NAVARRON Raymond

Par Laurent Dingli

Né le 6 mars 1915 à Paris (Xe arr.), mort le 2 avril 2009 à Grasse (Alpes-Maritimes) ; tôlier-formeur aux usines Renault ; militant communiste ; déporté.

Fils d’Eugène Jean, vingt-et-un ans, plombier et d’Adrienne Anna Gallot, dix-neuf ans, giletière. Raymond Navarron était tôlier-formeur aux usines Renault, marié à Raymonde Léontine Gaucher, couturière, un enfant, demeurant 1 bis rue Carcel à Paris XVe, il n’avait jamais attiré l’attention de la police d’un point de vue politique avant son arrestation, le 6 juillet 1942 pour possession de tracts communistes (en infraction au décret-loi du 26 septembre 1939).
 En mars 1945, son épouse, évoquant cette arrestation donna, sans doute à tort, la date du 2 juillet, en précisant qu’elle s’effectua sur le lieu de travail, c’est-à-dire aux usines Renault : « Conduit au commissariat de Boulogne, où il a été interrogé, il n’a pas été frappé à ma connaissance. Deux jours plus tard, il fut incarcéré à la prison de la Santé. »
L’arrestation de Raymond Navarron s’inscrivait dans le cadre de la seconde grande vague de répression qui frappa les militants communistes de Renault à la fin du printemps et au début de l’été 1942. Voici de quelle manière les responsables de la brigade, les inspecteurs Rouchy et Fauconnet, rendirent compte de leur action à leur hiérarchie, le mois suivant : « Le 25 juin 1942, informés au cours de nos surveillances journalières que des tracts communistes diffusant des mots d’ordre de la IIIe Internationale circulaient dans les usines Renault et plus spécialement à l’atelier 320, nous avons exercé une surveillance au cours de laquelle le 1er juillet, à 22 heures 10, nous arrêtions le jeune Vautrin. »
Informés, mais par qui ? Nous savons désormais que Vautrin ne fut pas dénoncé à l’inspecteur Henry par les dirigeants de Renault, mais bien par l’un de ses camarades, le dénommé Duclos. Quant à l’ensemble des arrestations effectuées au cours de ce vaste coup de filet, les archives judiciaires et celles de l’épuration professionnelle indiquent qu’elles furent opérées, ou bien à partir des dénonciations faites par des militants qui venaient d’être appréhendés, ou bien sur la foi des documents saisis par la police lors des fouilles ou des perquisitions.
Tout débuta donc avec l’arrestation de Maurice Vautrin, un jeune homme de 20 ans, ajusteur chez Renault. Vautrin fut appréhendé le 1er juillet par les inspecteurs Daniel et Henry, en sortant de l’usine, alors qu’il portait sur lui une vingtaine de tracts (La Voix ouvrière et L’Humanité) dissimulés maladroitement dans une pochette sous ses vêtements. Conduit sur-le-champ au commissariat, il se mit à parler abondamment. Il révéla que le jour même, à 14h 30, un certain Pilate Guy Ponzio, ajusteur dans le même atelier (320), lui avait remis les tracts alors qu’il se rendait aux toilettes. Il déclara encore que, quelques mois auparavant, Jean Orsini, un jeune ouvrier tourneur de 18 ans qui vivait chez ses parents, quai du Point du Jour à Boulogne, l’avait approché dans le même but. Il précisa enfin que le beau-père d’Orsini, Domenico Amorisi, sujet italien, n’était sans doute pas étranger à la reconstitution des cellules d’usine. On commença par interpeller Jean Orsini, qui donna à son tour de précieuses informations aux enquêteurs de la BS1. Orsini avait été entraîné à la propagande communiste par Yvonne Bornia, ancienne responsable de la cellule des Habitations à bon marché (HBM), qui était alors déjà détenue. Ainsi la lutte antifasciste demeurait-elle vivace au sein d’une partie de la communauté italienne de la banlieue ouest – que ces membres fussent naturalisés ou pas.
On interpella ensuite Domenico Amorisi (1er juillet), cimentier, qui se prétendit étranger à toute propagande communiste, alors qu’il était déjà connu des services. Il affirma également ne rien savoir de l’activité de Jean, le fils de sa compagne, Lucienne Orsini. Mais ce furent l’arrestation et l’interrogatoire de Pilate Ponzio, forgeron de son état, qui allaient tout précipiter. Emmené au commissariat, il tenta de faire croire qu’il ne savait rien de l’affaire en question et qu’il était d’ailleurs adhérent du Parti social français (PSF). Mais, une fois confronté à Vautrin, il reconnut avoir donné des tracts à ce dernier. Il prétendit alors que c’était pour s’en débarrasser car l’atelier était régulièrement inondé de libelles. Ponzio livra surtout aux enquêteurs les noms de tous les membres des triangles communistes : Navarron, Sallou, Elbaz, Desmars, Soubran, Mussini, Ancelin, Halgant, Hannoset, Brimboeuf. Ce fut un coup terrible porté au PCF clandestin au sein des usines Renault. Il n’est pas surprenant que le dénonciateur obtint la clémence de l’administration judiciaire de Vichy. On peut lire dans le dossier d’épuration de l’inspecteur Daniel : « Conduit au Commissariat, Vautrin a dénoncé trois de ses camarades, un de ceux-ci le nommé Ponzio (…) a dénoncé à son tour douze de ses camarades. (C’est certainement pour cette raison qu’il a bénéficié d’une ordonnance de non-lieu, tandis que ses camarades étaient tous condamnés à des peines de prison) ».
Julien Desmars, tôlier-formeur, et Marcel Sallou, décolleteur, tous deux ouvriers aux usines Renault, furent interpellés le jour même (1er juillet). Desmars était un jeune homme de 22 ans, qui vivait encore chez ses parents, à Boulogne-Billancourt. Il reconnut avoir distribué des tracts dans son atelier. Sallou était quant à lui un militant déjà confirmé de 34 ans, marié et père de quatre enfants. Entré chez Renault en mars 1936, membre du parti communiste et de la Fédération des Métaux-CGT, il avait participé aux grandes grèves de l’été puis à la confrontation violente du 24 novembre 1938 qui avait débouché sur un lock-out. Avant-guerre, il était très investi dans les œuvres sociales ouvrières comme l’indiquent les documents retrouvés à son domicile lors d’une perquisition : carte de la Mutuelle des métallurgistes, souscriptions aux comités de fraternité de guerre du personnel de Renault et de ses deux filiales aéronautiques (Caudron et SMRA), carte de visite de la Polyclinique des métallurgistes.
Raymond Navarron fut arrêté le 6 juillet (le même jour que Desguez, Hannoset et Beck). Il déclara que les distributions de tracts avaient lieu depuis des mois et qu’ils étaient même « déposés sur les tables et un peu partout. ». Il révéla qu’il avait été sollicité par René Desguez. Ce dernier, engagé chez Renault comme tôlier en 1940, avait accepté en février 1942 d’assumer la fonction de représentant syndical clandestin. Navarron ajouta que les principaux diffuseurs de tracts étaient Desmars, Mussini, Sallou et Soubran. Il reconnut enfin avoir eu des rendez-vous à l’extérieur de l’usine, au chemin de fer de Javel, avec Desguez qui lui donnait des directives ainsi que le matériel nécessaire à la diffusion. Desguez fut arrêté le même jour (6 juillet). Il reconnut avoir quitté Renault pour se consacrer à la propagande à l’extérieur de l’usine, après y avoir organisé des triangles communistes. Celui de la direction de l’atelier 320 était ainsi composé de Navarron, Desmars et Mussini, lesquels recevaient le matériel apporté par Desguez qu’ils répartissaient ensuite dans les autres triangles animés par Sallou, Elbaz, Soubran, etc.
Plusieurs jours avant la date officielle de son arrestation, Desguez indiqua aux enquêteurs qu’il avait rendez-vous le 4 juillet, à 15h 30, à la gare de la Bastille, avec un individu qu’il connaissait seulement sous le pseudonyme de « Denis ». Cette information permit d’appréhender Roger Jean, ajusteur à la Société des transports en commun de la région parisienne (STCRP). Il portait sur lui un rouleau de papier gommé à usage de papillons, un paquet contenant une trentaine de stencils, des enveloppes avec des directives ou des modèles de tract et surtout une liste de rendez-vous qui s’échelonnaient du 7 au 11 juillet. Pour la police, c’était une découverte inespérée qui allait permettre de décapiter presque toute l’organisation clandestine. Roger Jean tenta de brouiller les pistes et de feindre l’ignorance afin de protéger ses contacts mais il révéla l’adresse du local clandestin où était imprimé les tracts, Cour des Petites Écuries à Paris ; la police y découvrit de l’encre, du papier, divers tracts, des photos de Jean-Pierre Timbaud ainsi que des machines à écrire.
La police s’empressa surtout de se rendre aux différents rendez-vous de la liste saisie sur Roger Jean. Le premier devait avoir lieu le jour même, 7 juillet à 10h du matin (les archives de la section spéciale donne à tort la date du 6), au métro Louvre. Une fois sur place, les inspecteurs remarquèrent « un individu qui semblait attendre ». Il fut aussitôt interpellé, fouillé au corps et on trouva sur lui des documents intéressants les comités populaires d’usine. Cet homme, c’était Paul Beck, ajusteur chez Renault. Comme les autres, il livra le nom de son contact (en l’occurrence Edmond Jung), après avoir manifesté « certaines réticences. » Mais Jung se trouvait alors en Vendée et ne put être interpellé. Une heure plus tard, Roger Perriaud était « cueilli » au rendez-vous « Tuileries » du carnet Jean, lui aussi porteur de documents sur les comités d’usine. Perriaud était un ouvrier mouleur entré chez Renault en 1934 qui avait milité au sein du PCF et de la CGT. Quelques mois plus tôt, fin mars 1942, le parti clandestin lui avait demandé de quitter l’entreprise. Depuis lors, appointé par le PCF, il s’occupait de mettre en place des comités populaires dans différentes usines.
Le jour même, la police appréhendait Louis Cluet, ouvrier rectifieur, « inscrit au parti communiste » et affecté spécial à la SA des avions Caudron pendant la drôle de guerre. A cette époque, Cluet avait déjà tenté de reconstituer une cellule et une perquisition avait été effectuée à son domicile. Au moment de son arrestation, il avait quitté l’entreprise pour entrer dans la clandestinité.
Le lendemain 8 juillet, Jean Guilmain fut arrêté au rendez-vous de 15h 30 à la station Pelleport. Cet ouvrier, ajusteur-contrôleur aux usines Matford de Poissy, avait lui aussi quitté son emploi (le 11 juin), à la demande du parti qui le rétribuait pour organiser à temps plein les comités populaires dans la région Ouest. Les policiers trouvèrent sur lui une liste de rendez-vous qui permit d’appréhender André Carriou (9 juillet), ouvrier tôlier aux établissements Tonneline de Courbevoie, alors qu’il stationnait au Pont de Neuilly, devant les usines Solex où il attendait justement Guilmain. Le 10 juillet, ce dernier avoua qu’un dénommé Champion l’avait approché un an plus tôt pour constituer des triangles de direction chez Matford à Poissy et former des cellules de diffusion et de propagande. C’était une « prise » particulièrement importante pour la brigade puisqu’il s’agissait d’Étienne Louis Champion, l’un des cadres de la Résistance communiste. Ajusteur, il avait travaillé chez Matford à Poissy en juin 1940 puis aux usines Gnome et Rhône mais, à l’instar de Perriaud et de Guilmain, le PC lui avait demandé d’entrer dans la clandestinité et décidé de le rétribuer à raison de 5 000 francs par mois. Au moment de son arrestation, les policiers trouvèrent sur lui un code secret ayant trait aux formations militaires de l’armée d’occupation, des données concernant des points stratégiques – nœuds ferroviaires, usines à gaz, centrales électriques, dépôts de munitions... Les enquêteurs découvrirent en outre des documents manuscrits dans lesquels un certain « Max » lui demandait d’établir des plans et de lui fournir des renseignements précis sur les mouvements de troupes. Ni la police de Vichy ni les Allemands ne savaient alors que Max était l’un des nombreux pseudonymes utilisés dans la clandestinité par Jean Moulin. En raison de son importance, Champion fut toutefois transféré à la section spéciale des renseignements généraux dont dépendait la brigade.
L’enquête menée dans le local des Petites Écuries provoqua encore l’arrestation de Roger Famin, ouvrier polisseur, qui était en relation avec un certain « Félix » dont il ne put ou ne voulut pas révéler la véritable identité. Enfin, le carnet de Perriaud permit d’identifier et d’arrêter Marguerite Manque, comptable, connue depuis longtemps des services pour avoir milité à la CGTU et qui fut trouvée en possession de brochures communistes.
Avec son camarade René Desguez, Raymond Navarron fut condamné par arrêt du 19 février 1943 de la section spéciale de la cour d’appel de Paris à deux ans d’emprisonnement et à 1 200 francs d’amende. Transféré aux centrales de Clairvaux, Melun et Châlons-sur-Marne, il fut interné au camp de Compiègne et déporté en Allemagne par le convoi du 12 mai 1944. Il arriva à Buchenwald deux jours plus tard, fut transféré à Gross-Rosen, puis à Mauthausen le 15 février 1945, et enfin affecté à l’annexe de Floridsdorf, le 7 mars. Plusieurs entreprises, essentiellement la firme aéronautique Heinkel et la Accumulatoren Fabrik Aktiengesellschaft (AFA-Werke, aujourd’hui Varta), avaient décentralisé une partie de leurs fabrications dans le kommando de Wien-Floridsdorf (actuel quartier de Vienne) afin de se protéger des bombardements alliés. Libéré de Mauthausen le 5 mai 1945, Raymond Navarron fut rapatrié à Charleville-Mézières le 18 mai suivant.
Il mourut le 2 avril 2009 à Grasse (Alpes-Maritimes).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article224010, notice NAVARRON Raymond par Laurent Dingli, version mise en ligne le 8 mars 2020, dernière modification le 13 septembre 2022.

Par Laurent Dingli

SOURCES : AN Z/4/72 dossier 506. Raymond Navarron et alii. AN Z/6/109 dossier 1590. Ministère public c/Ludovic Saint-Royre et Roger Rouchy. SHD GR 16 P 440853. Dossier Raymond Navarron. APP KB/29 Dossier d’épuration de l’inspecteur Daniel [Recherches de Daniel Grason]. Site internet de l’association Amicale des déportés, familles et amis de Mauthausen : http://monument-mauthausen.org/128775.html. Mauthausen Komitee Österreich - KZ-Außenlager Linz III : [https://www.mauthausen-guides.at/aussenlager/kz-aussenlager-floridsdorf]. — SHD, Vincennes, Gr 16 P 440854, validé RIF au titre du Front national.

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