LEEMANS Joseph.

Par José Gotovitch

Verviers (pr. Liège, arr. Verviers), 31 janvier 1901 – Bruxelles (pr. Brabant, arr. Bruxelles), 5 septembre 1976. Ouvrier métallurgiste, dirigeant local, fédéral et national du Parti communiste de Belgique, conseiller communal de Verviers, commissaire des Brigades internationales en Espagne, commandant des Partisans armés sous l’occupation allemande.

Joseph Leemans a un père, ouvrier textile de conviction socialiste et sa mère, catholique, est nettoyeuse d’étoffe. Victime d’un accident de travail en 1910, le père ouvre un petit café dans un quartier populaire de Verviers. Ayant achevé ses études primaires quand éclate la guerre, Joseph Leemans suit les cours de l’école professionnelle mécanique pendant trois ans, ainsi que des cours du soir. Il en sort avec un diplôme d’ajusteur. Il commence à travailler à l’âge de seize ans. Jusqu’à son service militaire, en 1922, il est chaudronnier puis ajusteur aux chemins de fer dont il est révoqué pour raisons politiques. En effet, enthousiasmé par la Révolution bolchévique, il adhère en 1919 au petit groupe communiste de Verviers, qui fait partie de la mouvance de War Van Overstraeten*. Il participe ainsi au congrès de fondation du Parti communiste de Belgique (PCB) en septembre 1921.

De 1923 à 1930, Joseph Leemans travaille dans une entreprise métallurgique ; il en devient un cadre technique en 1928. Il se marie en 1924 avec Félicie Ariens (1902-1945 – elle périra à Ravensbrück (commune de Ravensbrück, Brandebourg, Allemagne)), ouvrière textile et militante communiste avec laquelle il aura deux enfants.

Joseph Leemans s’impose très rapidement dans le mouvement communiste. Il devient, en 1924, secrétaire, non rémunéré, de la Fédération du PCB de Verviers. Le mouvement ouvrier verviétois est solidement ancré dans la région. Les communistes s’y implantent avec succès au point que les élections d’octobre 1926 font de Leemans un conseiller communal. Il sera réélu à chaque fois jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Ses qualités sont remarquées à l’échelon national puisqu’il est élu au Comité central du PCB en 1928, au Bureau Politique en 1929. Militant ouvrier, Leemans déploie une importante action syndicale, les communistes réussissant à s’implanter particulièrement dans le secteur du peigné (textile) mais aussi chez les métallos où les efforts de la direction pour exclure Leemans, en vertu de la motion Mertens (du nom du secrétaire général de la Commission syndicale – le syndicat interprofessionnel socialiste), se heurtent à l’opposition de la base. Elle n’est obtenue qu’en 1930, à une faible majorité. Il est alors envoyé pour deux mois de formation à la Confédération générale du travail unitaire (CGTU) en France, à Paris et à Lyon. À son retour, Leemans est licencié. Il ne retrouvera plus jamais d’embauche dans la métallurgie.

Après un court passage comme secrétaire permanent du PC à Liège, Joseph Leemans est envoyé en février 1931 comme « pratiquant » au Secrétariat latin de l’Internationale communiste (IC) à Moscou. Il y reste six mois, travaillant dans les bureaux mais rencontrant aussi des jeunes dans les usines. Il accomplit également un long parcours à travers l’URSS en compagnie de Julien Lahaut. Et ce qu’il voit l’enchante. Des années plus tard, il dénoncera encore « les mensonges répandus dans la presse bourgeoise » dont il vérifie au moment même sur place l’inanité. Présent au même moment et dans les mêmes bureaux à Moscou, Raymond Guyot, dirigeant de l’Internationale, soulignera au contraire dans ses souvenirs la pauvreté et la faim qu’il y rencontre. Par ailleurs, Leemans se réjouit d’avoir pu obtenir pour sa femme et ses enfants, demeurés en Belgique, un soutien appréciable que son traitement lui permet alors de faire parvenir. Le statut qu’il acquiert ainsi de « Kominternien » ne suffit pas, comme on le verra, à assurer sa grâce permanente. Mais à l’aube de sa carrière de révolutionnaire professionnel, il se constitue ainsi un capital-confiance qui jouera à plein ultérieurement.

Au retour, bien qu’assumant la direction politique de la Fédération du PCB de Verviers, exclu du syndicat, exclu un moment du chômage, Joseph Leemans survit grâce à l’assistance publique, sans doute suppléée chichement par le PC, alors au plus bas de son histoire. Il va s’affirmer comme organisateur et agitateur de premier plan. Pendant les grèves de 1932, il mène l’action gréviste dans le bassin minier du pays de Herve (pr. Liège), mais il se déploie plus intensément dans les grèves textiles verviétoises de 1933 et plus spécialement celle de 1934. Durant cette dernière, lutte exceptionnelle qui dure de février à juillet, les affrontements avec les autorités et les forces de l’ordre sont violents et fréquents. Leemans s’y distingue. Il subit en retour perquisitions, arrestations et condamnations pénales. Au terme des appels introduits, il totalise quatre mois d’emprisonnement qui s’ajoutent aux deux mois déjà subis en 1932.

Curieusement, dans les mois qui suivent, s’il apparaît encore publiquement comme numéro un du PC à Verviers et mène, comme tel, meetings anti-rexistes et réunions publiques au nom d’un Front Populaire ébauché localement, un tournant s’est produit à la conférence nationale du PCB d’avril 1935 qui ne le réélit plus au Comité central. Cette remise à la base se fait sous l’accusation d’activité fractionnelle et de sectarisme. Cette mesure, qui peut se lire également comme résultant d’oppositions personnelles, s’inscrit en fait dans l’alignement du PCB sur la politique d’ouverture qu’adoptera le VIIe Congrès du Komintern. Leemans en subit socialement les conséquences puisqu’il ne trouve pour subsister qu’un emploi de terrassier.
Mais dans cette période d’agitation intense qui va déboucher sur la grande grève de juin 1936, le PCB en pleine ascension ne peut se passer longtemps de celui que les cadres de l’Internationale considèrent comme « un excellent agitateur et propagandiste et comme un ‘ homme de masse ‘ » même si sa « formation théorique est jugée faible », en revanche, sa détermination et sa fidélité sont soulignées. Dès avril 1936, il est rappelé comme secrétaire à Verviers et conduit, à ce titre, l’action dans la grève. Le VIe Congrès du PCB le réélit en octobre au Comité Central ainsi qu’au Bureau politique. Le « sectaire » de 1935 est encensé pour son action unitaire en 1936 !

S’ouvrent alors les années les plus prestigieuses de ce militant devenu définitivement révolutionnaire professionnel. D’octobre 1936 à mai 1937, c’est Joseph Leemans qui est désigné comme délégué officiel du PCB en Espagne où il exercera la fonction de commissaire politique des Brigades à la base d’Albacète (pr. d’Albacète). L’Internationale souligne à son retour ses progrès politiques et ses capacités de direction. Un mois de préventive à la prison militaire pour présomption de désertion s’achève par un acquittement. Joseph Leemans vit désormais à Bruxelles où parmi d’autres tâches, dont la responsabilité de la diffusion de la littérature, il devient le premier responsable national des cadres, poste de confiance absolue. C’est à ce titre, qu’après la signature du Pacte germano-soviétique de 1939, il assure la mise sur pied d’un appareil clandestin du PCB. Quand la direction du Parti communiste français se replie en Belgique avec, à sa tête, le délégué de l’Internationale, Eugène Fried, Leemans assure les contacts et fournit les militants belges qui le serviront.

Au lendemain du 10 mai 1940, c’est l’ensemble du PCB que Joseph Leemans est chargé de reconstruire et de faire passer dans l’illégalité, plus spécialement à partir de mai 1941. Son passage au sommet des Brigades internationales et la confiance absolue qui lui est accordée expliquent qu’en fin 1941, sur injonction du délégué de l’IC auprès des Belges, Andor Berei, et en contact permanent avec lui, il met sur pied les Partisans armés. Il en est le commandant national jusqu’en avril 1943. Il devient alors secrétaire national d’organisation jusqu’à son arrestation le 23 juillet 1943 dans le cadre de la razzia qui fauche toute la direction du PCB.

Joseph Leemans passe le reste de la guerre dans divers camps de concentration, successivement Breendonk (commune de Willebroek, pr. Anvers-Antwerpen, arr. Malines-Mechelen), Sachsenhausen (commune d’Oranienbourg, Brandebourg, Allemagne) et Mauthausen (communes Mauthausen-Gusen, Haute-Autriche, Autriche).

Rapatrié en mai 1945, Joseph Leemas est écarté de toute responsabilité pour avoir participé au marché, passé avec la SIPO-SD, par les quatre plus hauts dirigeants du PCB arrêtés en juillet 1943, marché qui devait « sauvegarder les cadres » en échange d’un arrêt de l’activité clandestine. Le secret absolu couvre et la transaction et les raisons de la sanction pendant plus de trente ans. Leemans retourne donc à l’usine. Ajusteur au Marly à Bruxelles, il devient en 1946 inspecteur au Ministère du Ravitaillement, dirigé par un ministre communiste, Edgar Lalmand. Considéré comme le moins coupable des quatre, il est repris dans le cadre en 1947 comme secrétaire politique de la Fédération du Centre (pr. Hainaut), puis du Borinage (pr. Hainaut).

Réélu au Comité central en 1948, Joseph Leemans en est à nouveau éliminé en 1954, quand resurgit, en interne, la question de son comportement de guerre. Il y siège cependant une dernière fois de 1957 à 1963.

Retraité, Joseph Leemans assure la présidence de l’Amicale des vétérans jusqu’à sa mort. Il a épousé en secondes noces Simone Philippe, (née en 1911), veuve d’un militant verviétois, décédé en captivité. Le couple a deux enfants.
Lors de son enterrement, Joseph Leemans a droit, en sa qualité de colonel de la Résistance, aux honneurs militaires.

Joseph Leemans présente la caractéristique rare en Belgique d’un parcours communiste qui en incarne tous les traits emblématiques : ouvrier, militant syndical, adhérent de la première à la dernière heure, meneur de grèves, emprisonné, assumant des responsabilités locales, nationales et internationales, homme de confiance de l’IC, apte au travail illégal, cumulant l’aura des Brigades internationales à celle des Partisans armés, d’une fidélité sans faille à l’URSS. Assombri par l’épisode de juillet 1943, son chemin repasse sans barguigner par la base pour reconquérir son honneur de militant et finir par assurer la mémoire de son parti.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article225414, notice LEEMANS Joseph. par José Gotovitch, version mise en ligne le 10 avril 2020, dernière modification le 11 avril 2020.

Par José Gotovitch

ŒUVRE : Le procès de Valentin Tincler ou l’histoire d’une provocation au service du fascisme, Bruxelles, Éditions Germinal, s.d., 30 p.

SOURCES : RGASPI, Rossiiskii gosudarstvennyi arkhiv sot͡sialno-politicheskoi istorii (RGASPI), fonds 495-Inventaire 193, dossier 32 ; fonds Dimitrov, fonds 495-Inventaire 10a-dossier 153 – Interviews de Joseph Leemans par José Gotovitch, juin 1967 et 2 juin 1975 – Interviews par Ward Adriaens, s.d., et par Claude Coussement, s.d. – CArCoB, dossier de la Commission centrale de contrôle – GOTOVITCH J., Du rouge au tricolore, Les communistes belges de 1939 à 1944. Un aspect de l’histoire de la Résistance en Belgique, Bruxelles, Labor, 1992 – BOTTERMAN X., Histoire du mouvement communiste à Verviers (1919-1940), Bruxelles, CArCoB, 2009.

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