DESPATURE André, Narcisse

Par Madeleine Singer

Né le 12 août 1912 à Loos (Nord), mort le 28 octobre 1992 à Haubourdin (Nord) ; conducteur typo ; syndicaliste CFTC puis CFDT, délégué du personnel (1950-1973), membre du conseil de l’Union locale de Lille (Nord) de 1950 à 1973.

[Arch. privées Madeleine Singer]

André Despature était le quatrième des cinq enfants de Pierre, Joseph Despature qui avait épousé Flavie, Lucie Gackyère. Celui-ci, ancien cultivateur, était alors débitant de boissons et tenait avec sa femme un café « dîneur » où elle servait des repas à des ouvriers travaillant dans le quartier. Il fut ensuite concierge d’usine ; à sa mort, sa femme dut quitter le logement de fonction et devint cuisinière à domicile. Tous deux étaient catholiques ; la mère d’André, flamande, était très pieuse, très rigoriste, pratiquant régulièrement sa religion. André fréquenta à Loos une école privée non payante et alla au patronage qu’il n’appréciait guère car, dit-il, on était « encadré » : on appelait cela « les œuvres de préservation ». Il déclara plus tard qu’un « homme libre n’a pas besoin d’être préservé ». Il obtint le certificat d’études primaires, fit sa communion solennelle et entra en 1925 en qualité de typographe dans l’imprimerie Liévin Danel à Lille. Il s’en absenta pour faire son service militaire pendant lequel il refusa d’être gradé. En 1939 comme il avait deux enfants, il fut « affecté au ravitaillement d’essence, sans fusil ». Fait prisonnier dès le début de la guerre, il fut un moment « homme de confiance, mais lâcha ce poste qui lui faisait friser la collaboration ». Il refusait de travailler et touchait 15 marks par mois alors que ceux qui travaillaient au rendement pouvaient se faire 1 500 marks par mois. Libéré par l’avance des alliés, il reprit son emploi dans l’atelier de Liévin Danel. Quelque temps plus tard, sans doute vers 1950, il passa dans l’atelier de Léonard Danel à Loos. Il y prit sa retraite en 1975.

André Despature s’était marié en 1935 avec Olga, Fortunée Basquin, catholique pratiquante, qui était employée depuis sa sortie de l’école primaire chez Léonard Danel à Loos où elle travaillait à la composition ; elle y demeura jusqu’en 1947, puis se consacra à son foyer. Après leur mariage le couple s’était installé chez la mère d’André, à Haubourdin ; il y résida jusqu’en 1961, date à laquelle il alla habiter dans une maison en accession à la propriété, à Haubourdin également, maison construite en grande partie par A. Despature lui-même. Pendant la guerre, Olga Despature fit partie d’un groupement de femmes de prisonniers. Puis en 1943 se forma une association d’aides familiales, laquelle devint ultérieurement l’Association populaire des aides familiales (APAF) : elle en fut responsable pour Haubourdin ; elle siégea au conseil d’administration sans doute dès 1950 et certainement à partir de 1954, vu le rapport d’activité de ladite association ; elle resta dans ce conseil jusqu’à la fin des années 1980. Elle appartint également à l’APF (Association populaire familiale), branche familiale du MLO (Mouvement de libération ouvrière) quand celui-ci se constitua en 1951 à la suite de la scission du MLP (Mouvement de libération du peuple) ; elle demeura dans ces associations jusqu’à la disparition du MLO en 1969. Elle fut en outre membre de l’Action catholique ouvrière (ACO) quand celle-ci s’organisa en 1950. En 1971 elle fut élue et siégea six ans au conseil municipal d’Haubourdin ; ses enfants étant grands, elle avait accepté de figurer sur la liste d’Union démocratique, républicaine et sociale menée par Paul-André Lequimme. C’est à ce moment qu’elle quitta l’ACO où son engagement politique avait été critiqué, dit son mari, car elle n’adhérait à aucun parti, pas plus au Parti socialiste (PS) ou au Parti socialiste unifié (PSU) qu’au Parti communiste (PC). Le couple eut quatre enfants : deux filles, l’une employée de banque, l’autre conseillère en formation professionnelle ; deux fils, un directeur de foyer de jeunes travailleurs, un ingénieur dans le bâtiment et les travaux publics.

En 1926, c’est-à-dire à seize ans, André Despature adhéra au syndicat CFTC du textile, son frère travaillant dans cette industrie ; en effet il ne connaissait pas le syndicat du livre à Lille. Deux ans plus tard, il fit partie de la JOC (Jeunesse ouvrière chrétienne) et passa à la LOC (Ligue ouvrière chrétienne) après son mariage. Il assista avec sa femme, le dimanche, aux journées d’études de cette organisation : on leur disait que pour supprimer le chômage, il fallait réduire le temps de travail. Aussi lorsque commencèrent les grèves de 1936, il alla à la Bourse du travail voir la CGT, puis passa à la CFTC où le permanent, débordé, lui dit de faire ce qu’il pouvait. Un responsable CGT du livre voulut les empêcher de faire grève : « vous avez une convention collective ». Ce dernier fut houspillé par les travailleurs. Quant à André Despature, il déclara que la CFTC soutenait toute grève faite non pour des raisons politiques, mais pour des revendications justifiées. Ils rédigèrent donc un Cahier de revendications, demandant notamment un robinet d’eau potable et un garage pour les vélos. Lors de la reprise du travail, des élections de délégués du personnel furent organisées. La CGT eut de sept à huit cents voix ; la CFTC qui se présentait pour la première fois, n’eut que treize voix car on lui reprochait de briser l’unité.

Après la guerre, dit A. Despature, « on a redémarré à trois » : sur 300 ouvriers, 50 adhérèrent à la CFTC, 250 à la CGT. Mais lors des élections de délégués du personnel, le rapport s’inversa : la CFTC fut majoritaire avec 250 voix. Il devint donc délégué du personnel et le fut ensuite chez Léonard Danel jusqu’en 1974, car un an avant sa retraite, il voulut mettre son remplaçant « dans le bain ». Chez Léonard Danel, il appartint également au comité d’entreprise. Sur le plan local, il joua aussi un rôle actif : membre du conseil de l’UL CFTC de Lille de 1950 à 1964, puis de l’UL CFDT de 1964 à 1973, il siégea également au conseil du Syndicat CFTC-CFDT du Livre de Lille. Aussi le retrouve-t-on aux Assemblées générales de l’Union départementale (UD) du Nord, par exemple le 31 octobre 1965 ou les 28-29 octobre 1967 : il fit alors partie de la commission qui étudia « les droits syndicaux sur le lieu de travail ».

Pendant ces longues années de militantisme, A. Despature eut à affronter des événements majeurs. D’abord le congrès confédéral extraordinaire de novembre 1964 qui modifia le titre et les statuts de la CFTC, devenue CFDT. Pour lui cette évolution était toute naturelle ; il avait à Paris rencontré Paul Vignaux* qui lui avait expliqué « ses idées ». Dans son syndicat, personne ne fit scission dit-il, « malgré certains aumôniers ACO qui voulaient qu’on reste CFTC car le deuxième C était un garde-fou ». Lui-même pensait que « les gens qui ont besoin d’un garde-fou, ce sont eux les fous ». En mai 1968, le secrétaire du Syndicat du livre de Lille, Émile Reniers* était constamment à Paris. Faisant partie du conseil syndical du livre, A. Despature assura avec une équipe la permanence. Ils recrutèrent des adhérents, leur donnèrent des responsabilités sans attendre le retour du secrétaire : « Je n’avais plus le temps de dormir. »

Dès qu’il fut à la retraite, André Despature adhéra au syndicat des retraités CFDT, sans aller à leurs réunions dont l’ambiance ne lui convenait pas car ceux-ci admettaient une coupure entre actifs et non-actifs. « Peut-on être non-actif quand on est libéré du salariat ? » Lui-même voulait avoir une retraite active. Il avait quitté l’ACO car les réunions commençant en retard, dit-il, on pouvait seulement « voir, juger », sans avoir le temps d’envisager « agir ». En outre à l’ACO, ajoutait-il, on ne devait pas dire du mal de la CGT quand celle-ci avait tort car « la CGT c’est la classe ouvrière ». Il avait auparavant abandonné la LOC car il se méfiait de l’emprise des aumôniers. Il avait constaté qu’ils ne s’étaient retrouvés qu’à trois au lieu d’une vingtaine, le jour où il avait dû faire la lettre de convocation à la place de l’aumônier qui n’en avait pas le temps.

André Despature consacra sa retraite à une association qu’il avait fondée en 1963. Elle s’appela d’abord « Association contre la pollution atmosphérique et les bruits » et compta vite près de 200 adhérents. Elle prit en 1985 la dénomination « Association haubourdinoise pour l’environnement », association dont il était le secrétaire. Elle subsistait toujours en 2001 quoiqu’elle eût perdu des effectifs ; elle suivait les dossiers relatifs à l’environnement sur Haubourdin et s’efforçait de sensibiliser les scolaires à ces questions. Si André Despature s’intéressait ainsi à la nature, c’est qu’il peignait depuis l’âge de vingt ans. Or, dit-il, « Quand on peint, la nature est partout, qu’il s’agisse d’une chapelle égarée dans les champs, d’une péniche oubliée sur le bord d’un canal, voire d’un arbre solitaire ». Il créa dans sa ville un club de peintres amateurs et ses œuvres furent exposées en 1992 au Centre culturel d’Haubourdin dont le maire lui décerna la Médaille de la ville. Titulaire aussi de la Médaille du combattant, il n’aimait pas qu’on lui donnât le nom de militant car « celui-ci se tient trop souvent en rang par quatre » C’était avant tout un esprit libre, peu soucieux des honneurs, désireux de venir en aide aux plus démunis. Pour ses funérailles, il avait demandé qu’il n’y eût ni fleurs, ni couronnes, mais des dons au Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article22519, notice DESPATURE André, Narcisse par Madeleine Singer, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 4 décembre 2008.

Par Madeleine Singer

[Arch. privées Madeleine Singer]

SOURCES : Faire-part du décès d’André Despature, Nord-Eclair, 29 octobre 1992. — Christine Bard, Paroles de militants, Association 1884-1984, 104 rue Jeanne d’Arc, Lille, 1990, 140p. (avec le compte rendu dactylographié de l’interview d’André Despature, 7p. — Articles de Nord-Matin, 25 juin 1985 ; de Nord-Éclair, 2 mars 1991, 19-20 janvier 1992. — Lettre d’Arnold Gil, vice-président de l’Association haubourdinoise pour l’environnement, à M. Singer, 20 novembre 2001. -Lettre de la mairie d’Haubourdin à M. Singer, 12 juin 2002. — Lettres de Madame Lammens-Despature, sa fille, à M. Singer, 24 septembre 2001, 3 novembre 2001 (avec la copie de l’acte de naissance de son père), 5 janvier 2002 (Arch. Gilbert Ryon).

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