DESARMÉNIEN Joseph

Par Jean-Claude Paul-Dejean

Né le 18 février 1892 à Tarnos (Landes), mort le 4 juillet 1959 à Bayonne (Basses-Pyrénées, Pyrénées-Atlantiques) ; syndicaliste et militant socialiste des Basses-Pyrénées.

Né dans le Coron, fils d’un fondeur et d’une ménagère, Joseph Desarménien entra, après un bref passage au séminaire, comme apprenti aux Forges de l’Adour où son père était contremaître depuis près de trente ans. Pendant la guerre, il fut mobilisé dans l’artillerie, puis affecté au printemps 1917 aux Forges. Il devint le 7 juillet 1917 le secrétaire du syndicat des ouvriers métallurgistes du Boucau qui venait de se reconstituer. Ce syndicat allait mener avec succès une série de mouvements revendicatifs, pour l’augmentation des salaires et l’amélioration des conditions de travail, dont le point d’orgue fut la grève de mai 1918 avec occupation d’usine. Desarménien, qui était lié aux socialistes favorables au courant « minoritaire », a toujours maintenu l’action dans un cadre « strictement corporatif », malgré un certain pacifisme latent. Sous son impulsion, grâce à l’appui du syndicat du Boucau qui vit croître, le succès aidant, et ses effectifs (plus de 1 100 adhérents) et son audience, fut recréée, en décembre 1917, l’Union départementale des Basses-Pyrénées qui fit paraître en janvier 1918 l’Action syndicaliste.

Rappelé au front, en juin 1918, en application de la loi Dalbiez (ou pour sanctionner son rôle ?) Desarménien devint à son retour, chauffeur auxiliaire à la Compagnie des chemins de fer du Midi. Jusqu’en 1922, il déploya une intense activité politique et syndicale au cours de laquelle il infléchit progressivement ses positions premières. Il avait en effet été un responsable du syndicat CGT des Forges de l’Adour courant la guerre 1914-1918 puis jusque vers les années 1922 à 1925.

Il fut candidat socialiste unifié, le 16 novembre 1919, dans la première circonscription des Basses-Pyrénées ; pendant la campagne électorale, il n’hésita pas à soutenir la Révolution russe : « M. Desarménien va jusque-là mais très aimablement. Il trouve le moyen de parler, avec le sourire, de révolution, de sang versé, de pillage. Et s’il n’arrive pas à faire passer sur les épaules des bourgeois qui l’écoutent, le moindre frisson, c’est qu’il reste bon garçon, intelligent et assez cultivé » (Le Progrès). Il obtint 1 911 voix (6 % des suffrages exprimés). Le 30 novembre, il fut tête de liste aux élections municipales de Bayonne (388 voix, 9 % des suffrages exprimés) ; au 2e tour, la liste socialiste se retira au profit des « candidats républicains avérés » ; après le congrès de Tours, Joseph Desarménien resta à la SFIO ; le journal qu’il lança n’eut guère de succès.

Dans ses articles publiés par l’Action Syndicaliste, il s’affirma partisan de la « lutte des classes jusqu’au bout » : « la lutte des classes seule nous permettra la conquête d’améliorations actuellement indispensables et, par l’absorption de la classe capitaliste, nous conduira sûrement vers notre émancipation totale, intégrale, définitive ». Il critiqua sèchement... l’attitude des dirigeants « cégétistes » pour l’annulation de la journée du 21 juillet : « le char confédéral s’embourbe, n’avance plus [...] À des situations nouvelles doivent correspondre maintenant des hommes nouveaux ; ceux qui sont à la tête de la CGT sont trop fatigués, trop épuisés par de longues années de collaboration au sein de l’union sacrée ; ils n’ont plus cette force d’attraction qui entraîne et galvanise ». Il se félicita de la motion votée par le congrès de Lyon, où il fut délégué de l’Union départementale des Basses-Pyrénées : « nous retrouvons désormais notre CGT révolutionnaire et internationaliste ». Tout semblait le rapprocher de la tendance minoritaire et, logiquement, en novembre 1919, il proposa aux syndicats du département, « au nom du comité provisoire de la minorité », les candidats à la CA de la CGT et recommanda aux militants la lecture de la VO et du Libertaire ; il condamna sans ambages l’envoi d’une délégation de la CGT à la conférence de Washington, « en particulier parce qu’elle implique la reconnaissance de la SDN ».

Secrétaire provisoire de l’UD (décembre 1919) puis permanent (février 1920) il allait modifier ses analyses après les grèves de mai dont l’échec lui paraissait imputable à « l’apathie » de la classe ouvrière : « ce qui nous a manqué le plus, c’est l’esprit révolutionnaire des masses »... « depuis mai une vague d’impuissance s’est abattue sur le syndicalisme de notre pays ; les raisons en sont moins dans l’attitude des chefs du mouvement que dans la veulerie et l’insouciance des masses ouvrières ». De telles conclusions l’amenèrent, après le congrès d’Orléans, à appuyer de ses votes et à approuver par ses articles toutes les motions présentées par la direction confédérale (l’UD des Basses-Pyrénées ne fut pas représentée au congrès de Lille). Ce changement d’attitude, cette vote-face disent certains — lui valut en novembre 1920 une sévère lettre de Mayoux (« vous avez renié vos sentiments minoritaires ; c’est affaire entre vous et votre conscience »). Dans les semaines qui précédèrent la scission, Desarménien se déchaîna contre « les chefs de la minorité » : « pauvres hommes, pauvres cerveaux qui croient que la violence verbale peut tout » (juillet 1921) ; il définit ainsi sa position : « Pour l’autonomie du mouvement syndical, contre toutes dictatures politiciennes, mêmes communistes, contre les démagogues du désordre et de l’insurrectionnisme » (novembre 1921).

Après 1922 s’ouvrit une nouvelle période dans la vie professionnelle et militante de Joseph Desarménien. Employé de commerce, sa situation matérielle s’améliora lorsqu’il devint en 1928-1929 administrateur délégué de « l’Union des coopérateurs de l’Adour » qui allait absorber « Biarritz-Coopérative » ; la nouvelle société coopérative, sous son habile gestion, fut prospère.
Joseph Desarménien se consacra à la consolidation et au développement de l’Union des syndicats confédérés de l’Adour, regroupant les syndicats des Landes et des Basses-Pyrénées dont il fut secrétaire jusqu’en 1935. Dans cette région sous-industrialisée, l’action syndicale allait être orientée vers l’application de la loi sur les assurances sociales et surtout en direction des métayers, résiniers et gemmeurs du Bas-Adour et de la forêt landaise et articulée autour de trois grands thèmes : unification des clauses du contrat de métayage, élaboration d’un contrat-type unifié, réforme de la loi du 18 juillet 1889 (que veut modifier un projet déposé par les députés radicaux des Landes). Cette action au cours de laquelle, Desarménien se heurta souvent à Renaud Jean et à la CGPT landaise, fut couronnée de succès : dès 1928, l’Union des syndicats confédérés de l’Adour regroupait 24 syndicats de métayers ; un peu plus tard fut mise sur pied l’Union fédérative des gemmeurs et métayers du Sud-Ouest qui devint en 1935, une des trois organisations constitutives de la puissante Fédération des métayers et gemmeurs du Sud-Ouest.

Desarménien militait en outre à la section SFIO de Bayonne. Aux élections de 1924, il combattit le Bloc national et en mai 1925, il fut élu conseiller municipal de Bayonne (57 % des suffrages exprimés) sur une liste cartelliste « de laïcisation, de progrès social, de justice fiscale » dirigée par Joseph Garat, dont il devint l’adjoint chargé plus spécialement des questions sociales. Le Cartel se disloqua en 1928 ; Desarménien, tout en se défendant d’avoir « une ambition politique quelconque », se présenta, contre le maire de Bayonne, aux élections pour le conseil général, dans le canton de Bayonne nord-est (avec 720 voix, il obtint 16 % des suffrages exprimés). En 1929, il conduisit une liste socialiste homogène contre la liste du maire sortant « pour donner une leçon méritée à certains hommes politiques sans caractère » ; il bénéficia d’un apport appréciable de voix personnelles (23 % des suffrages exprimés). C’est un score identique qu’il réalisa en 1931 aux élections pour le conseil d’arrondissement du canton de Bayonne nord-est. Ses positions politiques et idéologiques étaient dans la norme SFIO : « Socialiste internationaliste » il défendit la SDN ; s’il fut acquis à toutes « les réformes tendant à apporter plus de justice et d’esprit démocratique dans la législation sociale et dans le régime de notre fiscalité, plus de bien-être parmi les classes laborieuses », il pensa qu’« aucune transformation profonde ne s’opérera tant que la politique générale du gouvernement sera dominée et commandée par les puissances financières et les firmes industrielles qui rançonnent les populations et détroussent les producteurs ». La solution ? « Orienter les collectivités, État, départements, communes vers les voies du socialisme c’est-à-dire vers la recherche des ressources nécessaires à la réalisation des réformes qui s’imposent dans l’intérêt du prolétariat mais aussi dans celui de la collectivité ».
La crise économique, les événements de février 1934 l’amenèrent à modifier ses positions politiques ; sous l’influence de Marcel Bidegaray*, il fut gagné aux idées des néo-socialistes ; il quitta la SFIO en novembre 1933 mais ne rejoignit pas le Parti socialiste français. Après la démission de Joseph Garat, il fut candidat malheureux aux élections municipales de mars 1934 ; en mai 1935, il fut élu conseiller municipal et adjoint du maire de Bayonne sur une liste conduite par le radical-socialiste Simonet et combattue par une liste de droite et une liste de type Front populaire. Son retour à la SFIO en mars 1936 ne l’empêcha pas d’adopter, en vertu de sa tactique « concentrer tous nos coups uniquement contre la réaction », une position opportuniste, ambiguë et contestée : à Mont-de-Marsan surtout et à Bayonne, il soutint uniquement les candidats radicaux-socialistes contre les candidats de son propre parti (Lamarque-Cando* et Cacarier), attitude qui lui valut d’acerbes critiques des socialistes landais. Le 1er mai 1938, il fut candidat de pure forme à une élection partielle dans le canton de Bidache (208 voix).

Favorable au principe de la réunification syndicale, il fut, sur le plan régional, un artisan actif du rapprochement des Centrales ouvrières. Le congrès de Dax (14 et 15 décembre 1935) où s’effectua la fusion des syndicats confédérés, unitaires, autonomes des Landes et des Basses-Pyrénées, le désigna secrétaire de l’Union interdépartementale des syndicats confédérés de l’Adour, responsabilité qu’il exerça jusqu’en 1939. Il rendit de nombreuses sentences arbitrales dans les conflits du travail et il fut partisan d’un élargissement du champ d’action du syndicalisme : « le syndicalisme est devenu aujourd’hui une technique ; les problèmes qu’il embrasse ne permettent plus de considérer les solutions corporatives comme suffisantes ».

En octobre 1939 il approuva la décision du bureau confédéral à l’égard des militants communistes qui n’avaient pas condamné le Pacte germano-soviétique. Membre du « Comité départemental de répartition », il poussa à la création de « Comités de défense économique ».

Joseph Desarménien fut arrêté à la Libération, et mis en résidence surveillée à Langon, pour son attitude pendant l’Occupation, en particulier sa participation au Comité ouvrier de secours immédiat (COSI). Il cessa ensuite toute activité militante.

Force ouvrière lui rendit hommage lors de son décès en 1959.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article22403, notice DESARMÉNIEN Joseph par Jean-Claude Paul-Dejean, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 3 mai 2023.

Par Jean-Claude Paul-Dejean

SOURCES : Arch. Nat. F7/12760 et 13013. — Arch. Dép. Landes, 5 Ms 166 et 170. — Le Travail. — La Presse. — La Dépêche du Midi. — L’Action syndicaliste. — État civil de Tarnos (Landes). — Force Ouvrière, hebdomadaire de la CGT-FO, 19 juillet 1959. — Note de Louis Botella.

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