DESROCHE Henri [DESROCHES Henri, dit DESROCHE]

Par Jean-François Draperi, Michel Dreyfus

Né le 12 avril 1914 à Roanne (Haute-Loire), mort le 1er juin 1994 à Villejuif (Val-de-Marne) ; dominicain ; directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, directeur-fondateur du Collège coopératif et du Réseau des hautes études des pratiques sociales (RHEPS), président-fondateur de l’Université coopérative internationale.

Fils d’un métayer devenu employé dans une tannerie de Roanne, Henri Desroche (il écrivit son nom sans le « s » final à partir du début des années 1950) eut une éducation théologique au couvent dominicain de Chambéry où enseignait le père Maurice Montuclard*, futur fondateur de Jeunesse de l’Église. Il entra dans l’Ordre dominicain à Angers le 3 octobre 1934 et fut ordonné en juillet 1936. Mobilisé en 1939-1940, il fit la campagne de Flandres-Dunkerque, puis, après l’armistice, reprit des études d’histoire de la philosophie et de théologie où enseignait le père Marie-Dominique Chenu*, ultérieurement inspirateur, avec le père Georges-Yves Congar*, des textes du Concile de Vatican II. Il découvrit l’École d’Uriage, les Compagnons de France avec André Cruiziat* et les débuts de Taizé
En 1942, Henri Desroches rejoignit Louis-Joseph Lebret* au mouvement Économie et humanisme où il coopéra notamment avec François Perroux*. L’année suivante, André Cruiziat l’introduisit dans la communauté de travail Boimondau, expérience qui devait marquer son entrée dans le monde de la coopération. Il devait aussi y rencontrer Joffre Dumazedier* et ses compagnons qui posaient les fondations de Peuple et culture. Henri Desroches partagea alors la vie de l’équipe de la Mission ouvrière dominicaine, dont Albert Bouche* était le supérieur.
La condamnation par Rome de son important ouvrage, Signification du marxisme, publié en juillet 1949, l’amena à quitter l’Ordre dominicain - tout en restant en relation avec son maître Marie-Dominique Chenu - et à démissionner de ses fonctions à Économie et humanisme en mai 1950.
Fondateur du Bulletin d’informations et de recherches (juin 1950), puis co-fondateur de La Quinzaine, Henri Desroche apparut alors comme un des défenseurs du progressisme chrétien. Il tenta une lecture compréhensive du marxisme, doublée d’une critique de la chrétienté, travail qui concluait sur la nécessité de penser les complémentarités entre marxisme et chrétienté plutôt que les antagonismes. Le théologien entra dès lors dans l’action sociale.
Henri Desroche bénéficia d’une année sabbatique avec le soutien de la petite entreprise d’horlogerie qu’était la communauté de travail Boimondau pour s’inscrire, durant un an, à la VIe section de l’École pratique des hautes études où il travailla sur Charles Fourier et Charles Gide. Il y fit une rencontre déterminante avec l’ethnologue Roger Bastide. Par ailleurs, il se maria en 1951.
À partir de cette période, son œuvre écrite intégra simultanément trois dimensions : religieuse, sociologique et éducative. De 1950 à sa mort, il publia une quarantaine d’ouvrages et autant d’ouvrages collectifs dans ces trois domaines. De 1951 à 1957, il travailla au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) à la sociologie des communautés et des religions. Il fonda le Bureau des études coopératives et communautaires (BECC) en 1953, puis le Groupe des sociologies des religions et les Archives de sociologie des religions avec Émile Poulat en 1956. L’année suivante, il mit sur pied le Collège coopératif et les Archives internationales de sociologie de la coopération et du développement (ASSCOD), qui devaient sortir trimestriellement sous sa direction, jusqu’en décembre 1989. Durant cette période, cette revue se spécialisa sur la coopération et le développement pendant que la Revue des études coopératives, à laquelle il collabora également de façon étroite, notamment avec Claude Vienney, poursuivait ses publications, essentiellement sur les coopératives du Vieux continent. En 1958, Henri Desroche fut élu directeur d’études à l’École pratique des hautes études, où il enseigna la sociologie de la coopération et du développement. Il enseigna également à l’Institut international d’administration publique, à l’Institut d’études du développement économique et social ainsi qu’à l’Institut des sciences sociales du travail, tout en collaborant avec l’Entente communautaire et à son périodique Communautés. En 1959, il créa, à Paris, le Collège coopératif dont il laissa la direction en 1985 à M. Manificat.
L’œuvre d’Henri Desroche sur le mouvement coopératif est essentielle : ses apports concernent spécialement la préhistoire religieuse du mouvement coopératif, la pensée coopérative au XIXe siècle, l’associationnisme, la coopération de production, le fouriérisme, l’inter-coopération, les relations entre coopération et développement. À la fois historien et sociologue, Henri Desroche se centra davantage sur le projet coopératif que sur l’organisation des entreprises coopératives, dont le spécialiste contemporain fut Claude Vienney. De même, si Henri Desroche écrivit sur toutes les formes de coopération, son parcours le rendit plus proche de la coopération de production que de la coopération de consommation, à l’inverse de la majorité des spécialistes de sa génération ou de la génération précédente, face auxquels il défendait l’inter-coopération.
Henri desroche n’en fut pas moins préoccupé par l’enclavement de la coopération. Aussi le rapprochement entre familles d’organisations qui s’esquissa à la fin des années 1970 trouva-t-il en lui un observateur attentif. Ce fut Henri Desroche qui devait donner une nouvelle vie au label « Économie sociale », repris de Charles Gide. Il apparut rapidement comme le penseur charismatique et stratégique d’une économie sociale à la recherche d’un nouveau souffle. Tout en développant le réseau des collèges coopératifs en France, puis le Réseau des hautes études des pratiques sociales (RHEPS), Henri Desroche créa, en 1977, l’Université coopérative internationale, qui devait réunir quatre fois par an pendant une dizaine d’années des militants coopératifs d’Afrique, d’Amérique Latine et du Nord ainsi que d’Europe. Son action inlassable en faveur d’un développement coopératif dans l’hémisphère Sud déboucha notamment sur une démarche éducative en formation des adultes. Son savoir encyclopédique, son allergie à tout système et à toute réduction de l’être humain, fût-elle scientifique, le caractère inter-disciplinaire de son œuvre, sa posture irréductible d’acteur et d’auteur critique en « recherche-action », en font un personnage inclassable, considéré comme un maître génial par certains et comme un essayiste inégal par d’autres. Il n’en fut pas moins l’un des fondateurs de la sociologie des religions en France, un spécialiste incontesté du mouvement coopératif et un éducateur remarquable.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article22545, notice DESROCHE Henri [DESROCHES Henri, dit DESROCHE] par Jean-François Draperi, Michel Dreyfus, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 17 juillet 2009.

Par Jean-François Draperi, Michel Dreyfus

ŒUVRE CHOISIE (sur la coopération) : Coopération et développement, PUF, 1964. — La société festive, Seuil, 1975. — Le projet coopératif, Éd. ouvriéres, 1976. — Solidarités ouvrières, Éd. ouvrières, 1981. — Pour un traité d’économie sociale, CIEM, 1983. — Entreprendre d’apprendre, Éd. ouvrières, 1990. — Histoire d’économies sociales, Syros-Alternative, 1991.

SOURCES : Entretien. — J. Séguy, La mort du sociologue Henri Desroches, Le Monde, 5-6 juin 1994. — Jean-Marie Mignon, in Dictionnaire biographique des militants (XIXe-XXe siècles). De l’éducation populaire à l’action culturelle, sous la direction de Geneviève Poujol et Madeleine Romer, L’Harmattan, 1996, p. 117-118. — Henri Desroche, un passeur de frontières, sous la direction d’Émile Poulat et de Claude Ravelet, L’Harmattan, 1997. — Charles Suaud, Nathalie Viet-Depaule, Prêtres et ouvriers. Une double fidélité mise à l’épreuve (1944-1969), Karthala, 2004. — Henri Desroche, mémoires d’un faiseur de livres, entretiens et correspondances avec Thierry Paquot, Éd. Lieu Commun/Éd. Charles Léopold Mayer, 1992. — Documentation personnelle.

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