WEILL Georges [WEILL Jacques, Georges]

Par Sarah Al-Matary

Né le 6 juillet 1865 à Sélestat (Bas-Rhin) et mort le 14 avril 1944 à Paris (XIVe arr.) ; historien français spécialiste du républicanisme et du socialisme ; professeur de lycée puis d’université.

Biographie nouvelle mise en ligne en avril 2020

Archives privées. Merci à Micheline Triomphe et Yvette Weber

Fils de l’ancien Grand rabbin du Consistoire d’Algérie Michel Aaron Weill (1814-1889) et d’Ève – dite Henriette – Marx (1826-1929), cousine germaine de Karl Marx, Georges Weill était le frère cadet de la dreyfusarde Jeanne Weill – plus connue sous le pseudonyme de Dick May –, militante des Universités populaires qui fonda et anima à la Belle Époque plusieurs établissements d’enseignement supérieur libre parmi lesquels le Collège libre des sciences sociales et l’École des hautes études sociales. Ayant opté pour la France après Sedan, la famille Weill s’installa à Lunéville, dont Georges fréquenta le collège avant de poursuivre sa scolarité à Toul où officiait son père, puis à Nancy. La préparation au concours de l’École normale supérieure fut fructueuse pour le jeune bachelier monté à Paris, puisqu’il avait tout juste dix-huit ans lorsqu’il intégra la section lettres de la rue d’Ulm devant Léo Claretie et Lucien Herr. Reçu troisième à l’agrégation d’histoire et de géographie en 1886, il fut nommé professeur de lycée à Orléans, avant de rejoindre Lyon dès 1888. Comme beaucoup de normaliens envoyés en province, Georges Weill songeait au doctorat ; l’histoire moderne avait alors sa prédilection : le volet principal de sa thèse, soutenue quelques années plus tard, porte sur la contestation de la monarchie absolue autour de la Saint-Barthélemy ; le mémoire complémentaire était, lui, consacré à l’orientaliste Guillaume Postel, qui se signala notamment à la Renaissance par son intérêt pour l’islam. L’ensemble parut chez Hachette ; De Gulielmi Postelli vita et indole (1892) succède aux Théories sur le pouvoir royal en France pendant les guerres de religion (1891). La qualité scientifique de cette dernière étude, qui déplace subtilement les idées reçues, fut reconnue au-delà même de l’Hexagone.
La mort de son père, en 1889, marqua-t-elle un changement de cap pour Georges Weill ? Il s’écarta en tout cas un temps des polémiques religieuses ; lui et sa sœur Dick May fréquentaient les milieux réformateurs. Comme d’autres jeunes lettrés, il fit la lecture et la conversation au comte de Chambrun, un riche philanthrope leplaysien décidé à soutenir les progrès de la science sociale. Est-ce sous cette influence que Georges Weill, qui gravitait parmi les futurs membres du Musée social, se pencha sur l’œuvre de Saint-Simon ? La monographie qu’il consacra en 1895 à celui qu’il qualifie de « précurseur du socialisme » – bientôt élargie à « l’école saint-simonienne, son histoire, son influence » (titre d’un volume de 1896) – fut saluée par Émile Faguet dans la Revue des Deux Mondes (« Le comte de Saint-Simon », 4e période, tome 123, 1894, p. 856-881), et recommandée à l’influent Ernest Lavisse. Le comte de Chambrun intervint en personne auprès de Lavisse pour que Georges Weill puisse se rapprocher de la capitale. Tout laisse croire que cette intervention a porté ses fruits, puisque Georges Weill fut immédiatement muté au lycée Janson-de-Sailly. Il y resta peu, passant à Carnot (1895-1904) puis à Louis-le-Grand (1904-1906) où il avait jadis potassé le concours de l’École normale supérieure. Georges Weill, dont la thèse principale croisait déjà problématiques politiques et religieuses – n’était-elle pas « consacré[e] en définitive », ainsi que le notait un recenseur, « aux origines lointaines de nos théories politiques actuelles » ? (N. Z., « Chronique littéraire », Bulletin historique et littéraire (Société de l’Histoire du Protestantisme Français), vol. 41, n° 8 (15 août 1892), p. 443) – reste en prise avec l’actualité. L’Affaire Dreyfus exacerbant son intérêt pour l’histoire « en train de se faire », il publia en 1900 chez Alcan – où sa sœur dirigeait une collection – Histoire du parti républicain en France de 1814 à 1870, que compléta en 1904 dans la même maison Histoire du mouvement social en France, 1852-1902. Ce livre sera réédité en 1911 dans une version qui a fait son miel de L’Internationale. Documents et souvenirs (1864-1878) de James Guillaume (voir le site James Guillaume. Un itinéraire : https://jguillaume.hypotheses.org/1260). En 1901, Georges Weill assurait le secrétariat du comité « La propagande socialiste » qui envoyait, sur le modèle des « Journaux pour tous » d’Émile Boivin, des brochures de propagande « là où le Parti n’a pas d’adhérents ». Le programme du comité, diffusé dans la presse, fut repris dans les Cahiers de la quinzaine de Charles Péguy (10e cahier de la IIe série, 4 avril 1901), qu’héberge alors Dick May dans les locaux de l’École des hautes études sociales au 16 rue de la Sorbonne. À cette date, Georges Weill est sans doute moins proche de Péguy que de Lucien Herr, son camarade de promotion, qui s’est éloigné de Péguy après l’affaire de la Société Nouvelle de Librairie et d’édition. C’est sur un papier à en-tête de la librairie, qui édite la revue Le Mouvement socialiste, que Weill écrit à Kautsky, en allemand (International Institute of Social History – Amsterdam, Karl Kautsky Papers, D XXIII 80 : https://search.iisg.amsterdam/Recor....
Devenu maître de conférences (1906) puis professeur (1910) à la faculté de Caen, Georges Weill siégea aux jurys de l’ENS et de l’agrégation d’histoire, tout en produisant des synthèses historiennes qui devinrent rapidement « des manuels classiques » (Paul Leuilliot, compte rendu d’Histoire du parti républicain en France (1814-1870), Annales d’histoire économique et sociale, 1ᵉ année, n° 3, 1929, p. 448) et font parfois encore référence.
Parmi la dizaine d’ouvrages qu’il composa jusqu’à la fin de sa vie, on peut citer Le Catholicisme français au XIXe siècle (1907) et Histoire du catholicisme libéral en France, 1828-1908 (1909) ; L’Alsace française de 1789 à 1870 (1916) ; Histoire des États-Unis de 1787 à 1917 (1919) ; Histoire de l’enseignement secondaire en France (1802-1920) (1921) ; Histoire de l’idée laïque en France au XIXe siècle (1925) ; L’éveil des nationalités et le mouvement libéral : 1815-1848 (1930) ainsi que L’Europe du XIXe siècle et l’idée de nationalité (1938) ; Les Républicains français et l’Algérie (1931) ; Le journal : origines, évolution et rôle de la presse périodique (1934) ; Race et nation (posthume, 1939). Recenseur assidu, il rédigea par ailleurs nombre d’articles, parmi lesquels « Les journaux ouvriers à Paris (1830-1870) » (Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 9, n° 2 (1907/1908), p. 89-103) et « La révolution de juillet dans les départements (août-septembre 1830) » (Revue d’histoire moderne, juillet-août 1931, p. 289-294). Ses écrits combinaient histoire sociale et histoire des idées politiques, explorations locales et vues générales, sans aller assez loin du point de vue de certains de ses collègues.
Dans un petit carnet destiné à ses descendants, Georges Weill retient, parmi les « quelques dates » mémorables de sa carrière, la série de leçons qu’il a données en 1923 à Christiana – aujourd’hui Oslo – à l’invitation de l’Institut Nobel. Il fut reçu chevalier de la Légion d’honneur en 1935.
Il mourut en avril 1944 ; de son mariage en juin 1899 lui étaient nées deux filles. Marguerite Weill, épouse Rocher, conduite à Drancy pour avoir refusé de porter l’étoile jaune, en revint juste avant qu’il expire (conversation du 2 juin 2016 avec Micheline Triomphe, la petite-fille de Georges Weill). Il repose dans le caveau familial au cimetière du Père-Lachaise (96e division).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article225428, notice WEILL Georges [WEILL Jacques, Georges] par Sarah Al-Matary, version mise en ligne le 5 avril 2020, dernière modification le 2 août 2020.

Par Sarah Al-Matary

Archives privées. Merci à Micheline Triomphe et Yvette Weber

OEUVRE : Un précurseur du socialisme : Saint Simon et son œuvre, 1894 . — Georges Weill, Histoire du parti républicain en France (1814-1870), 1900Histoire du catholicisme libéral en France, 1828-1908, 1909. — Histoire du mouvement social en France, 1852-1902, 1904. — Histoire de l’idée laïque en France au XIXe siècle, Alcan, 1925. — L’Europe du XIXe siècle et l’idée de nationalité, Albin Michel, 1938.

SOURCES : Conversation téléphonique avec Micheline Triomphe, petite-fille de Georges Weill, 2 juin 2016. — Georges Weill, « Quelques mots sur ma famille et sur ma vie », mars 1938, texte aimablement transmis par les descendants de Georges Weill. — Archives départementales du Bas-Rhin, registre des naissances, Sélestat, année 1865, acte n° 189 : http://archives.bas-rhin.fr/detail-.... — Arch. Paris, 14e arrondissement, acte de décès 2263 du 15 avril 1944. — Bulletin administratif de l’instruction publique, t. 31, n° 557, 1883, p. 202. — André Chervel, « Les agrégés de l’enseignement secondaire. Répertoire 1809-1960 », mars 2015, en ligne sur http://rhe.ish-lyon.cnrs.fr/?q=agregsecondaire_laureats. — Lettres du comte de Chambrun (de la main de son secrétaire) à Ernest Lavisse, Papiers Ernest Lavisse, BnF, NAF 25169, 16 mai 1894, f. 341 et 20 juillet 1894, f. 359. — Recensions de Georges Weill disponibles via le portail Persée : https://www.persee.fr/authority/365216. — Dossier de la Légion d’honneur de Georges Weill, base Léonore, cote 19800035/760/86262 : http://www2.culture.gouv.fr/public/.... — (International Institute of Social History – Amsterdam, Karl Kautsky Papers, D XXIII 80 :
https://search.iisg.amsterdam/Recor....
Dictionnaire biographique des historiens français et francophones, sous la dir. de Christian Amalvi, 2004 (notice par Jean-Marie Mayeur). — Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine. 9, Les sciences religieuses, 1996. — Fiche BNF.

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