FERRINI Sante [dit Folgorite]

Par Pascal Dupuy

Né le 30 juillet 1874 à Rome (Italie), mort le 14 mai 1939 à Ravilloles (Jura) ,France ; anarchiste, membre de la FSAL (1907), poète, polémiste, typographe et professeur à l’École typographique lyonnaise.

Au crépuscule du 19e siècle, Sante Ferrini inventa « Quando l’anarchia verrà », « Quand l’anarchie viendra », un chant révolutionnaire bien connu des anarchistes italiens. Pourtant, l’auteur de ce succès populaire reste aujourd’hui encore un inconnu. Ferrini est né dans la misère d’une Rome sans cesse bouleversée par d’importants travaux de rénovation, cause des déplacements successifs de sa famille entre le Quirinal, la via Ponte Rotto et, finalement, le Trastevere, quartier où il vécut sa jeunesse durant. Quittant l’école vers l’âge de quinze ans, il entama son apprentissage pour devenir typographe. Avant l’âge de dix-huit ans, Sante Ferrini fréquenta déjà le milieu anarchiste romain. Il fit la connaissance d’Ettore Gnocchetti, son maître, et se lia d’amitié avec plusieurs anarchistes de sa génération comme Filippo Cappelletti, Ettore Sottovia et Alfredo Torricelli. Le 30 août 1892, il était arrêté pour vol avec plusieurs membres d’un groupe de jeunes ravacholistes créé par Gino Lelli, et incarcéré durant trois mois et demi à la prison de Regina Coeli. Un an plus tard, il était condamné à une seconde peine d’emprisonnement de quarante-cinq jours. En 1894, Ferrini fut placé sous surveillance de la police politique. Identifié comme participant aux manifestations du Premier Mai ainsi qu’aux nombreuses réunions anarchistes, il est arrêté en septembre alors qu’il posait des affiches qu’il avait fabriquées pour rendre hommage à Ravachol, Auguste Vaillant, et Sante Caserio exécuté quelques jours auparavant. Cela lui valut d’être à nouveau condamné à cinq mois de prison pour « incitation à commettre un crime ». Libéré, il fut incorporé durant deux ans dans l’armée pour sa période de conscription et revint à Rome en septembre 1897. En novembre, avec ses amis Luigi Lorenzo Leoni, Ettore Sottovia, Elio Mortaroli et Matteo Andreoli il fonda le groupe Azione Sociale dans le Trastevere, et fit la connaissance d’Errico Malatesta. C’est à cette époque qu’il publia son premier article, « Chi siamo », dans le numéro unique de Per l’Ideale. Il participa à l’organisation du mouvement pour le pain à Rome, et fut à nouveau arrêté le 11 mai 1898, puis incarcéré quarante jours à Regina Coeli. En septembre, quelques jours après l’assassinat de l’impératrice d’Autriche par Luigi Lucheni, comme de nombreux anarchistes en Italie, Ferrini fut arrêté à Rome avec ses deux amis Gnocchetti et Sottovia. Faute de preuve, il est acquitté le 30 décembre, mais condamné à cinq ans de résidence surveillée, et déporté sur l’ile de Ponza, avec l’un de ses compagnons d’infortune, Luigi Fabbri. À Ponza, Ferrini devint correspondant de l’Avvenire sociale et de Pro Coatti. Après quinze mois de déportation, Ferrini et plusieurs de ses compagnons, dont Luigi Fabbri, furent incarcérés pour avoir déposé une couronne sur la tombe de leurs aînés, en hommage à ceux morts en déportation. Le 4 mai 1900, Ferrini et ses amis étaient extraits sans ménagement de leur cellule et conduits au port de Ponza. Ferrini fut acheminé sur l’ile de Lipari et ses amis transportés vers d’autres iles dédiées à la déportation. Le 29 juillet 1900, Gaetano Bresci assassina le roi Humbert 1ier à Monza. À Lipari, Ferrini apprit la nouvelle et, ne cachant pas sa joie, vint narguer le directeur de la résidence surveillée. Mis au cachot durant deux jours, Ferrini fut condamné (sans jugement) à six mois d’emprisonnement et transféré sur le continent dans l’immonde forteresse de Narni. L’Avvenire sociale rapportait des conditions de détentions abominables : le pain était terreux, la soupe n’était distribuée que tous les deux ou trois jours, les détenus, privés de promenade, étaient maintenus dans leur cellule. Ferrini fut libéré en novembre 1900 et revint à Rome. Dans l’impossibilité de trouver un emploi, toujours sous surveillance de la police, il décida d’émigrer vers la France et quitta l’Italie le 6 avril 1901. À pied, il rejoignit Eugenio Agostinucci, à Nice, dans l’espoir d’y trouver un emploi. Mais son activisme militant durant la fête du Premier Mai le fit remarquer par la police et il fut contraint de quitter rapidement la ville. Il rejoignit Marseille, par bateau, et travailla durant quelques jours dans une huilerie avant de reprendre le trimard, vers Lyon, qu’il atteignit fin mai. Il y retrouva l’une des figures du mouvement anarchiste Italien, Amilcare Cipriani, qui assistait au 3e congrès du parti socialiste, et qui lui présenta un ami imprimeur. Celui-ci lui proposa un emploi de typographe au Stéphanois.
À Saint-Étienne, Ferrini était bientôt rejoint par sa compagne, Angela Muzzi, enceinte, et par Umberto Lombardozzi, son jeune cousin. Liberto Ferrini, premier fils de Sante, naquit à Saint-Étienne le 8 septembre 1901. Au Pays noir, le climat social était très agité, Ferrini et son cousin participaient aux évènements, et invitaient leurs concitoyens à soutenir le mouvement. Dans le contexte de la prochaine visite du Président du conseil à Saint-Étienne, alerté par le Consul d’Italie de la présence de Ferrini et Lombardozzi, le préfet de la Loire décida de faire table rase des anarchistes et demanda l’expulsion Ferrini et des siens. Malgré l’intervention de plusieurs soutiens locaux relayés par la presse (L’Aurore), l’avis d’expulsion fut prononcé le 20 novembre 1901, sans aucun motif susceptible de le justifier. Angela et Umberto retournèrent en Italie, Ferrini, quant à lui, décida de rejoindre Londres. La communauté anarchiste présente à Londres était nombreuse : Malatesta, Louise Michel et Pierre Kropotkine s’y trouvaient et les anarchistes de toutes nationalités fréquentaient le cercle de Charlott Street. Mais le milieu était dangereux car autour du leader anarchiste Italien gravitaient de nombreux espions. L’un d’entre-eux, Gennaro Rubino, fut bientôt présenté à Ferrini. Rubino disposait de fonds pour monter une imprimerie, affaire à laquelle il n’entendait rien. Ferrini cherchait du travail dans ce domaine et fit donc affaire avec lui. Quelques semaines après cette rencontre, Ferrini publiait depuis Londres un petit opuscule : Canagliate ! En mai 1902, Rubino fut démasqué et Malatesta organisa un « procès » au cercle de Charlott Street. Rubino ne se présenta pas, se contentant d’une lettre adressée à l’assemblée. Ferrini qui travaillait avec lui fut convoqué pour s’expliquer. Malgré sa bonne foi, il fut soupçonné, à tort, par certains participants, d’avoir collaboré à l’œuvre funeste de Rubino. Effondré, se sentant injustement suspecté par les siens, Ferrini quitta Londres et rejoignit Rome en juillet 1902. Là, il se mit en marge du mouvement anarchiste. Durant quatre ans, il travailla à l’imprimerie Cerroni et vécut, avec sa compagne Angela et leur fils Liberto, au domicile de ses parents. Cessant tout militantisme et stoppant sa collaboration avec les journaux anarchistes, il profita de cette période pour publier de nombreux poèmes, souvent en dialecte romanesco, dans les revues Rugantino, Marforio et Er conte Tacchia. En novembre 1906, Ferrini renoua avec le mouvement anarchiste et entama sa collaboration avec La Gioventù Libertaria de son ami Sottovia. En juin 1907, il participa au congrès anarchiste de Rome organisé par la FSAL, et prit la parole sur le sujet de la jeunesse libertaire. En octobre 1907, il décidait de quitter définitivement Rome et se rendit clandestinement à Saint-Étienne, sous un faux nom, Gabriel Mercier. Durant plusieurs années, Ferrini déjoua toutes les tentatives des polices italiennes et françaises pour le localiser précisément : il se déplaçait fréquemment dans tout le sud-est de la France. Malgré les conditions difficiles liées à sa clandestinité, il publia en 1909 un recueil de poèmes, Fantasticando, ainsi que de nombreux articles pour L’Alleanza Libertaria puis pour Il Libertario de son ami Pasquale Binazzi. En décembre 1912, au Puy-en-Velay, il épousa Augusta-Rose Rivet, qui mit au monde un garçon, Aldo, le 27 janvier 1913 à Saint-Étienne. En janvier 1915, Ferrini et sa famille s’installèrent à Lyon, dans le quartier des Pentes, au 51 montée de la Grande Côte. Employé comme typographe chez Amstein-Richard, le soir il donnait des cours à l’École Typographique Lyonnaise. Mi-avril 1915, il fut arrêté par la
police française pour avoir reçu à son domicile des brochures anarchistes et sera libéré le Premier Mai. En février 1916, Augusta-Rose mit au monde une fille, Iris. Ferrini poursuivit sa collaboration avec Il Libertario sous le pseudonyme de Folgorite et fréquenta Il gruppo libertario di lione. En 1921, il entama sa collaboration avec La scuola moderna du Clivio et Il vespro anarchico de Paolo Schicchi. La publication de son ouvrage Il governo, en 1922, attira l’attention de la police française et le préfet du Rhône exigea de remettre en application l’arrêté d’expulsion de novembre 1901. Édouard Herriot, maire de Lyon, joua de son influence, à la demande du syndicat de la typographie, pour maintenir Ferrini sur le sol français. En 1923, Ferrini publia Saggi di storia contemporanea, un ouvrage largement illustré de sa main, et qui rassemblait une sélection de ses récits publiés au cours des vingt dernières années. Dans le même temps, il entama sa collaboration avec l’Adunata dei Refrattari de New-York. Séparé de son épouse Augusta-Rose, Ferrini vivait avec sa compagne, Marcelle Mercier, qui mit au monde Violette, en février 1924. En janvier 1929, Ferrini demanda que lui soit accordé la nationalité française, ce qui lui fut refusé, pour des prétextes obscurs, en mars 1930. Marcelle mit au monde Sante Marcel en août 1930, et devint son épouse en décembre 1933, à Lyon. La famille résidait encore à Lyon, au 51 montée de la Grande Côte, en 1936.
Sante Ferrini décéda le 14 mai 1939, à Ravilloles, dans le Jura, dans la maison familiale de la famille Mercier. « Je suis un anarchiste parce que je veux conserver mon individualité » écrivait Ferrini. Travailleur infatigable, Ferrini a collaboré tout au long de sa vie avec dix-huit journaux anarchistes italiens, publiant plus de quatre-cents cinquante articles dans lesquels il dénonçait, avec compassion, l’extrême misère des gens qui l’entouraient et se rebellait, avec force et sarcasme, contre les profiteurs et les puissants.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article224247, notice FERRINI Sante [dit Folgorite] par Pascal Dupuy, version mise en ligne le 13 mars 2020, dernière modification le 17 juin 2020.

Par Pascal Dupuy

ŒUVRE : Canagliate !, Londres, Tipografia internazionale, 1902. Sognando, Rome, Officina tipografica Cerroni, [1903 ?], Fantasticando, Londres, Technical publishing company, 1909. Er cane der maestro, Rome, pubblicazione del club lo Sciacquatore, 1912. Il governo, Paris, s.é., 1922. Saggi di storia contemporanea, Paris, Stamperia libertaria, 1923.

SOURCES : ACS, CPC, busta 2044, dossier n°70872. AD69, série M, cote 3494W/12, dossier n°8439. Archives nationales, cote BB/11/12607, dossier n° 35172X29 ; cote 19940445/84, dossier n°7070. — Pascal Dupuy, Folgorite, parcours de Sante Ferrini, anarchiste, typographe et poète (1874-1939), Atelier de création libertaire, Lyon, 2020.

ICONOGRAPHIE : Sante Ferrini à l’âge de 49 ans. Extrait d’une photo intitulée « La tribu Folgorite », adressée de Lyon à Paolo Schicchi le 16 juin 1923. (Photo fournie par Nicola Schicchi)

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