GRAVIER Marthe, Jeanne

Par Michel Rousselot

Née le 18 novembre 1937 à Constantine (Algérie), morte le 7 juillet 2018 à Granville (Manche) ; docteure en droit ; membre de la Commission exécutive de l’Union confédérale des ingénieurs et cadres UCC-CFDT (1975-1977), secrétaire générale du Syndicat CFDT de la RATP (1977-1984), membre du Conseil d’administration du Fonds d’action sociale pour les immigrés FAS (1986-1996), membre du Conseil d’administration de la Caisse nationale d’assurance vieillesse CNAV (2000-2006).

Marthe Gravier à un congrès du syndicat CFDT de la RATP
Marthe Gravier à un congrès du syndicat CFDT de la RATP
(non datée, CK/6/15, DR, Coll. Archives CFDT)

L’enfance de Marthe Gravier se déroula d’abord en Algérie où ses grands-parents paternels étaient arrivés de France au milieu du XIXe siècle, et avaient subi le décès de sept de leurs douze enfants. Arrivé à la même époque, son grand-père maternel était connu pour son engagement socialiste jaurésien et sa grand-mère maternelle était d’origine maltaise. Ses parents étaient tous deux nés en Algérie. Sa mère, anticléricale, manifestait un sens aigu de l’égalité, alors que son père engagé dans l’armée française était plus attaché à la hiérarchie. Il fit la guerre du Rif au Maroc, puis participa au débarquement de Provence en 1944. À la suite des manifestations, de la répression et des massacres qui les ont suivies en mai 1945 dans le Constantinois, le père de Marthe Gravier, pensant que l’Algérie ne resterait pas française, décida de venir en France. Il voulait permettre à ses deux filles de poursuivre des études qu’il n’aurait pas pu payer avec les frais d’installation à Alger.

Habitant d’abord à Paris en 1945, ses parents s’installèrent ensuite à Meaux (Seine-et-Marne) où Marthe Gravier après l’école primaire fit ses études secondaires. La guerre d’Algérie divisa la famille ; alors que des cousins étaient proches de l’OAS, son père, qui parlait arabe, refusa d’être traducteur pour les interrogatoires de personnes soupçonnées de soutenir le FLN. Avec sa sœur, elles furent les premières de la famille à entreprendre des études supérieures. Intéressée par les rapports entre la société et l’État, Marthe Gravier s’inscrivit à la Faculté de droit puis à l’Institut des sciences politiques de Paris et soutint sa thèse de doctorat en droit public sur le Conseil de l’entente, organisation de coopération régionale d’Afrique de l’ouest, créé en 1959 par le Dahomey devenu ensuite Bénin, la Haute-Volta devenue ensuite Burkina Faso, la Côte d’Ivoire et le Niger, quatre États rejoints ensuite par le Togo. Cette période estudiantine fut livresque. Elle était soucieuse de son indépendance matérielle et intellectuelle, croyante non-pratiquante, attachée aux droits des femmes mais distante des mouvements féministes.

Marthe Gravier commença sa vie professionnelle au Crédit agricole puis, à partir de 1963, elle fut employée comme juriste à la RATP dans un service de contentieux qui la confronta à la misère de ceux qui étaient déférés devant les tribunaux. Pendant cette période, profitant des ses vacances, elle voyagea beaucoup à travers les divers continents, cherchant, au-delà de l’intérêt touristique à comprendre les hommes avec leurs différences et leurs cultures.

Pendant les évènements de Mai 68, les services administratifs de la RATP furent fermés et c’est lors de la reprise du travail que Marthe Gravier s’intéressa à la présence syndicale. Rejetant les pratiques de la CGT, elle éprouva des difficultés à comprendre le langage syndical, et la rencontre avec des militants de terrain la conduisit à adhérer en 1973 à la CFDT. Elle fut chargée de la responsabilité des cadres au syndicat CFDT de la RATP, succédant dans cette activité à André Schmider (ancien président de ce syndicat de 1969 à 1975). Cela l’amena à siéger de 1975 à 1977, à la Commission exécutive de l’Union confédérale des ingénieurs et cadres UCC-CFDT dont Pierre Vanlerenberghe était secrétaire général. Elle participa à des groupes de travail de l’UCC pendant plusieurs années et au comité de rédaction de la revue Cadres et profession qui devint plus tard Cadres CFDT, y publiant des articles notamment relatifs aux aspects juridiques des rapports de travail.

Marthe Gravier poursuivit son engagement dans la vie du syndicat CFDT de la RATP dont elle fut élue secrétaire générale en 1977. Elle fut encore davantage confrontée au machisme existant dans l’entreprise, mais apprécia la liberté de débats au sein de la CFDT. Elle milita aussi au sein de l’Union locale CFDT des XIe et XIIe et arrondissements de Paris, et participa notamment à la création de l’Union interprofessionnelle de base du secteur Bercy-La Rapée portant une attention particulière aux conditions de travail dans les tours-bureaux de ce quartier populaire. Elle fut élue au Conseil de l’Union départementale CFDT de Paris.

À la RATP, attentive aux inégalités entre les femmes et les hommes, aux discriminations et aux conditions de travail, elle fut engagée dans les luttes contre les inégalités. Elle marqua ses interlocuteurs par ses convictions et par sa force de caractère. Les premières années de son mandat connurent d’importantes grèves. Dès juin 1977, la grève des nettoyeurs du métro parisien dura trois semaines, concernant essentiellement des immigrés, travaillant dans différentes entreprises sous-traitantes de la RATP. Elle s’impliqua dans le soutien de la CFDT RATP épaulée par l’Union départementale (UD) CFDT de Paris, notamment par Jean-Claude Davidson qui avait en charge les travailleurs immigrés ainsi que Jean-Pierre Bobichon, le secrétaire général, et Marie Noëlle Thibault son adjointe. Le conflit permit d’obtenir une hausse des salaires et le respect de la convention collective. En 1979, engagée avec son syndicat dans une autre grève, celle des ouvriers réparateurs du RER et du métro, elle fut présente sur les différents chantiers et sites d’occupation.

La situation des nettoyeurs du métro restait très difficile. À la suite des grèves de 1977, la CFDT était fortement présente dans la douzaine d’entreprises qui intervenaient. Le Syndicat CFDT des travailleurs assurant un service RATP regroupait, bien qu’employés avec des régimes différents, les agents statutaires et les salariés des entreprises sous-traitantes, immigrés pour la plupart. Le renouvellement des marchés de sous-traitance conduisait à une pression à la baisse des emplois et des salaires, générant de nouveaux conflits. À la fin du mois de mars 1980, une nouvelle grève éclata. Marthe Gravier veilla à ce que, outre le syndicat CFDT RATP, les diverses organisations CFDT concernées y prennent une part active : la Fédération générale des transports et de l’équipement (FGTE-CFDT) qui participa aux négociations, l’UD et l’Union régionale CFDT qui jouèrent un rôle important dans la popularisation, jusqu’à Edmond Maire qui apporta le soutien de la Confédération CFDT en intervenant le 15 avril 1980 devant l’assemblée générale des grévistes. Pendant longtemps tant les entreprises sous-traitantes que leur chambre patronale et la RATP refusèrent de négocier en se renvoyant les responsabilités. Finalement une négociation put être conduite. Le protocole, accepté par les travailleurs après 39 jours de grève, innova par sa forme et par son contenu. Il fut signé le 1er mai 1980 par trois entités : du côté syndical par le Syndicat CFDT des travailleurs assurant un service RATP et du côté patronal par la RATP et par les entreprises sous-traitantes. Ce protocole comportait des améliorations et des garanties concernant les salaires et l’emploi, et l’accès des salariés des entreprises sous-traitantes aux locaux RATP (douches et restaurants).

À l’issue de son mandat en 1984, Marthe Gravier reprit un poste au service contentieux de la RATP et fut élue déléguée du personnel. Elle s’opposa à une tentative de suppression de son service en formulant des contre-propositions pour sa réorganisation, et prit la responsabilité de l’unité de droit social. A partir de 1993 et jusqu’en 2000 elle occupa un poste de juriste expert pour le régime spécial de protection sociale de la RATP.

Parallèlement, à la suite de la réforme du Fonds d’action sociale pour les travailleurs immigrés et leurs familles FAS qui régionalisait et ouvrait ses instances aux syndicats et aux associations d’immigrés, Marthe Gravier représenta en 1984 la CFDT à la Commission régionale pour l’insertion des populations immigrés CRIPI d’Ile de France, dont le délégué régional était Alain Gelly. Son engagement s’appuyait sur sa connaissance des conditions de vie des immigrés, notamment avec l’accompagnement de familles africaines à Paris, Elle siégea au Conseil d’administration du FAS de 1986 à 1996.

Ayant pris sa retraite professionnelle en 2000 elle fut chargée par la confédération CFDT d’un mandat au Conseil d’administration de la Caisse nationale d’assurance vieillesse CNAV, où elle siégea jusqu’en 2006 et traita des questions relatives à la réforme des retraites en 2003. Simultanément elle s’investit dans la vie de l’Union territoriale des retraités CFDT de Paris. Elle attacha une grande importance aux questions européennes. Elle prit part à la commission sur le maintien à domicile, et participa à la rédaction d’un ouvrage relatant l’histoire de la mémoire ouvrière du XIVe arrondissement de Paris. Elle fut marraine d’enfants pour l’association Enfants du monde et s’occupa d’un enfant polyhandicapé. Elle s’investit dans le fonctionnement d’une épicerie solidaire de son quartier et présida le Conseil syndical de la copropriété de son immeuble.

Célibataire par choix, Marthe Gravier avait adopté en 2003 une petite fille malienne rencontrée en banlieue parisienne.

Avant l’inhumation au cimetière de Granville, ses obsèques religieuses furent célébrées en l’église Saint Nicolas le 7 juillet 2018.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article225514, notice GRAVIER Marthe, Jeanne par Michel Rousselot, version mise en ligne le 7 avril 2020, dernière modification le 18 mai 2020.

Par Michel Rousselot

Marthe Gravier à un congrès du syndicat CFDT de la RATP
Marthe Gravier à un congrès du syndicat CFDT de la RATP
(non datée, CK/6/15, DR, Coll. Archives CFDT)

ŒUVRE : Les États du Conseil de l’entente, thèse de doctorat, Université de Paris, 1963. — La politique familiale tout au long de la vie, avec Dominique Fabre, URI-CFDT Ile-de-France, 2002. — La mémoire ouvrière, quelques aspects de la vie populaire au XIXe et au XXe siècle dans le XIVe arrondissement de Paris, avec Jacques Amory, Maryse Esmery et Nathalie Moutot, UTR-CFDT Paris, 2010.

SOURCES : Arch. Union confédérale des ingénieurs et cadres UCC-CFDT, notamment revue Cadres CFDT n° 385-386, décembre 1998 et n° 395, avril 2001. — Arch. CFDT : document du moment, sur la grève des nettoyeurs du métro de 1980, (note de M. E. Mougel), 2018. — Arch. Fédération générale des transports et de l’équipement FGTE-CFDT. — Arch. Fédération des services CFDT. — Arch. Union régionale URI-CFDT Ile-de-France. — Le lien CFDT de la RATP, n° 72, juin-juillet 1980. — Jo Bibard, Faire l’Histoire ensemble, la CFDT en région Ile-de-France 1987-1990, La Toison d’or, 2007. — Entretien avec Marthe Gravier, réalisé par Jo Bibard le 15 avril 2010. — Interventions de Jean-Pierre Bobichon, Dominique Fabre, Stéphanie Gueguen, Laurent Mahieu, Philippe Lengrand, Nathalie Moutot, André Schmider lors de l’hommage rendu à Marthe Gravier le 10 novembre 2018 à l’URI-CFDT Ile-de-France. — Notes d’Alain Gelly, 2018. — Entretiens avec Matouré Boullé, fille de Marthe Gravier, 2018 et 2020.

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