DESREUMAUX André, Auguste, Henri

Par Madeleine Singer

Né le 16 février 1905 à Lille (Nord), mort le 8 novembre 1994 à Lille ; dessinateur industriel, permanent CFTC ; fondateur du syndicat CFTC des techniciens et agents de maîtrise de Lille.

[Arch. privées Madeleine Singer]

André Desreumaux était l’aîné des deux enfants d’Eugène Desreumaux, ébéniste qui, comme son père, travaillait à son compte. Eugène avait épousé Clotilde Gallais, employée de maison qui se consacra à son foyer jusqu’à la mort prématurée de son mari en 1910, dans l’incendie de son atelier. Elle reprit alors à Lille, place Catinat, un petit commerce de quincaillerie et de droguerie. Les parents d’André Desreumaux étaient catholiques ; elle-même pratiquait régulièrement sa religion et fut heureuse de voir son autre fils, Henri, devenir prêtre. André Desreumaux fréquenta l’école primaire libre du quartier Vauban, fit sa communion solennelle, puis, en 1918, passa sept mois en Dordogne pour rétablir sa santé gravement affectée par les privations de la guerre. À son retour il alla trois mois dans une école primaire supérieure (EPS), dite Saint-Nicolas, tout en suivant des cours du soir à l’Institut catholique des arts et métiers (ICAM) de Lille. Il y fit la connaissance du directeur de l’École professionnelle des industries lilloises (EPIL) qui l’admit dans son école d’où il sortit trois ans plus tard avec le diplôme de dessinateur industriel.

André Desreumaux entra alors en 1922 comme dessinateur-calqueur à la Compagnie des tramways de Lille et de sa banlieue ; il y faisait des plans pour les moteurs. Au bout d’un an, il trouva un emploi plus rémunérateur dans les établissements Neu, à la limite de Lomme (Nord), car il devait aider sa mère qui vivotait avec son petit commerce alors que son autre fils était au petit séminaire. Vu les heures supplémentaires, il faisait plus de 48 heures, prenait des cours du soir et exécutait aussi de petits travaux pour des installateurs qui avaient besoin de dessins : cela améliorait l’ordinaire. En 1925 il partit au service militaire qu’il fit pendant un an en Syrie. À son retour, il céda aux sollicitations du directeur de l’EPIL et revint à l’École comme professeur de dessin industriel.

Mais à l’époque la rémunération dans les écoles libres était très médiocre. Après s’être marié religieusement en avril 1929 avec Marthe Pattiniez, employée de banque, il chercha un emploi mieux rétribué et entra en août 1929 à la brasserie La Semeuse à Hellemmes (Nord) comme chef d’entretien, dessinateur. Il y demeura jusqu’en 1945 car il ne fut pas mobilisé, étant père de cinq enfants. À la Libération, des amis lui demandèrent d’être le secrétaire permanent de l’Union locale (UL) CFTC de Lille car certains permanents étaient encore prisonniers. Tout en mettant au courant son successeur, A. Desreumaux abandonna donc progressivement son travail à la brasserie et commença officiellement à l’UL en avril 1945. Il demeura à ce poste jusqu’en 1953 et devint alors secrétaire général permanent à la Maison de la famille, siège de l’Union départementale des associations familiales (UDAF). En 1958, il changea d’emploi et prit celui de secrétaire général permanent à l’Office technique de prévention des accidents dans le bâtiment et les travaux publics. Enfin en 1966 il quitta l’Office afin de fonder un service régional d’échanges de logements en collaboration avec la Caisse d’allocations familiales et le Comité interprofessionnel du logement (CIL) ; il géra ce service en qualité de secrétaire jusqu’à sa retraite en 1970.

Son épouse qui militait à la Ligue féminine d’action catholique avant son mariage, ne garda son emploi à la banque que pendant un an et demi, et se consacra ensuite à son foyer. Elle passa à la Ligue ouvrière chrétienne (LOC) et s’occupa de l’Association familiale du secteur, rattachée à l’Union départementale des associations familiales. Elle mit au monde sept enfants dont la seconde mourut prématurément. L’aîné devint journaliste, le second employé à la Sécurité sociale, le troisième prêtre et les trois dernières filles, employée de banque, employée au CIL et institutrice. Pour se loger, le couple avait d’abord loué une maison à Lille, puis se lança en 1933 dans l’accession à la propriété d’une maison à Mons-en-Barœul (Nord) où ils demeurent leur vie durant. Veuf depuis dix ans, André Desreumaux demanda en 1994 son admission dans une maison médicalisée, Notre-Dame de l’Espérance, à Lille. C’est là qu’il finit ses jours trois mois plus tard.

André Desreumaux avait eu une jeunesse très religieuse. Enfant de chœur, il servait le dimanche deux messes, assistait aux vêpres l’après-midi et fréquentait le patronage. Il fit partie d’un groupe, « L’avant-garde », qui prépara son entrée dans la Jeunesse catholique quand il eut l’âge requis. Par ailleurs, il appartint à un cercle d’études sociales et religieuses de l’EPIL, le cercle Saint-Paul, où il apprit en particulier les bases de la doctrine sociale de l’Église. Pendant la guerre, il fit partie de la LOC : outre les réunions de réflexion (cercles d’études), on s’y occupait de l’aide aux prisonniers et à leur famille. Ensuite pris dans l’engrenage du syndicalisme, il ne put guère jouer un rôle actif à la LOC, mais continua de s’y intéresser.

Il avait en effet adhéré à la CFTC en 1936 ; au cours des grèves, il avait pensé avec plusieurs camarades que, comme agents de maîtrise, ils ne pouvaient rester en dehors du mouvement. Avec d’anciens élèves de l’EPIL, il constitua à la CFTC un syndicat des techniciens et agents de maîtrise (TAM) « pour défendre une catégorie de travailleurs qui se trouvaient coincés entre le patronat et certains syndicats. Le patronat aurait voulu que, pendant les occupations d’usines, nous nous fassions les gardiens de l’entreprise. Et certains syndicats, en particulier la CGT, étaient assez hostiles à la maîtrise ». C’est d’ailleurs pourquoi lui-même fut en 1936, pendant l’occupation de son usine, enfermé dans son bureau pendant quelques heures : il réussit à convaincre les délégués qu’ils se trompaient d’adversaire. « Nous voulions nous rassembler pour défendre notre gagne-pain, mais aussi notre dignité qui, dans certains cas, était mise en cause. Ce syndicat a été un facteur important dans l’évolution de l’Union locale parce que nous avions un bagage plus complet que celui de nos camarades ouvriers et que nous leur apportions un appui, par exemple lors de l’établissement des conventions collectives. » Secrétaire du Syndicat des TAM, A. Desreumaux appartint au bureau de l’UL CFTC de Lille et fut élu au Conseil des prud’hommes en 1938. Pendant la guerre 1939-1945, le syndicat ne pouvait plus fonctionner car le gouvernement de Vichy (Allier) avait le 9 novembre 1940 dissout simultanément les centrales patronales et syndicales ; mais à Lille le bureau se réunissait de temps à autre clandestinement. A. Desreumaux se souvenait d’avoir reçu Gaston Tessier* venu de Paris. Ils diffusaient, dit-il, des tracts, des journaux clandestins, Témoignage chrétien en particulier. Un de ses fils rappelle à l’heure actuelle qu’il avait vu chez lui les journaux de Témoignage chrétien, cachés dans une poubelle avec du fumier par-dessus, en attendant d’être mis clandestinement dans les boîtes aux lettres des gens susceptibles de s’y intéresser.

Devenu secrétaire de l’UL en 1945, André Desreumaux fit, dit-il, un peu de tout : des réunions syndicales, des cercles d’études ; il allait à l’Inspection du travail discuter les conventions collectives ; il se rendait à la Préfecture en cas de grève et rencontrait beaucoup de difficultés car la CGT qui terrorisait, dit-il, l’Inspection du travail, n’admettait pas la CFTC ; on se souvient qu’il y avait à la Libération des ministres communistes. Ce combat continuel épuisa sa santé ; c’est pourquoi il dut abandonner ses fonctions à l’UL en juin 1953. Jusqu’à cette date il fit partie du conseil de l’Union départementale (UD) du Nord, siégeant parmi les représentants de l’UL de Lille. Au congrès de l’UD, le 9 mai 1953, il fut encore rapporteur de la commission de l’habitat. En outre élu sur la liste CFTC lors des élections du 24 avril 1947 aux Caisses d’allocations familiales, il fut vice-président du conseil d’administration de la Caisse de Lille jusqu’en 1955. Aussi lors du congrès de l’UD des syndicats libres du Nord, à Lille, le 28 juin 1947, il présida la commission relative aux allocations familiales. L’année suivante, lors du congrès de cette UD à Valenciennes (Nord), il fut désigné comme rapporteur de ladite commission, tout comme au congrès du 28 mai 1949 à Roubaix (Nord). En même temps, il participait aux réunions de formation qui avaient lieu le dimanche matin au siège de l’UL de Lille ainsi qu’aux Écoles normales ouvrières (ENO) du Nord qui se tenaient chaque année pendant une semaine de vacances. Quand il rencontra Christine Bard, il évoqua avec émotion le souvenir d’un professeur de droit, Joseph Danel, qui les aidait à comprendre l’évolution de la législation. Lui-même répercutait au plan local ce qu’il avait appris au plan départemental.

Libéré de ses responsabilités syndicales, André Desreumaux demeura adhérent à la CFTC, sans doute par le syndicat des TAM qu’il avait fondé. Il milita alors sur un autre plan qui ne lui était pas étranger : il avait en effet été en 1947 l’un des fondateurs d’une association familiale locale à Mons-en-Barœul. C’était, dit-il, une réaction de défense des familles nombreuses mal considérées qui réclamaient la création, puis l’amélioration des allocations familiales. La CFTC joua d’ailleurs sur ce plan un rôle de précurseur : A. Desreumaux rappelait à Christine Bard qu’ils avaient introduit ces allocations dans la convention collective de la brasserie avant même que celles-ci n’existent officiellement. Il continua à adhérer à l’Association familiale locale jusqu’en 1966, c’est-à-dire tant que ses enfants demeurèrent sous son toit.

Depuis 1950, il vivait des années difficiles car il avait les soucis des pères de famille à cette époque : deux fils firent leur service militaire au Maroc, l’un en 1950, l’autre en 1954, le troisième partit en 1956 en Algérie, pays où les « opérations de maintien de l’ordre » constituaient en fait depuis 1954 une véritable guerre. Quand celle-ci se termina en 1962 par les accords d’Évian (Haute-Savoie), la dénomination confédérale était mise en question depuis 1960 au cours de divers congrès fédéraux, mais la commission chargée par le président Maurice Bouladoux d’étudier le problème, ne se mit au travail qu’avec le retour de la paix ; cela aboutit au congrès confédéral extraordinaire de novembre 1964, au cours duquel les statuts furent modifiés, la CFTC devenant la CFDT. A. Desreumaux admit le changement avec réticence car il regrettait que l’évolution n’eût pas été plus progressive : il souhaitait qu’on gardât les références à la doctrine sociale de l’Église qui, disait-il, n’empêchaient pas les adhésions dans le milieu populaire.

S’il quitta en 1966 son poste à l’Office technique de prévention des accidents dans le bâtiment et les travaux publics, c’est qu’il souhaitait consacrer ses dernières années d’activité au logement des travailleurs afin de pouvoir rapprocher leur domicile de leur lieu de travail : il fonda donc, comme nous l’avons dit, un service régional d’échanges de logements.

Les activités syndicales, puis familiales ne l’incitèrent pas à prendre des responsabilités politiques. Toutefois lors de la Libération, le maire élu à Mons-en-Barœul avant la guerre, fut écarté car il était accusé par les Résistants d’être un collaborateur. Dans un souci d’apaisement, le Comité départemental de Libération et le Commissaire de la République installèrent alors une délégation spéciale pour gérer les affaires jusqu’aux élections de 1945. Celle-ci comprit un groupe communiste, un groupe socialiste et un groupe non-inscrit, c’est-à-dire les Résistants d’inspiration chrétienne dont André Desreumaux fit partie.

Quand il prit sa retraite en 1970, il adhéra au syndicat des retraités CFDT, suivant avec intérêt ce qui s’y faisait, mais sans participer à leur travail vu ses activités. En effet, il assurait toujours au CIL la représentation du service régional d’échanges de logements tout en s’efforçant de se faire peu à peu remplacer. Mais en 1986 il faisait encore partie de la commission d’attribution des logements du CIL. En outre depuis 1979, il avait pris la responsabilité d’un comité d’accueil des réfugiés du Sud-Est asiatique ; il en garda le secrétariat jusqu’à sa mort et cela l’occupa énormément. Il demanda d’ailleurs à un de ses fils de le remplacer quand il ne serait plus là. Si André Desreumaux a pu mener cette vie de militant qui absorba toutes ses énergies, ce fut grâce au soutien de sa femme sur qui reposa la majeure partie des tâches familiales ainsi que l’éducation des enfants. Le dévouement d’André Desreumaux lui valut de recevoir la décoration de chevalier de Saint-Grégoire le Grand.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article22544, notice DESREUMAUX André, Auguste, Henri par Madeleine Singer, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 4 décembre 2008.

Par Madeleine Singer

[Arch. privées Madeleine Singer]
[Arch. privées Madeleine Singer]

SOURCES : Christine Bard, Paroles de militants, Association 1884-1984, 104 rue Jeanne d’Arc, Lille, 1990 (avec le compte rendu dactylographié de l’interview d’André Desreumaux). — Comptes rendus des congrès de l’UD du Nord (1946-1953), Archives du monde du travail, Roubaix. — Faire-part de décès d’André Desreumaux. — Lettre de Pierre et Jacques Desreumaux (ses fils), remise au cours de leur entretien avec M. Singer, 25 juillet 2001 ; leur deuxième lettre du 19 septembre 2001 donnant quelques compléments. (Arch. Gilbert Ryon).

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