Par Guillaume Davranche
Né le 13 février 1924 à Paris (XVe arr.), mort le 20 octobre 2016 à Avon (Seine-et-Marne) ; ouvrier ajusteur chez Renault Billancourt ; militant communiste libertaire (Fédération anarchiste), puis trotskiste (Voix ouvrière) ; syndicaliste CNT, puis CGT, puis CFDT.
Fils d’un employé d’assurances et d’une couturière, Gilbert Devillard fut surtout influencé par son oncle, ex-militant de la CGTU, qui en 1946 lui glissa dans les mains son premier exemplaire du Libertaire.
Fraîchement sorti de la Résistance et des Forces françaises libres, où il rencontra quelques anarchistes espagnols, Gilbert Devillard fut rendu à la vie civile. Durant plusieurs années, il participa activement au mouvement des Auberges de jeunesse, véritable foyer de contre-culture dans les années 1940-1950. C’est au Planning familial qu’il fut initié aux techniques – clandestines à l’époque – de l’interruption volontaire de grossesse. En quelques années, il en pratiqua plus d’une trentaine, de façon militante et totalement désintéressée.
Quand il entra en avril 1946 chez Renault, à Boulogne-Billancourt, il sympathisa avec le PCF. Jusqu’à ce que, au bout de quelques semaines, il assistât à l’agression par des militants communistes de deux militantes trotskistes tentant de vendre La Lutte de classe à l’entrée de l’usine. Il s’interposa violemment. Mais, sérieusement dérouté par cet épisode, il se confia à son oncle qui lui conseilla de lire Le Libertaire. Il adhéra au groupe des 5e-6e arrondissements de Paris de la Fédération anarchiste, où militaient notamment Georg Glaser, Jean-Max Claris, Giliane Berneri et Serge Ninn. Il fonda également un syndicat CNT à l’usine Renault, dans le département 49 (montage de moteurs).
En mars 1947, des réunions communes rassemblèrent des militants de l’Union communiste (groupe Barta), du PCI et de la CNT. C’est là que fut décidé d’avancer le mot d’ordre d’augmentation de 10 francs sur le salaire de base, revendication qui fut à l’origine de la grève historique qui allait secouer Renault, puis la France entière, et faire exclure le PCF du gouvernement. En avril, lorsque les débrayages commencèrent, Gil Devillard fut membre du comité de grève. Le département 49, influencé par la CNT, fut l’un des derniers à reprendre le travail.
En juin 1947, il quitta l’usine pour une formation professionnelle à Ivry-sur-Seine. Il s’embauche ensuite à Air France à Orly puis à la SNCAN à Sartrouville et ne revint à Renault qu’en janvier 1949, au département 12 (tôlerie). En son absence, sa section CNT avait disparu : il restait vraisemblablement des adhérents individuels, mais sans activité.
En 1950, Gil Devillard participa avec Georges Fontenis à la création de l’Organisation-pensée-bataille (OPB), fraction communiste libertaire mécontente de l’immobilisme de la FA, et qui décida de la « redresser ». Dans le même temps, il impulsa un groupe d’usine, le groupe Makhno, avec d’autres militants FA de Boulogne-Billancourt (dont André Nédélec, René Thieblemont, ainsi que plusieurs réfugiés espagnols). Le groupe publia un bulletin de boîte : Le Libertaire Renault.
En juillet 1952, estimant que la FA n’était plus sauvable, Gil Devillard en démissionna. Il fut alors « pris en mains » par Pierre Bois, ex-militant de l’Union communiste qu’il avait connu dans le comité de grève en 1947, et devint trotskiste. En 1953, ils publièrent sept numéros d’un bulletin, Le Travailleur émancipé puis, en 1954, tous deux participèrent à Tribune ouvrière, un journal initié par Daniel Mothé et Raymond Hirzel, de Socialisme ou Barbarie.
En 1956, suite à un désaccord sur la ligne politique du journal, Gil Devillard et Pierre Bois quittèrent Tribune ouvrière et participèrent à la création d’un nouveau bulletin, Voix ouvrière, embryon de la future organisation du même nom. À la direction de Voix ouvrière (VO), où Gil Devillard agissait sous le pseudonyme Cédar, se trouvaient également, entre autres, Robert Barcia (dit Hardy) et Pierre Bois.
Gil Devillard était alors le seul militant de VO au département 37 (outillage-carrosserie) où il travailla à partir de la mi-1952. Durant les premières semaines d’existence de VO, sur la base d’un accord politique avec le PCI lambertiste, il diffusa Voix ouvrière avec un militant du PCI du département 37, Georges Van Bever. Mais l’accord ne tint pas longtemps, et VO cessa le travail commun avec les lambertistes.
En 1960, il entra à la CGT. Devenu un militant reconnu à l’intérieur de l’atelier, son appartenance trotskiste le fit exclure quatre ans plus tard pour « fractionnisme ». En 1967, il dirigea une grève dans le département 37. Grève à la suite de laquelle il fut muté, avec une cinquantaine d’autres, dans un service technique, moins enclin à la subversion.
À cette époque ses désaccords étaient fréquents avec la direction de Voix ouvrière, dans laquelle Robert Barcia était de plus en plus influent. Gil Devillard lui reprocha notamment de donner des consignes politiques en décalage avec la réalité des ateliers. Quelques semaines avant le mouvement de Mai 68, il quitta VO, avant qu’elle ne devienne Lutte ouvrière.
Il fut militant à la CFDT de 1968 à son départ de Renault en 1982.
Au début des années 2000, il fréquenta un peu l’Association des anciens travailleurs de l’île Seguin (Atris). Suite à une visite dans les bâtiments à l’abandon, en juin 2002, il raconta ses souvenirs de l’usine dans Lettre de Val de Seine Vert.
Fin 2006, la revue d’histoire sociale Gavroche publia un long entretien avec Gil Devillard sur son parcours militant.
Dans les années 2010, il se retira à Avon, en Seine-et-Marne, dans une maison de retraite Eulesis où il vécut ses derniers jours.
Par Guillaume Davranche
SOURCES : Correspondances et entretiens avec Gilbert Devillard. — Georges Fontenis, Changer le monde, Histoire du mouvement communiste libertaire (1945-1997), Éd. Le Coquelicot/Alternative libertaire, 2000. — Notes personnelles de Gil Devillard sur La Véritable Histoire de Lutte ouvrière (Robert Barcia/Christophe Bourseiller) et Histoire générale de l’ultra gauche (Christophe Bourseiller). — Pouvoir ouvrier, octobre 2000. — « Il reste, dans cette île, beaucoup de fantômes », Lettre de Val de Seine Vert n° 31 (mai 2004). — « Chez Renault, militer dans le groupe Makhno, ce n’était pas de tout repos ! », Gavroche n°148, octobre-décembre 2006. — Notes de Michel de Pierrepont, ancien camarade de Gil Devillard au département 37.