DESPHELIPPON Francis [DESPHELIPPON Francisque, Jean-Marie, dit]

Par Justinien Raymond

Né le 24 juin 1894 à Vichy (Allier), mort le 13 décembre 1965 à Paris ; ouvrier électricien ; après la Première Guerre mondiale, il fut surtout un militant politique passant de l’extrême-gauche aux organisations fascistes ; « collaborateur » sous l’Occupation allemande.

Pour n’être pas unique, la courbe de vie de Francis Desphelippon n’en est pas moins étonnante. D’origine modeste, orphelin de père, il fréquenta seulement l’école primaire, entra à la Compagnie foncière des sources de l’État puis fut apprenti monteur mécanicien et ouvrier électricien jusqu’à sa mobilisation en 1914. Appelé comme simple soldat, il fut rendu à la vie civile lieutenant aviateur. Il regagna Vichy où il continua à vivre jusqu’en 1926 : en association avec son beau-frère, il exploitait un commerce de cycles, 40, avenue de la Gare, et, à partir de 1922, il géra le café comptoir dépendant de la Coopérative « La Prolétarienne ». Dès sa démobilisation, il se lança dans l’action antimilitariste et dans la défense des anciens combattants. Il fonda à Vichy la section locale de l’Association républicaine des anciens combattants (ARAC) et prit part au lancement d’un hebdomadaire, Cocorico, ouvert à l’extrême-gauche. Tout en demeurant secrétaire du syndicat des électriciens, élu en 1923, et tout en étant nommé, la même année, secrétaire adjoint de la Bourse du Travail de Vichy, il participa activement à la vie de l’ARAC. Il entra à son comité central à l’issue du congrès national tenu en juillet 1923 à Clermont-Ferrand. En 1924, il accompagna Henri Barbusse à un congrès international d’anciens combattants à Berlin. La même année, le congrès de l’ARAC tenu à Nevers (20-21 avril) l’élut secrétaire international du comité central, fonction qui lui fut confirmée en octobre. En 1926, il fut élu secrétaire général de l’ARAC et comme il entra au comité central du Secours ouvrier international, il s’installa à Paris, au 204 rue La Fayette chez le militant Gilbert Vital qu’il remplaça, en avril 1927, comme délégué international de l’ARAC. Il faisait partie de la commission de rédaction et de diffusion du journal Le Feu. Il fut encore élu secrétaire administratif de l’ARAC à son congrès de Vichy (14-15 août 1927), mais, à compter de 1928, il rentra dans le rang et laissa les destinées de l’ARAC aux mains de Jean Duclos*.
D’autres activités plus spécifiquement politiques le retenaient. Étant encore à Vichy, il avait adhéré, vers mai 1923, au Parti socialiste SFIO et, en 1924 il l’avait quitté pour le Parti communiste. Il se donnait à la propagande avec un réel talent oratoire, affectait une tenue relâchée, usant d’un langage violent. Il était secrétaire du rayon de Vichy en août 1925. À l’issue du congrès national du Parti communiste tenu à Lille du 20 au 25 mai 1926, Desphelippon entra au comité central. Cette promotion rapide fut suivie d’une autre, non moins significative de son ascension : le 13 juillet 1926, il fut élu secrétaire adjoint et propagandiste délégué par le congrès des Groupes de Défense antifasciste (GDA). Ils avaient été créés, sous ce nom, et à vrai dire tardivement, par le Parti communiste français en application d’une décision de 1919 de l’Internationale communiste visant à former des groupes de militants décidés destinés à encadrer les forces révolutionnaires dans leur assaut contre l’État bourgeois. Il était, en 1927, le principal dirigeant du Service d’ordre ; Beaugrand lui succéda. Mais Desphelippon ne méprisait pas l’action politique légale : en 1925, il avait déjà été candidat au conseil d’arrondissement dans le canton de Vichy ; en 1927, il se présenta à une élection législative partielle dans le XIXe arr. de Paris. En janvier 1928, il fut chargé par le Parti communiste de fréquentes missions en province.
Cependant, au cours de cette année 1928, des désaccords s’élevèrent entre lui et le Parti communiste que Francis Desphelippon* quitta en fin d’année. En mai, il devint administrateur-délégué de la revue hebdomadaire Monde dirigée par Henri Barbusse, honorée d’illustres collaborations internationales. En 1932, il géra le journal Le Nouveau Monde. De 1934 à 1938, il fut le rédacteur en chef de l’organe Terre Libre, hebdomadaire d’information illustré destiné aux paysans. En avril 1934, Desphelippon, qui avait réintégré le Parti socialiste SFIO vers 1930, fut son candidat à une élection législative complémentaire dans la 1re circonscription du IXe arr. de Paris où il eut 437 et 540 voix ; il devint secrétaire de la 19e section socialiste SFIO de Paris (il habitait maintenant le XIXe arr.) et, en décembre, il fut élu à la commission exécutive de la Fédération de la Seine ; il y siégea pendant plusieurs années. En 1935, domicilié dans le XVIIIe arr., il fut chargé du secrétariat de la 18e section socialiste. En 1935 au congrès national de Limoges, il fut un des rapporteurs. En 1936, Desphelippon entra à la Commission administrative permanente (CAP) du Parti socialiste qui lui confia le secrétariat général et la responsabilité des Amicales socialistes d’entreprises. Il quitta l’ARAC et adhéra à la FOP (Fédération ouvrière et paysanne des anciens combattants). On retrouve la même versatilité sur le plan politique : en 1933, au moment de la scission des « néo-socialistes », il se rangeait à gauche avec la Bataille socialiste ; en 1934, il était parmi ceux qui lançaient L’Offensive socialiste, troisième revue du Parti socialiste inspirée par Henri de Man et qui apparaissait comme l’organe de la tendance la plus à droite du Parti. En 1936, il fut le candidat officiel de la SFIO aux élections législatives, dans la 3e circ. de Pontoise (Seine-et-Oise), mais avec le handicap de la présence d’un socialiste dissident, Chabrier* dont la candidature avait été écartée par la CA fédérale. Tous deux n’affrontèrent que le 1er tour de scrutin : sur 23 346 inscrits, Desphelippon devança Chabrier avec 1 747 voix contre 1 178, mais il venait après Ballu, républicain indépendant, 7 938, Cossonneau, communiste qui fut élu au ballottage, 7 536 et Oblin, radical indépendant 2 339. Membre suppléant de la CAP au titre de la tendance Bataille socialiste en 1936, il était titulaire en 1937. Le 14 janvier 1938 à la CAP, il vote contre le soutien socialiste à un gouvernement radical. En mars 1938, il invita les membres des Amicales socialistes à ne pas participer au mouvement de grève qui se déclencha dans la métallurgie et l’automobile et il fut désavoué dans un tract par la fédération socialiste SFIO, alors en majorité « pivertiste ».
La guerre et l’occupation allemande allaient ouvrir une nouvelle page dans la vie de Desphelippon. Professionnellement, il fut secrétaire de la Chambre syndicale des industries de régénération des huiles minérales, dès 1940. Dès 1940 aussi, il se dirigea vers la politique de collaboration. Il répondait à l’appel de Marcel Déat* et entra à la commission permanente du Rassemblement national populaire (RNP). En 1941, déjà secrétaire du mouvement « France-Europe », il fut élu secrétaire général du Front social du Travail (FST), une des organisations constitutives du Comité d’information ouvrière et sociale ou Comité Lafaye, organe de propagande pour la relève par le STO (Service du travail obligatoire) en zone occupée. Le 28 avril 1942, pour motif inconnu, il était arrêté par les autorités allemandes, mais relaxé quelques jours plus tard. Mais son attitude ne varia pas ; par le journal (il collabora à La France socialiste et à l’Atelier), par la parole (réunions, conférences, congrès comme celui du RNP en juillet 1943) il servit la même cause. Il était membre du Comité directeur du Front révolutionnaire national, dirigé par Henri Barbé*, en 1942. En juillet 1944, il fut nommé directeur de « l’Action aux chantiers et aux usines », relevant du Secrétariat à la main-d’œuvre. Fin 1944, il quitta Paris avec sa famille dans un camion mis à sa disposition par les autorités allemandes et il gagna Bourg-en-Bresse (Ain).
En 1945, Desphelippon fit l’objet de trois informations ouvertes par la Cour de Justice de la Seine et d’un mandat d’arrêt du 5 juin. Le 20 août, il fut arrêté et écroué à Toulouse (Haute-Garonne). La Cour de Justice de cette dernière ville le condamna à quinze ans d’indignité nationale pour atteinte à la sûreté extérieure de l’État. On le retrouva les années suivantes dans maintes activités : de 1947 à 1950, directeur administratif de l’agence de voyages parisienne de l’OMEGA (Office méditerranéen d’économie générale et des arts), en 1952 chef du personnel des Établissements « Partner-Vêtements » de Boulogne-sur-Seine, en 1953, secrétaire de l’association dite « Comité des Amitiés franco-argentines » et en 1959, promoteur, parmi d’autres, de l’« Union des Neutralistes de tous les pays ». Sur le plan politique il réapparut vers 1950, parmi les initiateurs du « Centre des Indépendants de Gauche », rassemblement de « collaborateurs » exclus des partis de gauche et d’extrême-gauche. En 1952, on le trouvait au bureau du Mouvement social Européen, organisation d’extrême droite publiant la revue Défense de l’Occident.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article22521, notice DESPHELIPPON Francis [DESPHELIPPON Francisque, Jean-Marie, dit] par Justinien Raymond, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 25 octobre 2020.

Par Justinien Raymond

SOURCES : Arch. PPo. 96, Desphelippon, décembre 1926. — Arch. Dép. Seine-et-Oise, 2 M 35, 36, 37, 38. — Arch. Dép. Seine, D 3 M2, n° 16. — Arch. Jean Maitron. — Politisches Archiv des Auswärtigen Amtes (Bonn), Botschaft, Paris/1305. — Les journaux cités dans la biographie. — Les Cahiers d’Information du militant, n° 16, mai 1936. — J.-L. Humbert, Les tendances à l’intérieur du Parti socialiste, 1933 à 1936, DES de la Fac. de Paris, 1957-1958. — CR de congrès du Parti socialiste. — Les Dossiers de l’Histoire, n° 7, avril-mai-juin 1977. — V. Barthélémy, Du communisme au fascisme, Albin Michel, 1978, p. 351. — Notes de M. Dreyfus. — Renseignements fournis par Georges Rougeron.

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