici à Berlin, rien de nouveau... la seule chose importante, c’est que le mouvement anarchiste fait du progrès ici . »
C’est à cette époque, en août 1893, que pour se soustraire à cette dernière condamnation pour excitation au meurtre, au pillage et à l’incendie et pour avoir distribué ou fait distribuer des écrits révolutionnaires aux soldats, qu’ il avait gagné Paris. Sans ressources il avait été aidé par des compagnons autrichiens dont Jean Frédéric Scharr, sculpteur sur bois, demeurant 9 rue Saint-Anastase et Jean Crayer, cordonnier, 9 rue des Trois-Bornes qui lui avaient donné l’hospitalité.
Le 3 octobre 1893, Buhr loua un cabinet meublé au 45 de la rue des Maronites.
Il fréquenta les réunions des socialistes et anarchistes allemands et notamment celles du Club des socialistes allemands indépendants où il prit souvent la parole pour exposer ses théories communistes et anarchistes.
Buhr figurait sur l’état des anarchistes au 26 décembre 1893. Son dossier à la Préfecture de police portait le n°57.725.
Le 28 février 1894, le Préfet de police délivrait un mandat de perquisition et d’amener à l’encontre de Victor Buhr, soupçonné de faire partie d’une association de malfaiteurs, prévue par la loi du 18 décembre 1893.
Le 2 mars 1894, à six heures du matin, le commissaire de police, du quartier des Batignolles, procédait à une perquisition dans le garni, 127 rue des Dames à Paris, où il habitait. Cette perquisition ne fit découvrir qu’un porte-feuille contenant des papiers, lettres, livret militaire, le tout en allemand. Ces papiers furent traduites, il s’agissait de notes recueillies probablement pendant des discours, telles que : « principes des anarchistes, la force ; parti révolutionnaires ; organisation du parti anarchiste ; anarchistes berlinois ; renversement de la société civile ». Sur une autre note : « Anarchie en Allemagne ; anarchistes dans la démocratie sociale, anarchistes dans les métiers ; Kropotkine, organisation, activité des anarchistes ; vol et assassinat, faire des lois ; nourrir les paresseux, anarchistes à Paris et en Espagne. Ils ont révolutionné l’esprit . »
Buhr vivait seul dans ce garni, depuis le 19 novembre 1893.
Il était arrêté et transféré au Dépôt de la Préfecture de police où il fut photographié par le Service de l’identité judiciaire d’Alphonse Bertillon. Buhr était interrogé par le juge d’instruction Meyer le 3 mars. Il avait nié être anarchiste et avait affirmé "avoir toujours combattu l’idée anarchiste". Buhr fut emprisonné à Mazas.
Le 29 mars, Meyer le fit libérer, avant de sortir, un arrêté d’expulsion, daté du 8 mars, lui était notifié. Il lui était signifié qu’il devait quitter la France dans les 48 heures.
Mais Buhr n’obtempéra pas, attendant qu’on lui rende ses papiers, le Préfet de police lui intima donc l’ordre de quitter immédiatement le territoire, sans attendre.
Le 25 avril 1894 il écrivait au procureur de la République pour tenter de récupérer les documents qui avaient été saisis lors de son arrestation. Il disait habiter au 55 Grafton Street Tottenham Court Road à Londres.
Mais en fait il n’était parti à Londres que le 17 juin 1894 par le bateau « Cité de Paris ».
Son nom et sa photo, figuraient sur la liste d’anarchistes établie par la police des chemins de fer pour « surveillance spéciale aux frontières ».
Le 5 juin 1895, le procureur estima qu’aucun fait d’entente n’avait pu être relevé contre lui et que la perquisition n’avait rien donné, il recommanda au juge d’instruction un non lieu. Le juge d’instruction Meyer rendit le 7 juin, une ordonnance de non lieu.
Il immigra aux USA le 23 juin 1894 à New York. A partir de 1898, il eut neuf enfants.
Il fut naturalisé en octobre 1904.
Le 17 septembre 1905, il était président de l’Union des peintres réunis, au cours du meeting, il déclara : « Vous devez vous unir comme les employeurs. Si vous ne le faites pas, ils vous écraseront »
En octobre 1908, il était toujours président de l’Union des peintres réunis.

On pourra peut-être faire un rapprochement entre Victor Buhr et André Girard qui prit à partir du 1er octobre 1894, le pseudonyme de Max Buhr. En effet, en 1894, Girard était employé de bureau à la Préfecture de police, et collaborait, sous le pseudonyme de Max Buhr, au quotidien mi-révolutionnaire mi-patriote La Cocarde, tout en entretenant des relations de sympathie avec Jean Grave. A l’époque du procès des Trente, il prit parti pour les anarchistes persécutés dans les colonnes du journal.
Sa véritable identité ayant été découverte, il fut aussitôt révoqué de la préfecture. Il travailla alors comme correcteur d’imprimerie.
Girard avait-il eu à traiter le dossier de Victor Buhr à la Préfecture de police, lui donnant l’idée de ce pseudonyme ?

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article223696, notice BUHR Victor [Dictionnaire des anarchistes] par Dominique Petit, version mise en ligne le 29 février 2020, dernière modification le 18 juillet 2020.

Par Dominique Petit

Photo anthropométrique Alphonse Bertillon. Collection Gilman. Métropolitan museum of art. New-York
Fiche photo anthropométrique Alphonse Bertillon. Collection Gilman. Métropolitan museum of art. New-York

SOURCES :
Archives de Paris D3 U6 49 — Archives de la Préfecture de police Ba 1500 — Etat signalétique des anarchistes étrangers expulsés de France, n°2, avril 1894 — Anarchismes et anarchistes en France et en Grande-Bretagne, 1880-1914. Echanges, représentations, transferts de Constance Bantman, (2007) — Notice Victor Buhr du Dictionnaire des militants anarchistes — L’anarchisme de langue allemande des origines à nos jours par Lou Marin CIRA Marseille — Biographie de Victor Buhr sur Megan’s Genealogy Site — New York Times 7 août 1904 et 05 Oct 1908 — Victoria Daily colonialist 22 septembre 1892 — Biographie de Victor Buhr sur Wikitree.com — Les anarchistes contre la république de Vivien Bouhey. Annexe 56 : les anarchistes de la Seine — Répertoire des périodiques anarchistes de langue française : un siècle de presse anarchiste d’expression française, 1880-1983 par René Bianco. Aix-Marseille, 1987 — Site geschichtevonunten.de

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